Kitabı oku: «Quentin Durward», sayfa 12
CHAPITRE X.
La Sentinelle
«D'où nous viennent ces sons? de la terre ou de l'air?»
SHAKSPEARE. La Tempête.
«J'écoutais! mon oreille aussitôt fut ravie
«Par des sons qui pourraient aux morts rendre la vie.»
MILTON. Comus.
QUENTIN était à peine rentré dans sa petite chambre pour y faire à son costume quelques changemens indispensables, que son digne oncle vint lui demander des détails sur ce qui lui était arrivé pendant la chasse.
Le jeune homme, qui ne pouvait s'empêcher de penser que le bras de Ludovic valait probablement mieux que son jugement, eut soin, en lui répondant, de laisser le roi en pleine possession de la victoire qu'il avait paru vouloir s'approprier exclusivement. Le Balafré lui répondit en faisant le détail de la manière bien supérieure dont il se serait conduit en pareilles circonstances; et il ajouta, quoique avec douceur, quelques reproches sur le peu d'empressement qu'il avait mis pour courir au secours du roi, lorsque sa vie pouvait être en danger. Le jeune homme eût assez de prudence, en lui répliquant, pour ne chercher à se justifier qu'en alléguant que, d'après toutes les règles de la chasse, il n'était pas honnête de frapper l'animal attaqué par un autre chasseur, à moins que celui-ci ne demandât assistance. Cette discussion était à peine finie, que Quentin eut lieu de s'applaudir de sa réserve. On frappa légèrement à la porte; elle fut ouverte, et Olivier le Dain, ou le Mauvais, ou le Diable, car il était connu sous ces trois noms, entra dans l'appartement.
Nous avons déjà fait, du moins quant à l'extérieur, la description de cet homme habile, mais sans principes. Son allure et ses manières pouvaient être assez heureusement comparées à celles du chat domestique, qui, couché et en apparence endormi, ou traversant l'appartement à pas lents, furtifs et timides, n'en est pas moins occupé à guetter le trou de quelque malheureuse souris, et, se frottant avec un air de confiance contre ceux dont il désire que la main le flatte, saute sur sa proie un moment après, et égratigne peut-être celui-là même qu'il vient de caresser.
Olivier entra, arrondissant les épaules d'un air humble et modeste, et salua le Balafré avec tant de civilité, que tout témoin de cette entrevue n'aurait pu s'empêcher d'en conclure qu'il venait solliciter une faveur de l'archer Écossais. Il félicita Lesly sur l'excellente conduite de son neveu pendant la chasse, et ajouta qu'elle avait attiré l'attention particulière du roi. Il fit une pause à ces mots, et resta les yeux baissés, les soulevant seulement de temps en temps pour jeter un regard à la dérobée sur Quentin, tandis que le Balafré disait que le roi avait été fort malheureux de ne pas l'avoir près de lui au lieu de son neveu, attendu qu'il aurait incontestablement percé le sanglier d'un bon coup d'épieu, tandis qu'il apprenait, autant qu'il en pouvait juger, que Quentin en avait laissé tout l'embarras à Sa Majesté: – Mais, ajouta-t-il, cela servira de leçon à Sa Majesté pour tout le reste de sa vie, et lui apprendra à monter un homme de ma taille sur un meilleur coursier. Comment mon cheval flamand, espèce de montagne, aurait-il pu suivre le coursier normand de Sa Majesté? et cependant ce n'était pas faute de lui labourer les flancs à coups d'éperons. Cela est fort mal vu, monsieur Olivier, et vous devriez faire une représentation à ce sujet à Sa Majesté.
M. Olivier ne répondit à cette observation qu'en adressant à l'intrépide archer un de ces regards lents et équivoques, qui, accompagnés d'un léger mouvement de la main d'un côté, et de la tête de l'autre, peuvent être interprétés, soit comme un assentiment à ce qu'on vient d'entendre, soit comme une invitation à ne pas en dire davantage sur ce sujet. Le coup d'œil qu'il jeta ensuite sur le jeune écuyer était plus vif, plus observateur, et il lui dit avec un sourire dont l'expression était difficile à interpréter: – Ainsi donc, jeune homme, c'est l'usage en écosse de laisser vos princes en danger, faute de secours, dans les occasions comme celle qui s'est présentée ce matin?
