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Kitabı oku: «Histoire des Plus Célèbres Amateurs Étrangers», sayfa 11

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CHAPITRE XVII

Franciscus Junius, bibliothécaire du comte d'Arundel, et son traité De pictura veterum. – Analyse et citations de cet ouvrage. – Approbation qu'il reçoit de H. Grotius, de Van Dyck et de Rubens. – Effet produit en Angleterre par l'arrivée des marbres achetés par le comte d'Arundel. – Leur explication par Selden. – Opinion de Rubens. – Collection d'antiques à Arundel-House.

1589 – 1636

Parmi les hommes célèbres qui vinrent se fixer en Angleterre, attirés par la renommée du roi Charles Ier, et par la liberté dont on jouissait dans ce pays, il ne faut pas oublier Franciscus Junius257, l'un des savants du dix-septième siècle qui ont le mieux étudié et le mieux compris l'histoire de l'art dans l'antiquité. Son père, Franciscus Junius, de Bourges, n'était pas moins recommandable, selon le témoignage de Jean-Georges Grævius258, par la modération de son caractère que par la pureté de ses mœurs. Après avoir embrassé la religion réformée, et s'être fait ministre, il avait quitté la France, et s'était réfugié en Allemagne pour éviter les persécutions. Établi d'abord à Heidelberg, c'est là que naquit, en 1589259, l'auteur du traité De pictura veterum. Junius père, ayant eu l'intention de rentrer en France, avait quitté Heidelberg en 1592. Mais comme il traversait la Hollande, les états des Provinces-Unies lui envoyèrent une députation d'une des provinces, pour l'engager à se fixer à Leyde, afin d'y enseigner la théologie. Il accepta ces fonctions, et s'en acquitta à la grande satisfaction de l'Église et de la célèbre université de cette ville, jusqu'en 1602, année dans laquelle il mourut.

Son fils grandissait et s'appliquait à l'étude des mathématiques, avec le projet arrêté de suivre la carrière des armes, sous les ordres du prince d'Orange. Mais, en 1609, une trêve de douze ans ayant été conclue avec l'Espagne, il changea de résolution, et se livra entièrement à l'étude des sciences et des belles-lettres, et en particulier des saintes Écritures. Il commença par réunir, mettre en ordre et publier les écrits de son père; il se rendit ensuite en France, et, en 1620, passa en Angleterre, se faisant aimer des savants et des honnêtes gens pour l'élévation de son esprit, la profondeur de son savoir, et l'extrême aménité de son caractère. Charmé par l'agrément que lui offrait l'heureuse Angleterre, et retenu par la bienveillance que lui témoignaient les hommes distingués qui l'y avaient si bien accueilli, il y fixa son séjour, et passa trente années, comme bibliothécaire, dans la famille du comte d'Arundel. C'est pendant cet intervalle qu'il composa son traité De pictura veterum, qui fut envoyé par Guillaume Blavius à Amsterdam, vers 1636, pour y être imprimé.

Cet ouvrage, modèle d'une véritable érudition, n'empêcha pas Junius de se livrer à des travaux beaucoup plus arides, et qui épouvanteraient aujourd'hui l'imagination du savant le plus déterminé. Possédant à fond, comme tous les lettrés de son siècle, les langues grecque et latine, Junius voulut remonter aux origines des principaux idiomes de l'Europe occidentale. Il se mit donc d'abord à étudier la langue anglo-saxonne, et démontra qu'elle avait été la source des langues allemande, anglaise et flamande. Il apprit ensuite les anciens idiomes du Nord, le goth, le franc, le cimbrique, qu'on appelle aussi runnique, et le frison. Il s'assura, par ces études, qu'un grand nombre de mots en usage aujourd'hui, en français, en italien et en espagnol, sont tirés de ces dialectes primitifs. Il donna le premier spécimen de sa profonde connaissance de ces anciennes langues en publiant à Amsterdam, en 1655, ses observations sur la paraphrase du Cantique des cantiques de l'abbé Willeram, publiée par Paul Merula, en 1598, à Leyde. Nous ne suivrons pas Junius dans ses travaux philologiques, qu'il poursuivit en Hollande, et qu'il reprit en Angleterre, où il revint en 1674, pour n'en plus sortir. Il nous suffira de renvoyer à sa vie par Grævius, et de dire que, jusqu'à l'âge de quatre-vingt-six ans, il consacra à ces recherches si difficiles et si ingrates toutes les ressources d'un esprit actif, et toutes les heures d'une vie entièrement livrée à l'étude. Après avoir passé deux ans à l'université d'Oxford, où il avait sous la main les matériaux de ses recherches, il vint mourir à Windsor, chez son neveu, Isaac Vossius, que le roi Charles II avait admis comme chanoine du chapitre de l'église de Windsor, nonobstant sa qualité d'étranger.

