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Kitabı oku: «Han d'Islande», sayfa 12

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– Mon jeune maître, dit Spiagudry, abandonnez ce projet, croyez-moi; j'ai le pressentiment qu'il nous portera malheur.

Cette prière n'était rien, devant ce que désirait Ordener.

– Allons, dit-il avec impatience, songez que vous vous êtes engagé à me bien servir. Je veux que vous m'indiquiez ce sentier; où est-il?

– Nous allons y arriver tout à l'heure, dit le concierge forcé d'obéir.

En effet, le sentier s'offrit bientôt à eux; ils y entrèrent, mais Spiagudry remarqua, avec un étonnement mêlé d'effroi, que les hautes herbes étaient couchées et brisées, et que le vieux sentier de Vermund le Proscrit paraissait avoir été foulé récemment.

XX

LEONARDO.

Le roi vous demande.

HENRIQUE.

Comment cela?

LOPE DE VEGA. La Fuerza lastimosa.

Devant quelques papiers épars sur son bureau, parmi lesquels on distingue des lettres nouvellement ouvertes, le général Levin de Knud paraît rêver profondément. Un secrétaire debout près de lui semble attendre ses ordres. Le général tantôt frappe de ses éperons le riche tapis qui s'étend sous ses pieds, tantôt joue d'un air distrait avec la décoration de l'éléphant, suspendue à son cou par le collier de l'ordre. De temps en temps il ouvre la bouche pour parler, puis s'arrête et se frotte le front, et jette un nouveau coup d'oeil sur les dépêches décachetées qui couvrent la table.

– Comment diable!.... s'écrie-t-il enfin.

Cette exclamation concluante est suivie d'un instant de silence.

– Qui se serait jamais figuré, reprend-il, que ces démons de mineurs en viendraient là? Il faut nécessairement que de secrètes instigations les aient poussés à cette révolte.– Mais, savez-vous, Wapherney, que la chose est sérieuse? Savez-vous que cinq à six cents coquins des îles Fa-roër, commandés par un certain vieux bandit nommé Jonas, ont déjà déserté leurs mines? qu'un jeune fanatique, appelé Norbith, s'est également mis à la tête des mécontents de Guldbranshal? qu'à Sund-Moër, à Hubfallo, à Kongsberg, ces mauvaises têtes, qui n'attendaient qu'un signal, sont déjà peut-être soulevées? Savez-vous que les montagnards s'en mêlent, et qu'un des plus hardis renards de Kole, le vieux Kennybol, les commande? Savez-vous enfin que, d'après un bruit général dans le nord du Drontheimhus, s'il faut en croire les syndics qui m'écrivent, ce fameux scélérat dont nous avons fait mettre la tête à prix, le formidable Han, dirige en chef l'insurrection? Que direz-vous de tout cela, mon cher Wapherney? hem!

– Votre excellence, dit Wapherney, sait quelles mesures....

– Il y a encore dans cette déplorable affaire une circonstance que je ne puis m'expliquer; c'est que notre prisonnier Schumacker soit, comme on le prétend, l'auteur de la révolte. C'est ce qui semble n'étonner personne, et c'est enfin ce qui m'étonne le plus. Il me paraît difficile qu'un homme près duquel se plaisait mon loyal Ordener soit un traître. Cependant, les mineurs, assure-t-on, se lèvent en son nom; son nom est leur mot d'ordre, leur cri de ralliement; ils lui donnent même les titres dont le roi l'a privé.– Tout cela semble certain.– Mais comment se fait-il que la comtesse d'Ahlefeld connût déjà tous ces détails il y a six jours, au moment où les premiers symptômes réels de l'insurrection se manifestaient à peine dans les mines?– Cela est étrange.– N'importe, il faut pourvoir à tout. Donnez-moi mon sceau, Wapherney.

Le général écrivit trois lettres, les scella et les remit au secrétaire.

