Kitabı oku: «Les rues de Paris, Tome Premier», sayfa 13
– Mais pourquoi, demande-t-il à quelqu'un, cette pauvre femme n'entre-t-elle pas comme les autres? Il y a de la place encore, il y en aura toujours.
– Elle n'ose pas! fut-il répondu, elle n'est point catholique, mais protestante.
– Qu'importe! répond l'homme de Dieu qui descend au plus vite les degrés, traverse la cour, sort dans la rue et s'approchant de l'infortunée:
– Entrez, ma fille, entrez, dit-il, et ne craignez rien, je sais ce qui vous arrête. Mais ne sommes-nous pas tous frères dans le malheur surtout?
Après de tels actes de bonté, on pense avec quels regrets, moins de deux années après, les fidèles de Montauban virent s'éloigner leur pasteur nommé à l'archevêché de Bordeaux en remplacement de Mgr d'Aviau du Bois-Sanzay, décédé. Les pleurs que faisait verser la mort de ce dernier ne furent point taris, mais ils coulèrent avec moins d'amertume dès qu'on sut le nom de son successeur, accueilli, quoique inconnu de la plupart, comme un père qui revient au milieu de ses enfants, et il fut bien en effet pour tous un père.
Après les évènements de 1830, éliminé de la chambre des pairs dont il faisait partie, il apprit que des personnages influents s'employaient activement auprès du gouvernement pour faire comprendre l'archevêque dans une nouvelle promotion. Il fit alors publier dans les journaux une note conçue en ces termes: «Je me réjouis de me trouver hors de la carrière politique. J'ai pris la ferme résolution de ne pas y rentrer et de n'accepter aucune place, aucune fonction. Je désire rester au milieu de mon troupeau, et continuer à y exercer un ministère de charité, de paix et d'union. Je prêcherai la soumission au nouveau gouvernement; j'en donnerai l'exemple, et nous ne cesserons, mon clergé et moi, de prier avec nos ouailles pour la prospérité de notre chère patrie.»
Cette sage ligne de conduite n'empêchait point la fidélité à d'anciennes convictions. Lors de la captivité de la duchesse de Berry, Mgr de Cheverus demanda qu'il lui fût permis d'aller lui porter les consolations de son ministère. Et certain jour, il disait aux autorités de la ville pour lui toutes bienveillantes: «Je ne serais pas digne de votre estime si je vous cachais mes affections pour la famille déchue, et vous devriez me mépriser comme un ingrat puisque Charles X m'a comblé de ses bontés.»
Lors de l'invasion du choléra en 1832, l'archevêque fit de son palais épiscopal une vaste ambulance dont il était à la fois le grand aumônier et le premier infirmier et au-dessus de la porte d'entrée on lisait en gros caractères: Maison de secours.
Aussi dans la ville de Bordeaux, ou plutôt dans le diocèse, la satisfaction fut générale quand on apprit que, dans le consistoire du 1er février 1836, le pape avait nommé Mgr de Cheverus cardinal. Lui seul parut ne pas se réjouir, étranger qu'il était à toute pensée d'ambition. Des amis étant venus le féliciter, il leur dit avec un sourire: «Qu'importe d'être enveloppé après la mort d'un suaire rouge ou noir.»
Cette parole était-elle l'effet d'un pressentiment? Il avait reçu la barrette dans les premiers jours de mai, et trois mois après, le 19 juillet, il succombait aux suites d'une attaque d'apoplexie et de paralysie, mais non foudroyante, ce qui lui laissa toute sa liberté d'esprit pour se disposer par l'accomplissement des saints devoirs à ce solennel passage auquel il était toujours préparé d'ailleurs, pas n'est besoin de le dire.
Le deuil dans le diocèse fut universel parmi les laïques comme parmi ses prêtres que le cardinal accueillait toujours avec une bienveillance si paternelle.