– Notre usage, répondit Quentin, déterminé à ne pas jeter plus de jour sur cet objet, est de ne pas intervenir mal à propos dans les honorables amusemens de nos rois, quand ils peuvent se tirer d'affaire sans notre aide. Nous pensons qu'un prince à la chasse doit courir la même chance que tout autre, et qu'il n'y va que pour cela. Que serait la chasse sans fatigue et sans danger?
– Vous entendez ce jeune fou! dit son oncle; il est toujours le même. Il a toujours une réponse prête, une raison à donner pour tout ce qu'il fait. Je ne sais où il a pêché ce talent; car, quant à moi, je n'ai jamais pu rendre raison d'aucune action de ma vie, si ce n'est de celle de manger quand j'ai faim, de faire l'appel de ma troupe, et d'autres devoirs semblables.
– Et je vous prie, mon digne monsieur, dit le barbier royal en soulevant à demi ses paupières pour le regarder, quelle raison donnez-vous pour faire l'appel de votre troupe?
– L'ordre de mon capitaine, répondit le Balafré. Par saint Gilles! je n'en connais pas d'autre raison. S'il le donnait à Tyrie ou à Cunningham, il faudrait qu'ils le fissent de même.
– C'est une cause finale tout-à-fait militaire, dit Olivier. Mais, monsieur Lesly, vous serez sans doute charmé d'apprendre que Sa Majesté est si loin d'avoir le moindre mécontentement de la manière dont votre neveu s'est conduit ce matin, qu'elle l'a choisi pour lui donner aujourd'hui un devoir à remplir.
– L'a choisi! s'écria le Balafré du ton de la plus grande surprise; vous voulez dire m'a choisi?
– Je veux dire précisément ce que je dis, répliqua le barbier avec beaucoup de douceur, mais d'un ton positif. Le roi a des ordres à donner à votre neveu.
– Comment! s'écria le Balafré, pourquoi? comment se fait-il? par quelle raison Sa Majesté choisit-elle un enfant de préférence à moi?
– Je ne puis vous donner de meilleures raisons, monsieur Lesly, répondit Olivier, que celle que vous m'alléguiez vous-même tout à l'heure: tel est l'ordre de Sa Majesté. Mais si je puis me permettre de faire une conjecture, c'est peut-être que Sa Majesté a une mission à donner qui convient mieux à un jeune homme comme votre neveu, qu'à un guerrier expérimenté comme vous l'êtes. En conséquence, jeune homme, préparez vos armes et suivez-moi. Prenez une arquebuse, car vous allez remplir les fonctions de sentinelle.
– De sentinelle! répéta l'oncle. êtes-vous bien sûr que vous ne vous trompez pas, monsieur Olivier? La garde des postes de l'intérieur n'a jamais été confiée qu'à ceux qui, comme moi, ont servi douze ans dans notre honorable corps.
– Je suis tout-à-fait certain des intentions de Sa Majesté, répondit Olivier; et je ne dois pas tarder plus long-temps à les remplir. Ayez la bonté d'aider votre neveu à se préparer pour son service.
Le Balafré, qui n'était ni envieux ni jaloux, s'empressa d'aider Quentin à s'équiper et à s'armer; et il lui donnait en même temps des instructions sur la manière dont il devait se conduire quand il serait sous les armes, s'interrompant de temps en temps pour mêler à ses leçons une interjection de surprise sur ce qu'une telle bonne fortune arrivait si promptement à un si jeune homme.
– Jamais on n'a vu pareille chose dans la garde écossaise, dit-il, pas même en ma faveur; mais il va sans doute être en faction près des paons et des perroquets des Indes dont l'ambassadeur de Venise a fait présent au roi tout récemment. Ce ne peut être autre chose; et ce service ne pouvant convenir qu'à un jeune homme sans barbe, ajouta-t-il, en relevant ses moustaches, je suis charmé que le choix de Sa Majesté soit tombé sur mon beau neveu.