– Faites tenir ces messages au baron Voethaün, colonel des arquebusiers, actuellement en garnison à Munckholm, afin que son régiment marche en hâte aux révoltés.– Voici, pour le commandant de Munckholm, un ordre de veiller plus soigneusement que jamais sur l'ex-grand-chancelier. Il faudra que je voie et que j'interroge moi-même ce Schumacker.– Enfin, envoyez cette lettre à Skongen, au major Wolhm, qui y commande, afin qu'il dirige une partie de la garnison vers le foyer de l'insurrection.– Allez, Wapherney, et qu'on exécute promptement ces ordres.

Le secrétaire sortit, laissant le gouverneur plongé dans ses réflexions.

– Tout cela est fort inquiétant, pensait-il. Ces mineurs révoltés là-bas, cette intrigante chancelière ici, ce fou d'Ordener… on ne sait où!– Peut-être il voyage au milieu de tous ces bandits, laissant ici sous ma protection ce Schumacker, qui conspire contre l'état, et sa fille, pour la sûreté de laquelle j'ai eu la bonté d'éloigner la compagnie où se trouve ce Frédéric d'Ahlefeld, qu'Ordener accuse.– Eh mais, il me semble que cette compagnie pourra bien arrêter les premières colonnes des insurgés; elle est bien placée pour cela. Walhstrom, où elle tient garnison, est près du lac de Smiasen et de la ruine d'Arbar. C'est un des points que la révolte gagnera nécessairement.

À cet endroit de sa rêverie, le général fut interrompu par le bruit de la porte qui s'ouvrait.

– Eh bien, que voulez-vous, Gustave?

– Mon général, c'est un messager qui demande votre excellence.

– Allons! qu'est-ce encore? quelque désastre!.... Faites entrer ce messager.

Le messager, introduit, remit un paquet au gouverneur.

– Votre excellence, dit-il, c'est de la part de sa sérénité le vice-roi.

Le général ouvrit précipitamment la dépêche.

– Par saint Georges, s'écria-t-il avec un mouvement de surprise, je crois qu'ils sont tous fous! Ne voilà-t-il pas le vice-roi qui m'invite à me rendre près de lui, à Berghen? C'est, dit-il, pour une affaire pressante, d'après l'ordre du roi.– Voilà une affaire pressante qui choisit bien son moment.– «Le grand-chancelier, qui visite actuellement le Drontheimhus, suppléera à votre absence....»– C'est un suppléant auquel je ne me fie guère!– «L'évêque l'assistera....»– En vérité, Frédéric choisit là de bons gouverneurs pour un pays révolté; deux hommes de robe, un chancelier et un évêque!– Allons cependant, l'invitation est expresse, c'est l'ordre du roi. Il faut s'y rendre. Mais avant mon départ je veux voir Schumacker, et l'interroger.– Je sens bien qu'on veut m'engloutir dans un chaos d'intrigues, mais j'ai pour me diriger une boussole qui ne me trompe jamais,– c'est ma conscience.

XXI

Il semble que tout prenne une voix pour l'accuser de son crime.

Caïn, tragédie.

– Oui, seigneur comte, c'est aujourd'hui même, dans la ruine d'Arbar, que nous pourrons le rencontrer. Une foule de circonstances me font croire à la vérité de ce renseignement précieux, que j'ai recueilli hier soir par hasard, comme je vous l'ai conté, dans le village d'Oëlmoe.

– Sommes-nous loin de cette ruine d'Arbar?

– Mais c'est auprès du lac de Smiasen. Le guide m'a assuré que nous y serions avant le milieu du jour.

Ainsi s'entretenaient deux personnages à cheval et enveloppés de manteaux bruns, lesquels suivaient de grand matin une de ces mille routes sinueuses et étroites qui traversent en tous sens la forêt située entre les lacs de Smiasen et de Sparbo. Un guide des montagnes, muni de sa trompe et armé de sa hache, les précédait sur son petit cheval gris, et derrière eux marchaient quatre autres cavaliers armés jusqu'aux dents, vers lesquels ces deux personnages tournaient de temps en temps la tête, comme s'ils craignaient d'en être entendus.

– Si ce brigand islandais se trouve en effet dans la ruine d'Arbar, disait celui des deux interlocuteurs dont la monture se tenait respectueusement un peu en arrière de l'autre, c'est un grand point de gagné, car le difficile était de rencontrer cet être insaisissable.

– Vous croyez, Musdoemon? Et s'il allait rejeter nos offres?

