Kitabı oku: «Correspondance de Voltaire avec le roi de Prusse», sayfa 6
DU ROI DE PRUSSE
À Charlottembourg, le 6 juin 1740.
Mon cher ami, mon sort est changé, et j'ai assisté aux derniers moments d'un roi, à son agonie, à sa mort. En parvenant à la royauté, je n'avais pas besoin assurément de cette leçon pour être dégoûté de la vanité des grandeurs humaines.
J'avais projeté un petit ouvrage de métaphysique; il s'est changé en un ouvrage de politique. Je croyais joûter avec l'aimable Voltaire, et il me faut escrimer avec Machiavel. Enfin, mon cher Voltaire, nous ne sommes point maîtres de notre sort. Le tourbillon des événements nous entraîne, et il faut se laisser entraîner. Ne voyez en moi, je vous prie, qu'un citoyen zélé, un philosophe un peu sceptique, mais un ami véritablement fidèle. Pour dieu, ne m'écrivez qu'en homme, et méprisez avec moi les titres, les noms, et tout l'éclat extérieur.
Jusqu'à présent il me reste à peine le temps de me reconnaître; j'ai des occupations infinies: je m'en donne encore de surplus; mais malgré tout ce travail, il me reste toujours du temps assez pour admirer vos ouvragés et pour puiser chez vous des instructions et des délassements.
Assurez la marquise de mon estime. Je l'admire autant que ses vastes connaissances et la rare capacité de son esprit le méritent.
Adieu, mon cher Voltaire; si je vis, je vous verrai, et même dès cette année. Aimez-moi toujours, et soyez toujours sincère ami avec votre ami Fédéric.
DE M. DE VOLTAIRE
18 juin 1740.
Sire, si votre sort est changé, votre belle âme ne l'est pas; mais la mienne l'est. J'étais un peu misanthrope, et les injustices des hommes m'affligeaient trop. Je me livre à présent à la joie avec tout le monde. Grâce au ciel, Votre Majesté a déjà rempli presque toutes mes prédictions. Vous êtes déjà aimé, et dans vos États et dans l'Europe. Un résident de l'empereur disait dans la dernière guerre au cardinal de Fleury: Monseigneur, les Français sont bien aimables, mais ils sont tous Turcs. L'envoyé de Votre Majesté peut dire à présent, les Français sont tous Prussiens.
Le marquis d'Argenson, conseiller d'État du roi de France, ami de M. de Valori, et un homme d'un vrai mérite, avec qui je me suis entretenu souvent à Paris de Votre Majesté, m'écrit du 13 que M. de Valori s'exprime avec lui dans ces propres mots: «Il commence son règne comme il y a apparence qu'il le continuera; partout des traits de bonté de cœur; justice qu'il rend au défunt; tendresse pour ses sujets.» Je ne fais mention de cet extrait à Votre Majesté que parce que je suis sûr que cela a été écrit d'abondance de cœur qu'il m'est revenu de même. Je ne connais point M. de Valori, et Votre Majesté sait que je ne devais pas compter sur ses bonnes grâces; cependant puisqu'il pense comme moi et qu'il vous rend tant de justice, je suis bien aise de la lui rendre.
Le ministre qui gouverne le pays où je suis me disait: Nous verrons s'il renverra tout d'un coup les géants inutiles qui ont fait tant crier; et moi je lui répondis: Il ne fera rien précipitamment. Il ne montrera point un dessein marqué de condamner les fautes qu'a pu faire son prédécesseur; il se contentera de les réparer avec le temps. Daignez donc avouer, grand roi, que j'ai bien deviné.
Votre Majesté m'ordonne de songer, en lui écrivant, moins au roi qu'à l'homme. C'est un ordre bien selon mon cœur. Je ne sais comment m'y prendre avec un roi, mais je suis bien à mon aise avec un homme véritable, avec un homme qui a dans sa tête et dans son cœur l'amour du genre humain…
DU ROI
À Charlottembourg, le 12 juin 1740.
