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Kitabı oku: «Les rues de Paris, Tome Premier», sayfa 12

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Chauveau-Lagarde mourut en chrétien, il n'est pas besoin de le dire, à Paris, le 24 février 1841, ne laissant qu'une fortune modeste et bien inférieure à celle que son grand talent et sa réputation pouvaient lui faire acquérir s'il n'eût point été aussi désintéressé.

Depuis longues années dans la tombe l'avait précédé l'autre défenseur de Marie-Antoinette, Tronçon-Ducoudray, mort, victime de son dévouement, à Synnamarie, où il avait été déporté.

QUELQUES MOTS SUR LA CHEVALERIE 48

«On place ordinairement l'institution de la chevalerie à l'époque de la première croisade, dit Chateaubriand, quoiqu'elle remonte à une date fort antérieure. Elle est née du mélange des nations arabes et des peuples septentrionaux, lorsque les deux grandes invasions du Nord et du Midi se heurtèrent sur les rivages de la Sicile, de l'Italie, de la Provence, et dans le centre de la Gaule,» ce qui ferait remonter l'institution à la seconde moitié du VIIIe siècle, mais son existence officielle, si l'on me permet cette expression, ne date guère que du XIe siècle et ce n'est qu'à cette époque qu'on la voit régulièrement organisée.

»Mais, dit l'historien déjà cité, on a eu tort de vouloir faire des chevaliers un corps de chevalerie. Les cérémonies de la réception du chevalier, l'éperon, l'épée, l'accolade, la veille des armes, les grades de page, de damoiseau, de poursuivant, d'écuyer, sont des usages et des institutions militaires qui remplaçaient d'autres usages et d'autres institutions tombées en désuétude; mais ils ne constituaient pas un corps de troupes homogène, discipliné, agissant sous un même chef, dans une même subordination. Les ordres religieux chevaleresques ont été la cause de cette confusion d'idées; ils ont fait supposer une chevalerie historique collective, lorsqu'il n'existait qu'une chevalerie individuelle. Au surplus, cette chevalerie fut délicate, vaillante, généreuse, et garda l'empreinte des deux climats qui la virent éclore; elle eut le vague et la rêverie du ciel noyé des Scandinaves, l'éclat et l'ardeur du ciel pur d'Arabie.»

Dans ces temps si différents des nôtres, où la guerre était en quelque sorte l'état normal de la société, où la police, à vrai dire, n'existait point, le but avoué du chevalier, sa mission glorieuse autant qu'utile, était la protection du faible, de la femme, de la veuve, comme de l'orphelin.

 
La terre a vu jadis errer des paladins;
Ils flamboyaient ainsi que des éclairs soudains,
Puis s'évanouissaient, laissant sur les visages
La crainte et la lueur de leurs brusques passages,
Ils étaient dans des temps d'oppression, de deuil
 
 
.....
 
 
Les spectres de l'honneur du droit, de la justice;
Ils foudroyaient le crime, ils souffletaient le vice;
On voyait le vol fuir, l'imposture hésiter,
Blêmir la trahison, et se déconcerter
Toute puissance injuste, inhumaine, usurpée,
Devant ces magistrats sinistres de l'épée…
 

a dit admirablement le poète. Le dévouement aux dames, l'inviolable fidélité à la parole jurée, la défense du prêtre, du religieux, du pèlerin, du berger gardant son troupeau, ou du laboureur piquant ses bœufs, tels étaient les devoirs du chevalier, et auxquels il s'engageait par des serments solennels. Comme, au reste, pendant longtemps, à ces devoirs la plupart se montrèrent généreusement fidèles, l'institution rendit à la civilisation d'immenses services, dont les peuples lui furent reconnaissants. Aussi, quoique disparue depuis des siècles, elle a laissé, ainsi qu'on l'a dit, «des traces ineffaçables de son souvenir dans nos mœurs, dans nos idées, dans notre langage, dans les rapports de famille, et dans le droit des gens.»