– Impossible, votre grâce! de l'or et l'impunité, quel brigand résisterait à cela?

– Mais vous savez que ce brigand n'est pas un scélérat ordinaire. Ne le jugez donc pas à votre mesure; s'il refusait, comment rempliriez-vous la promesse que vous avez faite dans la nuit d'avant-hier aux trois chefs de l'insurrection?

– Eh bien, noble comte, dans ce cas, que je regarde comme impossible, si nous avons le bonheur de trouver notre homme, votre grâce a-t-elle oublié qu'un faux Han d'Islande m'attend dans deux jours à l'heure fixée, au lieu du rendez-vous assigné aux trois chefs, à l'Étoile-Bleue, endroit d'ailleurs assez voisin de la ruine d'Arbar?

– Vous avez raison, toujours raison, mon cher Musdoemon, dit le noble comte; et ils retombèrent tous deux dans leur cercle particulier de réflexions.

Musdoemon, dont l'intérêt était de tenir le maître en bonne humeur, fit, pour le distraire, une question au guide.

– Brave homme, quelle est cette espèce de croix de pierre dégradée qui s'élève là-haut, derrière ces jeunes chênes?

Le guide, homme au regard fixe, à la mine stupide, tourna la tête et la secoua à plusieurs reprises en disant:

– Oh! seigneur maître, c'est la plus vieille potence de Norvège; le saint roi Olaüs la fit construire pour un juge qui avait fait un pacte avec un brigand.

Musdoemon aperçut sur le visage de son patron une impression toute contraire à celle qu'il espérait des paroles simples du guide.

– Ce fut, poursuivit celui-ci, une histoire bien singulière, la bonne mère Osie me l'a contée; le brigand fut chargé de pendre le juge.

Le pauvre guide ne s'apercevait pas, dans sa naïveté, que l'aventure dont il voulait égayer ses voyageurs était presque un outrage pour eux. Musdoemon l'arrêta.

– Assez, assez, lui dit-il, nous connaissons cette histoire.

– L'insolent! murmura le comte, il connaît cette histoire! Ah! Musdoemon, tu me paieras cher tes impudences.

– Sa grâce ne parle-t-elle pas? dit Musdoemon d'un air obséquieux.

– Je pensais aux moyens de vous faire enfin obtenir l'ordre de Dannebrog. Le mariage de ma fille Ulrique et du baron Ordener sera une bonne occasion.

Musdoemon se confondit en protestations et en remerciements.

– À propos, reprit sa grâce, parlons de nos affaires. Croyez-vous que l'ordre de rappel momentané que nous lui destinons soit parvenu au mecklembourgeois?

Le lecteur se rappelle peut-être que le comte avait l'habitude de désigner sous ce nom le général Levin de Knud, qui était en effet natif du Mecklembourg.

– Parlons de nos affaires! se dit intérieurement Musdoemon choqué; il paraît que mes affaires ne sont pas nos affaires.– Seigneur comte, répondit-il à haute voix, je pense que le messager du vice-roi doit être en ce moment à Drontheim, et qu'ainsi le général Levin n'est pas loin de son départ.

Le comte prit une voix affectueuse.

– Ce rappel, mon cher, est un de vos coups de maître; c'est une de vos intrigues les mieux conçues et les plus habilement exécutées.

– L'honneur en appartient à sa grâce autant qu'à moi, répliqua Musdoemon, soigneux, comme nous l'avons déjà dit, de mêler le comte à toutes ses machinations.

Le patron connaissait cette pensée secrète de son confident, mais il voulait paraître l'ignorer. Il se mit à sourire.

– Mon cher secrétaire intime, vous êtes toujours modeste; mais rien ne me fera méconnaître vos éminents services. La présence d'Elphège et l'absence du mecklembourgeois assurent mon triomphe à Drontheim. Me voici le chef de la province, et si Han d'Islande accepte le commandement des révoltés, que je veux lui offrir moi-même, c'est à moi que reviendra, aux yeux du roi, la gloire d'avoir apaisé cette inquiétante insurrection et pris ce formidable brigand.

Ils parlaient ainsi à voix basse, quand le guide se retourna.