Non, ce n'est plus du mont Rémus,
Douce et studieuse retraite
D'où mes vers vous sont parvenus,
Que je date ces vers confus:
Car dans ce moment le poète
Et le prince sont confondus.
Désormais mon peuple que j'aime
Est l'unique Dieu que je sers:
Adieu les vers et les concerts.
Tous les plaisirs. Voltaire même;
Mon devoir est mon Dieu suprême.
Qu'il entraîne de soins divers!
Quel fardeau que le diadème!
Quand ce dieu sera satisfait,
Alors dans vos bras, cher Voltaire,
Je volerai, plus prompt qu'un trait,
Puiser, dans les leçons de mon ami sincère,
Quel doit être d'un roi le sacré caractère.
Vous voyez, mon cher ami, que le changement du sort ne m'a pas tout à fait guéri de la métromanie, et que peut-être je n'en guérirai jamais. J'estime trop l'art d'Horace et de Voltaire pour y renoncer; et je suis du sentiment que chaque chose de la vie a son temps.
J'avais commencé une épître sur les abus de la mode et de la coutume, lors même que la coutume de la primogéniture m'obligeait de monter sur le trône et de quitter mon épître pour quelque temps. J'aurais volontiers changé mon épître en satire contre cette même mode, si je ne savais que la satire doit être bannie de la bouche des princes.
Enfin, mon cher Voltaire, je flotte entre vingt occupations, et je ne déplore que la brièveté des jours, qui me paraissent trop courts de vingt-quatre heures.
Je vous avoue que la vie d'un homme qui n'existe que pour réfléchir et pour lui-même, me semble infiniment préférable à la vie d'un homme dont l'unique occupation doit être de faire le bonheur des autres.
Vos vers sont charmants. Je n'en dirai rien, car ils sont trop flatteurs.
Mon cher Voltaire, ne vous refusez pas plus longtemps à l'empressement que j'ai de vous voir. Faites en ma faveur tout ce que vous croyez que votre humanité comporte. J'irai à la fin d'auguste à Vesel, et peut-être plus loin. Promettez-moi de me joindre, car je ne saurais vivre heureux ni mourir tranquille sans vous avoir embrassé. Adieu. Fédéric.
Mille compliments à la marquise. Je travaille des deux mains; d'un côté à l'armée, de l'autre au peuple et aux beaux-arts.
DU ROI
À Charlottembourg, le 27 juin 1740.
Mon cher Voltaire, vos lettres me font toujours un plaisir infini, non pas par les louanges que vous me donnez, mais par la prose instructive et les vers charmants qu'elles contiennent. Vous voulez que je vous parle de moi-même comme l'éternel abbé de Chaulieu. Qu'importe? il faut vous contenter.
Voici donc la gazette de Berlin telle que vous me la demandez.
J'arrivai le vendredi au soir à Postdam, où je trouvai le roi dans une si triste situation que j'augurai bientôt que sa fin était prochaine. Il me témoigna mille amitiés; il me parla plus d'une grande heure sur les affaires, tant internes qu'étrangères, avec toute la justesse d'esprit et le bon sens imaginables. Il me parla de même le samedi, le dimanche et le lundi, paraissant très tranquille, très résigné, et soutenant ses souffrances avec beaucoup de fermeté. Il résigna la régence entre mes mains le mardi matin à cinq heures, prit tendrement congé de mes frères, de tous les officiers de marque, et de moi. La reine, mes frères et moi nous l'avons assisté dans ses dernières heures: dans ses angoisses il a témoigné le stoïcisme de Caton. Il est expiré avec la curiosité d'un physicien sur ce qui se passait en lui à l'instant même de sa mort, et avec l'héroïsme d'un grand homme, nous laissant à tous des regrets sincères de sa perte, et sa mort courageuse comme un exemple à suivre.
Le travail infini qui m'est échu en partage après sa mort, laisse à peine du temps à ma juste douleur. J'ai cru que depuis la perte de mon père, je me devais entièrement à la patrie. Dans cet esprit, j'ai travaillé autant qu'il a été en moi pour prendre les arrangemens les plus prompts et les plus convenables au bien public.