Doué d'un esprit vif et subtil, et d'une imagination ardente, Quentin attacha beaucoup plus d'importance à l'ordre qu'il venait de recevoir, et son cœur battit de joie à l'idée d'une distinction qui lui promettait un avancement rapide. Il résolut d'épier avec soin les discours et jusqu'aux gestes de son conducteur; car il soupçonnait qu'en certain cas, du moins, il fallait les interpréter par les contraires, comme on dit que les devins expliquent les songes. Il ne pouvait que se féliciter d'avoir gardé le plus profond secret sur les événemens de la matinée; et il prit une détermination qui, vu son âge, annonçait beaucoup de prudence: c'était d'enchaîner ses pensées dans son cœur, et de tenir sa langue dans un assujettissement complet, tant qu'il respirerait l'air dans cette cour mystérieuse. Son équipement fut bientôt terminé, et suivant Olivier le Dain, il sortit de la caserne, l'arquebuse sur l'épaule; car quoique la garde écossaise conservât le nom d'archers, elle avait substitué de bonne heure les armes à feu à l'arc, qui n'avait jamais été l'arme favorite de l'écosse.
Son oncle le suivit long-temps des yeux, d'un air qui annonçait un mélange d'étonnement et de curiosité; et quoique ni l'envie ni les sentimens honteux qu'elle engendre n'eussent part à ses réflexions, il lui semblait que la faveur accordée à son neveu, dès le premier jour de son service, offensait un peu sa propre importance, et cette idée ne laissait pas de diminuer le plaisir qu'il en ressentait.
Il branla gravement la tête, ouvrit un buffet, y prit une grande bottrine de vin vieux, la secoua pour s'assurer si le contenu ne commençait pas à baisser, en remplit un verre, le vida d'un seul trait, et s'assit, le dos bien appuyé, dans un grand fauteuil en bois de chêne. Ayant alors branlé la tête une seconde fois, il paraît qu'il trouva un tel soulagement dans ce mouvement d'oscillation, semblable à celui du jouet d'enfant qu'on nomme un mandarin, qu'il le continua jusqu'à ce qu'il tombât dans un assoupissement dont il ne fut tiré que par le signal ordinaire du dîner.
Ayant laissé son oncle libre de se livrer à ses sublimes méditations, Quentin Durward suivit son guide Olivier le Dain, qui, sans traverser aucune cour, le conduisit par des passages, les uns voûtés, les autres exposés en plein air, par des escaliers, des galeries et des corridors, tous communiquant les uns aux autres au moyen de portes secrètes, placées aux endroits où on les aurait le moins soupçonnées. De là, il le fît entrer dans une grande et spacieuse galerie, décorée d'une tapisserie plus antique que belle, et de quelques tableaux de ce style de peinture dur et froid appartenant à l'époque qui précéda immédiatement celle où les arts brillèrent tout à coup d'un éclat si grand. Ils étaient censés représenter les paladins de Charlemagne, qui figurent d'une manière si distinguée dans l'histoire romanesque de la France; et comme le célèbre Roland, avec sa stature de géant, en était le personnage le plus remarquable, on avait nommé cet appartement la galerie de Roland.
– Vous allez rester ici en sentinelle, dit Olivier à voix basse, comme s'il eût pensé que les monarques et les guerriers représentés autour de lui pourraient armer d'une expression de courroux leurs traits austères en l'entendant élever la voix, ou comme s'il eût craint d'éveiller les échos qui sommeillaient dans les voûtes sculptées et les ornemens gothiques de ce vaste et sombre appartement.
– Quelle est ma consigne? Quel est le mot d'ordre? demanda Durward sans élever la voix plus haut que ne l'avait fait Olivier.
– Votre arquebuse est-elle chargée? lui demanda le barbier sans répondre à ses questions.
