Sadece Litres'te okuyun

Kitap dosya olarak indirilemez ancak uygulamamız üzerinden veya online olarak web sitemizden okunabilir.

Kitabı oku: «Le Médecin des Dames de Néans», sayfa 7

Yazı tipi:

XV

Néans, août 189…

À Monsieur Septime de Jallais, Villa Julie, à Aix-les-Bains

«Mon cher enfant,

»Je veux croire que vous n'avez pas conscience du trouble que vous m'avez causé par votre lettre, et aussi que votre âme est en paix. Je prie Dieu qu'il redouble mes tourments pourvu que cela soit. Ah! mon enfant, souvenez-vous qu'il n'est qu'un bien véritablement précieux, qu'une seule cause d'allégresse, et que c'est de sentir sa conscience comme un miroir immaculé. Je n'ai jamais envisagé sans crainte le milieu profane où il a plu à monsieur votre père de vous jeter tout à coup. Quoi! se pourrait-il que la grâce se fût dès aussitôt retirée de vous? Je comptais du moins sur la forte résistance des saints principes dont vous êtes abondamment pourvu.

»Est-ce que leur floraison que je me plaisais à contempler, tel un beau parterre printanier, n'aurait été qu'artificielle? Ah! mon bien cher enfant, ne négligez pas vos prières! Je suis sûr que tout vient de là; vous aurez cessé d'invoquer Dieu, et sa divine Providence aura permis que la tentation se levât sous chacun de vos pas, ne fût-ce que pour vous avertir qu'il est besoin de se tenir en garde, car l'ennemi veille! Croyez, mon enfant, que c'est un effet de la Céleste Bonté que j'aie été averti, et par vous-même, quoique malgré vous, du malaise de votre âme.

»Priez, et parlez-moi à cœur ouvert, cessez ces restrictions, ces réticences qui ont dû vous être si pénibles, parlez-moi de tout et de tous; il est terrible de garder un nom dans le cœur, qui ne soit celui de Dieu, seul adorable; et il ne faut pas craindre de prononcer le nom de certaines personnes de qui l'on a pu être un instant ému comme si elles vous devaient être un sujet de damnation, alors qu'avec le secours divin elles peuvent tourner précisément à hâter votre salut.

»Mon cher enfant, je ne veux point vous entretenir davantage; c'est la grâce qui sauve et non point, hélas! nos paroles. Je ne cesse de prier pour vous, pour vous tous, et je fais des vœux pour que la santé de notre vénéré doyen me permette, coûte que coûte, de voler à votre aide.

»Je vous embrasse, mon enfant, et suis votre vieux et fidèle ami en N. – S.

»GATIEN DE PRÉBENDES, »Prêtre.

»P. – S.– Au moment où j'allais envoyer à la poste, je reçois un mot de monsieur votre père qui me dit qu'il a de vos nouvelles par une lettre qui lui plaît infiniment et qui fait qu'il est fier et content de vous; que, pour lui, il va bien et part pour la pêche. Cette lettre, qu'est-ce à dire? et que n'ai-je reçu la même!»

XVI

Septime prononça un juron tel que M. Grandier avait mis quarante ans avant d'en formuler de semblable.

– Eh! eh! fit celui-ci qui justement entr'ouvrait la porte, voilà qui ne va pas mal! Et je ne trouve pas mauvais qu'on se mette en colère quand on commence à devenir un homme.

– Docteur, dit Septime, qui avait rougi jusqu'à l'occiput, c'est que j'ai beaucoup de peine à déchiffrer la fine écriture de monsieur de Prébendes.

– Ah bah!.. ce bon abbé, cet excellent abbé! et comment va-t-il?

– Fort bien… et il attend que monsieur le curé doyen fasse de même pour venir nous rejoindre.

– En ce cas, prononça Esculape, il ne nous a pas rejoints.

– Mais, docteur, savez-vous bien que monsieur le curé fit sept fois le tour du jardin par l'allée des buis, dès auparavant notre départ.

– Alors, monsieur le curé est en état de porter le bon Dieu à mademoiselle Hubertine la Hotte au cas où elle ferait mine de tourner à trépas, et je vois que monsieur de Prébendes fait sa valise.