Junius, pour payer à l'Angleterre la dette de l'hospitalité qu'elle lui avait accordée pendant plus de trente années, légua tous les manuscrits de ses ouvrages à l'université d'Oxford, où il avait longtemps travaillé. On peut en voir la liste à la suite de sa Vie par Grævius. Ce savant fait le plus grand éloge de l'auteur du traité de la Peinture des anciens. Il l'avait connu dans sa jeunesse à Amsterdam, et il raconte qu'il fut reçu par cet éminent interprète de tant d'anciennes langues avec la plus grande bienveillance. Introduit dans la bibliothèque de Junius, il s'entretint avec lui pendant longtemps des nouvelles de la république des lettres. Grævius le représente au physique comme étant d'une taille peu élevée, d'une figure maigre, mais comme doué d'une heureuse proportion de tous ses membres. Au reste, on peut en juger par ses portraits. Il en existe un d'Adrien Van der Werff, admirablement gravé par P. – A. Gunst, et qui est placé en tête du traité de la Peinture des anciens. Junius y est représenté en buste, dans un médaillon que deux génies s'efforcent de fixer à une pyramide entourée d'ifs. Il paraît dans la force de l'âge, il est vu de trois quarts, porte la barbe, comme ses contemporains, et sa physionomie montre un mélange de sérieux, de finesse et de pénétration qui révèle bien son origine gauloise. Au-dessous, sont les attributs de la peinture et de la sculpture, une palette, des pinceaux, un marteau, un ciseau; tout à fait au bas, la trompette de la Renommée entourée d'une couronne de lauriers. On lit sur le socle de la pyramide les vers suivants:

 
«Franciscus Junius, F. F.260.
Hic dedit æternam claris pictoribus umbram
Quod dare pictorum non potuere manus;
Vincit Appellœos hac Junius arte colores,
Junius ingenio nobilis, arte, domo.»
 

Un autre portrait de Junius avait été fait par Van Dyck; il est aujourd'hui à l'université d'Oxford. Nous ignorons si ce portrait est le même que celui qui a été gravé par Hollar, et dans lequel Junius est représenté à mi-corps, tenant de sa main droite un livre entr'ouvert, avec l'indication qu'il a été peint Ætatis XXXXIX.

Bien que le corps de Junius eût été déposé dans l'église de Windsor, l'université d'Oxford voulut lui élever au milieu d'elle un monument funèbre, pour attester sa reconnaissance du legs qu'il lui avait fait. L'épitaphe, rapportée par Grævius, en est attribuée à Isaac Vossius, qui a pu, en toute vérité, dire de son illustre parent:

 
…Per omnem ætatem.
Sine querela aut injuria cujusque
Musis tantum et sibi vacavit.
 

Nous n'avons point à nous occuper des nombreux ouvrages que Junius composa sur les anciennes langues de l'Europe, ou sur l'Écriture sainte; mais nous donnerons une analyse succincte de son traité de la Peinture des anciens, l'un des premiers ouvrages sur les arts publiés en Angleterre.

Dans sa dédicace à Charles Ier, Junius explique l'origine de ce livre et les encouragements qui l'ont déterminé à le composer. «Grand prince, dit-il au roi, il y a dix-sept années que je me suis réfugié dans la Grande-Bretagne, comme dans un port de paix et à l'abri des orages, au milieu des troubles et des convulsions du monde entier. Admis sur les recommandations de Lancelot, alors évêque de Winton, et de Guillaume, évêque de Methuen261, aujourd'hui archevêque de Cantorbéry, dans la noble famille d'Arundel, je me suis appliqué dès lors, selon le désir de l'illustre comte d'Arundel et de Surrey, à réunir et examiner tous les passages des auteurs anciens les plus accrédités, non-seulement dans la vue d'écrire l'histoire des artistes, mais pour pénétrer à fond et découvrir la nature même des arts d'imitation…