Mais on ne peut dissimuler pourtant que, par l'exaltation de certains sentiments, la chevalerie, celle surtout qu'on appelait la chevalerie errante, fut entraînée à des écarts qui précipitèrent sa décadence, écarts qu'aujourd'hui nous avons peine à croire, tant sont prodigieuses ces exagérations, dont plusieurs, tout probablement, furent des actes de folie véritable qui conduiraient maintenant leur auteur à Charenton. Il y eut alors chez certains chevaliers un étrange amalgame des pratiques de la religion avec la fidélité, on pourrait dire, la dévotion à la Dame de leurs pensées, dont le culte devenait une espèce d'idolâtrie à la fois superstitieuse et fanatique. Car le chevalier prenait les couleurs de sa dame, subissait avec une humble soumission ses dédains, ses caprices, si déplaisants qu'ils fussent; bien plus, il l'invoquait à l'heure du combat, même à l'heure de la mort. C'est à cette divinité terrestre qu'il rapportait toute la gloire de ses exploits.

On voyait, pour citer quelques exemples, tel chevalier qui, pour expier un tort souvent imaginaire, s'arrachait un ongle, se coupait même un doigt, qu'il envoyait en témoignage de repentir à la belle offensée. Un autre se couvrait un œil d'un bandeau et se condamnait à ne pas y voir pendant un laps de temps considérable. Qu'auraient fait de plus les faquirs de l'Inde? Un troisième parcourait le monde costumé d'une façon ridicule, en Vénus, en Junon, par exemple, mais d'ailleurs armé de la lance, et, sous son vêtement féminin, couvert de l'armure, il forçait tous les chevaliers qu'il rencontrait à rompre une lance en l'honneur de sa dame. D'autres, et nullement pour l'amour du ciel, s'imposaient des jeûnes excessifs, de longues et pénibles retraites dans les lieux les plus déserts, les bois et les rochers, en s'exposant à toutes les intempéries des saisons, comme fit l'Orlando furioso, d'après un poète trop célèbre.

L'Église dut plus d'une fois intervenir pour réprimer ces excès, et il ne fallut pas moins que sa haute et sainte autorité et sa fermeté pour y réussir, en tournant cette fiévreuse exaltation vers le bien, ce qui donna naissance aux ordres religieux et militaires, ou du moins servit à leur développement.

La vie du chevalier était soumise à des règles comme à des épreuves, lors de ses débuts; un noviciat assez long précédait d'ordinaire la réception, qui se faisait de la façon la plus solennelle et avec des cérémonies à la fois graves et touchantes dont le jeune chevalier devait se souvenir à jamais. Parfois cependant, vu la nécessité pressante, dans le déclin de l'institution surtout, la chevalerie se conférait sur la brèche, dans la tranchée d'une ville assiégée ou sur le champ de bataille. C'est ainsi qu'à Marignan, François Ier voulut être armé chevalier de la main de Bayard.

«Bayard, mon ami, lui dit-il d'après un vieil auteur, je veux être aujourd'hui fait chevalier par vos mains; car avez vertueusement, en plusieurs royaumes et provinces, combattu contre plusieurs nations… Donc, mon ami, dépêchez-vous.»

»Alors prit son épée Bayard, et dit:

«Sire, autant vaille que si estais Roland ou Olivier, Godefroy ou Baudouin, son frère.

»Et puis après, cria hautement l'épée en la main droite:

«Tu es bienheureuse d'avoir aujourd'hui, à un si beau et puissant roi, donné l'ordre de la chevalerie. Certes, ma bonne épée, vous serez moult bien comme relique gardée, et sur toutes autres honorée, et ne vous porterai jamais si ce n'est contre Turcs, Sarrasins et Mores.»

«Et puis fait deux sauts, et après remet au fourreau son épée.»

