Kitabı oku: «Correspondance de Voltaire avec le roi de Prusse», sayfa 11
DE M. DE VOLTAIRE
À Ferney, 17 novembre 1772.
Sire, quelques petits avant-coureurs que la nature envoie quelquefois aux gens de quatre-vingt et un ans, ne m'ont pas permis de vous remercier plus tôt d'une lettre charmante, remplie des plus jolis vers que vous ayez jamais faits; ni roi, ni homme ne vous ressemble: je ne suis pas assurément en état de vous rendre vers pour vers.
Muses, que je me sens confondre!
Vous daignez encor m'inspirer
L'esprit qu'il faut pour l'admirer
Mais non celui de lui répondre.
Je puis du moins répondre à Votre Majesté que mon cœur est pénétré des bontés que vous daignez témoigner pour ce pauvre Morival. Je voudrais qu'il pût au milieu de nos neiges lever le plan du pays que vous lui avez permis d'habiter; Votre Majesté verrait combien il s'est formé, en très peu de temps, dans un art nécessaire aux bons officiers, et très rare, dont il n'avait pas la plus légère connaissance; vous serez touché de sa reconnaissance et du zèle avec lequel il consacre ses jours à votre service. Son extrême sagesse m'étonne toujours: on a dessein de faire revoir son procès, qu'on ne lui a fait que par contumace; ce parti me paraît plus convenable et plus noble que celui de demander grâce. Car enfin grâce suppose crime, et assurément il n'est point criminel; on n'a rien prouvé contre lui. Cela demandera un peu de temps, et il se peut très bien que je meure avant que l'affaire soit finie; mais j'ai légué cet infortuné à M. d'Alembert, qui réussira mieux que je n'aurais pu faire.
J'ose croire qu'il ne serait peut-être de votre dignité qu'un de vos officiers restât avec le désagrément d'une condamnation qui a toujours dans le public quelque chose d'humiliant, quelque injuste qu'elle puisse être. En vérité, c'est une de vos belles actions de protéger un jeune homme si estimable et si infortuné: vous secourrez à la fois l'innocence et la raison; vous apprendrez aux Welches à détester le fanatisme, comme vous leur avez appris le métier de la guerre, supposé qu'ils l'aient appris. Vous avez toutes les sortes de gloire: c'en est une bien grande de protéger l'innocence à trois cents lieues de chez soi.
Daignez agréer, Sire, le respect, la reconnaissance, l'attachement d'un vieillard qui mourra avec ces sentiments.
DE M. DE VOLTAIRE
À Ferney, 22 décembre 1772.
Sire, en recevant votre jolie lettre et vos jolis vers, du 6 décembre, en voici que je reçois de Thiriot, votre feu nouvelliste, qui ne sont pas si agréables:
C'en est fait, mon rôle est rempli,
Je n'écrirai plus de nouvelles;
Le pays du fleuve d'oubli
N'est pas pays de bagatelles.
Les morts ne me fournissent rien.
Soit pour les vers, soit pour la prose
Ils sont d'un fort sec entretien,
Et font toujours la même chose.
Cependant ils savent fort bien
De Frédéric toute l'histoire,
Et que ce héros prussien
A dans le temple de Mémoire
Toutes les espèces de gloire;
Excepté celle de chrétien.
De sa très éclatante vie
Ils savent tous les plus beaux traits,
Et surtout ceux de son génie:
Mais ils ne m'en parlent jamais.
Salomon eut raison de dire
Que Dieu fait en vain ses efforts
Pour qu'on le loue en cet empire;
Dieu n'est point loué par les morts.
Ou a beau dire, on a beau faire,
Pour trouver l'immortalité,
Ce n'est rien qu'une vanité,
Et c'est aux vivants qu'il faut plaire.
Les seules lettres, sire, que vous dictez à M. de Catt mériteraient cette immortalité; mais vous savez mieux que personne que c'est un château enchanté qu'on voit de loin, et dans lequel on n'entre pas.
Que nous importe, quand nous ne sommes plus, ce qu'on fera de notre chétif corps, et de notre prétendue âme, et ce qu'on en dira? cependant cette illusion nous séduit tous, à commencer par vous sur votre trône, et à finir par moi sur mon grabat au pied du mont Jura.
Il est pourtant clair qu'il n'y a que le déiste ou l'athée auteur de l'Ecclésiaste, qui ait raison: il est bien certain qu'un lion mort ne vaut pas un chien vivant; qu'il faut jouir, et que tout le reste est folie.