…«La matière s'étendant à mesure que j'entrais plus avant dans mon sujet, j'entrepris une tâche plus large que celle qui m'avait été imposée, d'abord pour témoigner toute ma gratitude à l'illustre personnage qui m'avait si bien accueilli; ensuite pour ne pas me traîner, comme le vulgaire, sur les traces de tout le monde. Et, puisque j'en suis à ces détails, je ne puis me dispenser d'offrir ici l'hommage de ma profonde reconnaissance à la divine Providence, aussi bien qu'à Votre Majesté, dont le gouvernement s'applique à maintenir la paix publique, et permet ainsi à chacun de se livrer dans une heureuse sécurité à l'étude des belles-lettres…

…Comment pourrais-je passer sous silence cette constante sollicitude à encourager les arts et les sciences, à l'aide de laquelle Votre Majesté a dissipé, comme l'astre le plus lumineux, les épaisses ténèbres des siècles précédents, et conquis de toutes parts les ornements de la paix. De là le calme régnant dans toute la Grande-Bretagne, de là cette renaissance des beautés primitives de l'art… C'est pourquoi nous n'avons rien à envier, dans ce siècle, à l'antiquité, cette mère féconde des belles et bonnes choses. On rencontre rarement, je l'avoue, un Apelles ou un Phidias; mais c'est, peut-être, parce qu'on trouve plus rarement encore un Mécène; car les maîtres de la terre sont, en général, peu disposés à encourager ces rares génies. Les grands esprits, les intelligences supérieures seraient puissamment excités si, au milieu des soins incessants que réclament le maintien de la paix, la conduite de la guerre et les autres nécessités du gouvernement, les souverains ne se contentaient pas seulement d'aimer et d'encourager les lettres et les arts, mais s'ils se décidaient à les cultiver avec nous. L'exemple de Votre Majesté montre à tous, combien il est agréable et même utile de se délasser du souci des affaires les plus sérieuses par un repos intelligent, qui occupe à la fois les yeux et l'esprit.

…Quant à moi, comme je ne pouvais voir avec les yeux du corps les beautés de l'art que l'antiquité révèle à ceux qui savent la comprendre, je me suis appliqué à les décrire et à les expliquer, en suivant les indications et les types que l'illustre comte d'Arundel mettait à ma disposition. C'est pourquoi je me suis laissé entraîner à réunir les anciennes règles éparses et dispersées parmi les écrits que nous a laissés la docte antiquité, et à les rédiger en corps de doctrine, afin qu'étant parvenu à percevoir dans mon esprit comme une image de l'ancienne peinture, ou du moins une ombre de cette image, il me fût plus facile d'apprécier toute la beauté de cet art précieux… Sous les auspices et avec les conseils de cet homme illustre, j'offre donc respectueusement à Votre Majesté la peinture des anciens. C'est un hommage assez faible, si l'on s'arrête à mon style; mais il est grand par l'intention qui me dirige, il est digne de Votre Majesté par le choix du sujet. Je ne me laisserai point émouvoir par l'ignorance et la lâcheté de certains esprits dépravés de ce siècle qui, ne pouvant comprendre la sublimité de l'art, s'efforcent soit de le rabaisser, soit de l'élever au delà des forces humaines. L'art, il est vrai, peut s'élever jusqu'au sublime, et de cette hauteur défier tous les faibles efforts des hommes: il méprise les esprits grossiers et barbares qui ne sont attachés ici-bas qu'à leur ignorance obstinée; ou bien il éblouit, par son brillant éclat, leurs yeux obscurcis par les ténèbres d'une nuit profonde. L'art est une grande chose; il demande à rencontrer un connaisseur, un appréciateur qui soit au niveau de sa beauté. Alors il se soutient en honneur auprès de tous… Avec un tel Mécène, la peinture triomphe et doit triompher: qui oserait plus tard la mépriser, lorsqu'on saura en quelle estime elle a été tenue par un si grand prince?..»

Junius, lorsqu'il écrivait cette phrase, vers 1636, ne se doutait guère que, bientôt, d'affreuses dissensions civiles amèneraient la chute et la mort tragique du malheureux Charles Ier, et que ces grands seigneurs anglais, dont il vante, dans sa dédicace, l'amour éclairé pour les arts262, seraient les premiers à ordonner, par acte du Parlement, la vente aux enchères publiques de l'admirable collection de tableaux, de dessins, de statues et d'autres objets précieux réunis en Angleterre, avec tant de peines et de dépenses, par l'infortuné monarque!