– Mes seigneurs maîtres, dit-il, voici, à notre gauche, le monticule sur lequel Biord le Juste fit décapiter, aux yeux de son armée, Vellon à la langue double, ce traître qui avait éloigné les vrais défenseurs du roi et appelé l'ennemi dans le camp, pour paraître avoir seul sauvé les jours de Biord.

Tous ces souvenirs de la vieille Norvège ne semblèrent pas du goût de Musdoemon, car il interrompit brusquement le guide.

– Allons, allons, bonhomme, taisez-vous et continuez votre chemin sans vous détourner; que nous importe ce que des masures ruinées ou des arbres morts vous rappellent de sottes aventures? Vous importunez mon maître avec vos contes de vieilles femmes.

XXII

Voici l'heure où le lion rugit,

Où le loup hurle à la lune,

Tandis que le laboureur ronfle,

Épuisé de sa pénible tâche.

Maintenant les tisons consumés brillent dans le foyer;

La chouette poussant son cri sinistre,

Rappelle aux malheureux, couchés dans les douleurs,

Le souvenir d'un drap funèbre.

Voici le temps de la nuit

Où les tombeaux, tous entr'ouverts,

Laissent échapper chacun son spectre,

Qui va errer dans les sentiers des cimetières.

SHAKESPEARE. Le Songe d'été.

Retournons sur nos pas. Nous avons laissé Ordener et Spiagudry gravissant avec assez de peine, au lever de la lune, la croupe du rocher courbé d'Oëlmoe. Ce rocher, chauve à l'origine de sa courbure, était appelé alors par les paysans norvégiens le Cou-de-Vautour, dénomination qui représente en effet assez bien la figure qu'offre de loin cette masse énorme de granit.

À mesure que nos voyageurs s'élevaient vers la partie nue du rocher, la forêt se changeait en bruyère. Les mousses succédaient aux herbes; les églantiers sauvages, les genêts, les houx, aux chênes et aux bouleaux; appauvrissement de végétation qui, sur les hautes montagnes, indique toujours la proximité du sommet, en annonçant l'amincissement graduel de la couche de terre dont ce qu'on pourrait appeler l'ossement du mont est revêtu.

– Seigneur Ordener, disait Spiagudry, dont l'esprit mobile était comme sans cesse entraîné dans un tourbillon d'idées diverses, cette pente est bien fatigante, et, pour vous avoir suivi, il faut tout le dévouement....

– Mais il me semble que je vois là, à droite, un magnifique convolvulus; je voudrais bien pouvoir l'examiner. Pourquoi ne fait-il pas grand jour?– Savez-vous que c'est une chose bien impertinente que d'évaluer un savant tel que moi quatre méchants écus? Il est vrai que le fameux Phèdre était esclave, et qu'Ésope, si nous en croyons le docte Planude, fut vendu dans une foire comme une bête ou une chose. Et qui ne serait fier d'avoir un rapport quelconque avec le grand Ésope?

– Et avec le célèbre Han? ajouta Ordener en souriant.

– Par saint Hospice, répondit le concierge, ne prononcez pas ce nom ainsi; je me passerais bien, je vous jure, seigneur, de cette dernière conformité. Mais ne serait-ce pas une chose singulière, que le prix de sa tête revînt à Benignus Spiagudry, son compagnond'infortune?– Seigneur Ordener, vous êtes plus noble que Jason, qui ne donna pas la toison d'or au pilote d'Argo; et certes votre entreprise, dont je ne devine pas positivement le but, n'est pas moins périlleuse que celle de Jason.

– Mais, dit Ordener, puisque vous connaissez Han d'Islande, donnez-moi donc quelques détails sur lui. Vous m'avez déjà appris que ce n'est pas un géant, comme on le croit le plus communément.

Spiagudry l'interrompit.

– Arrêtez, maître! n'entendez-vous point un bruit de pas derrière nous?

– Oui, répondit tranquillement le jeune homme. Ne vous alarmez pas; c'est quelque bête fauve que notre approche effarouche, et qui se retire en froissant les halliers.