– Cela sera bientôt fait, répondit Quentin; et ayant chargé son arme, il alluma la mèche aux restes d'un feu presque éteint, dans une immense cheminée d'une telle dimension, qu'on aurait pu la prendre pour un cabinet ou une chapelle gothique dépendant de cette galerie.
Pendant ce temps, Olivier lui dit qu'il ne connaissait pas encore un des principaux privilèges du corps dans lequel il servait, et qui était de recevoir des ordres directs du roi ou du grand connétable, sans qu'ils fussent transmis par la bouche des officiers. – Vous êtes placé ici, jeune homme, ajouta-t-il, par ordre de Sa Majesté, et vous ne tarderez pas à savoir pourquoi vous y avez été appelé. En attendant, vous allez vous mettre en faction dans cette galerie. Vous pouvez vous promener ou rester en place, comme bon vous semblera; mais vous ne devez ni vous asseoir ni quitter un instant votre arme. Il ne vous est permis ni de siffler, ni de chanter; mais vous pouvez, si vous le voulez, murmurer quelques prières de l'église, ou même fredonner quelques chansons décentes, pourvu que ce soit à voix basse. Adieu, et soyez attentif à tout surveiller.
– à tout surveiller! pensa le jeune soldat pendant que son guide s'éloignait sans bruit, de ce pas furtif qui lui était habituel, et en le voyant disparaître par une porte latérale, cachée sous la tapisserie. – Et sur qui, sur quoi dois-je exercer ma surveillance? Je ne vois pas d'apparence que je trouve ici d'autres ennemis à combattre que quelque rat et quelque chauve-souris, à moins que ces sombres et antiques portraits ne s'animent pour venir me troubler dans ma faction. N'importe, c'est mon devoir, à ce qu'il paraît, et il faut l'exécuter.
Ayant ainsi formé l'énergique résolution de remplir son devoir à la rigueur, il essaya d'abréger le temps en chantant à voix basse quelques-unes des hymnes qu'il avait apprises dans le couvent où il avait trouvé un asile après la mort de son père, reconnaissant en même temps que, sauf le changement du froc de novice en un bel uniforme militaire, tel que celui qu'il portait alors, sa promenade dans une galerie d'un château royal de France ressemblait beaucoup à celle dont il s'était dégoûté dans la solitude monastique d'Aberbrothock.
Bientôt, comme pour se convaincre qu'il n'appartenait plus au cloître, mais au monde, il se mit à chanter, assez bas pour ne pas excéder la permission qui lui avait été donnée, quelques-unes des anciennes ballades que lui avait apprises le vieux joueur de harpe de sa famille: telles que la Défaite des Danois à Aberlemno et à Forres; le Meurtre du roi Duffus à Forfar, et d'autres lais ou sonnets énergiques relatifs à l'histoire de son pays, et particulièrement à celle du canton qui l'avait vu naître. Il passa ainsi un temps assez considérable, et il était plus de deux heures après midi quand l'appétit de Quentin lui rappela que, si les bons pères d'Aberbrothock exigeaient strictement sa présence aux heures des offices de l'église, ils n'étaient pas moins ponctuels à l'avertir de celles des réfections; au lieu que, dans l'intérieur d'un château royal, après avoir passé la matinée à la chasse, et être resté trois ou quatre heures en faction, il lui semblait que personne ne songeait qu'il devait naturellement être pressé de dîner.