Le traité de Junius est divisé en trois livres, qui sont eux-mêmes subdivisés en chapitres. Comme il se propose de suivre le développement de l'art de la peinture depuis sa naissance, il enseigne, dans le premier livre, quelle fut son origine; dans le second, quelles ont été les causes de ses progrès; dans le troisième, comment elle est parvenue à sa perfection263.

Après avoir présenté des considérations générales sur la faculté innée chez l'homme de pouvoir tout imiter, Junius s'efforce de démontrer, dans son premier livre, que cette faculté peut être surtout développée par l'imagination, pourvu que cette folle du logis ne se laisse pas trop emporter, comme il arrive aux jeunes gens, par les écarts déréglés du caprice ou de la fantaisie. Et comme cette intempérance d'imagination est commune aux poëtes et aux peintres, il profite de l'occasion pour examiner ce que la poésie et la peinture ont entre elles de semblable; il ajoute, en passant, quelques conseils à l'usage de ceux qui veulent considérer avec attention les œuvres de la peinture.

Dans le second livre, l'auteur entreprend de prouver que c'est la nature qui a donné à l'homme le désir de tout imiter, et que, si l'imagination le pousse à produire et à créer, il y est excité encore par beaucoup d'autres causes. Avant tout, il indique Dieu, source et origine de tout bien, comme l'auteur de cette faculté donnée à l'homme. La bonté divine a voulu que l'enfant reçût ses premières impressions de ses parents, dont les préceptes l'initient d'abord aux règles des arts. Livré ensuite à ses propres forces, si le jeune homme, chez les anciens, était disposé à se laisser aller à de mauvais penchants, il était retenu par la crainte des lois rendues contre les corrupteurs des arts. Si, au contraire, étant doué d'un jugement sain, il était décidé à ne pas s'écarter des principes de son premier enseignement, il ne tardait pas à trouver des encouragements dans une utile émulation et dans les conseils des maîtres. Bientôt, son esprit était attiré par cette admirable douceur de l'art, jouissant d'une émulation naturelle, par cette force qui sait réunir et s'approprier, à l'aide d'un exercice constamment répété, tout ce qui est utile à la pratique de l'art. L'honneur que les hommes de tout rang rendaient aux arts, l'espérance du succès et de la gloire, flattaient l'amour-propre de l'artiste; joyeux, plein de confiance en lui-même et rempli d'une heureuse audace, il n'hésitait pas à entreprendre de grandes choses. La félicité publique, dont, selon l'auteur, les peuples jouissaient dans ces heureux siècles, favorisait beaucoup cette ardeur et ce désir de gloire. En outre, les succès particuliers contribuaient à entretenir l'émulation générale et l'espoir de réussir.

Après avoir ainsi fait ressortir les causes des arts d'imitation chez les anciens, Junius, dans son troisième livre, examine les effets de cette force imitatrice qui réside dans l'intelligence de l'homme; il suit les progrès qu'elle a faits et la perfection qu'elle a su atteindre. Il observe, chez les anciens, dans la peinture, cinq parties capitales: l'invention ou sujet; la proportion ou symétrie; la couleur, et, avec elle, la lumière et l'ombre, le clair et l'obscur; le mouvement, soit l'action et la passion; enfin, l'ordonnance ou disposition économique de tout l'ouvrage. Les quatre premières parties, c'est-à-dire l'invention, la proportion, la couleur et le mouvement, étaient observées avec soin par les anciens dans toute peinture, soit qu'elle ne représentât qu'une seule figure, soit qu'elle en contînt plusieurs. Quant à la disposition, ils ne s'en occupaient que dans les tableaux comprenant plusieurs figures, afin que, par la diversité du jeu de la lumière, l'ordonnance fît mieux ressortir la différence des corps et des objets représentés sur la même surface. Les anciens ne faisaient pas consister la perfection de l'art uniquement dans l'observation de ces cinq parties: ils voulaient encore qu'une certaine grâce, semblable à celle répandue sur toute la personne de Vénus, se fît remarquer dans chacune des parties du tableau, et les fît toutes également admirer. Junius donne donc des conseils pour trouver et rendre la grâce, sans laquelle, quels que soient la science et le talent, un artiste ne saurait jamais se flatter d'arriver à la perfection.