– Vous avez raison, mon jeune César; il y a si longtemps que ces bois n'ont vu d'êtres humains! Si l'on en juge à la pesanteur des pas, l'animal doit être gros. C'est un élan ou un renne; cette partie de la Norvège en est peuplée. On y trouve aussi des chatpards. J'en ai vu un, entre autres, qu'on avait amené à Copenhague; il était d'une grandeur monstrueuse. Il faut que je vous fasse la description de ce féroce animal.

– Mon cher guide, dit Ordener, j'aimerais mieux que vous me fissiez la description d'un autre monstre non moins féroce, de cet horrible Han.

– Baissez la voix, seigneur! Comme le jeune maître prononce paisiblement un tel nom! Vous ne savez pas....– Dieu! seigneur, écoutez!

Spiagudry se rapprocha, en disant ces mots, d'Ordener, qui venait d'entendre en effet très distinctement un cri pareil à l'espèce de rugissement qui, si le lecteur se le rappelle, avait si fort effrayé le timide concierge dans cette soirée orageuse où ils avaient quitté Drontheim.

– Avez-vous entendu? murmura celui-ci, tout haletant de crainte.

– Sans doute, dit Ordener, et je ne vois pas pourquoi vous tremblez. C'est un hurlement de bête sauvage, peut-être tout simplement le cri d'un de ces chatpards dont vous parliez tout à l'heure. Comptiez-vous traverser à cette heure un pareil endroit sans être averti en rien de la présence des hôtes que vous troublez? Je vous proteste, vieillard, qu'ils sont plus effrayés encore que vous.

Spiagudry, en voyant le calme de son jeune compagnon, se rassura un peu.

– Allons, il pourrait bien se faire, seigneur, que vous eussiez encore raison. Mais ce cri de bête ressemble horriblement à une voix.... Vous avez été fâcheusement inspiré, souffrez que je vous le dise, seigneur, de vouloir monter à ce château de Vermund. Je crains qu'il ne nous arrive malheur sur le Cou-de-Vautour.

– Ne craignez rien tant que vous serez avec moi, répondit Ordener.

– Oh! rien ne vous alarme; mais, seigneur, il n'y a que le bienheureux saint Paul qui puisse prendre des vipères sans se blesser.– Vous n'avez seulement pas remarqué, quand nous sommes entrés dans ce maudit sentier, qu'il paraissait frayé depuis peu, et que les herbes foulées n'avaient même pas eu le temps de se relever depuis qu'on y avait passé.

– J'avoue que tout cela me frappe peu, et que le calme de mon esprit ne dépend pas du plus ou moins de courbure d'un brin d'herbe. Voici que nous allons quitter la bruyère; nous n'entendrons plus de pas ni de cris de bêtes; je ne vous dirai donc plus, mon brave guide, de rassembler votre courage, mais de ramasser vos forces, car le sentier, taillé dans le roc, sera sans doute plus difficile que celui-ci.

– Ce n'est pas, seigneur, qu'il soit plus escarpé, mais le savant voyageur Suckson conte qu'il est souvent embarrassé d'éclats de roches ou de lourdes pierres qu'on ne peut soulever et qu'il n'est pas aisé de franchir. Il y a entre autres, un peu au delà de la poterne de Malaër, dont nous approchons, un énorme bloc triangulaire de granit que j'ai toujours vivement désiré voir. Schoenning affirme y avoir retrouvé les trois caractères runiques primitifs.

Il y avait déjà quelque temps que les voyageurs gravissaient la roche nue; ils atteignirent une petite tour écroulée, à travers laquelle il fallait passer, et que Spiagudry fit remarquer à Ordener.

– C'est la poterne de Malaër, seigneur. Ce chemin creusé à vif présente plusieurs autres constructions curieuses, qui montrent quelles étaient les anciennes fortifications de nos manoirs norvégiens! Cette poterne, qui était toujours gardée par quatre hommes d'armes, était le premier ouvrage avancé du fort de Vermund. À propos de porte ou poterne, le moine Urensius fait une remarque singulière; le mot janua, qui vient de Janus, dont le temple avait des portes si célèbres, n'a-t-il pas engendré le mot janissaire, gardien de la porte du sultan? Il serait assez curieux que le nom du prince le plus doux de l'histoire eût passé aux soldats les plus féroces de la terre.