– Croyez-vous? fit vivement Septime.

– Vous y tenez donc bien? dit Esculape d'un air attendri.

Septime ne put s'empêcher de sourire. Il tournait déjà les talons et le docteur dépliait un journal; tous deux, à leur façon, pensaient à l'arrivée possible de l'abbé et ils couvrirent de politesse leur opinion plus ou moins amère:

– C'est un bien excellent homme! prononcèrent-ils tous les deux à la fois.

Septime, retiré dans sa chambre, s'affala en un petit fauteuil bas qu'on nomme crapaud, et froissant de la main la lettre, demeura quelques minutes anéanti comme à la suite d'un choc qui vous laisse étourdi et sans pensée. La colère le releva, colère contre l'abbé, contre sa finesse ecclésiastique, contre cette sorte de maternité religieuse qui le poursuivait; colère contre lui-même; colère contre tout.

Et il s'interrogeait, de la meilleure foi du monde, n'ayant pas eu la moindre conscience de sa bévue, la découvrant tout à coup par cette lettre parabolique et mielleuse, en même temps que par elle il découvrait son enfance encore d'hier, et se découvrait subitement vieilli d'années. Avoir écrit à l'abbé sans prononcer son nom! Dieu de Dieu! quelle puérilité! Et toute sa candeur lui fut révélée en même temps que son amour.

La fenêtre ouverte donnait sur la plaine d'Aix, encore baignée dans la vapeur du matin. Cependant, tout en face, la montagne du Chat avec sa crête dentelée apparaissait très nette, semée d'un vert menu et de petits arbres pignochés qu'on distinguait jusqu'à la cime. Elle s'abaissait lentement vers l'extrême pointe du lac, clos là-bas de deux monts bleuâtres et embarrassé de brumes cotonneuses et légères. Toute verte, toute moussue, la longue et molle colline de Tresserve, en avant du Chat, pareille à une lourde bête couchée au bord du lac qu'elle cachait en partie, s'y allait lentement baigner vers la droite, parmi des peupliers et un semis rare de toits rouges. Plus près, au bas des villas et de la basilique montante, la ville, dont les bruits ne parvenaient pas, semblait baignée dans ses eaux tièdes.

Septime parcourait ce pays, du regard; et il repassait ce qu'il en avait vu, ce qu'il y avait fait depuis son arrivée. Un petit torrent voisin, descendu des pentes du Mont-Revard et dont il remarqua pour la première fois le ronflement monotone, l'éclaira sur la sorte d'étourdissement qu'il avait subi depuis quelques semaines. Mais non! il n'avait pensé à rien! il ne savait rien! En vérité, l'abbé venait de lui tout apprendre avec ses façons d'envisager tout par rapport à Dieu. Lui-même avait négligé de se prendre au sérieux.

Il s'interrogeait sur les termes qu'il avait pu employer, sur les choses qu'il avait dites. «J'aurai donc parlé de ce Lac, disait-il, avec trop de tendresse, sans doute; oui, notre arrivée, la nuit, le train passant sur ces bords, et ce que j'ai senti de singulier, je l'ai dit. Ce poète aussi dont je n'ai pu ne pas parler!.. Mais elle, elle? passée complètement sous silence! Enfant! enfant!» Il s'en étonnait, se mordait les ongles; sa sottise lui paraissait monstrueuse. Et c'était tout naturellement que la sottise s'était commise. En face de l'image de M. de Prébendes, ce nom s'était dérobé, ce nom n'allait plus, ne cadrait plus avec cette noire soutane; et, sans effort, sans arrière-pensée, il l'avait laissé dans l'ombre qui lui semblait jolie. Ce nom s'enveloppait d'une discrétion toute neuve, n'avait rien à faire avec le reste des choses… Était-ce cela? Mais il l'avait bien prononcé vis-à-vis de papa, il avait parlé d'elle franchement, tant que l'envie l'en avait tenu. En effet, il paraissait qu'à papa l'on pût tout dire; même ce qui affectionnait l'ombre jolie et se vêtait de ce manteau de discrétion si délicat, si fragile, s'accommodait en face de papa de je ne sais quel surtout de couleur tendre, et souriait, et voulait bien danser au soleil sans être offusqué le moins du monde par le bon regard de papa qui voyait tout en simplicité.