Mgr de Cheverus était mort le jour même de la fête de Saint Vincent de Paul dont il rappelait les vertus comme celles de Saint François de Sales, surtout son inaltérable douceur et sa parfaite charité. C'est par cette charité, par la prédication toute puissante de l'exemple qu'il gagnait les cœurs, plus encore que par son éloquence si persuasive pourtant, et qu'il ramena dans le sein de l'Église tant de protestants, parmi lesquels plusieurs ministres.
Quelques anecdotes encore à ce sujet: «S'il était permis, disait-il, de ne pas aimer un homme parce qu'il se trompe ou ne voit pas les choses comme nous, la charité serait bannie de la terre, car il n'y a que dans le ciel qu'on ne se trompe pas.»
C'était chez lui une règle invariable de ne jamais avoir ni contestation ni dispute avec qui que ce fût: «Pour disputer ou contester, disait-il, il faut être deux et je ne veux me faire le second de personne.»
On l'engageait à choisir pour certaines visites pastorales une saison moins rigoureuse: «Ce qui serait plus commode pour moi, répondit-il, serait plus gênant pour les pauvres; c'est à moi à prendre le temps qui leur convient le mieux.»
Heureux de rendre service, il disait: «Quel bonheur de pouvoir procurer un moment de jouissance à ses frères! Qu'on est heureux de pouvoir faire un cœur content!»
Mais si tolérant, si doux pour le personnes, le cardinal était inflexible sur les principes. Un jour, on vint se plaindre à lui d'un refus de sépulture fait à l'égard d'un homme riche mort, comme il avait vécu, dans le désordre. On blâmait à ce sujet l'intolérance du curé.
«L'intolérance, reprit avec force le cardinal, elle est tout entière de votre côté: vous ne pouvez souffrir qu'un prêtre remplisse son devoir et vous le voulez forcer à reconnaître pour catholique un homme dont la vie et la mort ont été anti-catholiques.»
Et cependant, comme nous l'avons dit, cette fermeté n'ôtait rien à sa tolérance éclairée, à sa charité. Aussi les protestants, les juifs même, témoignaient pour lui d'une profonde vénération. Le grand rabbin qui, lors de l'arrivée du prélat à Bordeaux, était venu le premier lui faire visite et le complimenter, entretenait avec lui les meilleurs rapports. Un jour, sous le coup d'une grande affliction, la perte d'une fille chérie, il vient trouver l'archevêque pour lui demander des consolations en disant: «Je viens chercher des consolations près du représentant de Jésus-Christ qui pleurait sur Lazare50.»
La mémoire de Mgr de Cheverus est restée en grande vénération dans son diocèse, en voici une preuve à la fois curieuse et touchante. L'anecdote a de plus le mérite d'être inédite. Une bonne dame, qui avait eu de grandes obligations au prélat, arrivée à Bordeaux, en venant de Paris, voulut aller prier sur sa tombe. Le monument se compose, nous a-t-on dit, d'une petite chapelle et d'une pierre tombale. L'étrangère, après être restée agenouillée quelque temps, se sentant fatiguée, avisa près d'un autre monument une chaise laissée là sans doute par quelque visiteuse. Elle se leva, et en l'absence du propriétaire, la prit soit pour se reposer, soit pour s'appuyer à défaut de prie-Dieu et continuer ses de profundis. Mais tout à coup une femme du peuple qui priait de l'autre côté, s'approchant, lui dit:
– Hé bien! que faites-vous là?
– Vous le voyez, j'emprunte un moment cette chaise; je me sentais fatiguée..
– C'est fâcheux! Mais il faut aller vous asseoir ou vous reposer ailleurs. Ici, ce serait manquer de respect à la mémoire du Saint. Pour ma part, je ne le permettrai point.
Et sans plus de façon, enlevant la chaise, elle alla la reporter où la dame l'avait prise.
COCHIN
Cette rue, nous la mentionnons seulement pour mémoire, puisque, de création récente, elle a disparu déjà par suite des démolitions. Son nom lui avait été donné en souvenir d'un contemporain, d'un homme de bien, Jean-Denys-Marie Cochin, né à Paris le 14 juillet 1789 (jour de la prise de la Bastille), et qui fut successivement maire, conseiller municipal, député du XIIe arrondissement, administrateur des hospices, du Mont-de-Piété, etc.
