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Kitabı oku: «Les rues de Paris, Tome Premier», sayfa 14

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COMBES (MICHEL)

Né à Feurs (Loire), le 20 octobre 1787, Combes entra au service comme volontaire en 1803; après avoir servi avec distinction sous l'Empire, il se trouvait chef de bataillon lors du désastre de Waterloo. Resté l'un des derniers sur le champ de bataille, et désespéré de la défaite, il quitta la France, où il ne revint qu'après les évènements de 1830. Rentré dans l'armée comme lieutenant-colonel du 24e de ligne, il fut nommé colonel du 66e en décembre 1831, et ce fut en cette qualité qu'il s'empara de la forteresse d'Ancône. Désavoué, et pas à tort, par son gouvernement, Combes se vit retirer son commandement; mais l'année suivante, remis en activité, il fut fait colonel de la légion étrangère, et quelques mois après, du 47e de ligne.

Pourtant un biographe affirme qu'à cette même époque, prenant en dégoût sa carrière, il songeait à demander sa retraite, lorsqu'il fut appelé à faire partie du corps expéditionnaire du général Bugeaud, en Afrique. Sa conduite au combat de la Sicka lui valut la croix de commandeur de la Légion d'honneur. Mais quelle récompense n'eût-il pas méritée par son héroïque dévouement devant Constantine, s'il avait survécu à la victoire? La tranchée ouverte le 12 octobre 1837, l'assaut fut résolu pour le lendemain matin 13. Combes commandait la deuxième colonne d'attaque, à la tête de laquelle il s'élança, sous une grêle de balles, vers la brèche, en criant:

«En avant, mes amis, et vive à jamais la France!»

Arrivé l'un des premiers au sommet de la brèche, le colonel, quoique blessé assez grièvement au cou, n'en continua pas moins de marcher en avant. Une barricade, à l'abri de laquelle les Arabes faisaient un feu meurtrier, barrait le passage. Comprenant de quelle importance il était de renverser cet obstacle, Combes, montrant du doigt la barricade à ses soldats, s'écrie:

«La croix d'honneur est derrière ce retranchement; qui veut la gagner?

– Moi!» s'écrie le sous-lieutenant du 47e, Besson, qui, d'un bond, franchit la barricade en entraînant derrière lui ses braves voltigeurs. Presque au même instant, Combes, atteint mortellement, reçoit en pleine poitrine une balle qui lui traverse le poumon. Mais, dominant la douleur par l'énergie de la volonté et préoccupé avant tout de la pensée d'assurer la victoire, il dit aux soldats, qui l'entourent d'un air inquiet:

«Ce n'est rien, mes enfants, je marcherai bientôt à votre tête.»

Sûr enfin que toute résistance sérieuse a cessé, il quitte la brèche, et d'un pas ferme encore, se rend auprès du commandant du siége pour lui rendre compte du succès décisif des colonnes d'assaut.

«La ville ne peut tenir plus longtemps, dit-il avec calme, le feu continue, mais va bientôt cesser; je suis heureux et fier d'être le premier à vous l'annoncer. Ceux qui ne sont pas blessés mortellement pourront se réjouir d'un aussi beau succès, pour moi, je suis satisfait d'avoir pu verser encore une fois mon sang pour ma patrie. Je vais me faire panser,» ajouta-t-il, avec un sourire qui prouvait qu'il ne se faisait pas illusion sur la gravité de sa blessure. En effet, en dépit de sa stoïque fermeté, à quelques pas de là, chancelant et prêt à s'évanouir par la perte du sang, il dut être transporté à l'ambulance où il expira bientôt âgé de cinquante ans seulement.

Le gouvernement ordonna que le buste du vaillant soldat ornerait l'une des salles de l'Hôtel-de-Ville de Feurs, où son cœur serait également déposé. Une pension de 2,000 francs fut allouée à sa veuve, à titre de récompense nationale.

Entre les noms qu'ont illustrés nos guerres d'Afrique, celui du colonel Combes est assurément l'un des plus glorieux, et l'épisode du siége de Constantine, dans sa simplicité sublime, est l'un des plus admirables que rappellent nos annales militaires.

