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Kitabı oku: «Les mystères d'Udolphe», sayfa 32

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CHAPITRE XXXIX

Le baron de Sainte-Foix inquiet pour son ami, n'avait pu fermer l'œil, et s'était levé de grand matin. En allant aux informations, il passa près du cabinet du comte et entendit quelqu'un marcher; il frappa à la porte, le comte ouvrit lui-même: content de le voir en sûreté, curieux d'apprendre les détails, le baron n'eut pas le temps d'observer la gravité extraordinaire qui couvrait la physionomie du comte. Ses réponses réservées l'en firent apercevoir. Le comte, en affectant de sourire, s'efforça de traiter légèrement ses questions: mais le baron était sérieux. Il devint si pressant, que le comte, plus grave à son tour, lui dit:—Eh bien! mon cher ami, ne m'en demandez pas davantage, je vous en conjure. Je vous supplie encore de garder le silence sur tout ce que ma conduite future pourra avoir de surprenant. Je n'hésite point à vous dire que je suis malheureux, et que mon expérience ne m'a pas fait retrouver Ludovico. Excusez ma réserve sur les incidents de cette nuit.—Mais où est Henri? dit le comte surpris et déconcerté de ce refus.—Il est chez lui, répliqua le comte, vous me ferez plaisir de ne le pas interroger.—Certainement, dit le baron avec chagrin, puisque cela vous déplairait.—N'en parlons plus, dit le comte; vous pouvez être certain que ce ne peut être un événement ordinaire qui m'impose le silence envers un ami de trente ans. Ma réserve, en ce moment, ne doit vous faire douter ni de mon estime ni de mon amitié.

Henri fut moins heureux dans les efforts qu'il fit pour dissimuler; ses traits portaient encore l'expression de la terreur. Il était muet et pensif, et quand il voulait répondre en plaisantant aux pressantes questions de mademoiselle Béarn, on voyait bien que sa gaieté n'était pas naturelle.

Dans la soirée, le comte, suivant sa promesse, alla voir Emilie: elle fut surprise de trouver dans ses discours sur les appartements du nord un mélange de raillerie et de discrétion. Il ne dit rien pourtant de ce qui était arrivé. Quand elle osa lui rappeler ses engagements sur le résultat de l'aventure, et lui demander s'il demeurait certain que l'appartement fût fréquenté par des esprits, il devint plus sérieux: puis il sembla se recueillir, et dit en souriant: Ma chère Emilie, ne souffrez pas que madame l'abbesse gâte votre jugement avec toutes ces idées. Elle pourrait vous apprendre à trouver un revenant dans toutes les chambres obscures.—Mais croyez-moi, ajouta-t-il avec un long soupir, les morts n'apparaissent pas pour des sujets frivoles, ni dans l'unique motif d'épouvanter les âmes timides. Il se tut, rêva quelques moments, et ajouta: Ne parlons plus de cela.

Il se retira bientôt après; Emilie rejoignit les religieuses, et fut surprise de ce qu'elles savaient d'une circonstance qu'elle leur avait très-soigneusement cachée.