On lui dut la première salle d'asile et, pour le XIIe arrondissement, des améliorations précieuses: la canalisation de la Bièvre, le grand réservoir de l'Estrapade, l'élargissement des boulevards extérieurs, etc. «Mais les salles d'asile et les écoles gratuites, dit M. Louis Lazare, eurent toujours sa première pensée et ses soins les plus actifs et les plus constants. Il sentait que, pour régénérer une pauvre et ignorante population, il fallait la prendre au berceau; dans de nombreux écrits, il s'efforça d'enseigner aux autres les devoirs qu'il pratiquait si bien.»
– Je n'ai qu'un regret, dit-il en mourant jeune encore (18 août 1841), celui de n'avoir pu réaliser tout le bien qui était dans mon cœur!
Ce nom de Cochin, donné pareillement à l'hôpital presque voisin, rappelle un bienfaiteur de l'humanité, un de ses héros, devrais-je dire, un prêtre vénérable, mort curé de Saint-Jacques-du-Haut-Pas, le 3 juin 1783. Il était né non loin de cette église, le 17 janvier 1726. Tout enfant, il reçut les éléments de l'instruction du supérieur général des Chartreux, et sa vocation religieuse s'étant manifestée, il fut admis au séminaire de Saint-Magloire, d'où il sortit docteur. Sa science ne le rendit point orgueilleux, et volontiers il laissait ses livres pour la visite des pauvres et des malades.
Ses vertus le firent nommer jeune encore (il n'avait pas trente ans) à la cure de Saint-Jacques-du-Haut-Pas, où son zèle devait se manifester d'une façon si admirable. Dans le courant de l'année 1765, une épidémie de petite vérole éclata dans Paris avec une violence terrible, qui faisait de la contagion un fléau non moins redoutable que la peste ou le choléra, avant que la précieuse découverte de Jenner (la vaccine) fût venue neutraliser ses ravages. La maladie sévissait tout particulièrement sur la paroisse dont était curé le bon abbé Cochin, qui, le jour et la nuit, se dévouait pour le service corporel et spirituel des malades. Ses amis, voyant sa fatigue, s'inquiétèrent; ils lui représentèrent vivement le danger auquel il s'exposait, en ajoutant qu'il serait prudent, qu'il serait sage à lui de laisser le soin de visiter les malades atteints de la variole à ceux de ses vicaires qui déjà avaient subi l'influence de la maladie.
– À Dieu ne plaise! répondit le généreux pasteur. Que penseriez-vous d'un soldat qui demanderait son congé en temps de guerre, ou déserterait, par peur du péril, en face de l'ennemi?
Il continua de visiter assiduement les malades, et par une sorte de miracle, sans cesse au milieu de cette atmosphère empoisonnée, n'en reçut aucune atteinte. Mais quelques années après, en 1771, dans des circonstances semblables, il n'en fut point de même, et le bon curé, cette fois, obtint presque cette couronne du martyr qu'ambitionnait son dévouement; il tomba malade à son tour de la petite vérole. Les prières sans doute de ses chers paroissiens, de ses enfants, firent violence au ciel, et longtemps entre la vie et la mort, l'abbé Cochin guérit, mais sa santé resta gravement altérée, au point qu'à deux reprises, il voulut se démettre de ses fonctions. La paroisse aussi se ressentit longtemps du passage du fléau, d'autant plus que le faubourg Saint-Jacques était surtout peuplé par des familles d'ouvriers travaillant dans les carrières voisines. Cependant il ne se trouvait point d'hôpital, pas même d'infirmerie dans tout le quartier; il fallait porter les malades, les blessés mêmes à l'Hôtel-Dieu, et trop souvent le transport, avec les retards qu'il entraînait, devenait fatal aux infortunés.