COMMINES

Philippe de Commines naquit au château de Commines sur la Lys, à deux lieues de Ménin. Quoique sa famille fût des plus honorables de la province, son éducation, comme il arrivait souvent alors pour les jeunes gentilshommes, fut assez négligée, et souvent il regretta de n'avoir pas appris le latin. En 1464, à l'âge de 19 ans, il entra au service de Charles, comte de Charolais, fils du duc de Bourgogne. «Au saillir de mon enfance, dit-il au livre 1er de ses Mémoires, et en l'âge de pouvoir monter à cheval, je hantai à Lisle vers le duc Charles de Bourgogne, lors appelé comte de Charolais, lequel me prit à son service.»

L'année suivante, (1465) il se trouvait à la bataille de Monthléry, livrée contre les troupes du roi de France par le comte de Charolais et les seigneurs et princes unis pour faire la guerre à leur Suzerain. «Et fut cette guerre depuis appelée le Bien Public, pour ce qu'elle s'entreprenoit sous couleur de dire que c'estoit pour le bien public.»

Commines pendant le combat se tenait auprès du prince «et me trouvai ce jour toujours avec lui ayant moins de crainte que je n'eus jamais en lieu où je me trouvasse depuis, pour la jeunesse en quoi j'étais, et que je n'avais nulle connaissance du péril; mais étais ébahi comme nul s'osait défendre contre tel prince à qui j'étais, estimant que ce fut le plus grand de tous les autres. Ainsi sont gens qui n'ont point d'expérience, dont vient qu'ils soutiennent assez d'argus (arguments) mal fondés et avec peu de raisons. Par quoi fait bon user de l'opinion de celui qui dit que: «l'on ne se repent jamais pour parler peu, mais bien souvent de trop parler.»

La victoire, après une assez grande effusion de sang, semblait rester indécise, lorsque la retraite du roi, pendant la nuit, fut regardée par les alliés comme l'aveu d'une défaite. Le comte en particulier triomphait d'un succès qui devait être pour son malheur comme l'historien en fait la remarque: «Tout ce jour demeura encore monseigneur de Charolais, sur le champ, fort joyeux, estimant la gloire être sienne. Ce qui depuis lui a coûté bien cher: car oncques puis il n'usa de conseil d'homme mais du sien propre: et au lieu qu'il était très-inutile pour la guerre paravant ce jour, et n'aimait nulle chose qui y appartint, depuis furent muées et changées ses pensées, car il a continué jusques à sa mort; et par là fut finie sa vie et sa maison détruite; et si elle ne l'est du tout, si est-elle toute désolée.»

Commines, devenu chambellan de Charles le Téméraire, qui avait succédé à son père Philippe comme duc de Bourgogne, se trouvait à Péronne lors de l'entrevue du duc avec le roi de France; Louis XI, s'était pris à son propre piége en se mettant à la discrétion de celui qu'il espérait tromper. On sait que Charles, ayant acquis la preuve de la trahison du roi qui excitait sous main les Liégeois à la révolte, ordonna de fermer les portes du château et retint le monarque prisonnier. Et dans la première émotion de sa colère, il se fût emporté peut-être aux dernières extrémités, s'il n'eût été retenu par ses conseillers dont était Commines qui réussirent, non sans peine, à réconcilier les deux princes.

«Comme le duc arriva en sa présence, la voix lui tremblait, tant il était ému, et prêt de se courroucer. Il fit humble contenance de corps; mais son geste et parole était âpre, demandant au roi s'il ne voulait pas tenir le traité de paix, qui avait été écrit et accordé, et si ainsi le voulait jurer, et le roi lui répondit que oui… Ces paroles éjouirent fort le duc; et incontinent fut apporté le dit traité de paix, et fut tirée des coffres du roi la vraie croix, que saint Charlemagne portait, qui s'appelle la croix de la victoire; et jurèrent la paix; et tantôt furent sonnées les cloches par la ville: et tout le monde fut fort éjoui. Autrefois a plu au roi me faire cet honneur de dire que j'avais bien servi à cette pacification54

En effet, dans ses lettres patentes, plus tard Louis XI déclara qu'il avait obligation à Commines, lors de sa détention à Péronne. Louis, qui se connaissait en hommes et qui avait vu Commines à l'œuvre, ne négligea rien pour se l'attacher, et il y réussit d'autant mieux que le chambellan de Charles, témoin de ses violences, prévoyait que, dans un temps plus ou moins éloigné, ce caractère fougueux et emporté causerait sa ruine. Aussi ne se fit-il pas trop prier pour l'abandonner et passer au service de Louis XI (1472).