Septime avait écrit ses deux lettres de la façon la plus coulante et aisée, et sans se douter même du poids qu'avait à son cœur ce qu'il découvrait à l'un si inconsidérément et, qu'à l'autre, il tenait caché avec une insistance trop évidente. Il avait flairé: cela va pour celui-ci; et pour celui-là, cela ne va point. Mais qu'était cela?

Or, une grande clarté venait de ces besicles lointaines, que sûrement l'abbé avait dû frotter du coin de son mouchoir, et fortement, ces temps-ci, comme il faisait quand il s'agissait de mettre au net quelque complexité. Et, à mesure que la clarté descendait et découvrait d'étranges replis ignorés de Septime, Septime s'émouvait en face de la ville d'Aix qui s'animait dans la tiédeur du matin et du Lac aux jolies brumes voletantes, peu à peu en allées. Il s'émouvait, non des tourments de l'abbé, non pas de ceci, non plus même de sa propre niaiserie à vendre si bon compte les choses de son cœur, non! mais de ce cœur lui-même que l'abbé, avec toute sa prudence, venait de lui découvrir et presque de lui toucher du doigt.

Il se leva brusquement du fauteuil, et fut debout sur le balcon. Quelque chose bondissait en lui-même, que sa poitrine lui semblait trop étroite pour contenir. Il y porta la main malgré lui et il eut la sensation physique de son amour, un peu de la même façon que les femmes sentent dans les flancs le germe tressaillir. De petites bouffées de vent lui caressèrent le visage, qui venaient de toucher, là-bas, les eaux et tout ce pays désormais adorable. Il ouvrit la bouche et s'en emplit. L'image de la jeune femme était éparse en tout cela, et, à la vérité, c'était elle qu'il aspirait. Et il s'en sentit envahi comme jamais encore. Un appétit de tendresse affolée l'empoigna; et il se serrait les mains l'une à l'autre nouées, pour ne pas faire le geste emphatique d'embrasser éperdument toutes choses.

Il bénissait sa sottise, il bénissait l'abbé, il bénissait tout le bénissable du monde; car il valait mieux décidément savoir son cœur et voir clair en soi à tout prix. Après cela, qu'importait le reste? Tout l'égoïsme de l'état d'amour prenait logement en lui.

Il revint au fauteuil, après cette première secousse; l'approcha du balcon, et s'y étendit, la nuque appuyée contre le sommet du dossier bas. Ainsi, caressé encore par les légères brises qui sentaient la montagne et le matin, il ferma les yeux et laissa venir la mémoire des moments et des objets chéris.

Pour tout ce qui était de son entourage immédiat et de ce pays nouveau, il ne s'étonnait point que cela prît la couleur d'enchantement qu'il y voyait. Mais il admira qu'il ne pouvait imaginer aucune des choses familières, une promenade, un repas, une phrase musicale, un son de voix, un appel et jusqu'aux plus menues et insignifiantes matérialités: sa lampe, son lit, son écritoire, et même le nœud de sa cravate, sans avoir conscience d'un élément inaccoutumé qui donnait à tout ceci une tonalité spéciale et jamais aperçue jusqu'ici. Il ne s'étudiait nullement, n'avait aucune habitude d'examen. Tout naturellement, en cet instant, lui venait la remarque de ces minutieuses bizarreries. Il ne remarquait point que c'était de tout à l'heure que les choses ainsi changeaient d'aspect, mais que de quelque temps déjà, elles étaient accoutrées de la sorte. «Il est curieux, pensait-il, que tout ait, vis-à-vis de nous, une physionomie si marquée puisque l'on en peut saisir la mobilité. Jusqu'à une voix qui m'appelle, la voix du docteur, par exemple, qui n'a pas changé, que je sache, me paraît une tout autre voix, me fait lever la tête d'une autre manière.» Et tout ce qu'il voyait, tout ce qu'il entendait, tout ce qui le frappait en quelque façon, lui paraissait empreint d'une douceur, d'une complaisance envers lui; il semblait que la moindre des choses fût aimable et tendre; il eût souri à un objet quelconque, car, véritablement, il le voyait sourire.