Le bon curé s'en émut, et il résolut de doter sa paroisse d'un hospice. Il possédait un patrimoine d'un revenu d'environ 1,500 livres qu'il vendit, et avec cet argent il acheta un terrain sur lequel s'éleva, d'après les plans de l'architecte Viel, son ami, un établissement qui fut appelé, suivant le désir du fondateur, simplement: Hospice de la paroisse Saint-Jacques-du-Haut-Pas. Commencé en 1779, l'édifice fut bâti avec rapidité et il était terminé en moins de quatre années, vers 1782, peu de temps avant la mort du zélé pasteur, tranquille sur l'avenir de la fondation, assurée par une dotation de quinze mille livres de revenu due à des âmes charitables.
Une circonstance touchante, relative à la pose de la première pierre de cette maison, ne doit pas être oubliée.
On ne choisit point, comme il est assez d'usage pour cette solennité, un personnage considérable selon le monde; mais, par une pieuse inspiration du curé, deux pauvres de la paroisse, furent élus à cet effet en assemblée générale de charité comme les plus recommandables par leurs vertus.
Non moins instruit que pieux et zélé, l'abbé Cochin trouvait le temps, au milieu des occupations si nombreuses que lui créait la charité, de composer, en outre de ses prônes et instructions, des ouvrages, ayant pour but l'édification, mais dont la publication effrayait sa modestie. «Ce fut avec beaucoup de peine, dit M. A. Biot dans sa Notice, que de son vivant il livra à l'impression quelques opuscules. Il avait recommandé par son testament de ne pas mettre au jour ses manuscrits; ses héritiers jugèrent à propos de ne pas se conformer sur ce point à ses intentions. Le produit de ses œuvres posthumes fut consacré à l'hospice Cochin.»
COLBERT ET LOUVOIS
J. – B. Colbert, ministre et secrétaire d'état, contrôleur général des finances sous Louis XIV, né en 1619, mourut en 1683. On sait en quels termes Mazarin mourant recommandait au roi son futur successeur:
«Je dois beaucoup à Votre Majesté, mais je crois m'acquitter en lui donnant Colbert.»
On sait de même avec quels éloges les contemporains, prosateurs et poètes, parlent de ce célèbre ministre. Son nom revient plus d'une fois dans les Satires de Boileau, mais non pas comme celui de Cotin, Quinault, Bonnecorse, etc., pour servir de jouet au poète railleur, tout au contraire:
Et trompant de Colbert la prudence importune,
Va, par tes cruautés mériter la fortune,
dit Despréaux dans la huitième Satire. Racine, en dédiant «à Monseigneur Colbert» sa tragédie de Bérenice, ne lui ménage pas les compliments: «… Ce qui fait son plus grand mérite (de la tragédie) auprès de vous, c'est, Monseigneur, que vous avez été témoin du bonheur qu'elle a eu de ne pas déplaire à Sa Majesté.
«L'on sait que les moindres choses vous deviennent considérables, pour peu qu'elles puissent servir à sa gloire et à son plaisir; et c'est ce qui fait qu'au milieu de tant d'importantes occupations, où le zèle de votre prince et le bien public vous tiennent continuellement attaché, vous ne dédaignez pas quelquefois de descendre jusqu'à nous, pour nous demander compte de notre loisir.
«J'aurais ici une belle occasion de m'étendre sur vos louanges si vous me permettiez de vous louer. Et que ne dirais-je point de tant de rares qualités qui vous ont attiré l'admiration de toute la France; de cette pénétration à laquelle rien n'échappe; de cet esprit vaste qui embrasse, qui exécute tout à la fois de grandes choses; de cette âme que rien n'étonne, que rien ne fatigue!
«Mais, Monseigneur, il faut être plus retenu à vous parler de vous-même; et je craindrais de m'exposer, par un éloge importun, à vous faire repentir de l'attention favorable dont vous m'avez honoré.»