Il existe pourtant dans les sons harmonieux un charme qui peut calmer le sentiment d'impatience que Quentin éprouvait en ce moment. Aux deux extrémités opposées de la galerie étaient deux grandes portes ornées de lourdes architraves qui donnaient probablement entrée dans différentes suites d'appartemens auxquels la galerie servait de communication. Tandis que notre héros se promenait solitairement d'une de ces portes à l'autre, limite de sa faction, il fut surpris par les sons d'une musique délicieuse qui se firent entendre tout à coup, et qui, du moins dans son imagination, parurent produits par le même luth et par la même voix qui l'avaient enchanté la veille. Tous ses rêves du jour précédent, et dont le souvenir s'était affaibli par suite des événemens plus que sérieux qui lui étaient arrivés ensuite, se présentèrent à son esprit plus vivement que jamais, et prenant en quelque sorte racine sur la place d'où son oreille pouvait le plus facilement s'enivrer de ces accens mélodieux, l'arquebuse sur l'épaule, la bouche à demi ouverte, et dans l'attitude de l'attention la plus vive, il semblait la statue d'une sentinelle plutôt qu'un être animé, et n'avait plus d'autre idée que celle de saisir chaque son au passage. Ces sons délicieux ne se faisaient entendre que par intervalles. Ils languissaient, se ralentissaient, cessaient entièrement, et se renouvelaient de temps en temps après un silence dont la durée était irrégulière. Mais la musique, de même que la beauté, n'en est souvent que plus séduisante, ou du moins plus intéressante à l'imagination, quand elle ne déploie ses charmes que par intervalles, et qu'elle laisse à la pensée le soin de remplir le vide occasionné par la distance; d'ailleurs Quentin, pendant les intervalles de l'enchantement qu'il éprouvait, avait encore de quoi se livrer à ses rêveries. D'après le rapport des camarades de son oncle, et la scène qui s'était passée dans la salle d'audience, il ne pouvait plus douter que la sirène qui avait ainsi charmé ses, oreilles ne fut, non la fille ou la parente d'un vil cabaretier, comme il l'avait profanement supposé, mais l'infortunée comtesse déguisée, pour la cause de laquelle les rois et les princes étaient sur le point de prendre les armes et de lever la lance. Cent idées bizarres, auxquelles se livrait aisément un jeune homme entreprenant et romanesque, dans un siècle romanesque et entreprenant, effacèrent à ses yeux la scène réelle où il figurait, et y substituèrent leurs propres illusions; mais elles se dissipèrent tout à coup lorsqu'il sentit une main saisir brusquement son arme; une voix dure lui cria en même temps à l'oreille: – Pâques-Dieu! sire écuyer, il me semble que vous montez votre garde en dormant!
C'était la voix monotone, mais imposante et ironique, de maître Pierre; et Quentin, rappelé soudainement à lui-même, fut saisi de honte et de crainte en voyant qu'il avait été tellement absorbé dans sa rêverie qu'il ne s'était pas aperçu que le roi, entré probablement sans bruit par une porte secrète, et se glissant le long du mur, ou derrière la tapisserie, s'était assez approché de lui pour s'emparer de son arme.
Dans sa surprise, son premier mouvement avait été de dégager son arquebuse par une secousse violente, qui fit reculer le roi de quelques pas. à ce mouvement irréfléchi succéda la crainte qu'en cédant à cet instinct, comme on peut l'appeler, qui porte un homme brave à résister à une tentative qu'on fait pour le désarmer, il n'eût aggravé, en luttant ainsi contre le roi, le mécontentement que Louis devait avoir conçu en voyant la négligence avec laquelle il montait sa garde. Plein de cette idée, il reprit son arquebuse, presque sans savoir ce qu'il faisait; et l'appuyant sur son épaule, il resta immobile devant le monarque, qu'il avait lieu de croire mortellement offensé.
Louis, dont les dispositions tyranniques prenaient leur source moins dans une férocité naturelle et dans un caractère cruel, que dans une politique jalouse et soupçonneuse, avait pourtant sa bonne part de cette sévérité caustique qui aurait fait de lui un despote dans la conversation, s'il n'eût été qu'un particulier, et il semblait toujours jouir des inquiétudes qu'il causait dans des occasions semblables. Il ne poussa pourtant pas son triomphe trop loin, car il se contenta de dire à Durward: – Le service que tu nous as rendu ce matin est plus que suffisant pour faire excuser une négligence dans un si jeune soldat. As-tu dîné?
Quentin, qui s'attendait à être envoyé au grand prévôt plutôt qu'à recevoir un tel compliment, répondit négativement avec humilité.
