Kitabı oku: «Les rues de Paris, Tome Premier», sayfa 10
«… L'absolu scepticisme répugnait à son cœur. Il aimait à rapporter l'ensemble des phénomènes de l'univers à l'influence d'une cause bienfaisante et sage, dans laquelle il trouvait réalisées ces idées du meilleur absolu qui étaient le terme ordinaire de sa pensée et sous la protection de laquelle il plaçait les destinées de la vertu. Il aimait à étendre au delà des confins étroits de la vie la carrière de ses espérances. Son âme avait, si l'on peut s'exprimer ainsi, un besoin immense de l'avenir. Le trait dominant de son caractère était un désir ardent du bonheur des hommes, une sorte de générosité impatiente qui allait au devant de tout ce qui était bon et utile, et ne pouvait jamais se satisfaire.»
Pour un tel homme, malgré le malheur des temps, l'Évangile ne dut pas être toujours un livre fermé, et l'on peut croire assurément que sur son lit de douleur, à l'heure suprême, le héros tournait ses regards vers le ciel pendant que la prière du chrétien s'échappait de ses lèvres.
DE LA CHAISE
Cette rue s'appela d'abord chemin de la Maladrerie, puis rue des Teigneux, noms qui lui furent donnés à cause d'un hôpital s'élevant sur l'emplacement occupé ensuite par l'hospice des Petits Ménages, monument, non, bâtiment qui lui-même va disparaître, car les démolisseurs sont à l'œuvre et paraissent pressés d'en finir.
On n'aura point à le regretter, si surtout à la place de ce vaste mais peu gracieux édifice, ayant un peu l'extérieur d'une prison, nous voyons s'épanouir le beau square que promet l'ancien jardin de l'établissement. De la rue on apercevait à travers la grille deux ou trois allées d'arbres magnifiques, et l'on n'eût pas demandé mieux parfois que de se reposer sous leur ombrage42.
Comment et à quelle époque la rue, dite des Teigneux, prit-elle le nom de la Chaise? Nous l'ignorons. Ce dernier nom lui vient-il d'une enseigne ainsi qu'un historien l'affirme, ou du célèbre Jésuite qui fut pendant tant d'années le confesseur de Louis XIV? Cette version me paraît préférable, d'abord comme la plus naturelle; puis parce qu'elle rappelle le souvenir d'un homme qui, dans le poste le plus difficile qui fut jamais, fit preuve d'un mérite peu ordinaire, soit que la prudence chrétienne, ce que nous inclinons à croire, ait dicté sa conduite; soit, comme l'ont prétendu ses ennemis, qu'elle fut le résultat des calculs de la politique et d'une merveilleuse habileté.
François d'Aix de la Chaise, petit neveu du père Cotton, confesseur de Henri IV, né au château d'Aix, le 25 août 1624, était fils de Georges d'Aix, seigneur de la Chaise, et de Renée de Rochefort. Sa rhétorique terminée au collège de Roanne, il entra comme novice chez les Jésuites. Après deux années de préparation, chargé tour à tour du cours d'humanités et du cours de philosophie, il professa avec éclat, à ce point que ses leçons furent imprimées en 1661, sous ce titre: Abrégé de mon cours de philosophie43. Nommé supérieur de la province de Lyon, il fut, sans doute par le conseil de l'Archevêque de cette ville, Villeroi, frère du maréchal, choisi comme confesseur du roi Louis XIV, en remplacement du père Terrier, qui venait de mourir.
«Jusque-là, dit un biographe, le Père La Chaise avait vécu à plus de cent lieues de la cour. Il y parut au commencement de 1675 et s'y montra simple et aisé dans ses manières, poli et prévenant sans affectation. Tous les suffrages se réunirent bientôt en sa faveur.»
Cette unanimité dans la bienveillance ne devait pas être de longue durée; car, jeté au milieu de toutes les intrigues de la cour comme des complications et des difficultés suscitées tour à tour et presque coup sur coup par les passions du roi, l'affaire du jansénisme, celle du quiétisme, la révocation de l'édit de Nantes, la déclaration de 1682, etc: «Quelque avis qu'il embrassât, dit le biographe déjà cité, il se faisait des ennemis et il lui arriva plus d'une fois de déplaire également aux partis opposés.»