Au milieu de tout le fatras scientifique du concierge, ils avançaient assez péniblement sur des pierres roulantes et des cailloux tranchants, mêlés de ce gazon court et glissant qui croît quelquefois sur les rochers. Ordener oubliait la fatigue en songeant au bonheur de revoir ce Munckholm, si éloigné; tout à coup Spiagudry s'écria:

– Ah! je l'aperçois! cette seule vue me dédommage de toute ma peine. Je la vois, seigneur, je la vois!

– Qui donc? dit Ordener, qui pensait en ce moment à son Éthel.

– Eh! seigneur, la pyramide triangulaire dont parle Schoenning! Je serai, avec le professeur Schoenning et l'évêque Isleif, le troisième savant qui aura eu le bonheur de l'examiner. Seulement il est fâcheux que ce ne soit qu'au clair de lune.

En approchant du fameux bloc, Spiagudry poussa un cri de douleur et d'épouvante à la fois. Ordener, surpris, s'informa avec intérêt du nouveau sujet de son émotion; mais le concierge archéologue fut quelque temps avant de pouvoir lui répondre.

– Vous croyiez, disait Ordener, que cette pierre barrait le chemin; vous devez, au contraire, reconnaître avec plaisir qu'elle le laisse parfaitement libre.

– Et c'est justement ce qui me désespère! dit Benignus d'une voix lamentable.

– Comment?

– Quoi! seigneur, reprit le concierge, ne voyez-vous pas que cette pyramide a été dérangée de sa position; que la base, qui était assise sur le sentier, est maintenant exposée à l'air, tandis que le bloc est précisément appuyé contre terre, sur la face où Schoenning avait découvert les caractères runiques primordiaux?– Je suis bien malheureux!

– C'est jouer de malheur, en effet, dit le jeune homme.

– Et ajoutez à cela, reprit vivement Spiagudry, que le dérangement de cette masse prouve ici la présence de quelque être surhumain. À moins que ce ne soit le diable, il n'y a en Norvège qu'un seul homme dont le bras puisse…

– Mon pauvre guide, vous revenez encore à vos terreurs paniques. Qui sait si cette pierre n'est pas ainsi depuis plus d'un siècle?

– Il y a cent cinquante ans, à la vérité, dit Spiagudry d'une voix plus calme, que le dernier observateur l'a étudiée. Mais il me semble qu'elle est fraîchement remuée; la place qu'elle occupait est encore humide. Voyez, seigneur.

Ordener, impatient d'arriver aux ruines, arracha son guide d'auprès de la pyramide merveilleuse, et parvint, par de sages paroles, à dissiper les nouvelles craintes que cet étrange déplacement avait inspirées au vieux savant.

– Écoutez, vieillard, vous pourrez vous fixer au bord de ce lac, et vous livrer à votre aise à vos importantes études, quand vous aurez reçu les mille écus royaux que vous rapportera la tête de Han.

– Vous avez raison, noble seigneur; mais ne parlez pas si légèrement d'une victoire bien douteuse. Il faut que je vous donne un conseil pour que vous vous rendiez plus aisément maître du monstre.

Ordener se rapprocha vivement de Spiagudry.

– Un conseil! lequel?

– Le brigand, dit celui-ci à voix basse et en jetant des regards inquiets autour de lui, le brigand porte à sa ceinture un crâne dans lequel il a coutume de boire. Ce crâne est le crâne de son fils, dont le cadavre est celui pour la profanation duquel je suis poursuivi.

– Haussez un peu la voix et ne craignez rien, je vous entends à peine. Eh bien! ce crâne?

– C'est de ce crâne, dit Spiagudry en se penchant à l'oreille du jeune homme, qu'il faut tâcher de vous emparer. Le monstre y attache je ne sais quelles idées superstitieuses. Quand le crâne de son fils sera en votre pouvoir, vous ferez de lui tout ce que vous voudrez.

– Cela est bien, mon brave homme; mais comment s'emparer de ce crâne?

– Par la ruse, seigneur; pendant le sommeil du monstre, peut-être…

Ordener l'interrompit.