Quand les religieuses furent retirées, Emilie se souvint du rendez-vous que lui avait donné la sœur Françoise; elle la trouva dans sa cellule, en prières, à genoux devant une petite table; elle avait devant elle une image; au-dessus était une lampe qui éclairait sa petite chambre. Elle tourna la tête quand on ouvrit la porte, et fit signe à Emilie d'entrer; Emilie se plaça en silence sur le lit de la religieuse, jusqu'à ce que sa prière fût finie. Sœur Françoise se releva, prit la lampe, et la remit sur la table. Emilie y reconnut quelques ossements humains, à côté d'un sablier simple. Elle fut émue; la religieuse ne s'en aperçut pas, et s'assit près d'elle sur sa couche.—Votre curiosité, ma sœur, dit-elle, vous a rendue bien exacte; mais vous n'avez rien de remarquable à découvrir dans l'histoire de la pauvre Agnès. J'ai évité de parler d'elle en présence de nos sœurs, parce que je ne veux pas leur apprendre son crime.—Je suis flattée de votre confiance, dit Emilie; je n'en abuserai pas.—Sœur Agnès, reprit la religieuse, est d'une famille noble; la dignité de son air a pu déjà vous le faire soupçonner; mais je ne veux pas déshonorer son nom en le révélant. L'amour fut l'occasion de son crime et de sa folie. Elle fut aimée par un gentilhomme très-peu riche; et son père, à ce que j'ai appris, l'ayant mariée à un seigneur qu'elle haïssait, une passion mal contenue fit sa perte: elle oublia la vertu et ses devoirs; elle profana les vœux du mariage: ce crime fut découvert, et son époux l'eût sacrifiée à sa vengeance, si son père n'eût trouvé moyen de la mettre hors de son pouvoir. Je n'ai jamais pu découvrir comment il y avait réussi. Il l'enferma dans ce couvent, et la détermina à y prendre le voile. On répandit dans le monde qu'elle était morte; le père, pour sauver sa fille, concourut à confirmer ce bruit, et fit même croire à son époux qu'elle était victime de sa fureur jalouse.—Vous paraissez surprise, ajouta la religieuse en regardant Emilie; j'avoue que l'histoire n'est pas commune, mais elle n'est pourtant pas sans exemple.—De grâce, continuez, dit Emilie; elle m'intéresse.—Vous savez tout, reprit la sœur; je vous dirai seulement que le combat qui se passa dans le cœur d'Agnès entre l'amour, le remords et le sentiment des devoirs qu'elle allait embrasser dans notre état, a causé à la fin le dérangement de sa raison. D'abord elle était ou violente ou abattue par intervalles; elle prit ensuite une mélancolie habituelle; elle est parfois troublée par des accès de délire tels que le dernier, et depuis quelque temps ils sont plus fréquents.

Sœur Françoise raconte à Emilie l'histoire d'Agnès.


—Cela est étrange, dit Emilie; mais il y a des moments où je crois me rappeler sa figure. Vous allez me trouver ridicule; je me trouve telle aussi. Je n'avais certainement jamais vu sœur Agnès avant d'entrer dans ce couvent, il faut que j'aie vu quelque part une personne qui lui ressemble parfaitement, et je n'en ai pourtant pas le moindre souvenir.—Vous avez pris de l'intérêt à sa mélancolie, dit sœur Françoise; l'impression que vous en avez reçue trompe sans doute votre imagination. Je pourrais avec autant de raison trouver une ressemblance entre vous et Agnès que vous pouvez croire que vous l'avez vue ailleurs. Elle a toujours demeuré dans ce couvent depuis que vous êtes au monde.—Est-il bien vrai? dit Emilie.—Oui, reprit Françoise; pourquoi cela vous surprend-il?

Emilie ne parut pas remarquer la question; elle demeura pensive, et dit enfin:—C'est à peu près vers le même temps que la marquise de Villeroi est morte.—La remarque est singulière, dit Françoise.

Durant les jours qui succédèrent, Emilie ne vit ni le comte ni personne de la famille. Quand il parut, elle remarqua avec chagrin l'excès de son agitation.

–Je n'en puis plus, répondit-il à ses questions empressées; je vais m'absenter quelque temps pour retrouver un peu de tranquillité. Ma fille et moi nous reconduirons le baron de Sainte-Foix à son château. Il est situé dans un vallon des Pyrénées, ouvert sur la Gascogne. J'ai pensé, Emilie, que si vous alliez à la Vallée, nous pourrions faire ensemble une partie du voyage; ce serait pour moi une grande satisfaction que de vous escorter jusque chez vous.

Emilie remercia le comte, et se plaignit de ce que, obligée de se rendre à Toulouse, elle ne pouvait adopter un plan si agréable.—Quand vous serez chez le baron, ajouta-t-elle, vous ne serez qu'à une petite distance de la vallée. Je pense, monsieur, que vous ne quitterez pas la province sans me venir voir; il est superflu de vous dire quel plaisir je goûterai à vous recevoir, ainsi que Blanche.