Le biographe exagère et le bon Père ne tint pas autant qu'il l'affirme la balance égale entre les opinions, à moins qu'elles ne fussent indifférentes au point de vue de la conscience. Mais ce qui doit surtout lui mériter nos éloges, c'est que, chargé, par suite de sa position, de la feuille des bénéfices, il s'attachait à ne faire que de bons choix. Il donna aux missions une grande impulsion. Les jansénistes, dont l'hostilité l'honore, l'accusaient de favoriser les passions du roi; le fait est qu'il travailla avec persévérance à ruiner l'influence de Mme de Montespan et qu'il y parvint. Après la mort de la reine, il crut sage de conseiller et de bénir le mariage du roi avec Mme de Maintenon, qui, dit-on, ne lui pardonna pas de s'être opposé à la publicité de cette union restée morganatique; il semblait difficile que la veuve de Scarron fût déclarée officiellement reine de France.
Dans sa lettre au cardinal de Noailles (8 octobre 1708), Mme de Maintenon pourtant rendait au père La Chaise cette justice: «Qu'il avait osé louer, en présence du roi, la générosité et le désintéressement de Fénelon.»
Il ne craignait pas d'ailleurs de dire la vérité au roi et même assez rudement parfois, d'après ce que racontait Louis XIV lui-même, après la mort du père La Chaise: «Je lui disais quelquefois: «Vous êtes trop doux!– Ce n'est pas moi qui suis trop doux, répondait-il, c'est vous, sire, qui êtes trop dur.»
Le roi cependant ne voulut jamais consentir à ce qu'il prît sa retraite bien que, devenu plus qu'octogénaire, le père La Chaise la demandât; mais y mit-il assez d'insistance? «Il lui fallut porter le fardeau jusqu'au bout. La décrépitude et les infirmités ne purent l'en délivrer. Sa mémoire s'était éteinte, son jugement affaibli, ses connaissances brouillées, et Louis XIV se faisait apporter ce cadavre pour dépêcher avec lui les affaires accoutumées.»
Ainsi s'exprime Saint-Simon, si peu favorable aux Jésuites. Plus loin il ajoute: «Désintéressé en tout genre quoique fort attaché à sa famille; facile à revenir quand il avait été trompé, et ardent à réparer le mal que son erreur lui avait fait faire; d'ailleurs judicieux et précautionné, il ne fit jamais de mal qu'à son corps défendant. Les ennemis même des Jésuites furent forcés de lui rendre justice et d'avouer que c'était un homme de bien, honnêtement né et très-digne de remplir sa place.»
Sa conduite, à l'égard de ses nombreux ennemis, en est la meilleure preuve: «Libelles, couplets satiriques, histoires scandaleuses, dit M. de Chantelauze, ne cessèrent de l'assaillir de toutes parts durant tout le cours de son ministère. Bien qu'il eût en main un pouvoir qui dût inspirer de sérieuses craintes à ses ennemis, il ne se vengea de leurs calomnies en toute occasion que par le silence. Plusieurs puissantes cabales s'élevèrent sourdement contre lui pour le supplanter: il eut l'habileté de les découvrir à temps et de les déjouer sans en tirer vengeance et sans faire le moindre éclat.»
Le chancelier d'Aguesseau, un contemporain du père La Chaise et très-prévenu contre les Jésuites, dit aussi de lui: «Le père La Chaise était un bon gentilhomme, qui aimait à vivre en paix et à y laisser vivre les autres; capable d'amitié, de reconnaissance, et bienfaisant.»
Ce bon gentilhomme, comme dit assez singulièrement le célèbre magistrat, était brave à l'occasion, témoin ce passage d'une lettre de Boileau à Racine, datée de Mons, à l'époque du siége: «J'ai oublié de vous dire que, pendant que j'étais sur le mont Pagnotte, à regarder l'attaque, le R. P. de La Chaise était dans la tranchée et même tout près de l'attaque pour la voir plus distinctement. J'en parlais hier à son frère (capitaine des gardes) qui me dit tout naturellement: Il se fera tuer un de ces jours. Ne dites rien de cela à personne, car on croirait la chose inventée, et elle est très-vraie et très-sérieuse.»