– Il suffit. Votre bon conseil ne peut me servir; je ne dois pas savoir si un ennemi dort. Je ne connais pour combattre que mon épée.

– Seigneur, seigneur! il n'est pas prouvé que l'archange Michel n'ait pas usé de ruse pour terrasser Satan.

Ici Spiagudry s'arrêta tout à coup, et étendit ses deux mains devant lui, en s'écriant d'une voix presque éteinte:

– O ciel! ô ciel! qu'est-ce que je vois là-bas? Voyez, maître, n'est-ce pas un petit homme qui marche dans ce même sentier devant nous?

– Ma foi, dit Ordener en levant les yeux, je ne vois rien.

– Rien, seigneur?– En effet, le sentier tourne, et il a disparu derrière ce rocher.– N'allons pas plus loin, seigneur, je vous en conjure.

– En vérité, si ce personnage prétendu a si vite disparu, cela n'annonce pas qu'il ait l'intention de nous attendre; et s'il fuit, ce n'est pas une raison pour nous de fuir.

– Veille sur nous, saint Hospice! dit Spiagudry, qui, dans toutes les occasions périlleuses, se souvenait de son patron favori.

– Vous aurez pris, ajouta Ordener, l'ombre mouvante d'une chouette effrayée pour un homme.

– J'ai pourtant bien cru voir un petit homme; il est vrai que le clair de lune produit souvent des illusions singulières. C'est à cette lumière que Baldan, sire de Merneugh, prit le rideau blanc de son lit pour l'ombre de sa mère; ce qui le décida à aller, le lendemain, déclarer son parricide aux juges de Christiania, qui allaient condamner le page innocent de la défunte. Ainsi, l'on peut dire que le clair de lune a sauvé la vie à ce page.

Personne n'oubliait mieux que Spiagudry le présent dans le passé. Un souvenir de sa vaste mémoire suffisait pour bannir toutes les impressions du moment. Aussi l'histoire de Baldan dissipa-t-elle sa frayeur. Il reprit d'une voix tranquille:

– Il est possible que le clair de lune m'ait trompé de même.

Cependant ils atteignaient le sommet du Cou-de-Vautour, et commençaient à revoir le faîte des ruines, que la courbure du rocher leur avait cachées pendant qu'ils montaient.

Que le lecteur ne s'étonne pas si nous rencontrons souvent des ruines à la cime des monts de Norvège. Quiconque a parcouru des montagnes en Europe n'aura pas manqué de remarquer fréquemment des restes de forts et de châteaux, suspendus à la crête des pics les plus élevés, comme d'anciens nids de vautours ou des aires d'aigles morts. En Norvège surtout, au siècle où nous nous sommes transportés, ces sortes de constructions aériennes étonnaient autant par leur variété que par leur nombre. C'étaient tantôt de longues murailles démantelées, se roulant en ceinture autour d'un roc; tantôt des tourelles grêles et aiguës surmontant la pointe d'un pic, comme une couronne; ou, sur la tête blanche d'une haute montagne, de grosses tours groupées autour d'un grand donjon, et présentant de loin l'aspect d'une vieille tiare. On voyait près des frêles arcades ogives d'un cloître gothique, les lourds piliers égyptiens d'une église saxonne; près de la citadelle à tours carrées d'un chef païen, la forteresse à créneaux d'un sire chrétien; près d'un château-fort ruiné par le temps, un monastère détruit par la guerre. Tous ces édifices, mélange d'architectures singulières et presque ignorées aujourd'hui, construits hardiment sur des lieux en apparence inaccessibles, n'y avaient plus laissé que des débris, pour rendre en quelque sorte à la fois témoignage de la puissance et du néant de l'homme. Peut-être s'était-il passé dans leur enceinte bien des choses plus dignes d'être racontées que tout ce qu'on raconte à la terre; mais les événements s'écoulent, les yeux qui les ont vus se ferment; les traditions s'éteignent avec les ans, comme un feu qu'on n'a point recueilli; et qui pourrait ensuite pénétrer le secret des siècles?