Charles, furieux, ordonna la confiscation de tous ses biens, mais le roi s'empressa de dédommager Commines, par le don de riches seigneuries; en outre des terres de Bran et Brandon, en Poitou, il lui donna la principauté de Talmont et les seigneuries de Curzon, Aulonne, Chasteau-Gontier et les Chaulmes dans le même pays. En 1474, Commines reçut encore en toute propriété la seigneurie de Chaillot près Paris et celle de la Chèvre en Poitou; l'année suivante, il épousa Hélène de Chambres qui lui apportait en dot la seigneurie d'Argenton et plusieurs autres.

Créé sénéchal du Poitou en 1477, Commines se trouvait l'un des personnages les plus importants du royaume et l'un des familiers du roi qu'il eut plusieurs fois l'honneur de recevoir dans son château. On s'explique ainsi que, comblé par le prince de tant de bienfaits, il ne le juge pas avec la même sévérité que la plupart des autres historiens et glisse sur les côtés fâcheux de son caractère sans les dissimuler entièrement. Je trouve donc qu'il y a exagération dans ce jugement de certains biographes: «Il est vrai que Commines, le serviteur le plus fidèle et le plus habile de Louis XI, fut aussi le plus dévoué pour tous les actes injustes, cruels et perfides que l'histoire reproche à ce monarque.

«… Il a été beaucoup loué; mais ce qu'on ne peut approuver, c'est le sang-froid avec lequel il parle des actes les plus iniques et les plus révoltants… il est vrai que des actes auxquels il ne fut pas toujours étranger n'ont pu exciter son indignation. Aussi n'y a-t-il pas plus de leçons de morale à tirer de ses Mémoires qu'il n'y en a à prendre dans sa vie publique55

Ces affirmations sont assurément beaucoup trop absolues, et il est tel passage des Mémoires qui semble les contredire entièrement, celui-ci par exemple relatif à la mort du connétable de saint Paul livré au roi par le duc de Bourgogne: «Il n'était nul besoin au dit duc, qui était si grand prince, de lui donner une sûreté pour le prendre; et fut grande cruauté de le bailler où il était certain de la mort, et pour avarice. Après cette grande honte qu'il se fit, il ne mit guère à recevoir du dommage. Et ainsi, à voir les choses que Dieu a faites de notre temps, et fait chacun jour, semble qu'il ne veuille rien laisser impuni; et peut-on voir évidemment que ces étranges ouvrages viennent de lui; car ils sont hors des œuvres de nature, et sont des punitions soudaines; et par espécial contre ceux qui usent de violence et de cruauté, qui communément ne peuvent être petits personnages, mais très-grands de seigneurie ou d'autorité de prince.» (Liv. IV.)

À propos de la mort du duc de Bourgogne tué sous les murs de Nancy, il dit encore: «et périt lui et sa maison, comme j'ai dit, au lieu où il avait consenti par avarice de bailler (livrer) le connétable, et peu de temps après. Dieu lui veuille pardonner ses péchés! je l'ai vu grand et honorable prince, et autant estimé et requis de ses voisins, un temps a été, que nul prince qui fut en chrétienté ou par aventure plus. Je n'ai vu nulle occasion pour quoi plutôt il dût avoir encouru l'ire de Dieu, que de ce que toutes les grâces et honneurs qu'il avait reçus en ce monde, il les estimait tous être procédés de son sens et vertu sans les attribuer à Dieu comme il devait.» (Liv. V.)

Commines n'approuve pas, bien s'en faut, la conduite que tint le roi après la mort du duc, et ses procédés injustes vis-à-vis de l'héritière légitime Marguerite: «Mais nonobstant qu'il fût ainsi hors de toute crainte, Dieu ne lui permit pas de prendre cette matière qui était si grande, par le bout qu'il la devait prendre… pour joindre à sa couronne toutes ces grandes seigneuries, où il ne pouvait prétendre nul bon droit; ce qu'il devait faire par quelque traité de mariage ou les attraire à soi par vraie et bonne amitié, comme aisément il le pouvait faire… Mais par aventure Notre Seigneur ne lui voulut pas de tous points accomplir son désir, pour aucunes raisons que j'ai dites, ou qu'il ne voulait point qu'il usurpât sur ces pays du Hainaut pour ce qu'il n'y avait aucun titre.»