Il est bien plaisant que ce petit livre tout épicurien, ait été sacré parmi nous parce qu'il est juif.
Vous prendrez sans doute contre moi le parti de l'immortalité, vous défendrez votre bien. Vous direz que c'est un plaisir dont vous jouissez pendant votre vie; vous vous faites déjà dans votre esprit une image très plaisante de la comparaison qu'on fera de vous avec un de vos confrères, par exemple, avec Moustapha. Vous riez en voyant ce Moustapha, ne se mêlant de rien que de coucher avec ses odalisques qui se moquent de lui, battu par une dame née dans votre voisinage, trompé, volé, méprisé par ses ministres, ne sachant rien, ne se connaissant à rien. J'avoue qu'il n'y aura point dans la postérité de plus énorme contraste mais j'ai peur que ce gros cochon, s'il se porte bien, ne soit plus heureux que vous. Tâchez qu'il n'en soit rien; ayez autant de santé et de plaisir que de gloire, l'année 1773, et cinquante autres années suivantes si faire se peut; et que Votre Majesté conserve ses bontés pour les minutes que j'ai encore à vivre au pied des Alpes. Ce n'est pas là que j'aurais voulu vivre et mourir.
La volonté de sa sacrée majesté le Hasard soit faite.
DU ROI
À Potsdam, le 3 janvier 1773.
Que Thiriot a de l'esprit,
Depuis que le trépas en a fait un squelette!
Mais lorsqu'il végétait dans ce monde maudit,
Du Parnasse français composant la gazette,
Il n'eut ni gloire ni credit,
Maintenant il parait, par les vers qu'il écrit,
Un philosophe, un sage, autant qu'un grand poète.
Aux bords de l'Achéron où son destin le jette,
Il a trouvé tous les talents
Qu'une fatalité bizarre
Lui dénia toujours lorsqu'il en était temps.
Pour les lui prodiguer au fin fond du Ténare.
Enfin, les trépassés et tous nos sots vivants
Pourront donc aspirer à briller comme à plaire,
S'ils sont assez adroits, avisés et prudents
De choisir pour leur secrétaire
Homère, Virgile ou Voltaire.
Solon avait donc raison: on ne peut juger du mérite d'un homme qu'après sa mort. Au lieu de m'envoyer souvent un fatras non lisible d'extraits de mauvais livres, Thiriot aurait dû me régaler de tels vers, devant lesquels les meilleurs qu'il m'arrive de faire baissent le pavillon. Apparemment qu'il méprisait la gloire au point qu'il dédaignait d'en jouir. Cette philosophie ascétique surpasse, je l'avoue, mes forces.
Il est très vrai qu'en examinant ce que c'est que la gloire, elle se réduit à peu de chose. Être jugé par des ignorants et estimé par des imbéciles: entendre prononcer son nom par une populace qui approuve, rejette, aime, ou hait sans raison, ce n'est pas de quoi s'enorgueillir. Cependant, que deviendraient les actions vertueuses et louables, si nous ne chérissions pas la gloire?
Les dieux sont pour César, mais Caton suit Pompée
Ce sont les suffrages de Caton que les honnêtes gens désirent mériter. Tous ceux qui ont bien mérité de leur patrie, ont été encouragés dans leurs travaux par le préjugé de la réputation; mais il est essentiel pour le bien de l'humanité, qu'on ait une idée nette et déterminée de ce qui est louable: on peut donner dans des travers étranges en s'y trompant.
Faites du bien aux hommes et vous en serez béni: voilà la vraie gloire. Sans doute que tout ce qu'on dira de nous après notre mort pourra nous être aussi indifférent que tout ce qui s'est dit à la construction de la tour de Babel; cela n'empêche pas qu'accoutumés à exister, nous ne soyons sensibles au jugement de la postérité. Les rois doivent l'être plus que les particuliers puisque c'est le seul tribunal qu'ils aient à redouter.
Pour peu qu'on soit né sensible, on prétend à l'estime de ses compatriotes: on veut briller par quelque chose, on ne veut pas être confondu dans la foule qui végète. Cet instinct est une suite des ingrédients dont la nature s'est servie pour nous pétrir: j'en ai ma part. Cependant je vous assure qu'il ne m'est jamais venu dans l'esprit de me comparer avec mes confrères ni avec Moustapha, ni avec aucun autre; ce serait, une vanité puérile et bourgeoise je ne m'embarrasse que de mes affaires. Souvent pour m'humilier, je me mets en parallèle avec le [Grec illisible], avec l'archétype des stoïciens; et je confesse alors avec Memnon, que des êtres fragiles comme nous ne sont pas formés pour atteindre à la perfection.