Le comte, après quelques détails sur ses projets de voyage et les arrangements d'Emilie, prit congé d'elle. Peu de jours après, une lettre de M. Quesnel informa Emilie qu'il était à Toulouse, que la vallée était libre, qu'il la priait de se hâter, parce qu'il l'attendrait à Toulouse, et que des affaires le rappelaient en Gascogne. Emilie n'hésita pas; elle fit ses adieux au comte et à toute sa famille, avec laquelle était encore Dupont; elle les fit à ses amies du couvent, et partit ensuite pour Toulouse, accompagnée de la malheureuse Annette, et d'un domestique de confiance qui appartenait au comte.

Emilie poursuivit son voyage sans accident à travers les plaines du Languedoc, et enfin jusqu'aux portes de la maison qui était devenue la sienne.

Le concierge ouvrit aussitôt; le carrosse tourna dans la cour; elle descendit, traversa rapidement le vestibule solitaire, et entra dans un grand salon boisé de chêne, où, au lieu de M. Quesnel, elle ne trouva qu'une lettre de lui. Il l'informait qu'une affaire importante l'avait forcé de quitter Toulouse deux jours auparavant. Emilie, après tout, n'eut aucune peine d'être privée de sa présence, puisqu'un aussi brusque départ annonçait une indifférence aussi complète qu'auparavant. Cette lettre contenait des détails sur tous les arrangements qu'il avait faits pour elle, et sur les affaires qui lui restaient à terminer. Le peu d'intérêt que M. Quesnel prenait à elle n'occupa pas longtemps les pensées d'Emilie; elles se reportèrent aux personnes qu'elle avait vues jadis dans ce château, et surtout à l'imprudente et infortunée madame Montoni; elle avait déjeuné avec elle dans cette même salle, le matin de son départ pour l'Italie. Cette salle lui rappelait plus fortement tout ce qu'elle-même avait souffert dans ce moment, et les riantes espérances dont sa tante se repaissait alors. Les yeux d'Emilie se tournèrent par hasard sur une large fenêtre; elle vit le jardin, et le passé parla plus vivement à son cœur: elle vit cette avenue où, la veille du voyage, elle s'était séparée de Valancourt. Son anxiété, l'intérêt si touchant qu'il témoignait pour son bonheur, ses pressantes sollicitations qu'il lui avait faites pour qu'elle ne se livrât point à l'autorité de Montoni, la vérité de sa tendresse, tout revenait à sa mémoire. Il lui parut presque impossible que Valancourt se fût rendu indigne d'elle; elle doutait de tous les rapports, et même de ses propres paroles, qui confirmaient celles du comte de Villefort. Accablée des souvenirs que la vue de cette allée lui causait, elle se retira brusquement de la fenêtre, et se jeta dans un fauteuil, abîmée dans sa vive douleur. Annette entra bientôt en lui apportant quelques rafraîchissements, et la tira de sa rêverie.

Dès le lendemain, de sérieuses occupations la tirèrent de sa mélancolie: elle désirait de quitter Toulouse, et se rendre à la vallée; elle prit des renseignements sur l'état de ses propriétés, et acheva de les régler, d'après les instructions de M. Quesnel. Il fallait un puissant effort pour attacher sa pensée à de pareils objets; mais elle en eut sa récompense, et éprouva de nouveau qu'une occupation continuelle est le plus sûr remède contre la tristesse.

Son indisposition, ses affaires avaient déjà prolongé son séjour à Toulouse au delà du terme qu'elle avait fixé; elle ne voulait point alors s'éloigner du seul lieu où elle pût se procurer quelque instruction sur l'objet de son affliction. Le temps vint cependant où la vallée exigea sa présence: elle reçut une lettre de Blanche, qui l'informait que le comte et elle, qui étaient alors chez le baron de Sainte-Foix, se proposaient à leur retour de s'arrêter à la vallée, si elle y était. Blanche ajoutait qu'ils feraient cette visite avec l'espoir de la ramener au château de Blangy.

Emilie répondit à son amie; elle annonça qu'elle serait à la vallée sous peu de jours, et fit, très à la hâte, les préparatifs de son voyage. Elle quitta donc Toulouse, en s'efforçant de croire que, si quelque accident fût arrivé à Valancourt, elle l'aurait découvert dans un si long intervalle.