Voici maintenant comment Commines nous parle de Louis XI dans les derniers temps de sa vie: «Le roi s'en retourna à Tours (1481), et s'enfermait fort, et tellement que peu de gens le voyaient; et entra en merveilleuse suspicion de tout le monde; et avait peur qu'on ne lui ôtât ou diminuât son autorité. Il recula de lui toutes gens qu'il eut accoutumés, et les plus prochains qu'il eut jamais… Mais ceci ne dura guères; car il ne vécut point longuement; et fit de bien étranges choses.»

«Notre Roi était en ce Plessis, avec peu de gens, sauf archers, et en ces suspicions dont j'ai parlé; mais il y avait pourvu; car il ne laissait nuls hommes, ni en la ville, ni aux champs dont il eut suspicion; mais par archers les en faisait aller et conduire. Il semblait mieux, à le voir, homme mort que vif, tant était maigre; ni jamais homme ne l'eût cru. Il se vêtait richement, ce que jamais n'avait accoutumé par avant… Il faisait d'âpres punitions, pour être craint, et de peur de perdre obéissance; car ainsi me le dit lui-même. Il renvoyait officiers et cassait gens d'armes, rognait pensions, et en ôtait de tous points. Et me dit, peu de jours avant sa mort, qu'il passait temps à faire et à défaire gens.. et le faisait de peur qu'on ne le tînt pour mort.»

«… Mais tout ainsi qu'à deux grands personnages qu'il avait fait mourir de son temps (dont de l'un fit conscience à son trépas, et de l'autre non, ce fut du duc de Nemours, et du comte de Saint-Paul) fut signifiée la mort par commissaires députés à ce faire, lesquels commissaires en briefs mots leur déclarèrent leur sentence et baillèrent confesseur pour disposer de leurs consciences, en peu d'heures qu'ils leur baillèrent à ce faire; tout ainsi signifièrent à notre roi, les dessus dits, sa mort en brièves paroles et rudes, disant:

«Sire, il faut que nous nous acquittions, n'ayez plus d'espérance en ce saint homme (l'ermite Paul), ni en autre chose; car sûrement il est fait de vous; et pour ce pensez à votre conscience, car il n'y a nul remède…»

«Quelle douleur lui fut d'ouïr cette nouvelle et cette sentence? Car oncques homme ne craignit plus la mort… Faut revenir à dire qu'ainsi comme de son temps furent trouvées ces mauvaises et diverses prisons, tout ainsi avant mourir, il se trouva en semblables et plus grandes prisons, et aussi plus grande peur il eut que ceux qu'il y avait tenus. Laquelle chose je tiens à très grande grâce pour lui et pour partie de son purgatoire. Et l'ai dit ici pour montrer qu'il n'est nul homme de quelque dignité qu'il soit qui ne souffre ou en secret ou en public, et par espécial ceux qui font souffrir les autres.»

Ce langage n'est pas assurément d'un homme habitué «à ne voir et considérer les actes les plus iniques que comme des moyens de succès et ne les juger que par les résultats56».

La conclusion de ce sixième livre n'est pas moins admirable et le prédicateur dans la chaire ne s'exprimerait pas autrement. «Or, voyez-vous la mort de tant de grands hommes en si peu de temps, qui tant ont travaillé pour s'accroître et pour avoir gloire, et tant en ont souffert de passions et de peines, et abrégé leur vie; et par aventure leurs âmes en pourraient souffrir… N'eut-il pas mieux valu à eux, et à tous autres princes, et hommes de moyen état, qui ont vécu sous ces grands, et vivront sous ceux qui règnent, élire le moyen chemin en ces choses. C'est à savoir, moins se soucier, et moins se travailler, et entreprendre moins de choses, et plus craindre à offenser Dieu, et à persécuter le peuple, et leurs voisins, et par tant de voies cruelles que j'ai assez déclarées par ci-devant, et prendre des aises et plaisirs honnêtes? Leurs vies en seraient plus longues. Les maladies en viendraient plus tard, et leur mort en serait plus regrettée, et de plus de gens, et moins désirée, et aurait moins à douter (craindre) la mort. Pourrait-on voir de plus beaux exemples pour connaître que c'est peu de chose que de l'homme; et que cette vie est misérable et briève et que ce n'est rien des grands; et qu'incontinent qu'ils sont morts, tout homme en a le corps en horreur et vitupère? et qu'il faut que l'âme sur l'heure se sépare d'eux et qu'elle aille recevoir son jugement? Et à la vérité, en l'instant que l'âme est séparée du corps, jà la sentence en est donnée de Dieu, selon les œuvres et mérites du corps, laquelle sentence s'appelle le jugement particulier.» (Liv. VI).