J'ai d'abord commencé par augmenter les forces de l'État de seize bataillons, de cinq escadrons de houssards et d'un escadron de gardes du corps. J'ai posé les fondements de notre nouvelle académie. J'ai fait acquisition de Wolf, de Maupertuis, d'Algarotti. J'attends la réponse de S. Gravesande, de Vaucanson et d'Euler. J'ai établi un nouveau collège pour le commerce et les manufactures; j'engage des peintres et des sculpteurs; et je pars pour la Prusse, pour y recevoir l'hommage, etc. sans la sainte ampoule et sans les cérémonies inutiles et frivoles que l'ignorance et la superstition ont établies, et que la coutume favorise.
Mon genre de vie est assez déréglé quant à présent, car la Faculté a trouvé à propos de m'ordonner, ex officio, de prendre les eaux de Pyrmont. Je me lève à quatre heures, je prends les eaux jusqu'à huit, j'écris jusqu'à dix, je vois les troupes jusqu'à midi, j'écris jusqu'à cinq heures, et le soir je me délasse en bonne compagnie. Lorsque les voyages seront finis, mon genre de vie sera plus tranquille et plus uni; mais jusqu'à présent j'ai le cours des affaires à suivre, j'ai les nouveaux établissemens de surplus, et avec cela beaucoup de complimens inutiles à faire, d'ordres circulaires à donner, etc…
DU ROI
À Olau, le 16 avril 1741.
Je connais les douceurs d'un studieux repos;
Disciple d'Epicure, amant de la Mollesse,
Entre ses bras, plein de faiblesse,
J'aurais pu sommeiller à l'ombre des pavots.
Mais un rayon de gloire animant ma jeunesse,
Me fit voir d'un coup d'œil les faits de cent héros;
Et plein de cette noble ivresse,
Je voulus surpasser leurs plus fameux travaux.
Je goûte le plaisir, mais le devoir me guide.
Délivrer l'univers de monstres plus affreux
Que ceux terrassés par Alcide,
C'est l'objet salutaire auquel tendent mes vœux.
Soutenir de mon bras les droits de ma patrie,
Et réprimer l'orgueil des plus fiers des humains,
Tous fous de la vierge Marie,
Ce n'est point un ouvrage indigne de mes mains.
Le bonheur, cher ami, cet être imaginaire,
Ce fantôme éclatant qui fuit devant nos pas,
Habite aussi peu cette sphère.
Qu'il établit son règne au sein de mes États.
Aux berceaux de Reinsberg, aux champs de Silésie,
Méprisant du bonheur le caprice fatal,
Ami de la philosophie,
Tu me verras toujours aussi ferme qu'égal.
On dit les Autrichiens battus, et je crois que c'est vrai. Vous voyez que la lyre d'Horace a son tour après la massue d'Alcide. Faire son devoir, être accessible aux plaisirs, ferrailler avec ses ennemis, être absent et ne point oublier ses amis: tout cela sont des choses qui vont fort bien de pair, pourvu qu'on sache assigner des bornes à chacune d'elles. Doutez de toutes les autres; mais ne soyez pas pyrrhonien sur l'estime que j'ai pour vous, et croyez que je vous aime. Adieu. Fédéric.
DU ROI
À Selovitz, le 23 mars 1742.
Mon cher Voltaire, je crains de vous écrire, car je n'ai d'autres nouvelles à vous mander que d'une espèce dont vous ne vous souciez guère, ou que vous abhorrez.