Le P. La Chaise mourut à Paris, le 20 janvier 1709, à l'âge de quatre-vingt-cinq ans. Il était membre de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, et se montrait fort assidu aux séances.
Les Jésuites avaient acheté, en 1626, non loin de Paris, une maison de campagne appelée la Folie-Regnault, qu'ils nommèrent plus tard le Mont-Louis, en l'honneur du roi. Cette résidence que Louis XIV fit embellir et agrandir, par considération pour son confesseur, devint une villa fort agréable, comme on dirait aujourd'hui, où volontiers le père La Chaise aimait à venir se reposer et se distraire en compagnie de ses confrères. Aussi lorsque sous l'Empire, ce terrain fut converti en cimetière, le funèbre enclos prit le nom de La Chaise. Quand on songe qu'en soixante années au plus, le cimetière de l'Est, continuellement agrandi, est devenu l'immense nécropole que nous voyons, on ne peut s'empêcher de dire avec le refrain de la ballade allemande: Les morts vont vite.
CHARLEMAGNE
Nous ne saurions raconter ici la vie du grand Empereur, si célèbre dans les chroniques et les épopées du moyen-âge, d'autant plus que nous l'avons fait ailleurs assez longuement44 et que nous n'aimons point à nous répéter. Sauf quelques exceptions d'ailleurs, les récits de guerre n'entrent point dans notre nouveau cadre.
Mais nous trouvons, dans le vieux chroniqueur presque contemporain, connu sous le nom de moine de Saint Gal, un très-curieux épisode et qui nous semble avoir le mérite d'être parfaitement de circonstance avec la folie des mœurs actuelles. Nous reproduisons donc, tout au long, en le traduisant du latin, ce récit original et si fort empreint de ce qu'on appelle la couleur locale.
Un certain jour de fête, après la célébration de la messe, l'Empereur dit aux siens:
«Ne nous laissons point engourdir dans un repos qui nous mènerait à la paresse; allons chasser jusqu'à ce que nous ayons pris quelque venaison.»
La journée cependant était pluvieuse et froide, Charles portait comme à l'ordinaire un vêtement de peau de brebis de peu de valeur. Arrivant de Pavie, dont les marchands vénitiens avaient fait comme l'entrepôt du commerce de l'Orient, les grands au contraire étaient parés, ainsi qu'aux jours de fête, d'habits magnifiques en étoffes légères et moelleuses, ornées de plumes d'oiseaux de Phénicie et de plumes de paon, d'autres fois enrichies ou surchargées de fourrures, de pourpre de Tyr, et même de franges faites d'écorces de cèdre. L'Empereur ayant donné immédiatement le signal du départ, tous durent se mettre en chasse dans ce costume, et galoper tout le jour à travers les fourrés, les buissons et les ronces où les brillantes mais peu solides étoffes laissèrent maints lambeaux; elles furent en outre transpercées par la pluie, tachées par la boue comme par le sang des bêtes fauves tuées pendant la chasse. Puis au retour, comme les courtisans, tout honteux de leurs habits déchirés et flétris, grelottant aussi par le froid, se hâtaient de descendre de cheval pour courir changer de vêtements, l'Empereur, qui voulait que la leçon fût complète, dit d'un ton bref:
«Inutile de changer d'habits avant l'heure du coucher; ceux-ci sècheront mieux sur nous.»