Ce langage n'est pas celui du politique, mais du chrétien amené à la saine appréciation des choses par les malheurs d'autrui et aussi par sa propre et douloureuse expérience. Celle-ci ne manqua pas à Commines; car, après la mort de Louis XI, devenu suspect à la régente par suite de ses relations avec le duc d'Orléans (depuis Louis XII), il fut arrêté et pendant plus de deux années retenu dans une étroite prison, (bien étroite) pendant huit mois surtout, puisque c'était une de ces fameuses cages de fer imaginées par Louis XI: «Il avait fait de vigoureuses prisons, comme cages de fer et autres de bois, couvertes de plaques de fer par le dehors et par le dedans avec terribles ferrures de quelques huit pieds de large et de la hauteur d'un homme et un pied de plus. Le premier qui les dévisa (essaya) fut l'évêque de Verdun qui, en la première qui fut faite, fut mis incontinent et y a couché quatorze ans. Plusieurs l'ont maudit, et moi aussi qui en ont tâté sous le roi de présent (Charles VIII) l'espace de huit mois.»

Rendu à la liberté, Commines retrouva en partie son crédit et fut chargé de plusieurs missions importantes par Charles VIII auquel il rendit de grands services pendant l'expédition d'Italie. Mais sous le successeur de ce prince, sous Louis XII, pour qui Commines s'était naguère si fort compromis, il ne fut aucunement employé, et vécut (qui sait pourquoi?) dans une sorte de disgrâce, ce qui lui permit d'ailleurs d'achever tout à loisir la rédaction de ses Mémoires. Il mourut, en 1509, dans son château d'Argenton.

La première édition des Mémoires, in-fol. fut publiée à Paris en 1523.

LA CONDAMINE ET JENNER

«On peut dire de La Condamine, écrivait naguère le judicieux M. Biot, que le trait saillant de son caractère, la cause principale de ses succès dans les sciences, dans les lettres et dans le monde, fut la curiosité, mais une curiosité active, unie à des qualités solides, telles que l'ardeur, le courage et la constance dans les entreprises57

Delille, de son côté, nous dit dans son Éloge de La Condamine, «un des plus beaux morceaux de prose que ce grand poète ait écrits», comme s'exprime Biot qui n'exagère pas: «Sa passion dominante fut cette curiosité insatiable. Ce doit être celle de ce petit nombre d'hommes destinés à éclairer la foule, et qui, tandis que les autres s'efforcent d'arracher à la nature ses productions, travaillent à lui dérober ses secrets. Sans ce puissant aiguillon, elle resterait pour nous invisible et muette; car elle ne parle qu'à ceux qui l'appellent; elle ne se montre qu'à ceux qui cherchent à la pénétrer; elle ensevelit ses mystères dans des abîmes, les place sur des hauteurs, les plonge dans les ténèbres, les montre sous de faux jours. Et comment parviendraient-ils jusqu'à nous, sans la courageuse opiniâtreté d'un petit nombre d'hommes qui, plus impérieusement maîtrisés par les besoins de l'esprit que par ceux du corps, aimeraient mieux renoncer à ses bienfaits que de ne pas les connaître, ne les saisissent pour ainsi dire que par l'intelligence, et ne jouissent que par la pensée? Cette qualité, dis-je, fut dominante chez M. de La Condamine; elle lui rendait tous les objets piquants, tous les livres curieux, tous les hommes intéressants.»

De cette curiosité qui, chez notre savant, était une violente passion, on cite des exemples singuliers, mais que le caractère de l'homme nous rend vraisemblables.