Le soir qui précéda son départ, elle alla prendre congé de la terrasse et du pavillon. Le jour avait été fort chaud; une petite pluie, qui tomba au coucher du soleil, avait rafraîchi l'air, et avait répandu sur les bois et sur les prairies cette douce verdure qui semble rafraîchir les regards; les feuilles chargées de gouttes de pluie brillaient aux derniers rayons du soleil. L'air était embaumé des parfums que l'humidité faisait sortir des fleurs, des plantes et de la terre elle-même; mais le beau point de vue qu'Emilie découvrait de la terrasse n'était plus, pour ses regards, un sujet de délices; ils erraient sans plaisir sur toute la contrée. Elle soupirait, et se trouvait tellement abattue, qu'elle ne pouvait penser à revoir la vallée sans verser un torrent de larmes. Il lui semblait qu'elle pleurait Saint-Aubert comme le lendemain de sa mort. Elle arriva au pavillon, s'assit auprès d'une jalousie ouverte, et considéra les montagnes lointaines qui bordaient la Gascogne, et brillaient au-dessus de l'horizon, quoique le soleil eût cessé d'éclairer la plaine.—Hélas! disait-elle, je retourne près de vous, dont je fus si longtemps éloignée; mais je ne trouverai plus les parents qui me rendaient si cher votre voisinage; ils ne seront plus là pour m'accueillir avec un doux sourire; je n'entendrai plus leur voix si tendre et si douce; tout sera désert, tout sera muet dans ce séjour, où j'étais jadis si gaie et si heureuse.

Ses larmes ne tarissaient pas en se rappelant ce que la vallée avait été pour elle; mais, après ce moment d'abandon, elle en suspendit le cours; elle se reprocha d'oublier les amis qu'elle possédait, en regrettant ceux qu'elle avait perdus. Elle quitta le pavillon et la terrasse, et n'aperçut ni l'ombre de Valancourt, ni celle d'aucun autre.

CHAPITRE XL

Le jour suivant, Emilie quitta Toulouse de bonne heure, et arriva à la vallée vers le soleil couchant. A la mélancolie que lui inspirait un lieu que ses parents avaient constamment habité, où ses premières années avaient été heureuses, il se mêla bientôt un tendre et indéfinissable plaisir. Le temps avait émoussé les traits de sa douleur, et alors elle saluait avec complaisance tout ce qui lui renouvelait la mémoire de ses amis; il lui semblait qu'ils respiraient encore dans tous les lieux où elle les avait vus; elle sentait que la vallée était pour elle le séjour le plus doux. La première pièce qu'elle visita fut sa bibliothèque; elle se plaça dans le fauteuil de son père: elle réfléchit avec résignation sur le tableau du passé, et les larmes qu'elle répandit n'étaient pas uniquement données à la douleur.

Bientôt après son arrivée, elle fut surprise par celle du vénérable M. Barreaux. Il vint avec empressement pour accueillir la fille de son respectable voisin, dans une maison trop longtemps délaissée. La présence de ce vieil ami fut une consolation pour Emilie; leur entretien fut pour tous deux singulièrement intéressant, et ils se communiquèrent tour à tour les circonstances principales de ce qui leur était arrivé.

Le soir était si avancé quand M. Barreaux la quitta, qu'Emilie ne put, le même jour, aller visiter le jardin. Dès le matin, elle parcourut tous ces bosquets, si longtemps, si souvent regrettés; elle goûtait avec une tendre avidité le plaisir d'errer sous les berceaux qu'un père chéri avait plantés, et dont chaque arbre lui rappelait ses discours, son maintien, son sourire.

Emilie cependant éprouvait une horrible inquiétude sur le destin de Valancourt. Thérèse découvrit enfin une personne sûre pour l'envoyer à l'intendant. Le messager s'engagea à revenir le lendemain, et Emilie promit de se trouver à la chaumière.

Sur le soir, Emilie s'achemina seule vers la chaumière avec de noirs pressentiments. L'heure, déjà avancée, aidait à sa mélancolie. On était à la fin de l'automne, une brume épaisse cachait en partie les montagnes, et le vent froid, qui soufflait entre les hêtres, jonchait le chemin de leurs dernières feuilles jaunes. Leur chute, présage de la fin de l'année, était l'image de la désolation de son cœur; elle semblait lui prédire la mort de Valancourt: elle en eut plusieurs fois un pressentiment si violent, qu'elle fut au moment de retourner chez elle. Elle ne se trouvait pas assez de force pour aller chercher cette affreuse certitude; mais elle lutta contre son émotion, et continua sa route.