Il comprit qu'il n'y avait point d'objet, point de geste, point de parole qui ne lui rappelât la jeune femme; qu'il avait, et sans savoir, caressé de sa pensée toutes les choses environnantes, interprété par rapport à elle tout signe aperçu, tout mot prononcé, et que les choses ainsi imprégnées lui gardaient et lui rendaient la chère image comme feraient les fleurs de leurs parfums.

Il la vit, il la sentit elle-même partout. Les belles eaux du Lac, ces aimables grisailles des monts, et le charme de ce pays entier, c'était elle. Sa figure passait en quelque lieu qu'il portât sa vision. Elle ne l'avait pas quitté. Elle peuplait toute sa mémoire de deux grands mois en arrière. Il trouvait étrange d'avoir pu pénétrer en une vie si complètement différente sans éprouver la transition. Il est probable que l'on entrait de même en paradis et il devait falloir que quelqu'un vous y abordât un jour et vous dît: «Tiens! vous voilà ici!» pour qu'on s'en aperçût. Il le demanderait à M. de Prébendes.

Pour la première fois, le nom de M. de Prébendes le fit sourire. Pour la première fois aussi, il prononça: «Ce pauvre monsieur l'abbé!» Mais ceci fut léger comme le chatouillement d'une plume qui vous frôle en son vol: il n'eut pas le temps de réfléchir à ce que ce sourire et ces mots contenaient de clarté sur son évolution, un quart d'heure après que la semonce de ce même monsieur l'abbé l'avait troublé considérablement. Mais dans la joie de cette minute de conscience, il oubliait tout pour jouir de ces deux mois de bonheur presque ignoré. De la pénombre un peu molle, tiède et dolente, les images remontaient à la chaleur et à l'éclat du jour.

Un soubresaut le remit debout, avec une brutalité qu'il ne put maîtriser. Le rêve un peu trouble de sa béatitude le plongeait ainsi en de languides nonchalances, et la claire opposition, tout à coup, d'un détail précis, le faisait bondir comme un jeune fauve. Il se retrouva sur le balcon comme tout à l'heure, le cœur battant, le corps agité, une grande force inconnue, comme une source récemment jaillie, réclamant un épanchement, une action. Quelle? il ne savait. Mais il lui fallut absolument se mouvoir, aller, marcher devant lui, se rompre de fatigue, briser quelque chose, écraser un animal sous son talon, soulever des pierres, peut-être amonceler des moellons comme ces maçons qu'il apercevait construisant une villa. Il quitta sa chambre avec l'intention de s'élancer sur la route et d'aller loin.

Comme il arrive fréquemment, au milieu de la pire exaltation morale, Septime fut distrait par la plus prosaïque des réalités. M. Durosay et le docteur l'appelaient à la grille de la villa. Madame Durosay elle-même se penchait au balcon, en robe de chambre, et tout le domestique se pressait aux fenêtres pour voir passer une voiture à pétrole, de marche assez bruyante, et que dirigeait un homme élégant, de la physionomie de qui tout le monde retint la belle barbe brune.