Agé de dix-huit ans à peine58, au sortir du collége, il alla servir comme volontaire au siége de Roses (1719) où tout d'abord sa curiosité lui faillit être fatale. Désireux d'observer l'effet d'une batterie, il monta sur une hauteur, et, armé d'une lunette d'approche, il se mit à regarder, mais tellement absorbé par sa préoccupation qu'autour de lui les boulets tombaient comme grêle sans qu'il eût l'air de s'en apercevoir. C'était sur lui cependant qu'on tirait de la ville, un certain manteau de couleur écarlate qu'il portait, servant de point de mire aux artilleurs. Heureusement que du camp un officier supérieur vit le péril et envoya au jeune homme l'ordre de descendre.

Dans un voyage qu'il fit bien des années après (1737) en Italie, La Condamine eut occasion de visiter le trésor de Gênes. On lui montra un grand vase d'une seule émeraude connu sous le nom de sacro cattino, regardé comme une relique et qui, de plus, pouvait être une ressource dans les besoins pressants… La Condamine doutait que le vase, vu sa grandeur, fût réellement une émeraude, et, pour s'en assurer et éprouver sa dureté, il allait tenter de le rayer, lorsqu'on le prévint et le vase lui fut retiré des mains.

Autre anecdote que rapporte Biot, mais qu'il est difficile de ne pas croire apocryphe: «Dans un petit village, sur les bords de la mer, on lui montrait un cierge que l'on entretenait toujours allumé, et l'on ajoutait que, s'il venait à s'éteindre, le village serait tout aussitôt englouti par les flots.

«Êtes-vous bien sûr de ce que vous dites? demanda La Condamine au cicerone; et comme celui-ci répondit qu'il n'en doutait point:

«Eh bien! reprend l'académicien, nous allons voir, et aussitôt il souffle sur le cierge qu'il éteint. On n'eut que le temps de le dérober à la fureur du peuple en le faisant échapper par une issue secrète et lui recommandant de quitter le village au plus vite.»

Voici qui paraît plus vraisemblable: un jour qu'il se trouvait près de Mme de Choiseul pendant qu'elle écrivait une lettre, il se pencha, soit distraction, soit indiscrétion, comme pour regarder. Mme de Choiseul s'en aperçut, et continuant néanmoins d'écrire, elle ajouta:

«Je vous en dirais bien davantage si M. de La Condamine n'était pas derrière moi, lisant ce que je vous écris.»

La leçon était méritée encore que La Condamine protestât bien haut de son innocence en disant: «Ah! madame, rien n'est plus injuste, et je vous assure que je ne lis pas.»

On raconte que, lors de l'exécution du régicide Damiens, condamné à être écartelé, c'est-à-dire tiré à quatre chevaux, La Condamine, afin que rien ne lui échappât des détails du supplice, s'était mêlé aux valets du bourreau. Comme les archers voulaient le faire retirer, l'exécuteur le prit sous sa protection en disant, et paraît-il, sans aucune intention ironique:

– Laissez monsieur, c'est un amateur.

Supposé vraies ces anecdotes, on peut, dans une certaine mesure, excuser La Condamine en disant avec Delille: «On a prétendu que cette curiosité, précieuse dans le savant, ressemblait quelquefois à l'indiscrétion dans l'homme de société; mais ces petits torts, qu'on remarque dans un homme ordinaire, s'éclipsent dans un homme célèbre, par la considération des avantages que retire la société de ses défauts mêmes; et c'est peut-être le louer encore que d'avouer qu'il porta cette passion à l'excès.»

Après la campagne dont nous avons parlé, La Condamine voyant la paix signée se dégoûta de la carrière militaire qui ne répondait plus à son besoin d'activité, et donnant sa démission, il entra comme adjoint chimiste à l'Académie des sciences. Fût-ce en cette qualité qu'il obtint de s'embarquer sur l'escadre de Duguay-Trouin, avec laquelle il parcourut les côtes de l'Asie et de l'Afrique? Il visita la Troade en particulier et fit un séjour de plusieurs mois à Constantinople.

54.Commines. Liv. II.
55.Biographie nouvelle.
56.Nouvelle Biographie.Encyclopédie des gens du monde.
57.Notice sur La Condamine, par Biot.
58.Il était né à Paris le 28 janvier 1701.