Le manoir de Vermund le Proscrit, où nos deux voyageurs arrivaient en ce moment, était un de ceux auxquels la superstition rattachait le plus d'histoires surprenantes et d'aventures miraculeuses. À ces murailles de cailloux noyés dans un ciment devenu plus dur que la pierre, on reconnaissait aisément qu'il avait été bâti vers le cinquième ou le sixième siècle. De ses cinq tours, une seulement était encore debout dans toute sa hauteur; les quatre autres, plus ou moins dégradées, et couvrant de leurs débris le sommet du rocher, étaient liées entre elles par des lignes de ruines, lesquelles indiquaient également les anciennes limites des cours dans l'enceinte du château. Il était très difficile de pénétrer dans cette enceinte, obstruée de pierres, de quartiers de rochers, et d'arbustes de toute espèce, qui, rampant de ruine en ruine, surmontaient de leurs touffes les murailles tombées, ou laissaient pendre jusque dans le précipice leurs longs bras flexibles. C'est à ces tresses de rameaux que venaient souvent, disait-on, se balancer, au clair de lune, des âmes bleuâtres, esprits coupables de ceux qui s'étaient volontairement noyés dans le Sparbo, ou que le farfadet du lac attachait le nuage qui devait le remmener au lever du soleil. Mystères effrayants, dont avaient été plus d'une fois témoins de hardis pêcheurs, quand, pour profiter du sommeil des chiens de mer[10], ils osaient la nuit pousser leur barque jusque sous le rocher d'Oëlmoe, qui s'arrondissait dans l'ombre, au-dessus de leur tête, comme l'arche rompue d'un pont gigantesque.

Nos deux aventuriers franchirent, non sans peine, la muraille du manoir, à travers une crevasse, car l'ancienne porte était encombrée de ruines. La seule tour qui, ainsi que nous l'avons dit, fût restée debout, était située à l'extrémité du rocher. C'était, dit Spiagudry à Ordener, celle du sommet de laquelle on apercevait le fanal de Munckholm. Ils s'y dirigèrent, quoique l'obscurité fût en ce moment complète. La lune était entièrement cachée par un gros nuage noir. Ils allaient gravir la brèche d'un autre mur, pour pénétrer dans ce qui avait été la seconde cour du château, quand Benignus s'arrêta tout court, et saisit brusquement le bras d'Ordener, d'une main qui tremblait si fort, que le jeune homme lui-même en était ébranlé.

– Quoi donc?… dit Ordener surpris.

Benignus, sans répondre, pressa son bras plus vivement encore, comme pour lui demander du silence.

– Mais.... reprit le jeune homme.

Une nouvelle pression, accompagnée d'un gros soupir mal étouffé, le décida à attendre patiemment que ce nouvel effroi fût passé.

Enfin Spiagudry, d'une voix oppressée:

– Eh bien! maître, qu'en dites-vous?

– De quoi? dit Ordener.

– Oui, seigneur, continua l'autre du même ton, vous vous repentez bien maintenant d'être monté ici!

– Non, en vérité, mon brave guide, j'espère bien monter plus haut encore. Pourquoi voulez-vous que je m'en repente?

– Comment, seigneur, vous n'avez donc point vu?…

– Vu! quoi?

– Vous n'avez point vu! répéta l'honnête concierge, avec un accès toujours croissant de terreur.

– Mais non vraiment! répondit Ordener d'un ton d'impatience; je n'ai rien vu, et je n'ai entendu que le bruit de vos dents que la peur faisait claquer violemment.

– Quoi! là, derrière ce mur, dans l'ombre, ces deux yeux flamboyants comme des comètes, qui se sont fixés sur nous. Vous ne les avez point vus?

– En honneur, non.

– Vous ne les avez point vus errer, monter, descendre et disparaître enfin dans les ruines?

– Je ne sais ce que vous voulez dire. Qu'importe, d'ailleurs?

– Comment! seigneur Ordener, savez-vous qu'il n'y a en Norvège qu'un seul homme dont les yeux rayonnent ainsi dans les ténèbres?

– Allons, qu'importe encore! Quel est donc cet homme aux yeux de chat? Est-ce Han, votre formidable islandais? Tant mieux, s'il est ici! cela nous épargnera le voyage de Walderhog.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
30 ağustos 2016
Hacim:
460 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
Ses
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