Pour la chevalerie, existait la dégradation, à laquelle on était condamné pour crime de félonie, et qui s'accomplissait avec des circonstances qui la rendaient terrible. On faisait monter le coupable sur un échafaud dressé tout exprès en place publique. Là, on brisait sous ses yeux les deux pièces de son armure; son écu, le blason gratté, était attaché à la queue d'une cavale pour être traîné par les rues. Le héraut d'armes outrageait, par toutes les injures que l'imagination pouvait lui fournir, le misérable, fou de honte et de douleur. Les prêtres alors récitaient les vigiles funèbres, terminées par les malédictions du psaume 108. Puis quelqu'un demandait par trois fois le nom du dégradé, et par trois fois le héraut répondait: «Nescio! Je ne connais pas le nom de cet homme; il n'y a devant nous qu'un parjure et un félon.»

Tout n'était pas fini pourtant: car, après qu'on avait répandu sur la tête du coupable un bassin d'eau chaude, il était tiré jusqu'au pied de l'échafaud avec une corde. Là, on l'étendait sur une civière en le couvrant d'un drap mortuaire, et dans cet état on le portait à l'église voisine, où le clergé, sur un mode lugubre et lent, psalmodiait à l'intention de cette espèce de cadavre, de ce mort vivant, les prières des défunts. Effrayant spectacle! mais admirable aussi, mais salutaire, qui devait faire sur les esprits, ou plutôt sur les cœurs, une impression ineffaçable et rendre, pour ceux-là surtout qui en avaient été les témoins, la violation du serment presque impossible

DE CHEVERUS (LE CARDINAL)

De Cheverus (Jean Louis Anne-Madeleine) né à Mayenne, le 28 janvier 1768, d'une ancienne famille de magistrats, «s'est attiré dans les deux mondes, dit M. Delambre, par sa piété et ses vertus, l'estime et l'affection des hommes même les plus opposés à ses croyances; et revenu au sein de sa patrie après trente années d'absence, il a retracé le même spectacle d'une vie pure, apostolique, gagnant tous les cœurs, multipliant les fidèles, par son aimable simplicité et l'inaltérable aménité de son caractère.»

«Nous l'avons vu au milieu de nous, écrivait à l'époque de sa mort un pieux ecclésiastique, tel qu'il avait été à Boston et à Montauban, inspirant l'amour par toutes les qualités qui gagnent les cœurs, commandant le respect par les vertus les plus éminentes. Dans sa conduite comme évèque, comme homme privé, il a toujours été égal à lui-même, c'est-à-dire plein d'une haute sagesse, ne s'occupant que de ses devoirs et se conciliant par son zèle, sa prudence, sa douceur, sa charité, sa simplicité, une vénération et une confiance universelles.»

Écoutons maintenant le témoignage des protestants. Un journal de Boston, en parlant de M. de Cheverus et de l'abbé de Malignon, s'exprime ainsi: «Ces hommes sont si savants qu'il n'y a pas moyen d'argumenter avec eux; leur vie est si pure et si évangélique qu'il n'y a rien à leur reprocher.

Dans un autre numéro du même journal on lit encore: «En voyant de tels hommes, qui peut douter s'il est permis à la nature humaine d'approcher de la perfection de l'Homme-Dieu et de l'imiter de très près.»

Une autre fois, c'est un protestant de la ville qui vient trouver l'abbé de Cheverus pour lui dire les larmes aux yeux: «Je ne croyais pas qu'un homme de votre religion pût être un homme de bien; je viens vous faire réparation d'honneur; je vous déclare que je vous estime et vénère comme le plus vertueux que j'aie connu.»

Voilà, pris au hasard entre mille, quelques-uns des témoignages publiés ou privés d'admiration et d'estime rendus à ce saint évèque qui fit bénir dans les deux mondes sa charité inépuisable, héroïque parfois, comme sa douceur merveilleuse, et fut dans ce siècle tourmenté un autre St-François de Sales. N'est-ce pas un bonheur d'avoir à raconter, quoique, hélas! trop brièvement, cette vie si pleine et dans laquelle abondent les traits touchants ou sublimes? Heureux si nous pouvons faire passer dans l'âme du lecteur quelques-unes des émotions qui, plus d'une fois, ont remué délicieusement notre cœur, et fait trembler des larmes à nos paupières! Mais c'est trop insister sur l'exorde, venons aux preuves, à savoir aux faits eux-mêmes dont l'éloquence sera bien autrement persuasive que tous les discours.