Malgré quelques dissonnances, le concert de louanges en l'honneur du marquis de Louvois, ministre de la guerre et de la marine sous Louis XIV, n'est pas moins bruyant. L'auteur des Caractères lui-même, si rude à tant d'autres, faisant un sujet de louanges pour Louvois de ce qui méritait le blâme peut-être, ne va-t-il pas jusqu'à dire:
«De même une bonne tête ou un ferme génie qui se trouve né avec cette prudence que les autres hommes cherchent vainement à acquérir, qui a fortifié la trempe de son esprit par une grande expérience; que, le nombre, le poids, la diversité, la difficulté et l'importance des affaires occupent seulement et n'accablent point; qui par l'étendue de ses vues et de sa pénétration se rend maître de tous les évènements; qui, bien loin de consulter toutes les réflexions qui sont écrites sur le gouvernement et la politique est peut-être de ces âmes sublimes nées pour régir les autres et sur qui ces premières règles ont été faites; qui est détourné par les grandes choses qu'il fait des belles ou des agréables qu'il pourrait lire, et qui, au contraire, ne perd rien à retracer et à feuilleter pour ainsi dire sa vie et ses actions; un homme ainsi fait peut dire aisément et sans se commettre qu'il ne connaît aucun livre et qu'il ne lit jamais51.»
Comment s'étonner, après ces citations, que l'éloge de Louvois et plus encore celui de Colbert se trouve comme stéréotypé dans toutes les histoires et qu'on ne tarisse pas sur leur compte, même certains écrivains qui se proclament libéraux et se piquent d'indépendance vis-à-vis des puissances, qualifiant «d'esprit courtisanesque et rétrograde» la réserve et les témoignages de respect pour l'autorité dont ne se croient jamais affranchis les historiens qui savent ne rien sacrifier des principes tout en n'oubliant point, dans leur impartialité, ce qu'ils doivent à la vérité. Nous en trouvons un remarquable exemple dans un auteur que nous avons eu plus d'une fois l'occasion de citer et dont nous reproduisons d'autant plus volontiers les appréciations sur Colbert et Louvois qu'elles différent beaucoup des jugements du plus grand nombre, de la presque totalité (à l'égard de Colbert surtout) des écrivains même monarchiques et conservateurs auxquels le parti pris de la tradition semble avoir fait illusion et dérobé la claire-vue des évènements. Voici comment St-Victor s'exprime sur Colbert:
«Il entendait les finances, le commerce, les manufactures et toutes les branches de l'administration intérieure, aussi bien que Louvois entendait la guerre; et pour les administrateurs exclusifs de cette science industrielle qu'il rendit florissante en France plus qu'elle ne l'avait été jusqu'à lui, il n'y eut jamais de plus grand ministre que Colbert. Il faudrait sans doute le louer sans réserve, si, tout en administrant avec cette supériorité qu'on ne peut lui contester, son esprit se fût élevé au-dessus du matériel de son administration, et si, non moins blâmable en ce point que son rival, il n'eût pas, comme lui, cherché à tout abattre sous le despotisme étroit dans lequel leurs basses flatteries avaient renfermé leur maître et dont ils partageaient avec lui, et à l'ombre de son nom, les funestes prérogatives… Tout ce qui osait résister à ce despotisme sans règles et sans bornes devait être brisé. Ce n'était point assez que Louis XIV eût la plénitude du pouvoir temporel à un degré où aucun roi de France ne l'avait possédé avant lui; il arriva, ainsi que nous l'avons vu, qu'un pape eut l'audace de ne pas se plier à toutes ses volontés; il convint d'apprendre au pouvoir spirituel à quelle distance il devait se tenir du grand roi, et comme nous l'apprend Bossuet lui-même, «les quatre articles sortirent à cet effet des bureaux du surintendant.»