XVII

L'homme à la belle barbe brune fut désormais une rencontre de tous les jours. On entendait de loin le mouvement trépidant de sa machine, et l'on voyait tout à coup déboucher la voiture lourde et gauche d'allure, mais rapide, au tournant d'une rue. On sortait des maisons et des boutiques et se levait aux terrasses des cafés pour admirer l'instrument nouveau. La forte silhouette élégante du conducteur, accompagné seulement d'un petit groom, rachetait ce que l'aspect mécanique de l'objet pouvait avoir de disgracieux, et quand les dames prononçaient: «Charmant!» on distinguait mal s'il s'agissait de l'appareil ou de ce monsieur. On le vit au Cercle, lors d'une représentation de Samson et Dalila dans la loge de Saint-Saëns. On le vit souper au même cercle en compagnie d'une jeune femme blonde grassouillette et animée d'une grande hilarité; et, le lendemain, à la Villa-des-Fleurs, vis-à-vis d'une svelte brune qui avait une sourde flamme dans le regard et beaucoup de beauté en tout ce qu'elle rendait apparent de sa gorge, sans aucune parcimonie. Après cela, quand on l'eut aperçu de la villa Julie, assistant à un lunch en plein air, offert par les divines sœurs Iñès et Mercédès, de l'Opéra, aux artistes parisiens et à S. M. spartiate, où l'on s'embrassa au dessert et prononça des mots insalubres, sa personnalité fut haussée, particulièrement dans l'esprit de M. Durosay, à cet étage spécial à la fortune où l'on passe la liberté des mœurs comme la colère au ciel et les impertinences aux enfants. Le notaire dirigea les promenades du côté du Petit-Port où l'on disait que, parfois, la voiture s'arrêtait pour prendre eau.

Dans les conversations, on disait: la Voiture.

Il y eut donc une minute inoubliable quand, à la descente des grands chars à bancs qui mènent à la Chartreuse, on reconnut la Voiture dans la cour de l'auberge, à Saint-Laurent-du-Pont. M. Durosay, entrant subitement en des subtilités, hésita s'il convenait de s'approcher comme tout le monde de la Voiture, ou si la discrétion ne commandait pas que l'on demeurât à l'écart et profitât d'un instant favorable pour en demander la permission au propriétaire. Grandier l'arrêta au bras.

– Parler ainsi de but en blanc à un homme qui donne la main au roi de Sparte et s'affiche avec des hétaïres!

Mais M. Durosay, fort sérieux, tint au contraire à faire le bravache, et, le chapeau à la main, s'épongeant de l'autre le front, d'une attitude mi-déférente, mi-aisée, il aborda carrément ce monsieur qui, pour l'instant, se lavait les mains, fort maculées du maniement des rouages.

– Ma foi, monsieur, dit-il, votre merveilleux moyen de locomotion m'intéressant vivement en qualité de propriétaire et, à la fois, d'ami du progrès, je prends la liberté de me présenter à vous et de vous demander quelques petits renseignements.

Il se nomma, le sourire aux lèvres, toute la figure dilatée d'une vaste satisfaction.

– Parfaitement! parfaitement! faisait ce monsieur, regardant, plutôt que M. Durosay, la renaissante blancheur de sa main parmi la mousse du savon. Excusez-moi, je vous prie, et voyez tout d'abord que l'invention a l'avantage de vous entretenir en malpropreté.

Mais ayant aperçu madame Durosay sans doute lorgnée déjà parmi les beautés du balcon, il eut une subite vibration des cils, s'essuya vite, salua, et fut tout aménité et complaisance. Il dut se nommer quand M. Durosay eut achevé les présentations et, charmé de la compagnie d'une jeune femme, esquiva la démonstration du mécanisme de la voiture en conversant tout de suite aimablement et quasi de rien.

M. Godefroy Lureau-Vélin, ingénieur, à la tête d'une grande fortune, vivait à sa guise et en complète indépendance. Il avait beaucoup et longtemps voyagé, voyagerait sans doute encore. Cependant il commençait à se faire vieux, disait-il avec un sourire fin, il essaierait de se fixer. C'était dans ce but qu'il parcourait la province, à la recherche d'une terre qui lui plût.

– J'ai ce qu'il vous faut, fit sur-le-champ maître Durosay, notaire. La terre de Saint-Pont…

M. Godefroy Lureau-Vélin jeta un nouveau et rapide regard du côté de madame Durosay, et se passant la main tout le long de la barbe, prononça:

– Nous en reparlerons, monsieur, très volontiers.

– Bigre! fit, à part lui, Grandier qui se piquait de voir loin dans les choses, cependant que Septime levait sur le nouveau venu des yeux remplis d'étonnement, d'admiration et d'une immédiate et sourde haine incomprise.

Tout cela fut l'affaire d'une courte minute. On traversait un petit pont. Des groupes d'excursionnistes stationnaient le temps du relais.