Telle est la théorie du savant auteur du traité de la peinture des anciens. Il procède, on le voit, avec les formes pédantesques du seizième siècle, et son ouvrage, bourré à chaque page de citations grecques et latines, est un véritable prodige de science et d'érudition. Aucun auteur ancien qu'il ne cite ou ne commente: il fait le même honneur aux critiques et glossateurs modernes le plus en réputation de son temps, tels que Budée, Casaubon, Grotius, Gruterus, Saumaise, Scaliger, Selden et les deux Vossius. Cet étalage d'érudition était dans le goût de l'époque, où dominait encore, parmi les lettrés, l'usage habituel du grec et du latin. Cette manière de procéder paraît fastidieuse au savoir facile, mais un peu superficiel, de notre temps. Il est certain néanmoins qu'en dépouillant le traité de Junius de son enveloppe par trop hérissée de grec, et en laissant de côté ses déductions, qui sentent trop l'école et la scolastique du moyen âge, on y trouve une connaissance approfondie de l'antiquité, accompagnée de considérations qui dénotent un esprit aussi juste que cultivé. On ne doit pas oublier, pour juger son livre avec impartialité, que, depuis la Renaissance, Junius est le premier qui ait cherché à expliquer l'origine de l'art chez les anciens, non en artiste, comme Léonard de Vinci, Vasari et d'autres biographes italiens, mais en véritable philosophe, qui fait remonter la source du beau comme du bien, et par conséquent des arts d'imitation, jusqu'à Dieu lui-même.

Pour donner une idée du style et de la manière de raisonner de l'auteur, nous citerons le passage suivant, dans lequel il développe cette thèse264.

«L'excellent, le très-grand créateur de l'univers, a fait ce monde de telle sorte, que les Grecs, d'accord avec les autres nations, l'ont appelé χοσμος, c'est-à-dire ornement, et les Latins mundus, à cause de l'élégance et de la perfection de toutes ses parties. Quant à ce qui est de l'homme, Dieu ne l'a pas créé à son image pour qu'il vécût semblable à une vile brute; mais pour que, se rappelant son origine, il s'avançât vers une éternité de gloire, en suivant le droit chemin de la vertu. Depuis l'origine du monde, cette opinion réside au fond de l'âme de tous les hommes, et elle n'a pas moins cours chez le vulgaire que parmi les savants. Cette raison suffit à elle seule pour élever de terre l'esprit de l'homme, et le conduire, pour ainsi dire, jusque dans le ciel. Mais au milieu de l'immensité des choses de ce monde, la nature pousse les uns dans une voie, les autres dans une autre. Celui-ci, dans sa haute intelligence, mesurant l'étendue du monde lui-même, calcule, le compas à la main, la circonférence du globe, et livrant à la postérité le catalogue des étoiles, révèle les lois des astres, laissant, pour me servir des expressions de Pline, le ciel en héritage à tous. Cet autre, non sans une terreur causée par la majesté du spectacle, s'efforce de découvrir et de pénétrer les secrets les plus profondément cachés dans le sein de la nature; il s'étudie à comprendre et à expliquer les nuées, les tonnerres, les tempêtes, les mers et les autres phénomènes par lesquels la terre et ce qui l'environne sont agités. L'homme qui aime à contempler le spectacle de la nature examine toutes choses: il comprend que tout cela le regarde; bien plus, il sait qu'il a été placé lui-même sur cet immense théâtre comme spectateur et admirateur de l'œuvre sublime de la création. Qu'est-ce, en effet, autre chose que l'homme, si ce n'est l'être se rapprochant le plus de Dieu, et créé pour contempler tout ce qui compose le monde. Anaxagoras, interrogé pourquoi il avait été mis au monde, répondit: «Afin de contempler le ciel, le soleil et la lune.» «L'homme, dit Cicéron (De Naturâ Deorum, lib. II), est né pour contempler le monde et imiter ce qu'il voit. – Je crois que les dieux immortels, dit le même Cicéron (In Catone Majore), ont introduit les âmes dans les corps des hommes afin d'établir des êtres qui pussent considérer la terre, et qui, contemplant l'ordre établi dans le ciel, s'efforçassent de l'imiter par leur manière de vivre et par leur constance.»

Ce n'est que longtemps après avoir plané à ces hauteurs métaphysiques, que Junius se décide à aborder son sujet au point de vue historique et critique. Il le fait, dans le troisième livre de son traité, avec une grande richesse d'érudition, et une force non moins remarquable de raisonnement. Néanmoins, il n'a pas d'illusion sur la valeur de son œuvre, et ne croit pas qu'elle soit à la hauteur du sujet qu'il avait entrepris de traiter.