La conduite de Louis XIV, par exemple, conseillé ou mieux influencé, entraîné du côté où il penchait par Colbert, dans l'affaire du duc de Créquy à Rome, comment la comprendre, et surtout, dit très-bien St-Victor, comment l'excuser? «En fut-il jamais de plus dure, de plus injuste, de plus cruelle même et d'un plus dangereux exemple? Quel triomphe pour le roi de France de se montrer plus puissant que le pape comme prince temporel, et sous ce rapport, de ne mettre aucune différence entre lui et le dey d'Alger ou la république de Hollande; de refuser toutes les satisfactions convenables à sa dignité que celui-ci s'empressait de lui offrir à l'occasion d'un malheureux évènement que les hauteurs de son ambassadeur avaient provoqué et dont il lui avait plu de faire une insulte52; de violer en lui tous les droits de la souveraineté en le citant devant une de ses cours de justice et en séquestrant une de ses provinces; de le contraindre, par un tel abus de la force, à s'humilier devant lui par une ambassade extraordinaire dont l'effet immanquable était d'affaiblir, au profit de son orgueil, la vénération que ses peuples devaient au Père commun des fidèles et dont son devoir à lui-même était de leur donner le premier l'exemple? Il le remporta ce déplorable triomphe…»
«Louvois avait fait de Louis XIV le vainqueur et l'arbitre de l'Europe: Colbert jugea que ce n'était point assez et ne prétendit pas moins qu'à le soustraire entièrement à l'ascendant, de jour en jour moins sensible, que l'autorité spirituelle exerçait sur le souverain. Il n'y réussit point entièrement parce qu'il aurait fallu pour obtenir un tel succès que Louis XIV cessât d'être catholique; mais le mal qu'il fit pour l'avoir tenté fut irréparable.»
Néanmoins il ne faut pas dire: «Qu'importe!» à propos du repentir tardif de Colbert tourmenté sur son lit de mort, d'après ce qu'on rapporte, de remords et d'anxiétés qui prouvent qu'en agissant comme on l'a vu, dans l'intérêt de son ambition seule, il faisait violence à sa propre conscience:
«Oh! s'écriait-il avec une amère douleur, combien n'étais-je pas aveugle et insensé? Hélas! si j'avais fait pour le Roi du ciel la moindre partie de ce que j'ai fait pour un roi de la terre, si j'avais donné au souci de l'éternité un peu davantage de ce temps prodigué si malheureusement à de vaines sollicitudes, hélas! je serais en ce moment plus tranquille!»
Un autre et grand sujet d'inquiétude pour le mourant dut être le ressouvenir de certaines opérations financières, au profit de l'État, sur lesquelles autrefois il avait pu se faire illusion, mais qu'il appréciait comme la probité sévère avait fait dès lors. À Colbert, comme on l'a souvent répété «Louis XIV dut ce rétablissement des finances qui le rendit en peu d'années maître si tranquille et si absolu de son royaume; mais il n'est pas inutile d'observer, pour réduire à sa juste valeur ce qui, au premier coup d'œil, pourrait sembler un effort du génie, que cette restauration financière ne fût opérée que par un odieux abus de ce pouvoir qui déjà ne voulait plus reconnaître de borne et qu'une banqueroute fut le moyen expéditif que le contrôleur général imagina pour arriver au but qu'il voulait atteindre. Elle fut opérée tout à la fois et sur les engagements de la cour connus sous le nom de billets d'épargne et sur les rentes de l'Hôtel-de-Ville53, par des manœuvres qui ne peuvent étonner de la part d'un homme dont la conduite envers Fouquet n'offre qu'un tissu de bassesses, de fourberies et de cruautés, mais qui étaient assurément fort indignes de la probité du grand roi. Enfin ce qui eût été difficile pour qui aurait voulu avant tout être juste, se fit très facilement par l'injustice et par la violence.»
Le jugement motivé de l'auteur du Tableau historique et pittoresque de Paris sur Louvois (t. 4, 1re partie) ne nous semble pas moins digne d'attention.