Après avoir fait avec succès ses études classiques au collége de Louis-le-Grand, le jeune Cheverus, aspirant à l'honneur du sacerdoce, étudia la théologie au collége de St-Magloire tenu par les Oratoriens. Ferme dans sa vocation bien que l'avenir fût gros de menaces qui ne devaient que trop tôt devenir des réalités, il fut ordonné prêtre le 18 décembre 1790, lors de la dernière ordination publique qui ait eu lieu à Paris avant la Révolution, alors que déjà l'Église, dépouillée de tous ses biens, la constitution civile du clergé décrétée avec obligation du serment, le prêtre fidèle à ses devoirs se voyait placé entre sa conscience et le martyre. Pour le jeune de Cheverus le choix n'était pas douteux: il refusa le serment, et pendant deux ans, ne s'en dévoua pas moins aux saintes fonctions de son ministère qu'il lui fallait exercer d'ordinaire en secret au milieu de continuelles alarmes. Vers la fin de l'année 1792 cependant, alors que tous les prêtres insermentés se voyaient condamnés à la déportation, l'abbé de Cheverus put, à l'aide d'un passeport, passer en Angleterre. Pour s'y créer des ressources, il entra comme professeur de français dans une pension tenue par un ministre protestant, et, en moins d'une année, il avait appris la langue anglaise dont il ne connaissait pas le premier mot lors de son arrivée dans l'île. Il s'exprimait assez bien déjà pour pouvoir se charger du service d'une chapelle catholique à Londres et même faire des instructions dans la langue du pays. Cependant, par un touchant scrupule, doutant qu'il pût être compris par tous, la première fois qu'il prêcha, après être descendu de chaire, il s'approcha d'un des auditeurs qu'à son extérieur il jugeait devoir être un artisan, et lui demanda:

– Pardon, mon ami, j'aurais une petite question à vous faire.

– Faites, monsieur, l'abbé, je tâcherai d'y répondre de mon mieux.

– Vous assistiez au sermon, je crois. Là, franchement, la main sur la conscience, m'avez-vous toujours entendu, c'est-à-dire compris? Ce n'est pas un compliment que je vous demande.

– Monsieur le curé, en toute sincérité, voici ce que je puis vous répondre: votre sermon n'était pas comme ceux des autres, il n'y avait pas un seul mot du dictionnaire, tous les mots se comprenaient tout seuls.

Dans le courant de l'année 1795, le jeune prêtre reçut une lettre de l'abbé de Malignon, ancien docteur et professeur en Sorbonne, qui, lors de la Révolution, était passé en Amérique où ses talents et ses vertus, dignement appréciés, trouvaient largement à s'exercer. De Boston qu'ils habitait, il écrivait au jeune de Cheverus, qu'il avait connu naguère en France, pour lui demander de venir l'aider dans l'exercice de son laborieux mais fructueux ministère. L'abbé de Cheverus, assuré que là bas il y avait plus de bien à faire encore qu'en Angleterre où, grâce à la proscription, les prêtres catholiques se comptaient par centaines, partit pour l'Amérique. On pense avec quelles larmes paternelles, le vénérable abbé de Malignon serra dans ses bras et sur son cœur, ce frère ou plutôt ce fils qui lui apportait, dans son lointain exil, avec la joie de sa présence, comme un parfum de la patrie qu'il n'espérait plus revoir. Puis, pour l'apôtre qui déjà commençait à sentir le poids des ans, quel bonheur de pouvoir compter sur le zèle de ce vaillant, de ce savant, de ce vertueux collaborateur, au bout de quelques mois estimé, aimé, apprécié dans la ville à l'égal de lui-même et qu'il savait capable, au besoin, de le suppléer, malgré sa jeunesse, dans les circonstances les plus difficiles! Aussi qu'on juge de son émotion quand un matin arriva un message de l'évêque de Baltimore, qui, instruit par la voix publique des mérites du prêtre français, lui offrait la cure importante de Sainte-Marie à Philadelphie. Mais, sans hésiter d'un instant, l'abbé de Cheverus, tout en remerciant Mgr Carrol dans les termes les plus respectueux comme les plus chaleureux, répondit qu'il ne pouvait, dans aucun cas, se séparer de l'abbé de Malignon qui l'avait appelé en Amérique et était pour lui non pas seulement un vénérable ami, mais un bien-aimé père.