Alors chacun, plus soucieux de son corps que de sa parure, s'empresse pour trouver un foyer où se réchauffer. Mais la chaleur du feu acheva de détériorer les minces étoffes et les légères fourrures qui, toutes grippées et plissées, se collaient sur les membres et le soir achevèrent de se gâter quand il fallut les retirer. Cependant l'Empereur avait donné l'ordre que tous, le lendemain, se présentassent devant lui avec le costume de la veille. On pense ce qu'il était. Il fallut obéir pourtant, mais non sans grande honte pour les illustres personnages, si fiers naguère de leurs vêtements superbes et chèrement payés qui maintenant, insuffisants à les couvrir, ressemblaient avec leurs trous et leurs taches aux haillons du pauvre. Charles alors, souriant non sans quelque malice, dit à l'un des serviteurs de sa chambre:
«Frotte un peu notre habit dans tes mains et apporte-nous-le.»
Le serviteur fit ce qui lui était ordonné. L'Empereur aussitôt, prenant de ses mains et montrant le vêtement redevenu parfaitement propre et où l'on ne remarquait ni tache, ni déchirure, s'écria:
«Ô les plus fous des hommes! Quel est maintenant le plus précieux et le plus utile de nos habits? Est-ce le mien que je n'ai acheté qu'un sou ou les vôtres si peu solides et qui vous ont coûté tant de livres pesant d'argent?»
Les courtisans, interdits et silencieux, baissaient la tête et la rougeur de leurs visages attestait leur confusion
CHATEAUBRIAND
I
«On n'est plus assez juste pour Chateaubriand tant vanté naguère!» écrivait un jour avec toute raison notre excellent confrère et ami Léon Gautier. Le temps est loin, hélas! où un poète républicain adressait à l'auteur du Génie du Christianisme cette épître qui n'est pas assurément l'une des pièces les moins remarquables de la Némesis:
… Aussi quand tu parus dans ton vol triomphant,
Fils du Nord, le Midi t'adopta pour enfant.
Oh! Dieu t'avait créé pour les sublimes sphères,
Où meurt le bruit lointain des mondaines affaires;
Il te mit dans les airs où ton vol s'abîma
Comme le grand condor que vénère Lima:
Oiseau géant, il fuit notre terre profane,
Dans l'océan de l'air il se maintient en panne;
Là, du lourd quadrupède il contemple l'abri,
L'aigle qui passe en bas lui semble un colibri,
Et noyé dans l'azur comme une tache ronde,
On dirait qu'immobile il voit tourner le monde.
C'était là ton domaine alors, que revenant
Des huttes du Sachem sur le vieux continent,
Tu t'élevas si haut d'un seul bond que l'Empire
Un instant s'arrêta pour écouter ta lyre.
Le monde des beaux-arts à peine renaissant
Se débattait encore dans son limon de sang;
Ce chaos attendait ta parole future;
Tu dis le fiat lux de la littérature.
Quelques années après, un illustre orateur, du haut de la chaire de Notre-Dame, adressait au même poète un hommage plus solennel encore quoique en moins de paroles: «… Et tant d'autres que je ne veux pas nommer, pour ne pas approcher trop près des grands noms de l'époque; car, si j'en approchais, pourrais-je m'empêcher de saluer cet illustre vétéran, ce prince de la littérature française et chrétienne, sur qui la postérité semble avoir passé déjà tant on respire dans sa gloire le parfum et la paix de l'antiquité.»