«Louvois mourut pendant le cours de cette guerre (1692) que son égoïsme cruel et sa basse jalousie avait allumée; et sa mort prévint de quelques instants la disgrâce éclatante que lui préparait son maître désabusé… On ne peut nier que ce ministre ne possédât à un très haut degré, ainsi que nous l'avons déjà dit, la sagacité et l'activité nécessaires pour saisir l'ensemble et les détails de la vaste administration qui lui avait été confiée, et qu'il ne l'eût perfectionnée de manière à y produire ce qu'on n'aurait pas cru possible avant lui; mais sans parler des guerres injustes et impolitiques dans lesquelles il entraîna Louis XIV, guerres qui creusèrent pour la monarchie un abîme que rien n'a pu combler, et même en ne le considérant que comme ministre de la guerre, ce qui est son beau côté, il est important de remarquer que, sous ce rapport, il fut encore pernicieux à la France en voulant tout soumettre à ce mécanisme administratif qu'il avait si singulièrement perfectionné. L'ordre du tableau, dont il fut l'inventeur et qui plut à un monarque absolu dont la politique était de tout niveler autour de lui, éteignit toute émulation, toute ardeur pour le service militaire, et détruisit l'école des grands capitaines. Le système de tracer les plans de campagne dans le cabinet et de tenir ainsi les généraux à la lisière acheva ce que l'ordre du tableau avait commencé.» (Saint-Victor).
Louvois aussi bien que Colbert réussit à confisquer à son profit la meilleure et la plus solide part du pouvoir en persuadant au roi qu'il n'était que le simple exécuteur de ses volontés, quand lui ministre faisait faire au souverain tout ce qu'il voulait et voici comment d'après ce que Saint Simon nous raconte: «Son esprit naturellement petit (nous laissons à Saint Simon la responsabilité de ce langage excessif à notre sens), se plut en toutes sortes de détails. Il (le roi) entra sans cesse dans les deniers sur les troupes, habillement, évolutions, armement, exercice, discipline, en un mot, dans toutes sortes de bas détails; il ne s'en occupait pas moins sur ses bâtiments, sa maison civile, ses extraordinaires de bouche: il croyait toujours apprendre quelque chose à ceux qui en ce genre en savaient le plus, qui recevaient en novices les leçons qu'ils savaient par cœur depuis longtemps. Ces pertes de temps, qui paraissaient au roi avoir tout le mérite d'une application continuelle, étaient le triomphe de ses ministres qui, avec un peu d'art et d'expérience à le tourner, faisaient venir comme de lui ce qu'ils voulaient eux-mêmes, et qui conduisaient le grand monarque selon leurs vues et trop souvent selon leurs intérêts tandis qu'ils s'applaudissaient de le voir se noyer dans les détails.»
Saint-Victor, après d'autres considérations qu'il est inutile de reproduire, arrive à cette conclusion: «Colbert et Louvois furent de grands ministres si ce nom peut être donné à d'habiles administrateurs, à des hommes actifs, vigilants, rompus à tous les détails du service dont ils avaient acquis une longue expérience dans les emplois subalternes, capables en même temps d'en saisir l'ensemble avec une grande perspicacité et d'y apporter de nouveaux perfectionnements. Mais si, pour mériter une si haute renommée, ce n'est point assez de se courber vers ces soins matériels et qu'il faille comprendre que les sociétés se composent d'hommes et non de choses, que leur véritable prospérité est dans l'ordre que l'on sait établir au milieu des intelligences; enfin, si gouverner est autre chose qu'administrer, nous ne craignons pas de le dire, jamais ministres ne se montrèrent plus étrangers que ces deux personnages si étrangement célèbres à la science du gouvernement; et les jugeant par des faits irrécusables, il nous sera facile de prouver que tous les deux furent funestes à la France et lui firent un mal qui n'a point été réparé.»
Encore que ce langage, qui contredit bien des opinions reçues, soit de nature à étonner, il mérite qu'on le prenne en sérieuse considération, car l'écrivain ne se prononce pas à la légère, mais après mûre réflexion et examen consciencieux des faits. On sent que la vérité lui coûte à dire, qu'il blâme à regret, par la force de la conviction et certainement eût préféré, à l'exemple de tant d'autres, n'avoir qu'à applaudir. Amicus Plato sed amica veritas.