Pourtant, à quelque temps de là, il le quittait, à la vérité pour une absence seulement de quelque mois employés à évangiliser les bons Indiens de Passamaquody et de Penobscot, une mission qui fut des plus pénibles au point de vue de la fatigue matérielle, mais dont il fut amplement dédommagé par ces consolations les plus douces au cœur de l'apôtre. «Jamais il n'avait fait encore pareille route» dit l'éloquent auteur49 de cette Vie de cardinal de Cheverus qu'il n'est plus besoin de recommander:

«Une sombre forêt, aucun chemin tracé, des broussailles et des épines à travers lesquelles il était obligé de s'ouvrir un passage et puis, après de longues fatigues, point d'autre nourriture que le morceau de pain qu'ils avaient pris à leur départ; le soir pas d'autre lit que quelques branches d'arbres étendues par terre, et encore fallait-il allumer un grand feu tout autour pour éloigner les serpents et autres animaux dangereux qui auraient pu, pendant le sommeil, leur donner la mort. Ils marchaient ainsi depuis plusieurs jours lorsqu'un matin (c'était un dimanche), grand nombre de voix, chantant avec ensemble et harmonie, se font entendre dans le lointain. M. de Cheverus écoute, s'avance et à son grand étonnement il discerne un chant qui lui est connu, la messe royale de Dumont, dont retentissent nos grandes églises et cathédrales de France, dans nos plus belles solennités. Quelle aimable surprise et que de douces émotions son cœur éprouva! Il trouvait réunis à la fois dans cette scène l'attendrissant et le sublime; car quoi de plus attendrissant que de voir un peuple sauvage, sans prêtres depuis cinquante ans, et qui n'en est pas moins fidèle à solenniser le jour du Seigneur; et quoi de plus sublime que ces chants sacrés inspirés par la piété seule, retentissant au loin dans cette immense et majestueuse forêt?»

Trois mois s'étaient écoulés au milieu des fatigues et des consolations abondantes de cette heureuse mission, lorsque un message, arrivé non sans peine à l'abbé de Cheverus, le fit revenir en toute hâte à Boston où la fièvre jaune avait éclaté. Le prêtre intrépide, pareil au soldat que le champ de bataille attire, accourut aussitôt au poste du péril, et comme si lui-même il eut été invulnérable, il se prodigua de jour et de nuit, à la fois aumônier, infirmier, ensevelisseur au besoin. Comme quelques amis le blâmaient de se ménager trop peu et de s'exposer même témérairement, il fit cette réponse qu'on eût dû écrire en lettres d'or sur quelque monument de la ville:

«Il n'est pas nécessaire que je vive, mais il est nécessaire que les malades soient soignés et les moribonds assistés.»

Est-il besoin d'ajouter que ces nouvelles preuves d'un dévouement si souvent héroïque ne firent qu'ajouter à la vénération de tous «catholiques et protestants pour le bon prêtre; en voici une preuve des plus touchantes:

»Chose remarquable! dit M. Delambre, dans les repas de cérémonie où les bienséances l'obligeaient à se trouver et où assistaient jusqu'à trente ministres de sectes diverses, c'était toujours lui que le maître de la maison et les ministres eux-mêmes invitaient, comme le plus digne, à bénir la table et qui faisait avec le signe de la croix la prière accoutumée de l'Église catholique.»