Elle marchait tristement, et ses yeux suivaient le mouvement des masses vaporeuses qui s'étendaient à l'horizon; elle considérait les fugitives hirondelles: jouets de l'agitation des vents, tantôt disparaissant dans les nuages, tantôt voltigeant en cercles sur les airs plus tranquilles, elles semblaient représenter les afflictions et les vicissitudes qu'avait essuyées Emilie. Elle avait subi les caprices de la fortune et les orages du malheur; elle avait eu de courts instants de calme. Mais pouvait-on donner le nom de calme à ce qui n'était que le sursis de la douleur? Echappée maintenant aux plus cruels dangers, indépendante de ses tyrans, elle se trouvait maîtresse d'une fortune considérable; elle aurait pu, avec raison, s'attendre à goûter le bonheur; il était plus loin d'elle que jamais; elle se serait accusée de faiblesse et d'ingratitude, si elle avait souffert que le sentiment des biens qu'elle possédait fût étouffé par celui d'une seule infortune, si cette seule infortune n'eût touché qu'elle. Mais elle pleurait sur Valancourt; et si même il était vivant, les larmes de la pitié s'unissaient à celles du regret; elle s'affligeait qu'un être humain fût tombé dans le vice, et par suite dans la misère. La raison et l'humanité réclamaient ensemble les larmes de l'amitié, et son courage ne pouvait pas encore les séparer de celles de l'amour. Dans le moment actuel cependant ce n'était pas la certitude des torts de Valancourt, mais la crainte de sa mort, qui l'oppressait; elle se trouvait, pour ainsi dire, la cause de cette mort, quoique bien innocemment. Sa crainte augmentait à chaque pas; quand elle vit la chaumière, son désordre fut à son comble, la résolution lui manqua, et elle resta sur un banc dans le sentier. Le vent qui murmurait dans les branches au-dessus d'elle semblait à son imagination attristée apporter des sons plaintifs; même dans cet intervalle du vent, elle croyait entendre encore de douloureux accents. Une attention plus suivie la convainquit de son erreur, et les ténèbres, devenues plus épaisses à la chute prochaine du jour, l'avertirent bientôt de s'éloigner, et d'un pas chancelant elle arriva à la chaumière. A travers la fenêtre on voyait briller un bon feu, et Thérèse, qui avait vu venir Emilie, était sur la porte à l'attendre.

–La soirée est bien froide, mademoiselle, dit Thérèse. La pluie va venir, et j'ai pensé qu'un bon feu ne vous déplairait pas. Asseyez-vous auprès de la cheminée.