Si je vous disais, par exemple, que des peuples de deux contrées de l'Allemagne sont sortis du fond de leurs habitations pour se couper la gorge avec d'autres peuples dont ils ignoraient jusqu'au nom même, et qu'ils ont été chercher dans un pays fort éloigné: pourquoi? parce que leur maître a fait un contrat avec un autre prince, et qu'ils voulaient, joints ensemble, en égorger un troisième; vous me répondriez que ces gens sont fous, sots et furieux de se prêter ainsi aux caprices et à la barbarie de leurs maîtres. Si je vous disais que nous nous préparons avec grand soin à détruire quelques murailles élevées à grands frais; que nous faisons la moisson où nous n'avons point semé, et les maîtres où personne n'est assez fort pour nous résister; vous vous écrieriez: Ah! barbares! ah! brigands! inhumains que vous êtes, les injustes n'hériteront point du royaume des cieux, selon saint Mathieu, chap. xii, vers. 24.
Puisque je prévois tout ce que vous me diriez sur ces matières, je ne vous en parlerai point. Je me contenterai de vous informer qu'une tête assez folle, dont vous aurez entendu parler sous le nom de roi de Prusse, apprenant que les États de son allié l'empereur étaient ruinés par la reine d'Hongrie, a volé à son secours, qu'il a joint ses troupes à celles du roi de Pologne, pour opérer une diversion en Basse-Autriche, et qu'il y a si bien réussi, qu'il s'attend dans peu à combattre les principales forces de la reine de Hongrie, pour le service de son allié.
Voilà de la générosité, direz-vous, voilà de l'héroïsme; cependant, cher Voltaire, le premier tableau et celui-ci sont les mêmes. C'est la même femme qu'on fait voir d'abord en cornette de nuit, et ensuite avec son fard et ses pompons.
De combien de différentes façons n'envisage-t-on pas les objets? combien les jugements ne varient-ils point? Les hommes condamnent le soir ce qu'ils ont approuvé le matin. Ce même soleil qui leur plaisait à son aurore, les fatigue à son couchant. De là viennent ces réputations établies effacées, et rétablies pourtant; et nous sommes assez insensés de nous agiter pendant toute notre vie pour acquérir de la réputation! Est-il possible qu'on ne soit pas détrompé de cette fausse monnaie depuis le temps qu'elle est connue?
Je ne vous écris point de vers, parce que je n'ai pas le temps de toiser des syllabes. Souffrez que je vous fasse souvenir de l'Histoire de Louis XIV, je vous menace de l'excommunication du Parnasse si vous n'achevez pas cet ouvrage.
Adieu, cher Voltaire, aimez un peu, je vous prie, ce transfuge d'Apollon, qui s'est enrôlé chez Bellone. Peut-être reviendra-t-il un jour servir sous ses vieux drapeaux. Je suis toujours votre admirateur et ami. Fédéric.
DU ROI
À Triban, le 12 avril 1742.
…Vous pensez peut-être que je n'ai point assez d'inquiétudes ici, et qu'il fallait encore m'alarmer sur votre santé. Vous devriez prendre plus de soin de votre conservation: souvenez-vous, je vous prie, combien elle m'intéresse, et combien vous devez être attaché à ce monde-ci dont vous faites les délices.
Vous pouvez compter que la vie que je mène n'a rien changé de mon caractère ou de ma façon de penser. J'aime Remusberg et les jours tranquilles; mais il faut se plier à son état dans le monde, et se faire un plaisir de son devoir.
D'abord que la paix sera faite,
Je retrouve dans ma retraite
Les Ris, les Plaisirs et les Arts,
Nos belles aux touchants regards,
Maupertuis avec ses lunettes,
Algarotti le laboureur,
Nos savants avec leurs lecteurs:
Mais que me serviront ces fêtes,
Cher Voltaire, si vous n'en êtes?
Voilà tout ce que j'ai le temps de vous dire sur le point de poursuivre ma marche. Adieu, cher Voltaire; n'oubliez pas un pauvre Ixion qui travaille comme un misérable à la grande roue des événements, et qui ne vous admire pas moins qu'il vous aime. Fédéric.
DE M. DE VOLTAIRE
Avril 1742.