– Pauvre garçon! dit Louis d'un ton plus doux que de coutume, c'est la faim qui l'a assoupi. Je sais que ton appétit est un loup, continua-t-il, et je te sauverai d'une bête féroce, comme tu m'as sauvé d'une autre. Tu as été discret dans cette affaire, et je t'en sais bon gré. Peux-tu tenir encore une heure sans manger?
– Vingt-quatre, Sire, répondit Durward, ou je ne serais pas un véritable Écossais.
– Je ne voudrais pas pour un autre royaume, répliqua le roi, être le pâté que tu rencontrerais après un tel jeûne. Mais il s'agit en ce moment, non de ton dîner, mais du mien. J'admets à ma table aujourd'hui, et tout-à-fait en particulier, le cardinal de La Balue, et cet envoyé bourguignon, ce comte de Crèvecœur, et… il pourrait se faire que… Le diable a fort à faire quand des ennemis se réunissent sur le pied de l'amitié.
Il s'interrompit, garda le silence d'un air sombre et pensif.
Comme le roi ne semblait pas se disposer à reprendre la parole, Quentin se hasarda enfin à lui demander quels devoirs il aurait à remplir en cette circonstance.
– Rester en faction au buffet avec ton arquebuse chargée, répondit le roi, et s'il y a quelque trahison, faire feu sur le traître.
– Quelque trahison, Sire! s'écria Durward, dans un château si bien gardé!
– Tu le crois impossible, dit le roi sans paraître offensé de sa franchise; mais notre histoire a prouvé que la trahison peut s'introduire par le trou que fait une vrille. – La trahison prévenue par des gardes? – Jeune insensé! Sed quis custodiat ipsos custodes? Qui me garantira contre la trahison de ces mêmes gardes?
– L'honneur Écossais, Sire, répondit Quentin avec hardiesse.
– Tu as raison. Cette réponse me plaît. Elle est vraie, dit Louis avec un ton d'enjouement; l'honneur Écossais ne s'est jamais démenti, et c'est pourquoi j'y mets ma confiance. Mais la trahison… Et reprenant son air sombre, il se promena dans l'appartement, d'un pas irrégulier, et ajouta: – Elle s'assied a nos banquets; elle brille dans nos coupes; elle porte la barbe de nos conseillers; elle affecte le sourire de nos courtisans et la gaieté maligne de nos bouffons: par-dessus tout, elle se cache sous l'air amical d'un ennemi réconcilié. Louis d'Orléans se fia à Jean de Bourgogne; il fut assassiné dans la rue Barbette. Jean de Bourgogne se fia au parti d'Orléans; il fut assassiné sur le pont de Montereau. Je ne me fierai à personne, à personne: écoute-moi, j'aurai l'œil sur cet insolent Bourguignon, et aussi sur ce cardinal, que je ne crois pas trop fidèle sujet. Si je dis: écosse, en avant! fais feu sur Crèvecœur, et qu'il meure sur la place!
– C'est mon devoir, dit Quentin, la vie de Votre Majesté se trouvant en danger.
– Certainement, ajouta le roi, je ne l'entends pas autrement. Quel fruit retirerais-je de la mort d'un insolent soldat? Si c'était le connétable de Saint-Pol… Il fit une nouvelle pause comme s'il eût craint d'avoir dit un mot de trop, et reprit ensuite la parole en souriant: – Notre beau-frère, Jacques d'écosse, Durward, votre roi Jacques, poignarda Douglas pendant qu'il lui donnait l'hospitalité dans son château royal de Skirling43.
– De Stirling, s'il plaît à Votre Majesté, répondit Quentin; et ce fut un acte dont il ne résulta pas grand bien.
– Appelez-vous ce château Stirling? dit le roi sans vouloir paraître faire attention à ce que Quentin avait ajouté. Stirling soit; le nom n'y fait rien. Au surplus, je ne veux aucun mal à ces gens-ci: je n'y trouverais aucun avantage. Mais ils peuvent avoir à mon égard des projets moins innocens, et, en ce cas, je compte sur ton arquebuse.