«Si quelqu'un, dit-il en terminant265, venait à croire que j'ai pu épuiser un sujet si vaste, dans un ouvrage si court, il se tromperait gravement; car il n'apercevrait ni mon insuffisance, ni l'étendue de la matière. Je me suis proposé seulement d'indiquer aux artistes, ainsi qu'aux amateurs de ces attachantes études, les sources où ils pourraient puiser et les pentes qu'elles suivaient. Mais je n'ai pas eu la présomption de m'offrir comme un guide; ce qui eût été de ma part une preuve d'arrogance; il me suffisait de montrer comme avec le doigt où étaient les sources.»

C'est là, en effet, le mérite principal du traité de Junius. Ce mérite est encore plus appréciable dans le catalogue des peintres, des architectes, des statuaires, des graveurs de l'antiquité et de leurs œuvres, qu'il a composé, et qui a été imprimé après sa mort, dans la seconde édition de son ouvrage, donnée par Grævius à Rotterdam, en 1694. Ce catalogue, qui ne comprend pas moins de deux cent trente-six pages, grand in-4º, est certainement le plus complet qui ait jamais été dressé sur les artistes égyptiens, étrusques, grecs et romains, et sur leurs œuvres. Tout ce que les modernes ont écrit depuis sur ce sujet, a été puisé à cette source.

Il ne faudrait pas croire que Junius se soit borné à comprendre dans ce catalogue les seuls artistes; il y admet également, ainsi qu'il l'exprime à l'article de M. Agrippa, ob eximium ergà hasce artes amorem et cultum, les hommes qui, dans l'antiquité, se sont montrés favorables aux arts. La notice consacrée à cet ami d'Auguste donne, sur la construction et la décoration du Panthéon, à Rome, des renseignements qu'il serait fort difficile de trouver réunis ailleurs. Les articles consacrés à Apelles, Phidias, Praxitèle, Polyclète, Parrhasius, Xeuxis, ne sont pas moins précieux. Il en est de même des indications que rapporte Junius, d'après un grand nombre d'auteurs anciens, sur des artistes de second ordre.

Le traité de la peinture des anciens, dont la première édition parut en 1636, eut un grand succès en Angleterre et ailleurs. Hugo Grotius, le savant auteur du Mare liberum et du traité De jure belli et pacis, qui n'était pas moins versé dans la connaissance des lettres et des beaux-arts que dans le droit des gens et dans la politique, s'empressa de féliciter Junius de cette importante publication. Ils se connaissaient presque depuis l'enfance, étant à peu près de même âge266; de plus, Grotius, lorsqu'il fut envoyé à l'université de Leyde pour y terminer ses études, avait été reçu dans cette ville par le père de Junius, chez lequel il demeura pendant trois années267. Après une enfance et une jeunesse consacrées entièrement à l'étude des sciences et des lettres, Grotius, devenu le partisan et l'ami du grand pensionnaire Barneveldt, éprouva, comme cet homme célèbre, les mécomptes de la vie politique. Condamné, à la suite de l'exécution du grand pensionnaire, qui eut lieu le 13 mai 1619, à la confiscation de ses biens et à une détention perpétuelle, Grotius parvint, grâce au dévouement de sa femme, au bout de plus de deux années de captivité, à s'échapper de prison et à se réfugier en France. Il y resta environ dix ans, d'avril 1621 à la fin de septembre 1631. Bien accueilli par les savants et par les magistrats, ce fut dans la maison de campagne du président de Mesmes, à Balagny, près de Senlis, qu'il prépara la publication de son fameux traité De jure belli et pacis. À l'époque où parut l'ouvrage de son ami Junius sur la peinture des anciens, Grotius était revenu à Paris, en qualité d'ambassadeur de la reine de Suède, fonctions qu'il devait à la bienveillance de son ami, le grand chancelier Oxenstiern, et qui le mettait, sous la sauvegarde du droit des gens, à l'abri de nouvelles persécutions. Ce grand esprit, au milieu des luttes politiques et des négociations les plus épineuses, trouvait encore le temps de cultiver les lettres et d'admirer les œuvres de l'art. L'érudition profonde, l'austérité de mœurs d'un grand nombre de citoyens des Provinces-Unies, n'excluaient pas alors le goût des belles choses, et c'est à cet heureux mélange de savoir, de vie régulière et de fantaisie, que l'école hollandaise doit, en grande partie, ses œuvres les plus admirables. Grotius était lié avec les principaux artistes flamands et hollandais de son temps, particulièrement avec Rubens et Van Dyck; son portrait avait été peint plusieurs fois, notamment en 1599, lorsqu'il était à peine âgé de quinze ans. Il figure en tête de son ouvrage sur Martianus Capella, publié à la Haye à cette époque. On l'y voit décoré de la chaîne d'or, présent de Henri IV à son premier voyage en France. Grotius ne pouvait pas rester indifférent à l'ouvrage de son ami sur la peinture des anciens. Il avait reçu le livre de Junius vers le commencement de 1638; voici en quels termes il le remercia de cet envoi268.