Sire, pendant que j'étais malade, Votre Majesté a fait de plus belles actions que je n'ai eu d'accès de fièvre. Je ne pouvais répondre aux dernières bontés de votre Majesté. Où aurais-je d'ailleurs adressé ma lettre? à Vienne? à Presbourg? à Temesvar? vous pouviez être dans quelqu'une de ces villes; et même, s'il est un être qui puisse se trouver en plusieurs lieux à la fois, c'est assurément votre personne, en qualité d'image de la Divinité, ainsi que le sont tous les princes, et d'image très pensante et très agissante. Enfin, sire, je n'ai point écrit parce que j'étais dans mon lit quand Votre Majesté courait à cheval au milieu des neiges et des succès.
D'Esculape les favoris
Semblaient même me faire accroire
Que j'irais dans le seul pays
Où n'arrive point votre gloire;
Dans ce pays dont par malheur
On ne voit point de voyageur
Venir nous dire des nouvelles;
Dans ce pays où tous les jours
Les âmes lourdes et cruelles,
Et des Hongrois et des Pandours,
Vont au diable au son des tambours,
Par votre ordre et pour vos querelles;
Dans ce pays dont tout chrétien,
Tout juif, tout musulman raisonne;
Dont on parle en chaire, en Sorbonne,
Sans jamais en deviner rien;
Ainsi que le Parisien,
Badaud, crédule et satirique,
Fait des romans de politique,
Parle tantôt mal, tantôt bien,
De Belle-Isle et de vous peut-être,
Et dans son léger entretien
Vous juge à fond sans vous connaître.
Je n'ai mis qu'un pied sur le bord du Styx; mais je suis très fâché, sire, du nombre des pauvres malheureux que j'ai vu passer. Les uns arrivaient de Scharding, les autres de Prague ou d'Iglau. Ne cesserez-vous point, vous et les rois vos confrères, de ravager cette terre que vous avez, dites-vous, tant l'envie de rendre heureuse?
Au lieu de cette horrible guerre
Dont chacun sent les contre-coups,
Que ne vous en rapportez-vous
À ce bon abbé de Saint-Pierre?
DE M. DE VOLTAIRE
Juin 1742.
Sire, me voilà dans Paris;
C'est, je crois, votre capitale:
Tous les sots, tous les beaux esprits,
Gens à rabat, gens à sandale,
Petits-maîtres, pédants aigris,
Parlent de vous sans intervalle.
Sitôt que je suis aperçu,
On court, on m'arrête au passage:
Eh bien! dit-on, l'avez-vous vu,
Ce roi si brillant et si sage?
Est-il vrai qu'avec sa vertu
Il est pourtant grand politique?
Fait-il des vers, de la musique,
Le jour même qu'il s'est battu?
Comment, à lui-même rendu,
Le trouvez-vous sans diadème,
Homme simple redevenu?
Est-il bien vrai qu'alors on l'aime
D'autant plus qu'il est mieux connu,
Et qu'on le trouve dans lui-même?
On dit qu'il suit de près les pas
Et de Gustave et de Turenne
Dans les champs et dans les combats,
Et que le soir, dans un repas,
C'est Catulle, Horace et Mécène.
À mes côtés un raisonneur,
Endoctriné par la gazette,
Me dit d'un ton rempli d'humeur:
Avec l'Autriche, on dit qu'il traite.
Non, dit l'autre, il sera constant,
Il sera l'appui de la France.
Une bégueule, en s'approchant,
Dit: Que m'importe sa constance?
Il est aimable, il me suffit;
Et voilà tout ce que j'en pense;
Puisqu'il sait plaire, tout est dit.
…
…
…
…
Thiriot me dit tristement:
Ce philosophe conquérant
Daignera-t-il incessamment
Me faire payer mes messages?
Ami, n'en doutez nullement;
On peut compter sur ses largesses,
Mon héros est compatissant,
Et mon héros tient ses promesses:
Car sachez que, lorsqu'il était
Dans cet âge où l'homme est frivole,
D'être un grand homme il promettait,
Et qu'il a tenu sa parole.
C'est ainsi que tout le monde, en me parlant de Votre Majesté, adoucît un peu mon chagrin de n'être plus auprès d'elle. Mais, sire, prendrez-vous toujours des villes, et serai-je toujours à la suite d'un procès? N'y aura-t-il pas cet été quelques jours heureux où je pourrai faire ma cour à Votre Majesté, etc.