Emilie la remercia de ses soins, et, la regardant à la clarté du feu, elle fut frappée de sa tristesse. Elle se jeta sur sa chaise, incapable de parler, et sa physionomie exprimait tant de désespoir, que Thérèse en comprit la cause, et pourtant garda le silence.—Ah! lui dit enfin Emilie, il serait inutile de m'informer du résultat. Votre silence, vos regards en disent assez; il est mort.—Hélas! ma chère jeune dame, répondit Thérèse les larmes aux yeux, ce monde n'est que douleur. Le riche en a sa part aussi bien que le pauvre. Mais tâchons de supporter le fardeau que le ciel nous envoie.—Il est donc mort? interrompit Emilie. Ah! Valancourt est mort!—Malheureux jour! reprit Thérèse. Je crains qu'il ne le soit.—Vous le craignez, dit Emilie: vous ne faites que le craindre?—Hélas! oui, mademoiselle, je le crains. Ni l'intendant, ni personne d'Estuvière n'a entendu parler de lui depuis qu'il est parti pour le Languedoc. Le comte en est très-affligé. Il dit qu'il est toujours exact à écrire, et que pourtant il n'a pas reçu une ligne de lui depuis son départ: il devait être de retour il y a trois semaines; il n'est point revenu; il n'a point écrit: on craint qu'il ne lui soit arrivé quelque accident. Hélas! je ne croyais pas vivre assez pour avoir à pleurer sa mort. Je suis vieille; je pouvais mourir sans me plaindre: mais lui! Emilie, presque mourante, demanda de l'eau: Thérèse, alarmée de son accent, courut à son secours; et pendant qu'elle lui donnait de l'eau elle continua.—Ma chère demoiselle, ne prenez pas cela tant à cœur; le chevalier peut être plein de vie, et se bien porter. Espérons!—Oh non! je ne puis espérer, dit Emilie. Je sais des circonstances qui ne me permettent nulle espérance: je me trouve mieux cependant, et je puis vous écouter. Détaillez-moi tout ce que vous avez su.—Attendez que vous soyez remise, mademoiselle; vous paraissez si mal!—Oh non! Thérèse; dites-moi tout, reprit Emilie, pendant que je puis vous entendre: dites-moi tout, je vous en conjure!—Eh bien! mademoiselle, j'y consens. L'intendant a dit fort peu de chose. Richard prétend qu'il semblait parler avec réserve de M. Valancourt. Ce que Richard a recueilli, c'est de Gabriel, un domestique de la maison, qui disait le tenir d'un ami de son maître.

Thérèse se tut. Emilie soupirait, et ses regards ne quittaient pas la terre. Après une très-longue pause, elle demanda ce que Thérèse savait encore.—Mais pourquoi le demander? ajouta-t-elle. Vous m'en avez trop dit. O Valancourt! tu es perdu, perdu pour jamais. C'est moi, c'est moi qui t'ai donné la mort. Ces paroles, ce ton de désespoir alarmèrent la pauvre Thérèse; elle craignit que ce coup terrible n'eût affecté le cerveau d'Emilie.—Ma chère demoiselle, tranquillisez-vous, dit-elle; ne dites pas ces choses-là: vous, tuer M. Valancourt, chère dame? Emilie ne répondit que par un profond soupir.—O ma chère demoiselle, reprit Thérèse, mon cœur se brise de vous voir en cet état, les regards fixes, le teint si pâle, et l'air si affligé. Je suis effrayée de vous voir ainsi. Emilie gardait le silence, et ne paraissait rien entendre.—Et d'ailleurs, mademoiselle, dit Thérèse, M. Valancourt peut être gai et bien portant, malgré ce que nous savons.

A ce nom, Emilie leva les yeux, et porta sur Thérèse des regards égarés, comme si elle eût cherché à la comprendre.—Oui, ma chère dame, reprit Thérèse qui se méprenait à son air, M. de Valancourt peut être gai et bien portant.

A la répétition de ces derniers mots, Emilie en pénétra le sens; mais, au lieu de produire l'impression que Thérèse attendait, ils semblèrent seulement redoubler sa douleur: elle se leva brusquement, et parcourut la petite chambre à pas précipités, frappant ses mains en sanglotant.

Pendant qu'elle continuait de marcher dans la chambre, le son doux et soutenu d'un hautbois ou d'une flûte se mêla avec l'ouragan. Sa douceur affecta Emilie; elle s'arrêta tout attentive: les sons apportés par le vent se perdirent dans un tourbillon plus fort; mais leur accent plaintif émut son cœur; et elle fondit en larmes.—Ah! dit Thérèse en séchant ses yeux, c'est Richard, le fils du voisin, qui joue de son hautbois: il est triste d'entendre à présent une musique aussi douce. Emilie continuait de pleurer.—Il en joue souvent le soir, continua Thérèse; et la jeunesse danse au son de son hautbois. Mais, ma chère demoiselle, ne pleurez pas ainsi; prenez, je vous prie, une goutte de ce vin. Elle en versa et le présenta à Emilie, qui l'accepta avec une extrême répugnance.—Goûtez-y pour l'amour de M. Valancourt, dit Thérèse pendant qu'Emilie soulevait le verre; c'est lui qui me l'a donné, vous le savez, mademoiselle. La main d'Emilie trembla; et elle renversa le vin en le retirant de ses lèvres.—Pour l'amour de qui? lui dit-elle; qui vous a donné ce vin?—M. Valancourt, ma chère dame; je savais qu'il vous ferait plaisir: c'est mon dernier flacon.