Ce langage dans la bouche de Lacordaire étonnerait sans doute aujourd'hui que, provoquée surtout par les Mémoires d'Outre tombe, la réaction s'accentue si énergiquement et ne reste pas toujours dans la juste mesure. Du grand écrivain si l'on ne se tait pas, on parle presque avec le ton du dédain, et cela de jeunes Messieurs tout fiers d'écrire, au courant de la plume et sans râture dans le journal en vogue, la chronique quotidienne et qui croient bien dans le for intérieur que feu Chateaubriand ne leur va pas à la cheville. Le chantre des Martyrs! bath, un phraseur et qui avait l'ingénuité de croire que les écrits, dignes de ce nom, ne s'improvisent pas, que:
La méditation du génie est la sœur;
que les grandes pensées ne sauraient se passer de la nouveauté et de la splendeur de la forme. Quoique on prétende aujourd'hui, Chateaubriand n'est pas le premier venu dans la république des lettres et il a laissé bon nombre de pages qui sont des plus belles de notre langue et que ne doit pas dédaigner la postérité. Dans le Génie du Christianisme en particulier, si l'auteur avec un grand appareil scientifique, se montre parfois médiocre docteur, faible théologien, polémiste arriéré; si, comme critique littéraire, il laisse à désirer par exemple lorsqu'il s'emporte à des louanges tellement hyperboliques pour B. Pascal dont «les Pensées tiennent plus du Dieu que de l'homme;» il n'est que juste de reconnaître que beaucoup de chapitres, tout le livre en particulier relatif à l'histoire naturelle, Instinct des Oiseaux, Migrations des Oiseaux, des Plantes etc., n'ont rien perdu de leur fraîcheur et de leur éclat. Il y a là un souffle puissant, un parfum de grâce et de poésie dont l'âme se sent doucement pénétrée comme d'une rosée céleste. Il en est de même de bien des pages qu'un chrétien seul pouvait écrire et dans lesquelles vibre l'accent de la conviction, le chapitre sur l'Extrême-Onction entre autres, ceux relatifs aux Missions, etc. Sans doute on peut reprocher parfois à l'auteur dans son meilleur langage un peu trop d'alliage et le mélange de locutions profanes; mais qui sait si ce n'était point une nécessité de l'époque et si, pour être compris de son siècle, il ne fallait pas ce style parfois un peu bariolé et qui s'efforce le plus possible de dérober aux regards ce que Bossuet appelle éloquemment «la face hideuse de l'Évangile?»
Pour juger sainement du livre et tenir compte à l'auteur de tout le bien qu'il a produit, il faut se rappeler dans quelles circonstances il parut et quel était l'état général des esprits au lendemain du XVIIIe siècle et de la Révolution. Voici à ce sujet et comme indication sûre, d'après un témoin oculaire, ce qui se passait en 1797 ou 1798 dans l'atelier du peintre David:
«Il arriva qu'un des élèves, en racontant une histoire bouffonne, y mêla à plusieurs reprises le nom de Jésus-Christ. La première fois, Maurice ne dit rien, seulement sa physionomie devint sévère; mais lorsque le conteur eut répété de nouveau le nom sacré, alors les yeux du chef de la secte des penseurs s'enflammèrent, et Maurice fit taire le mauvais plaisant en lui imposant impérieusement silence. L'étonnement des élèves parut grand; mais il ne fut exprimé que sur la physionomie de chacun qui resta muet. Maurice était sujet à des colères très-vives, mais qui duraient peu; il avait d'ailleurs du tact, et en cette occasion, il sentit la nécessité de justifier par quelques paroles la hardiesse de la sortie qu'il venait de faire:
« – Belle invention vraiment, dit-il en continuant de peindre, que de prendre Jésus-Christ pour sujet de plaisanterie! Vous n'avez donc jamais lu l'Évangile tous tant que vous êtes? L'Évangile! c'est plus beau qu'Homère, qu'Ossian! Jésus-Christ au milieu des blés, se détachant sur un ciel bleu! Jésus-Christ disant: «Laissez venir à moi les petits enfants!» Cherchez donc des sujets de tableaux plus grands, plus sublimes que ceux-là! Imbécile, ajouta-t-il en s'adressant avec un ton de supériorité amicale à son camarade qui avait plaisanté, achète donc l'Évangile et lis-le avant de parler de Jésus-Christ.»
«Il faut le répéter, de telles paroles, dites à cette époque et dans un lieu tout à fait public, eussent certainement excité de la rumeur et pu compromettre la sûreté du harangueur. Tous les élèves le sentirent bien; car lorsque Maurice eut cessé de parler, il y eut un intervalle de silence assez long pendant lequel tout le monde se consulta du regard pour savoir comment on prendrait la chose.
«Le brave Moriès trancha la difficulté: «C'est bien cela, Maurice!» dit-il d'une voix ferme; et à peine ces mots eurent-ils été prononcés que tous les élèves crièrent à plusieurs reprises: Vive Maurice!