– Avez-vous jamais fait la montée de la Grande-Chartreuse, au clair de lune? demanda M. Lureau-Vélin.

– Nous ne l'avons jamais faite.

En ce cas, M. Lureau-Vélin proposa d'attendre à Saint-Laurent la tombée de la nuit, ce qu'il n'eût pas eu la patience de faire sans l'aubaine d'une aimable compagnie, mais que, pour lui, il désirait ardemment, sachant la promenade incomparable.

– Au clair de lune! oh! oui, au clair de lune! s'écria madame Durosay un peu enfantine, battant des mains et découvrant la double rangée pure de ses dents.

Il fut aussitôt décidé que l'on abandonnerait les grands chars à bancs, dînerait au village même, et laisserait se lever la lune. La Chartreuse ne fermait ses portes à présent qu'à dix heures; on assisterait à l'office de nuit qui se dit à onze heures et demie, après avoir confié madame Durosay à l'hôtellerie des dames. Quant au retour, M. Lureau-Vélin ne voulut point qu'on y pensât; il se ferait un plaisir de ramener tout le monde en sa voiture, ce qui permettrait à M. Durosay d'en voir de près et étudier le fonctionnement.

Le jour s'acheva sans que l'on y prît seulement garde. M. Lureau-Vélin parlait avec une égale aisance de tout et à tous. Il s'initiait d'un coup au caractère, aux penchants et jusqu'aux manies de chacun; et les flattait incontinent par son dire expert et souple, ses connaissances variées, son prodigieux et prompt accommodement aux tempéraments les plus divers. Il conquit le docteur par son habileté et le reste de la société par un prestige d'homme supérieur. M. Durosay était anxieux de connaître la nature des liens qui l'unissaient à l'illustre musicien Saint-Saëns et à Sa Majesté le roi de Sparte. M. Lureau-Vélin le séduisit beaucoup plus que s'il avait dit: «Ce sont mes cousins», en avouant avec une adorable simplicité qu'il les connaissait par le pétrole. En toutes choses, il agissait avec une semblable bonhomie et cependant vous déconcertait.

M. Lureau-Vélin craignit pour sa machine les côtes par trop dures; on prit un break et l'on partit à la nuit noire.

Septime, gagné lui-même par certaines attentions particulières qu'ont rarement les hommes pour les très jeunes gens et par une façon que ce monsieur avait de vous prendre au sérieux, blottissait cependant avec plus de plaisir qu'à la conversation de M. Lureau-Vélin, contre la hanche et le bras de madame Durosay, l'exaspération de son amour, croissante depuis ces derniers jours.

Ils s'accordaient, à présent, tout ce qui, des caresses, n'en a pas la figure bien consacrée, tout ce qu'on s'imagine que l'on pourrait à la rigueur, se permettre sans s'aimer, tout ce qui peut encore dérouter une interprétation un peu douée de complaisance. Ils s'asseyaient infailliblement l'un contre l'autre et toléraient le contact immédiat et chaud de leurs personnes; ils se prenaient la main en toute occasion, en principe; et à défaut, se les laissaient errer voisines: une occasion était, par exemple, de proposer brusquement de jouer à la main chaude en en donnant aussitôt l'exemple, d'ailleurs jamais suivi; ou bien de lire les lignes de la main; le défaut d'une occasion, c'était de se rencontrer par hasard sous les châles et de demeurer ainsi, un doigt contre un doigt, immobiles et sans oser plus.

Mais, ce soir, une fièvre extraordinaire, ardente jusqu'à la douleur, animait l'âme et la chair de Septime. L'introduction, dans le petit groupe si formé à une consistance immuable, de cet homme important et nouveau, sans encore éveiller en lui la jalousie, qu'il ignorait, lui communiquait une sorte de hâte brûlante, de disposition à se jeter tête baissée dans le flot d'instincts qui l'assourdissait et enfin le voulait rouler dans son tourbillon plus fort que tout. Et sa nature, fortement ouverte au monde extérieur, recevait de ce nouveau personnage une force d'imitation confuse, mais qui le servait. La hardiesse contenue de ce monsieur; ce qu'on savait et devinait de sa vie galante, de sa puissance séductrice, et la belle politesse sous laquelle il habillait de simple bon ton toutes ses réserves précieuses, enfin, l'aise avec laquelle il se mouvait, en élégance, parmi les femmes et les hommes, causaient au jeune homme le mirage de sa propre personnalité qu'il eût désirée telle, et il s'augmentait véritablement de la vertu de ce reflet.