Emilie posa le vin sur la table, fondit de nouveau en larmes; et Thérèse, déconcertée, alarmée, s'efforça de la consoler. Emilie lui fit signe de la main, pour lui faire entendre qu'elle voulait être seule, et pleura toujours davantage.

Un léger coup frappé à la porte de la chaumière empêcha Thérèse de la quitter sur-le-champ. Emilie l'arrêta, et la pria de ne recevoir personne. S'imaginant pourtant que c'était Philippe son domestique, elle s'efforça, tâcha d'essuyer ses pleurs; et Thérèse alla ouvrir la porte.

La voix qu'elle entendit attira l'attention d'Emilie. Elle écouta, tourna les yeux: une personne parut; et la flamme du feu fit voir… Valancourt!

Emilie en l'apercevant tressaillit, trembla, et, perdant connaissance, ne vit plus rien de ce qui l'entourait.

Un cri que fit Thérèse annonça qu'elle reconnaissait aussi Valancourt. L'obscurité dans le premier moment lui avait dérobé ses traits. Valancourt cessa de s'occuper d'elle en voyant une personne tomber de sa chaise, près du feu. Il courut à son secours, et s'aperçut qu'il soutenait Emilie. L'émotion qu'il sentit à cette rencontre imprévue, en retrouvant celle dont il se croyait à jamais éloigné, en la tenant pâle et sans vie entre ses bras, on l'imaginera mieux qu'on ne peut la décrire! Qu'on imagine de même tout ce qu'éprouva Emilie, quand en ouvrant les yeux elle revit Valancourt! L'expression inquiète avec laquelle il la considérait se changea à l'instant en un mélange de joie et de tendresse. Quand ses yeux rencontrèrent les siens, et qu'il la vit prête à renaître, il ne put que s'écrier:—Emilie! Mais elle détourna ses regards, et fit un faible effort pour retirer sa main. Dans le premier moment qui succéda aux angoisses de douleur que l'idée de sa mort lui causait, Emilie oublia toutes les fautes de son amant. Elle revit Valancourt tel qu'au moment où il méritait son amour, et ne sentit que sa joie et sa tendresse.

Le sentiment de ce qu'elle se devait retint ses larmes, et lui apprit à dissimuler une partie de sa joie et de sa tristesse, qui disputaient au fond de son cœur. Elle se leva, le remercia du secours qu'il lui avait donné, dit adieu à Thérèse, et allait se retirer. Valancourt, éveillé comme d'un songe, la supplia d'une voix humble et touchante, de lui donner un moment d'attention. Le cœur d'Emilie plaidait bien fortement en sa faveur: elle eut le courage d'y résister, ainsi qu'aux cris et aux instances de Thérèse, qui la priait de ne point s'exposer la nuit, et seule. Elle avait ouvert la petite porte; mais l'orage l'obligea de rentrer.

Muette, interdite, elle retourna auprès du feu. Valancourt, plus troublé, traversait la chambre à grands pas, comme s'il eût craint et désiré de parler. Thérèse exprimait sans contrainte la joie et la surprise que lui causait son arrivée.—Oh! mon cher monsieur, disait-elle, je ne fus jamais si étonnée et si contente! Nous étions toutes les deux dans l'affliction à votre sujet; nous pensions que vous étiez mort, nous parlions de vous, nous vous pleurions. Justement vous avez frappé: ma jeune maîtresse pleurait à fendre le cœur.