Le nombre des fidèles, grâce à de tels exemples, allant toujours en augmentant, la chapelle devenait insuffisante d'autant plus que nombre de protestants ne se montraient pas moins empressés que les catholiques pour assister aux instructions et même aux offices. L'abbé de Cheverus, afin de répondre aux désirs de ces âmes pieuses, prit courageusement l'initiative d'une souscription ayant pour but la construction d'une église; et le président des États-Unis à cette époque, John Adams fut le premier, quoique protestant, à s'inscrire sur la liste «couverte bientôt des noms les plus honorables protestants aussi bien que catholiques.»

L'abbé de Cheverus fit aussitôt creuser les fondations; mais, dans son zèle conseillé par la prudence, quand les sommes par lui reçues se trouvèrent épuisées, il suspendit les travaux et ne permit de les reprendre qu'après avoir touché l'argent nécessaire. Dans un pays où la banqueroute est endémique, il croyait ne pouvoir être trop prudent en n'escomptant point par le crédit un avenir incertain et des ressources éventuelles; car des dettes, s'il n'eût pu tenir à ses engagements, c'était pour son ministère encore plus que pour lui-même la déconsidération et la ruine de toute influence.

Dans le courant de l'année 1803, il eut occasion de prouver que chez lui la charité la plus sublime, la compassion la plus tendre s'unissaient à toute la vigueur d'une âme sacerdotale. Deux pauvres Irlandais, condamnés à mort pour un crime dont ils étaient innocents, lui écrivirent de la prison de Northampon pour réclamer le secours de son ministère. La lettre reçue, l'abbé part aussitôt et prodigue à ces infortunés toutes les consolations que lui suggère un cœur attendri par la pitié en même temps qu'exalté par la foi. Le jour fixé pour l'exécution arrive; il est d'usage, paraît-il, aux États-Unis, c'était du moins la coutume à cette époque, de conduire, avant de le mener au milieu du supplice, le condamné à l'église ou au temple pour y entendre une suprême exhortation.

L'abbé de Cheverus, monté en chaire, aperçoit au-dessous de lui toute une foule empressée et compacte, composée de femmes surtout, qui venaient attirées par une curiosité blâmable et pour assister aux derniers moments des malheureux condamnés. Alors, enflammé d'une sainte indignation, lui d'ordinaire tout onction et toute douceur, il s'écrie avec le geste véhément et la voix tonnante d'un Bridaine:

«Les orateurs sont ordinairement flattés d'avoir un auditoire nombreux et moi j'ai honte de celui que j'ai sous les yeux. Il y a donc des hommes pour qui la mort de leurs semblables est un spectacle de plaisir, et un objet de curiosité? Mais vous surtout, femmes, que venez-vous faire ici? Est-ce pour essuyer les sueurs froides de la mort qui découlent du visage de ces infortunés? Est-ce pour éprouver les émotions douloureuses que cette scène doit inspirer à toute âme sensible? Non sans doute: c'est donc pour voir leurs angoisses et les voir d'un œil sec, avide et empressé? Ah! j'ai honte pour vous et vos yeux sont pleins d'homicide. Vous vous vantez d'être sensibles et vous dites que c'est la première vertu de la femme; mais si le supplice d'autrui est pour vous un plaisir et la mort d'un homme un amusement de curiosité qui vous attire, je ne dois plus croire à la vertu; vous oubliez votre sexe, vous en faites le déshonneur et l'opprobre.»

Ambroise ou Chrysostôme n'aurait pas mieux dit. À de tels élans on reconnaît le grand cœur; et c'est à eux surtout que peut s'appliquer cette belle parole de Lacordaire: «L'éloquence c'est l'âme même.» Après cette terrible apostrophe, il n'est pas besoin de dire qu'autour de l'échafaud rares furent les curieux et surtout les curieuses. Personne cependant ne garda rancune au courageux apôtre, et, tout au contraire, ce fut une joie universelle quand, quelques années après, on apprit que l'abbé de Cheverus, promu à l'épiscopat, était choisi pour remplir l'un des quatre nouveaux siéges érigés en Amérique, celui de Boston, diocèse comprenant toute la Nouvelle-Angleterre. Cette haute dignité avait été proposée d'abord à l'abbé de Malignon, qui certes en était digne par ses vertus et par sa science; il en donna la meilleure preuve puisque, dans son humilité, il fit si bien que M. de Cheverus fut nommé à sa place comme plus apte à remplir ces hautes fonctions dans les circonstances actuelles.