On mit pied à terre quand la lune parut. La côte était extrêmement rapide et les chevaux allaient au pas.

Mais le spectacle fut tout à coup inouï. La route serpentait dans la gorge que des pics feuillus, exagérés par l'ombre, dominaient, étranges et terribles. Les regards se perdaient, par une complaisance naturelle aux effets romantiques, parmi les déchiquetures des cimes sombres découpées sur une nuit de lumière. Une silhouette d'arbre, parfois, apportait sa familiarité reposante en ce beau jeu d'ombres du ciel et de la terre; et c'était subitement une percée immense où les yeux erraient dans la brume d'argent vaporeuse apparue comme un rideau divin pour une féerie nouvelle. En effet, d'autres monts surgissaient, d'assemblage fantastique, d'apparence irréelle, à cause de leur splendeur diverse et renouvelée à plaisir et à cause des jeux étonnants de la clarté lunaire sur les plans échelonnés, pour un résultat de séduction et d'angoisses et d'effarements.

Madame Durosay et Septime, un peu lents, marchaient en arrière, et la jeune femme, à chaque tournant de la route, ne pouvait retenir son petit cri. M. Lureau-Vélin parlait, de sa mâle voix mélodieuse, et il se plut à diriger les impressions qui eussent pu demeurer en la puérilité coutumière qu'ont les femmes au clair de lune. Il savait, par de justes comparaisons pittoresques, rendre sensible et élargir le spectacle, et surtout, après les expressions appropriées, garder de ces habiles silences qui prolongent l'écho des paroles. Il dit même des vers, car cet homme possédait tout; et la musique en demeurait durant qu'on avançait dans l'enchantement.

La jeune femme, prise au milieu de sa crise de sens, subissait un charme impersonnel; sa sensualité attendrie et les environs habituels de sa tendresse en profitaient, et à mesure que sa tête s'échauffait de visions, elle se désaltérait du doux visage muet de Septime qui, lui, ne voyait rien qu'à travers elle ou qu'elle à travers tout.

M. Lureau-Vélin éveillait le souvenir d'épisodes romanesques où se trouvaient justement mêlées des somptuosités de paysages; il évoquait de grands poètes, depuis Chateaubriand jusqu'à Loti. Et les aventures connues d'un René ou d'une petite Rarahu, se retraçaient dans l'imagination des amants simples, soutenues et avivées par le déroulement continu d'un décor harmonieux, et les pénétraient doucement et profondément, comme une nourriture idéalement appropriée à leurs appétits et à leur moment. Un tel penchant à l'abandon naturel, à la caresse instinctive, naissait de ces histoires, en cet extraordinaire milieu! Le cœur de Septime battait jusqu'à le contraindre de s'arrêter, par instants, en la montée. Elle souriait à tout, voulait baiser les feuillages et boire la jolie vapeur de lune. Un tronc d'arbre penché leur fit peur, parmi des roches obscures; ils se saisirent la main, et dans le prétexte du léger effroi, affolés tout à coup de la fraîche moiteur de leur visage, se donnèrent leur premier baiser. Sans un mot. Ils voulurent même, aussitôt après, faire entre eux comme si rien ne s'était passé, et, riant de leur peur, ils allèrent toucher l'arbre. Pourtant, dans l'instant de cet enfantillage, la face du monde et le sens de la vie étaient changés pour eux.

Brusquement, la lune haussée dans le ciel éclaira la profondeur de la gorge au-dessous du niveau de la route. Des brises momentanées y faisaient frissonner de petites feuilles d'argent pareilles à des miroirs aux alouettes sur les bords des gouffres. On découvrait les arbres par la cime et le trou noir immense semblait sans fond. C'était toute la féerie fantastique retournée. On relevait les yeux: non, les mêmes scènes grandioses se jouaient encore en haut. Et l'on restait suspendu sur ce ruban étroit et serpentant, entre ces deux emphases pittoresques où M. Lureau-Vélin jetait des vers d'Hugo répercutés de ciel en abîme.