Si l'on voulait recueillir tous les préjugés qui gouvernent le monde, le catalogue remplirait un gros in-folio. Contentons-nous de combattre ceux qui nuisent à la société, et ne détruisons pas les erreurs utiles autant qu'agréables.
Cependant quelque goût que je confesse d'avoir pour la gloire, je ne me flatte pas que les princes aient le plus de part à la réputation; je crois au contraire que les grands auteurs, qui savent joindre l'utile à l'agréable, instruire en amusant, jouiront d'une gloire plus durable, parce que la vie des bons princes se passant tout en action, la vicissitude et la foule des événements qui suivent, effacent les précédents; au lieu que les grands auteurs sont non seulement les bienfaiteurs de leurs contemporains, mais de tous les siècles.
Le nom d'Aristote retentit plus dans les écoles que celui d'Alexandre. On lit et relit plus souvent Cicéron que les Commentaires de César. Les bons auteurs du dernier siècle ont rendu le règne de Louis XIV plus fameux que les victoires du conquérant. Les noms de Fra-Paolo, du cardinal Bembo, du Tasse, de l'Arioste, l'emportent sur ceux de Charles-Quint et de Léon X, tout vice-dieu que ce dernier prétendît être. On parle cent fois de Virgile, d'Horace, d'Ovide, pour une fois d'Auguste, et encore est-ce rarement à son honneur. S'agit-il de l'Angleterre, on est bien plus curieux des anecdotes qui regardent les Newton, les Locke, les Shaftesbury, les Milton, les Bolingbroke, que de la cour molle et voluptueuse de Charles II, de la lâche superstition de Jacques II, et de toutes les misérables intrigues qui agitèrent le règne de la reine Anne. De sorte que vous autres précepteurs du genre humain, si vous aspirez à la gloire, votre attente est remplie, au lieu que souvent nos espérances sont trompées, parce que nous ne travaillons que pour nos contemporains, et vous pour tous les siècles.
On ne vit plus avec nous quand un peu de terre a couvert nos cendres; et l'on converse avec tous les beaux esprits de l'antiquité qui nous parlent par leurs livres.
Nonobstant tout ce que je viens de vous exposer, je n'en travaillerai pas moins pour la gloire, dussé-je crever à la peine, parce qu'on est incorrigible à soixante et un ans et parce qu'il est prouvé que celui qui ne désire pas l'estime de ses contemporains en est indigne. Voilà l'aveu sincère de ce que je suis, et de ce que la nature a voulu que je fusse.
Si le patriarche de Ferney, qui pense comme moi, juge mon cas un péché mortel, je lui demande l'absolution. J'attendrai humblement ma sentence; et si même il me condamne, je ne l'en aimerai pas moins.
Puisse-t-il vivre la millième partie de ce que durera sa réputation; il passera l'âge des patriarches. C'est ce que lui souhaite le philosophe de Sans-Souci. Vale. Fédéric.
Je fais copier mes lettres, parce que ma main commence à devenir tremblante, et qu'écrivant d'un très petit caractère, cela pourrait fatiguer vos yeux.
DU ROI
À Berlin, le 16 janvier 1773.
Je me souviens que lorsque Milton, dans ses voyages en Italie, vit représenter une assez mauvaise pièce qui avait pour titre Adam et Ève, cela réveilla son imagination et lui donna l'idée de son poème du Paradis perdu. Ainsi ce que j'aurai fait de mieux par mon persiflage des Confédérés, c'est d'avoir donné lieu à la bonne tragédie que vous allez faire représenter à Paris. Vous me faites un plaisir infini de me l'envoyer; je suis très sûr qu'elle ne m'ennuiera pas.