DE M. DE VOLTAIRE
À Paris, 17 mars 1749.
Sire, cet éternel malade répond à la fois à deux lettres de Votre Majesté: dans votre première, vous jugez de la conduite de Catilina avec ce même esprit qui fait que vous gouvernez un vaste royaume, et vous parlez comme un homme qui connaît à fond les gens qui gouvernaient autrefois le monde, et que Crébillon a défigurés. Vous aimez Rhadamiste et Electre. J'ai la même passion que vous, sire; je regarde ces deux pièces comme des ouvrages vraiment tragiques, malgré leurs défauts, mais l'amour d'Itys et d'Iphianasse qui gâtent et qui refroidissent un des beaux sujets de l'antiquité, malgré l'amour d'Arsame; malgré beaucoup de vers qui pêchent contre la langue et contre là poésie. Le tragique et le sublime l'emportent sur tous ces défauts et qui sait émouvoir sait tout. Il n'en est pas ainsi de la Semiramis. Apparemment Votre Majesté ne l'a pas lue. Cette pièce tomba absolument; elle mourut dans sa naissance, et n'est jamais ressuscitée; elle est mal écrite, mal conduite et sans intérêt. Il me sied mal peut-être de parler ainsi, et je ne prendrais pas cette liberté s'il y avait deux avis différents sur cet ouvrage proscrit au théâtre. C'est même parce que cette Semiramis était absolument abandonnée, que j'ai osé en composer une. Je me garderais bien de faire Rhamadiste et Electre.
J'aurai l'honneur d'envoyer bientôt à Votre Majesté ma Semiramis, qu'on rejoue à présent avec un succès dont je dois être très content. Vous la trouverez très différente de l'esquisse que j'eus l'honneur de vous envoyer il y a quelques années. J'ai tâché d'y répandre toute la terreur du théâtre des Grecs, et de changer les Français en Athéniens. Je suis venu à bout de la métamorphose, quoique avec peine. Je n'ai guère vu la terreur et la pitié, soutenues de la magnificence du spectacle, faire un plus grand effet. Sans la crainte et sans la pitié, point de tragédies. Sire, voilà pourquoi Zaïre et Alzire arrachent toujours des larmes, et sont toujours redemandées. La religion, combattue par les passions, est un ressort que j'ai employé, et c'est un des plus grands pour remuer les cœurs des hommes. Sur cent personnes il se trouve à peine un philosophe, et encore sa philosophie cède à ce charme et à ce préjugé qu'il combat dans le cabinet. Croyez-moi, sire, tous les discours politiques, tous les profonds raisonnements, la grandeur, la fermeté, sont peu de choses au théâtre; c'est l'intérêt qui fait tout, et sans lui il n'y a rien. Point de succès dans les représentations, sans la crainte et la pitié; mais point de succès dans le cabinet, sans une versification toujours correcte, toujours harmonieuse, et soutenue de la poésie d'expression. Permettez-moi, sire, de dire que cette pureté et cette élégance manquent absolument à Catilina. Il y a dans cette pièce quelques vers nerveux, mais il n'y en a jamais dix de suite où il n'y ait des fautes contre la langue, ou dans lesquels cette élégance ne soit sacrifiée.
Il n'y a certainement point de roi dans le monde qui sente mieux le prix de cette élégance harmonieuse que Frédéric le Grand. Qu'il se ressouvienne des vers où il parle d'Alexandre, son devancier, dans une épître morale, et qu'il compare à ces vers ceux de Catilina, il verra s'il trouvera dans l'auteur français le même nombre et la même cadence qui sont dans les vers d'un roi du Nord, qui m'étonnèrent. Quand je dis qu'il n'y a point de roi qui sente ce mérite comme Votre Majesté, j'ajoute qu'il y a aussi peu de connaisseurs à Paris qui aient plus de goût, et aucun auteur qui ait plus d'imagination…