Ce soir-là, les amants eussent accompli l'invraisemblable.

M. Lureau-Vélin décrivit par avance à madame Durosay la façon dont elle serait logée à l'hôtellerie des Dames. Il dit la qualité du lit, les images de piété appendues, le prie-Dieu; il eut même un tour charmant et discret pour annoncer les objets d'un plus familier usage. C'était à croire qu'il y eût couché lui-même. Il ne dit point quelle dame il y avait hospitalisée; mais il frappa lui-même à la porte et la sœur tourière eut, pour toute sa personne si comme il faut, un signe de reconnaissance.

À la Chartreuse même, en face, où l'on frappa après avoir dit adieu à madame Durosay, il s'informa près du frère portier de la santé du R. P. supérieur qu'il avait eu l'honneur d'approcher. Un religieux, muni d'une planchette de bois crasseux percée de petits trous numérotés, indiqua à ces messieurs leurs cellules et planta de petites fiches dans les trous correspondants.

Éveillerait-on ces messieurs pour l'office de nuit? Préféraient-ils attendre en se promenant dans la cour?

À peine avait-on fait dix pas dans cette cour de couvent, désormais inoubliable, que M. Lureau-Vélin, décidément en verve, aborda des sujets auxquels on était le plus éloigné de s'attendre. Les toits d'ardoise brillaient sous la lune, et le pignon du porche d'entrée piquait durement le ciel de ses arêtes de zinc. Le grand Som, dressé au delà des portes, recevait de Phœbé des caresses ambiguës. Cette nuit claire, improvisée après cette montée romanesque, et dans ce monastère célèbre et isolé, disposait les âmes à la méditation ou, du moins, les tournait à des impressions insolites. M. Durosay, lui-même, s'apprêtait à exalter la magnificence de la vie des pieux solitaires. Septime mêlait de la religiosité à sa passion. Grandier, qu'intriguait le nouveau compagnon, s'attendait à l'entendre encore débiter ici quelque intelligent à-propos.

– Pour moi, dit M. Lureau-Vélin, je vous avouerai, messieurs, que ce couvent si scrupuleusement masculin, accroupi vis-à-vis de ce mystérieux dépôt de dames, m'engagea toujours à des pensées érotiques.

Et, comme on souriait de l'image un peu paradoxale, il se hâta de l'éclaircir.

– Je ne sais si cette impression est personnelle et causée chez moi par une certaine analogie. Je fus élevé en un collège qui n'était séparé que par une étroite impasse d'un pensionnat de jeunes filles. Durant les études, nous entendions parfois chanter ces demoiselles, et il arrivait qu'aux récréations nous puissions confondre nos cris. Cette particularité même devint un jeu pour quelques-uns et, pour d'autres, une étrange volupté. Au milieu du jeu de balles ou d'une course de chars, on entendait un cri isolé auquel une voix plus aiguë, dehors les murs, répondait comme par hasard. Notre adolescence s'écoula dans cette atmosphère échauffée. Nous ne voyions nos petites voisines qu'en nos rêves, mais nous les y voyions extrêmement. Il y eut des nôtres qui en moururent; ce ne fut pas ceux qui escaladèrent les murailles et parvinrent à toucher les chères mignonnes d'à côté.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
25 haziran 2017
Hacim:
270 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
Metin
Средний рейтинг 0 на основе 0 оценок
Metin
Средний рейтинг 0 на основе 0 оценок
Metin
Средний рейтинг 0 на основе 0 оценок
Metin
Средний рейтинг 0 на основе 0 оценок
Metin
Средний рейтинг 0 на основе 0 оценок
Metin
Средний рейтинг 0 на основе 0 оценок
Metin
Средний рейтинг 0 на основе 0 оценок
Metin
Средний рейтинг 0 на основе 0 оценок
Metin
Средний рейтинг 0 на основе 0 оценок
Metin
Средний рейтинг 0 на основе 0 оценок