– Je serai prompt au signal, Sire, mais cependant…
– Vous hésitez! Parlez! je vous le permets. Des gens comme vous peuvent quelquefois donner un avis utile.
– Je voulais seulement prendre la liberté de dire que, Votre Majesté ayant lieu de se méfier de ce Bourguignon, je suis surpris que vous l'admettiez si près de votre personne, et tellement en particulier.
– Soyez tranquille, sire écuyer, il y a des dangers qui s'évanouissent quand on les brave, et qui deviennent certains et inévitables quand on laisse voir qu'on les craint. Quand je m'avance hardiment vers un chien qui gronde, et que je le caresse, il y a dix à parier contre un que je lui rendrai sa bonne humeur; mais si je lui montre qu'il me fait peur, il s'élancera sur moi et me mordra. Je serai franc avec toi, Quentin: il m'importe de ne pas renvoyer cet homme à son maître impétueux, avec le ressentiment dans l'âme; et je consens à courir quelque risque, parce que je n'ai jamais craint d'exposer ma vie pour le bien de mon royaume. Suis-moi.
Louis fit passer le jeune écuyer, pour lequel il semblait avoir conçu une affection toute particulière, par la porte dérobée, et dit en la lui montrant: – Celui qui veut réussir à la cour a besoin de connaître les guichets et les escaliers secrets, même les trappes et les pièges des palais des rois, aussi-bien que les grandes entrées et les portes à deux battans.
Après avoir parcouru un long labyrinthe de passages et de corridors, le roi entra dans une petite salle voûtée où une table à trois couverts était préparée pour le dîner. L'ameublement en était si simple, qu'il pouvait passer pour mesquin. Un buffet sur lequel étaient placées quelques pièces de vaisselle d'or et d'argent, était la seule chose qui annonçât qu'on était dans le palais d'un roi, Louis assigna à Durward son poste derrière ce meuble, qui le cachait entièrement; et après s'être assuré, en se plaçant dans diverses parties de la salle, qu'on ne pouvait l'apercevoir, il lui donna ses dernières instructions. Souviens-toi des mots écosse, en avant! Dès que je les prononcerai, renverse le buffet, ne t'inquiète ni des coupes ni des gobelets, et fais feu sur Crèvecœur d'une main sûre. Si tu manques ton coup, tombe sur lui le couteau à la main. Olivier et moi nous nous chargerons du cardinal. à ces mots il donna un coup de sifflet, et ce signal fit paraître Olivier, qui était premier valet de chambre aussi-bien que barbier du roi, et qui, dans le fait, remplissait près de ce prince toutes les fonctions qui concernaient immédiatement sa personne. Il arriva, suivi de deux hommes âgés, seuls domestiques qui servirent à table. Dès que le roi se fut assis, les deux convives furent admis, et Quentin, quoique invisible pour eux, était placé de manière à ne perdre aucun des détails de cette entrevue.
Louis les reçut avec une cordialité que Durward eut beaucoup de difficulté à concilier avec les ordres qui lui avaient été donnés et avec le motif qui l'avait fait placer en sentinelle derrière ce buffet avec une arme de mort. Non-seulement le roi paraissait étranger à toute espèce de crainte, mais on aurait même pu supposer que les deux individus auxquels il avait fait l'honneur d'accorder une place à sa table, étaient ceux à qui il pouvait le plus justement accorder une confiance sans réserve, et à qui il voulait témoigner le plus d'estime. Il y avait dans ses manières une extrême dignité, et en même temps beaucoup de courtoisie. Si tout ce qui l'entourait, et même ses vêtemens, offrait moins de luxe que les plus petits princes du royaume n'en déployaient dans les solennités, ses discours et ses gestes annonçaient un puissant monarque dans un moment de condescendance. Quentin était tenté de supposer, ou que la conversation qu'il avait eue auparavant avec Louis était un rêve, ou que le respect et la soumission du cardinal, et l'air franc, ouvert et loyal du brave Bourguignon, avaient entièrement dissipé les soupçons de ce prince.