Chez vous le Temps a perdu ses ailes: Voltaire, à soixante-dix ans, est aussi vert qu'à trente. Le beau secret de rester jeune! vous le possédez seul. Charles-Quint radotait à cinquante ans. Beaucoup de grands princes n'ont fait que radoter toute leur vie. Le fameux Clarke, le célèbre Swift, étaient tombés en enfance; le Tasse, qui pis est, devint fou; Virgile n'atteignit pas vos années, ni Horace non plus; pour Homère, il ne nous est pas assez connu pour que nous puissions décider si son esprit se soutint jusqu'à la fin; mais il est certain que ni le vieux Fontenelle, ni l'éternel Saint-Aulaire ne faisaient pas aussi bien les vers, n'avaient pas l'imagination aussi brillante que le patriarche de Ferney. Aussi enterrera-t-on le Parnasse français avec vous…
DE M. DE VOLTAIRE
À Ferney, 22 septembre 1773.
Sire, il faut que je vous dise que j'ai bien senti ces jours-ci, malgré tous mes caprices passés, combien je suis attaché à votre Majesté et à votre maison. Madame la duchesse de Virtemberg, ayant eu, comme tant d'autres, la faiblesse de croire que la santé se trouve à Lausanne, et que le médecin Tissot la donne à qui la paye, a fait, comme vous savez, le voyage de Lausanne: et moi, qui suis plus véritablement malade qu'elle, et que toutes les princesses qui ont pris Tissot pour Esculape, je n'ai pas eu la force de sortir de chez moi. Madame de Virtemberg, instruite de tous les sentiments que je conserve pour la mémoire de madame la margrave de Bareith, sa mère, a daigné venir dans mon ermitage et y passer deux jours. Je l'aurais reconnue quand même je n'aurais pas été averti; elle a le tour du visage de sa mère, avec vos yeux.
Vous autres, héros qui gouvernez le monde, vous ne vous laissez pas subjuguer par l'attendrissement; vous éprouvez tout comme nous, mais vous gardez votre décorum. Pour nous autres chétifs mortels, nous cédons à toutes les impressions: je me mis à pleurer en lui parlant de vous et de madame la princesse, sa mère; et quoiqu'elle soit la nièce du premier capitaine de l'Europe, elle ne put retenir ses larmes. Il me paraît qu'elle a l'esprit et les grâces de votre maison, et que surtout elle vous est plus attachée qu'à son mari. Elle s'en retourne, je crois, à Bareith, où elle trouvera une autre princesse d'un genre différent; c'est mademoiselle Clairon, qui cultive l'histoire naturelle, et qui est la philosophe de monsieur le margrave…
DE M. DE VOLTAIRE
À Ferney, le 8 novembre 1773.
Sire, la lettre dont Votre Majesté m'a honoré le 22 octobre, est, depuis vingt ans, celle qui m'a le plus consolé; votre temple aux mânes de votre sœur, Wilhelminae sacrum, est digne de la plus belle antiquité et de vous seul dans le temps présent; madame la duchesse de Virtemberg versera bien des larmes de tendresse, en voyant le dessin de ce beau monument.
Le canal, les villes rebâties, les marais desséchés, les villages établis, la servitude abolie, sont de Marc-Aurèle ou de Julien. Je dis de Julien, car je le regarde comme le plus grand des empereurs, et je suis toujours indigné contre Labletterie, qui ne l'a justifié qu'à demi, et qui a passé pour impartial, parce qu'il ne lui prodigue pas autant d'injures et de calomnies que Grégoire de Nazianze et Théodoret.
Je vous bénis dans mon village de ce que vous en avez tant bâti: je vous bénis au bord de mon marais de ce que vous en avez tant desséché: je vous bénis avec mes laboureurs de ce que vous en avez tant délivrés d'esclavage, et que vous les avez changés en hommes. Gengis-kan et Tamerlan ont gagné des batailles comme vous, ils ont conquis plus de pays que vous; mais ils dévastaient, et vous améliorez. Je ne sais s'ils auraient recueilli les jésuites; mais je suis sûr que vous les rendrez utiles, sans souffrir qu'ils puissent jamais être dangereux. On dit qu'Antoine fit le voyage de Brindes à Rome dans un char traîné par des lions; vous attelez des renards au vôtre, mais vous leur mettez un frein dans leur gueule; et, quand il le faudra, vous leur mettrez le feu au derrière, comme Samson, après les avoir attachés par la queue.
DU ROI
10 décembre 1773.
Madame la landgrave de Darmstadt est de retour de Pétersbourg. Elle ne tarit point sur les éloges de l'impératrice et des choses utiles qu'elle a exécutées, et des grands projets qu'elle médite encore. Diderot et Grimm y passeront l'hiver. Cette cour réunit le faste, la magnificence et la politesse: et l'impératrice surpasse tout le reste par l'accueil gracieux qu'elle fait aux étrangers.