«On aurait tort de croire cependant que, dans le sentiment généreux que fit éclater cette jeunesse, il entrât des idées de piété. À l'atelier de David, comme par toute la France alors, on était et l'on affectait surtout d'être très-indévot.»
C'est à ce moment là même ou bientôt après, que parut le livre de Chateaubriand et l'on sait avec quel immense succès. Il fallait pour cela qu'il parlât au siècle une langue que celui-ci pût tout d'abord comprendre, qui lui fût sympathique bien loin de l'effaroucher, ce qui n'empêche pas que cette langue riche, imagée, colorée, brillantée, mais parfois trop humaine, n'ait fréquemment aussi la vraie note chrétienne, capable de faire sur le lecteur une heureuse impression, plus sans doute qu'on ne veut l'admettre aujourd'hui. Il nous semble que le livre, débarrassé du fatras scientifique et soi-disant théologique, et allégé par quelques autres retranchements, pourrait être grandement utile encore. Dans nul autre peut-être de ses ouvrages, Chateaubriand ne fut mieux inspiré, moins obsédé de préoccupations étrangères ou personnelles, et l'on sent à l'énergie de son accent, à la vivacité de sa foi, qu'il était dans toute la ferveur du néophyte et sous le coup encore du douloureux événement qui l'avait frappé comme un coup de foudre en déterminant sa conversion ainsi que lui-même l'a proclamé dans une page éloquente:
«Ma mère, dit-il, après avoir été jetée à soixante-douze ans dans les cachots où elle vit périr une partie de ses enfants, expira sur un grabat où ses malheurs l'avait reléguée. Le souvenir de mes égarements répandit sur ses derniers jours une grande amertume. Elle chargea, en mourant, une de mes sœurs de me rappeler à cette religion dans laquelle j'avais été élevé. Ma sœur me manda les derniers vœux de ma mère; quand la lettre me parvint au delà des mers, ma sœur elle-même n'existait plus; elle était morte aussi des suites de son emprisonnement. Ces deux voix sorties du tombeau, cette mort qui servait d'interprète à la mort, m'ont frappé; je suis devenu chrétien; je n'ai point cédé, j'en conviens, à de grandes lumières surnaturelles; ma conviction est sortie de mon cœur; j'ai pleuré et j'ai cru.»
L'Itinéraire de Paris à Jérusalem est un livre des plus remarquables et dans lequel on sent la conviction comme aussi sans doute dans les Martyrs encore que Chateaubriand, dominé par ses souvenirs ou ses préjugés classiques, ait fort enguirlandé, enjolivé, poétisé le paganisme de la décadence qui fait trop belle figure en vérité à côté du christianisme de l'âge d'or ou de l'âge héroïque. Puis dans tel chapître, l'épisode de Velléda par exemple, le langage des passions terrestres, des passions coupables, fait explosion avec trop de violence et ce n'est pas à tort que Feller a dit: Un reproche assez grave a été fait à Chateaubriand; dans le tableau qu'il fait des passions, ses peintures sont si voluptueuses qu'elles ne peuvent être mises sans danger sous les yeux de la jeunesse et qu'elles seraient même capables de troubler l'âge mûr et la vieillesse.» Reproches qui peuvent et doivent s'adresser à Réné, Atala, les Martyrs, la Vie de Rancé.
Dans des livres même sérieux pour le fond comme pour la forme, les Études et Discours historiques par exemple, l'illustre écrivain, qu'on ne saurait excuser parfois de témérité, quant à ses appréciations des faits politiques ou religieux, n'est pas toujours assez discret dans ses peintures ou ses citations, qu'il s'agisse des mœurs des païens ou de celles de telle période de notre histoire. On ne saurait l'excuser par exemple de sa complaisance à citer tout au long, à propos du règne de Henri III, un immonde épisode qu'il copie textuellement dans Brantôme, (Les Femmes galantes). Ces passages risqués et ces témérités de langage sont d'autant plus regrettables que le livre est en général écrit de la meilleure plume du maître, qu'il abonde en portraits étonnants de relief, en tableaux saisissants, en réflexions et commentaires vraiment éloquents.