Mais tandis que les deux convives, obéissant aux ordres de Sa Majesté, prenaient les places qui leur étaient destinées à sa table, le roi jeta sur eux un coup d'œil prompt comme un éclair, et porta ensuite un regard vers le buffet derrière lequel Quentin était posté. Ce fut l'affaire d'un instant; mais ce regard était animé par une telle expression de haine et de méfiance contre ses deux hôtes, il semblait porter à Durward une injonction si précise de veiller avec soin, et d'exécuter promptement ses ordres, qu'il ne put lui rester aucun doute que les craintes et les dispositions de Louis ne fussent toujours les mêmes. Il fut donc plus surpris que jamais du voile épais dont ce monarque était en état de couvrir les mouvemens de sa méfiance.
Semblant avoir entièrement oublié le langage que Crèvecœur lui avait tenu en face de toute sa cour, le roi causa avec lui des anciens temps, et des événemens qui s'étaient passés pendant qu'il était lui-même en exil en Bourgogne; il lui fit des questions sur tous les nobles qu'il avait connus alors, comme si cette époque avait été la plus heureuse de sa vie, et comme s'il avait conservé pour tous ceux qui avaient contribué à adoucir le temps de son exil les plus tendres sentimens de reconnaissance et d'amitié.
– S'il s'était agi d'un ambassadeur d'une autre nation, lui dit-il, j'aurais mis plus de pompe et d'appareil dans sa réception; mais à un ancien ami qui a mangé à ma table au château de Génappes, j'ai voulu me montrer tel que j'aime à être, le vieux Louis de Valois, aussi simple et aussi uni qu'aucun de ses badauds de Paris. Cependant, j'ai ordonné qu'on nous fît meilleure chère que de coutume, sire comte; car je connais votre proverbe bourguignon, mieux vault bon repas que bel habit, et j'ai recommandé qu'on nous servit un bon dîner. Quant au vin, vous savez que c'est le sujet d'une ancienne émulation entre la France et la Bourgogne; mais nous arrangerons les choses de manière à contenter les deux pays. Je boirai à votre santé du vin de Bourgogne, et vous me ferez raison avec du vin de Champagne. Olivier, donnez-moi un verre de vin d'Auxerre. Et en même temps il entonna gaiement une chanson alors fort connue:
Auxerre est la boisson des rois
– Sire comte, continua-t-il, je bois à la santé de notre bon et cher cousin, le noble duc de Bourgogne. Olivier, emplissez cette coupe d'or de vin de Reims, et offrez-la au comte, à genoux: il représente ici notre frère. Monsieur le cardinal, nous remplirons nous-mêmes votre coupe.
– La voilà pleine, Sire, jusqu'à verser, dit le cardinal avec l'air vil d'un favori parlant à un maître indulgent.
– Nous savons que Votre éminence est en état de la tenir d'une main ferme, répondit le roi. Mais quel parti épouserez-vous dans notre grande controverse? Sillery ou Auxerre? France ou Bourgogne?
– Je resterai neutre, Sire, répondit le cardinal, et je remplirai ma coupe de vin d'Auvergne.
– La neutralité est un rôle dangereux, répliqua le roi. Mais voyant que le cardinal rougissait un peu, il changea de sujet, et ajouta: – Vous préférez le vin d'Auvergne, parce qu'il est si généreux qu'il ne supporte pas l'eau. Eh bien! sire comte, vous hésitez à vider votre coupe? j'espère que vous n'y trouvez pas d'amertume nationale.
– Je voudrais, Sire, répondit le comte de Crèvecœur, que toutes les querelles nationales pussent se terminer aussi agréablement que la rivalité de nos vignobles.
Ye towers within whose circuit dread
A Douglas by his sovereign bled, etc.
ô château! dans ton enceinte redoutable un Douglas périt de la main de son roi!
La Dame du Lac, ch. V. – (Note de l'éditeur.)