Le nouvel évêque d'ailleurs ne trompa point l'attente de son ami ni celle de ses ouailles, et sa dignité ne refroidit en rien l'ardeur de son zèle, bien au contraire. Évêque, il resta missionnaire, se faisant tout à tous selon la parole du grand Paul, et continuant d'exercer toutes les fonctions du saint ministère, baptisant, confessant, catéchisant, visitant les pauvres, les malades, et les plus délaissés, les plus abandonnés. Un jour, la vieille domestique qui le servait remarque que Monseigneur, sorti de bonne heure pour se rendre à l'église, rentrait plus tard qu'à l'ordinaire, et sur ses vêtements froissés elle aperçoit des traces de poussière mêlée avec un grossier duvet. Le lendemain et le jour suivant, elle fait la même remarque. Alors, se doutant bien qu'il y avait là quelque touchant mystère de charité, et craignant que son maître ne fût entraîné par son zèle, elle le suit à distance un matin et le voit, dans un faubourg éloigné de la ville, entrer dans une cabane. Elle s'approche, et alors, appuyée contre la cloison, retenant son souffle, elle regarde à travers les planches mal jointes, et que voit-elle? sur un misérable grabat, un pauvre vieux nègre, malade, infirme que l'évêque, agenouillé près de lui, console, encourage, en lui parlant comme un père eût fait à son fils. Après avoir allumé du feu, il le découvre doucement, panse ses plaies, puis il lui fait manger les aliments préparés de ses propres mains, et l'ayant ensuite recouché avec la plus tendre sollicitude, il lui dit adieu en l'embrassant tout inondé des larmes du pauvre noir qui ne trouvait pas de mots pour exprimer sa gratitude, mais ne fut pas aussi muet quand, plus tard convalescent, il s'agit de la publier dans la ville, malgré le silence à lui recommandé par le prélat.

Une autre fois, c'est un brave matelot qui, au retour d'un long voyage, trouve, montant son escalier et portant une charge de bois sur l'épaule, le bon évêque auquel, avant de partir, il avait recommandé naïvement sa femme et qui, à défaut d'une sœur de charité, faisait auprès de la pauvre malade les fonctions d'infirmier. On conçoit après des traits pareils, qui se renouvelaient chaque jour, que l'évêque de Boston fût des plus chers à son troupeau. Nombre de gens voulaient au baptême donner à leurs fils le nom de Jean par affection pour leur pasteur. Un jour, celui-ci demandant au parrain selon l'usage quel nom il voulait donner à l'enfant, l'autre répondit:

– Jean de Cheverus, évêque.

– Comment dites-vous?

– Jean de Cheverus, évêque! reprit le brave homme sans sourciller. Le prélat sourit, puis il murmura:

– Pauvre enfant, Dieu te garde de jamais le devenir! Ce n'est pas un léger fardeau.

Vers la fin de l'année 1818, Mgr de Cheverus eut une grande douleur, il perdit son ami, son père, le bon abbé Malignon. Le chagrin qu'il ressentit de cette perte comme ses fatigues et ses occupations qui s'en accrurent, le défunt n'ayant pu d'abord être remplacé, eurent une action fâcheuse sur sa santé. Son état même devint assez pénible pour qu'il prît conseil des médecins; tous furent d'avis que le climat rigoureux de Boston lui était contraire, à ce point qu'à leur dire un nouvel hiver passé par lui sous ce ciel inclément pourrait être mortel. Qu'on juge des perplexités de l'évêque alors que, dans le même temps, il recevait du roi Louis XVIII l'invitation ou plutôt l'ordre de revenir en France pour y occuper l'un des siéges vacants. M. Hyde de Neuville, dans un récent voyage à Boston, avait vu son compatriote à l'œuvre et n'avait pu se tenir, après son retour, d'en parler au roi. M. de Cheverus, bien que son cœur fût resté tout français, et qu'il lui semblât doux de revoir la terre natale, ne pouvait se décider pourtant à se séparer de ses enfants d'adoption, et à une lettre plus pressante du grand aumônier, parlant au nom du roi, il répondit «qu'il suppliait Sa Majesté de lui pardonner de faire ce qu'il croyait devant Dieu être de son devoir.»