«Je t'adresse mes remercîments les plus vifs, très-savant Junius, pour ton livre De pictura veterum, que tu as bien voulu me donner, et qui reflète l'image la plus vraie de ton esprit et de ton érudition. J'admire l'étendue de tes lectures, le jugement, l'ordre et ce que tu as emprunté à tous les autres arts pour orner celui-là. Cet ouvrage me paraît de tous points comparable à ces tableaux composés de pierres de diverses couleurs, tels que celui que Satureius célèbre dans une épigramme grecque269, et que Procope nous apprend avoir appartenu au roi des Goths Théodoric. La variété charme, et plus encore l'admirable ensemble qui résulte de cette variété même. Donne-nous, je t'en prie, beaucoup d'œuvres semblables; mais je te rappelle ta promesse de nous donner aussi les noms des anciens peintres et le catalogue de leurs ouvrages270. Et afin que tu demeures entièrement convaincu que j'ai bien lu réellement toutes les parties de ton livre, je te demande de m'expliquer ce que veut dire Claudien par ces mots: voiles hébraïques (vela hebraïca). Tu sais qu'il n'était pas permis aux Juifs de représenter l'image d'aucun être animé, même sur des voiles: réfléchis s'il ne faudrait pas lire: Lydiacis quæ pingitur India velis, ou toute autre variante qui te paraîtra préférable. De cette manière, tu dissiperas mes doutes. Toutes les fois que je trouve quelqu'un revenant d'Angleterre, je m'empresse de lui demander de tes nouvelles et de m'informer de la situation de tes affaires. J'ajouterai, si tu le permets, une prière: c'est de saluer cordialement en mon nom Seldenus, Patritius, ton homonyme Pettœus et d'autres encore, avec lesquels je suis lié d'une étroite amitié. – Tout à toi de cœur. – H. Grotius. – Paris, 31 mai 1638.»

Junius s'empressa de déférer au désir de son savant ami, et lui écrivit de nouveau le 12 juillet; mais nous n'avons pas retrouvé sa lettre. Voici la réponse que lui adressa Grotius, de Paris, le 23 septembre de la même année 1638:

«Je t'aime à beaucoup de titres, très-savant Junius, et j'attache un grand prix à ce que, en retour, tu me conserves ton attachement. Tu sais combien est ancienne cette amitié qui existe entre nous, et quelles profondes racines elle a jetées. Garde-toi de croire, néanmoins, que les observations qui m'ont été suggérées par la lecture de ton ouvrage sur la peinture des anciens, aient été influencées par notre vieille amitié. De même que les juges, dans les causes qui leur sont soumises, s'attachent à prononcer leurs sentences d'après les faits et les titres, sans aucune acception de la personne d'un ami ou d'un ennemi, de même j'ai l'habitude d'en user à l'égard des écrits des autres. En ce qui concerne ton livre, je suis d'autant plus certain de l'avoir bien jugé, que mon sentiment est tout à fait conforme à celui des hommes les plus instruits que j'ai consultés. Dès lors, quel doute pouvait-il me rester sur le mérite de ton ouvrage? Tu m'as fait plaisir, en m'apprenant que tu m'avais rappelé au souvenir de Selden et de Patritius Junius. Je leur dois beaucoup comme homme public, à cause des ouvrages qu'ils ont publiés dans l'intérêt de l'humanité, et, en mon particulier, parce que j'ai souvent éprouvé les marques de leur bienveillance…»

Si les éloges de Grotius devaient satisfaire Junius, au point de vue de l'érudition et des savantes recherches dont son livre est rempli, il n'était pas moins désireux d'obtenir l'approbation des artistes, juges plus compétents des questions traitées dans son ouvrage. Cette approbation ne se fit pas attendre. Van Dyck, avec lequel il s'était lié en Angleterre, mais qui était alors retourné en Flandre, lui écrivit de Desen, le 14 août 1636, la lettre suivante271:

«Monsieur, le baron Canuwe m'a renvoyé par mer un exemplaire de votre ouvrage De pictura veterum, qui lui paraît d'un grand mérite, et qu'il considère comme un travail des plus érudits. Je suis certain qu'il recevra du public un accueil aussi satisfaisant que tout livre publié jusqu'à ce jour, et que les arts recevront de nombreux éclaircissements d'un ouvrage aussi remarquable, qui doit évidemment avancer leur réhabilitation, et assurer une grande réputation à son auteur. Je l'ai récemment communiqué à un homme très-instruit qui venait me visiter, et il m'est difficile de vous dire en quels termes favorables il parla de votre livre, qu'il regarde comme le plus curieux et le plus profond qu'il ait jamais connu. Ledit baron Canuwe désire en recevoir un exemplaire aussitôt qu'il sera mis en publication, persuadé qu'il est que chacun le lira avec un intérêt particulier, et il est impatient de l'avoir sous les yeux. Comme j'ai fait faire la gravure du portrait du chevalier Digby, dans l'intention de la mettre en vente, je vous prie humblement de me gratifier de quelques mots pour lui servir d'inscription272. Ce sera me rendre un service et me faire un grand honneur. La présente ne tendant qu'à vous offrir mes respectueux services, croyez-moi toujours, monsieur, votre indigne serviteur, – Ant. Van Dyck.»

257.Tel est le nom latin qu'il s'est donné et sous lequel il a publié ses ouvrages: Son nom français était Dujon, et en anglais il se faisait appeler Yough. Voy. la préface du docteur Chandler aux Marmora oxoniensia.
258.Vita Francisci Junii, F. F., après la préface de la 2e édition que Grævius a donnée en 1694 du traité De pictura veterum.
259.Le texte de Grævius porte: Anno nonagesimo primo; mais l'épitaphe de Junius, à Oxford, attribuée à Isaac Vossius, son neveu, indique, en chiffres romains, qu'il était né en MDLXXXIX.
260.Francisci Filius.
261.Menevensis, je ne suis pas certain que ce mot latin veuille dire Methuen; il ne se trouve pas dans le Dictionnaire des noms latins de la géographie ancienne et moderne. Paris, 1777, in-12.
262.Neque putavi diutius mihi fastidiendas aut negligendas artes illas, quæ non regio modo majestas vestra, sed tot ac tales florentissimi regni proceres usque adeo studiose colunt atque suscipiunt.
263.Voici le titre de la deuxième édition: Francisci Junii de pictura veterum libri tres, tot in locis emendati et tam multis accessionibus aucti, ut plane novi possent videri. —Accedit catalogus, adhuc ineditus, architectorum, mechanicorum, sed præcipue pictorum, statuariorum, cælatorum, tornatorum, aliorumque artificum, et operum quæ fecerunt, secundum seriem litterarum digestus.Roterodami, Typis Regneri Leero, 1694, grand in-4º avec frontispice de A. Van der Werff, gravé par Molder, et le portrait de Junius, du même, gravé par Gunst. La première édition avait paru en 1636.
264.De pictura veterum, lib. prim., § 1, p. 2e, édition de 1694.
265.Id., ibid., p. 296.
266.Grotius est né à Delft le 10 avril 1585, et Junius à Heidelberg en 1589.
267.Voy. l'article de Grotius, Hugues, dans la Biographie universelle de Michaud, t. XVIII, p. 541 et suiv.
268.Voy. le texte latin de cette lettre, traduite ici pour la première fois en français, dans le traité De pictura veterum, immédiatement après la dédicace de Junius à Charles Ier.
269.Voy. cette épigramme en grec, et sa traduction en vers latins par Grotius lui-même, dans le catalogue des artistes anciens de Junius, p. 194, Via Satureius, sculptor, édition de 1694 du traité De pictura veterum.
270.Qui ne parut qu'après la mort de Junius dans la 2e édition de son ouvrage donnée par Grævius, 1694.
271.En flamand, traduite par Louis Hymans, dans sa traduction des mémoires publiés en anglais sur Antoine Van Dyck et Rubens par Carpenter. – Anvers, 1845, p. 57-58, in-8º.
272.Voy. les notes de M. Hymans, ut suprà, p. 58.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
01 ağustos 2017
Hacim:
462 s. 5 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
Metin
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