Emilie regarda Thérèse avec mécontentement. Mais, avant qu'elle pût lui parler, Valancourt, incapable de contenir son émotion, s'écria: Mon Emilie! vous suis-je donc encore cher? m'honoriez-vous d'une pensée, d'une larme! O ciel! vous pleurez, vous pleurez maintenant!—Monsieur, dit Emilie en essayant de vaincre ses larmes, Thérèse a bien raison de se souvenir de vous avec reconnaissance. Elle était affligée de n'avoir point eu de vos nouvelles: permettez-moi de vous remercier aussi pour les bontés dont vous l'avez comblée. Je suis maintenant de retour, et c'est à moi à en prendre soin.—Emilie, lui dit Valancourt qui ne se possédait plus, est-ce ainsi que vous recevez celui qu'autrefois vous voulûtes honorer de votre main, celui qui vous a tant aimée, celui qui a tant souffert pour vous? Et pourtant que puis-je alléguer? Pardonnez-moi, pardonnez-moi, mademoiselle; je ne sais plus ce que je dis: je n'ai plus de droits à votre souvenir; j'ai perdu tous mes titres à votre estime, à votre amour. Oui, mais je n'oublierai jamais qu'autrefois je les possédais; savoir que je les ai perdus est mon plus cruel désespoir! Désespoir! dois-je employer ce terme? il est trop doux.—Ah! mon cher monsieur, dit Thérèse qui prévenait la réponse d'Emilie, vous parlez d'avoir eu jadis ses affections: à présent, à présent encore, ma maîtresse vous préfère au monde entier, quoiqu'elle ne veuille pas en convenir.—C'est insupportable, dit Emilie. Thérèse, vous ne savez pas ce que vous dites.—Monsieur, si vous avez égard à ma tranquillité, vous ne prolongerez pas ce moment douloureux.—Je la respecte trop pour la troubler volontairement, dit Valancourt dont l'orgueil en ce moment le disputait à la tendresse; je ne me rendrai pas volontairement importun. J'avais demandé quelques moments d'attention; néanmoins sais-je pour quel dessein vous avez cessé de m'estimer? vous raconter mes peines, ce serait m'avilir davantage sans exciter votre pitié. Et pourtant, Emilie, j'ai été malheureux, je suis encore bien malheureux! Sa voix moins ferme devint l'accent de la douleur.—Eh quoi! reprit Thérèse, mon cher jeune maître va sortir par cette pluie! Non, non, il ne s'en ira pas. Mon Dieu, mon Dieu! que les grands sont fous de rejeter ainsi leur bonheur! Si vous étiez de pauvres gens, tout serait déjà fini. Parler d'indignité, dire qu'on ne l'aime plus, quand dans toute la province il n'y a pas deux cœurs plus tendres, et, si l'on disait vrai, deux personnes qui s'aiment mieux!

Emilie, dans une extrême peine, se leva de sa chaise, et dit: Je vais partir, l'orage est fini.—Restez, Emilie, restez, mademoiselle, dit Valancourt armé de toute sa résolution: je ne vous affligerai plus par ma présence. Pardonnez-moi si je n'ai pas obéi plus tôt. Si vous le pouvez, plaignez celui qui vous perd, celui qui perd toute espérance de repos. Puissiez-vous être heureuse, Emilie, quoique je reste malheureux! puissiez-vous être heureuse autant que je le désire du fond de mon cœur!

La voix lui manqua à ces dernières paroles; sa figure changea; il jeta sur elle un regard d'une tendresse, d'une douleur inexprimables, et s'élança hors de la chaumière.

–Cher monsieur! cher monsieur! cria Thérèse en le suivant à la porte. Monsieur Valancourt! Comme il pleut! quelle nuit pour le mettre dehors! Il en mourra, mademoiselle; et tout à l'heure vous pleuriez tant sa mort! On a raison, les jeunes demoiselles changent promptement d'idées.

Emilie ne répliqua pas; elle n'entendait pas ce qu'on disait. Abîmée dans sa douleur, dans ses réflexions, elle restait sur sa chaise, les yeux fixes, et l'image de Valancourt présente.

Pendant ce temps, Valancourt était rentré à la taverne du village; il y était arrivé peu de moments seulement avant que de visiter Thérèse. Il revenait de Toulouse, et se rendait au château du comte de Duverney. Il n'y avait pas retourné depuis l'adieu qu'il avait fait à Emilie au château de Blangy. Il était resté quelque temps dans le voisinage d'un lieu où habitait l'objet le plus cher à son cœur. Il y avait des moments où la douleur et le désespoir le pressaient de reparaître devant Emilie, et de renouveler ses instances, en dépit de son malheur.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
03 ağustos 2018
Hacim:
624 s. 25 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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