Le refus ne fut pas admis, et le grand aumônier insista dans les termes les plus énergiques précisément alors que les médecins déclaraient le climat de Boston trop rigoureux pour l'évêque. Mgr de Cheverus, dont le cœur était combattu et comme déchiré entre deux partis vers lesquels il inclinait également, se résigna enfin au départ. Dieu sait ce qu'il lui en coûtait et avec quelles larmes il se sépara de son troupeau désolé, après avoir fait don au diocèse et à ses amis de tout ce qu'il possédait, l'église, la maison épiscopale, le couvent des Ursulines, restés sa propriété; il donna aussi ses ornements, jusqu'à ses livres. Il ne se réservait rien et partait plus pauvre qu'il n'était venu. La ville presque entière voulut lui faire cortége à sa sortie des murs, et quarante voitures au moins l'accompagnèrent pendant plusieurs lieues sur la route de New-York. Quand enfin, il fallut se séparer, protestants et catholiques s'agenouillèrent également pour recevoir une dernière fois sa bénédiction.

Vers la fin de l'année 1823, Mgr de Cheverus arrivait en France, et la tristesse qu'il ressentait souvent encore à la pensée de ceux qu'il laissait orphelins, s'adoucit peu à peu par la joie de revoir, avec la terre natale, de vieux amis, des parents qui lui faisaient fête, et auxquels il croyait avoir dit un éternel adieu. Présenté au roi lors de son arrivée à Paris, puis nommé à l'évêché de Montauban, après quelques retards provenant de difficultés relatives à l'enregistrement des bulles, il put faire son entrée dans sa ville épiscopale où sa réputation l'avait devancé; aussi catholiques et protestants s'empressèrent à l'envi pour le recevoir et les ministres furent des premiers à venir le saluer. Un trait touchant marqua les débuts de son épiscopat. Il apprit que, dans une ville assez importante de son diocèse, le maire et le curé ne vivaient point en bonne intelligence, mais par la faute surtout du premier. L'évêque va le trouver:

«Monsieur, lui dit-il, j'ai un grand service à vous demander; vous me trouverez sans doute indiscret, mais j'attends tout de votre obligeance.

– Monseigneur, répond le maire, vous me rendez confus; qu'aurais-je à vous refuser? je serais trop heureux s'il était quelque moyen de vous prouver que je partage les sentiments de respect, d'affection, de vénération pour notre premier pasteur qui remplissent ici tous les cœurs.

– Eh bien! reprend aussitôt l'évêque en l'embrassant, le service que j'ai à vous demander c'est d'aller porter ce baiser de paix à votre curé.

– Monseigneur, je ne puis pas vous dire: Non! et j'y vais de ce pas.» Ce qui eut lieu en effet et la réconciliation fut complète.

L'année suivante, la charité de l'évêque eut à s'exercer sur un plus vaste théâtre. Par suite d'un débordement du Tarn, deux faubourgs de la ville furent envahis, et les habitants chassés de leur domicile quand ils avaient pu fuir. L'évêque, après avoir pendant toute une journée, monté dans une barque, aidé au sauvetage, ouvre son palais aux victimes du fléau dont le nombre s'éleva bientôt à plus de trois cents. Une pauvre femme cependant restait au dehors regardant les fenêtres d'un air désolé. L'évêque l'aperçoit.

48.À propos de l'impasse dit des Chevaliers.
49.Huen-Dubourg (M. l'abbé Hamon, je crois).