Après vous avoir parlé de cette cour, comment vous entretenir des jésuites? Ce n'est qu'en faveur de l'instruction de la jeunesse que je les ai conservés. Le pape leur a coupé la queue; ils ne peuvent plus servir, comme les renards de Samson, pour embraser les moissons des Philistins. D'ailleurs, la Silésie n'a produit ni de père Guignard ni de Malagrida. Nos Allemands n'ont pas les passions aussi vives que les peuples méridionaux.
Si toutes ces raisons ne vous touchent point, j'en alléguerai une plus forte: j'ai promis, par la paix de Dresde, que la religion demeurerait in statu quo dans mes provinces. Or j'ai eu des jésuites, donc il faut les conserver. Les princes catholiques ont tout à propos un pape à leur disposition qui les absout de leurs serments par la plénitude de sa puissance: pour moi, personne ne peut m'absoudre, je suis obligé de garder ma parole, et le pape se croirait pollué s'il me bénissait; il se ferait couper les doigts avec lesquels il aurait donné l'absolution à un maudit hérétique de ma trempe…
DU ROI
À Postdam. 19 juin 1774.
…Pour le bon roi Louis XV, il est allé en poste chez le père éternel. J'en ai été fâché: c'était un honnête homme, qui n'avait d'autre défaut que celui d'être roi. Son successeur débute avec beaucoup de sagesse, et fait espérer aux Welches un gouvernement heureux. Je voudrais qu'il eût traité la Du Barry plus doucement, par respect pour son bisaïeul.
Si la monarchie influe sur ce jeune homme, les petits-maîtres seront en rosaire, et les initiées de Vénus couvertes d'Agnus Dei. Il faudra que quelque évêque s'intéresse pour Morival, et qu'un picpuce plaide sa cause. On prétend qu'un orage se forme et menace les philosophes. J'attends tranquillement dans mon petit coin les nouveautés et les événements que ce nouveau règne va produire. Disposé à admirer tout ce qui sera admirable, et à faire mes réflexions sur ce qui ne le sera pas, ne m'intéressant qu'au sort des philosophes, et principalement a celui du patriarche de Ferney, dont le philosophe de Sans-Souci a été, est et sera le sincère admirateur. Vale. Fédéric.
DE M. DE VOLTAIRE
Juillet 1774.
…Celui dont Votre Majesté veut bien me parler avait, comme vous dites très bien, le défaut d'être roi. Il était, ainsi que tant d'autres, peu fait pour sa place, indifférent à tout, mais se piquant aisément dans les petites choses qui lui étaient personnelles; il ne m'avait jamais pu pardonner de l'avoir quitté pour un autre qui était véritablement roi; et moi, je n'avais jamais pu imaginer qu'il s'embarrassât si j'étais ou non sur la liste de ses domestiques. Je respecte sa mémoire, et je vous souhaite une vie qui soit juste le double de la sienne…
DU ROI
À Postdam, le 30 juillet 1774.
…Vous qui avez des liaisons en France, vous pouvez savoir, sur le sujet de la cour, des anecdotes que j'ignore. Si le parti de l'inf… l'emporte sur celui de la philosophie, je plains les pauvres Welches; ils risqueront d'être gouvernés par quelque cafard en froc ou en soutane, qui leur donnera la discipline d'une main, et les frappera du crucifix de l'autre. Si cela arrive, adieu les beaux-arts et les hautes sciences; la rouille de la superstition achèvera de perdre un peuple d'ailleurs aimable, et né pour la société.
Mais il n'est pas sûr que cette triste folie religieuse secoue ses grelots sur le trône des Capets.
Laissez en paix les mânes de Louis XV. Il vous a exilé de son royaume, il m'a fait une guerre injuste: il est permis d'être sensible aux torts qu'on ressent, mais il faut savoir pardonner. La passion sombre et atrabilaire de la vengeance n'est pas convenable à des hommes qui n'ont qu'un moment d'existence. Nous devons réciproquement oublier nos sottises, et nous borner à jouir du bonheur que notre nature comporte.
Je contribuerai volontiers au bonheur du pauvre Morival, si je le puis. Corriger les injustices et faire le bien, sont les inclinations que tout honnête homme doit avoir dans le cœur…