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Kitabı oku: «Histoire des Plus Célèbres Amateurs Étrangers», sayfa 22

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Tel fut l'emploi du temps de Winckelmann pendant les cinq années et demie481 qu'il passa dans le co-rectorat de Seehausen. Quels trésors d'érudition et de linguistique ne dut-il pas amasser dans ces études opiniâtres et sans relâche, et où trouver alors en Europe un autre savant aussi entièrement absorbé par le travail? – Néanmoins, sur la fin de son séjour à Seehausen, le découragement commençait à s'emparer de cette âme si forte et si désintéressée. Se trouvant toujours aux prises avec la gêne, malgré ses efforts pour améliorer sa position, n'entrevoyant dans l'avenir aucun avancement, aucune indépendance, dégoûté de répéter tous les jours les mêmes leçons à des enfants presqu'en bas âge, il résolut de chercher à sortir d'une situation à la fois précaire et décourageante.

CHAPITRE XL

Le comte de Bunau et son Histoire de l'Empire. – Winckelmann demande à être attaché à son service. – Il est admis à travailler dans sa bibliothèque à Nöthenitz. – Son collaborateur Franken. – Travaux à Nöthenitz. – Voyages à Dresde. – Le nonce Archinto. – Conversion de Winckelmann au catholicisme.

1748 – 1754

La Saxe possédait alors dans le comte Henri de Bunau un grand seigneur ami des lettres, qui, après avoir rempli avec distinction plusieurs fonctions publiques très-importantes, s'était retiré dans une de ses terres, pour consacrer sa vie à écrire l'histoire de l'empire d'Allemagne. D'abord conseiller intime de l'empereur Charles VII, à l'élection duquel il avait contribué, le comte, après la mort de ce prince, était rentré au service d'Auguste III, électeur de Saxe, roi de Pologne, qui l'avait également admis dans ses conseils. Mais la politique et l'ambition n'absorbaient pas tout son temps: amateur passionné de l'étude, il vivait souvent retiré dans son château de Nöthenitz, situé à peu de distance et au midi de Dresde. C'est là, de 1725 à 1743, qu'il composa l'Histoire des Empereurs et de l'Empire d'Allemagne, tirée des meilleurs historiens et des archives, et accompagnée d'appendices destinés à éclaircir le droit public de l'Allemagne et la généalogie des maisons souveraines. Cet ouvrage, publié en quatre parties in-4º, est malheureusement incomplet, car il ne s'étend que jusqu'au règne de Conrad Ier (918) inclusivement. Nous ne nous permettrons pas de juger cette vaste composition, ne l'ayant pas lue; mais on s'accorde à faire l'éloge du choix des documents qu'elle renferme, de l'ordre et de la critique éclairée avec lesquels les faits sont présentés et appréciés, et les écrivains allemands ont vivement regretté qu'elle soit restée inachevée. Pour écrire et coordonner ce grand ouvrage, l'auteur avait fait d'immenses recherches; et comme il aimait les livres, et surtout les éditions rares et précieuses, il avait consacré des sommes très-considérables à l'acquisition d'un grand nombre de traités, écrits non-seulement dans les langues anciennes, mais encore dans tous les idiomes modernes. Il avait aussi réuni une collection d'estampes, principalement de celles qui se rapportaient à l'Allemagne, à ses annales, à ses familles souveraines et féodales. Pour mettre et maintenir l'ordre dans les livres comme dans les gravures, le comte de Bunau avait établi un bibliothécaire à Nöthenitz, et il y occupait plusieurs jeunes gens à des recherches relatives à son Histoire de l'Empire. Indépendamment de son amour pour les lettres, le comte était doué d'une bienveillance naturelle, dont la renommée était répandue dans toute la Saxe. On l'a surnommé le Peiresc allemand482, et sa conduite à l'égard de Winckelmann montre que cette comparaison avec l'illustre conseiller au parlement d'Aix était méritée.

Le 18 juin 1748, notre co-recteur de Seehausen, poussé à bout de patience par ses fastidieuses fonctions, se déterminait à envoyer au comte une sorte de supplique, écrite péniblement en un français barbare483, et dans laquelle il le priait «de le placer dans un coin de sa bibliothèque, pour copier de rares anecdotes qui seront publiées dans l'Histoire de l'Empire.»

Le comte de Bunau accueillit avec bienveillance la demande du co-recteur; mais, avant de l'admettre, il voulut savoir quelles études il avait suivies, afin de s'assurer s'il était capable de faire convenablement les recherches historiques dont il avait besoin. Winckelmann, au comble de la joie, s'empressa de répondre au comte le 10 juillet 1748, en lui donnant les explications les plus précises sur sa vie et sur ses études. Mais cette fois, il écrivit en latin élégant, sans doute pour prouver sa connaissance de cette langue.

Après avoir rappelé ses études à Berlin, à Halle et même à Iéna, où il avait voulu apprendre la médecine et la géométrie, il indique plus particulièrement les cours d'histoire et de droit public qu'il a suivis depuis son séjour à Seehausen. Sous la direction d'un comte Louis de Hanses, autrefois secrétaire de l'ambassadeur du roi de Danemark à Paris, d'où il avait rapporté une collection très-considérable des meilleurs historiens français, il s'est lancé dans le champ des annales de ce pays. Il a lu deux fois le Dictionnaire de Bayle, et a recueilli, en le parcourant, un énorme volume de mélanges. Sans négliger les auteurs grecs, et spécialement Sophocle, qu'il a toujours entre les mains, il a lu avec attention les historiens modernes les mieux notés, tels que l'Abrégé de l'Histoire de France du père Daniel; l'Abrégé de l'Histoire d'Angleterre de Rapin Thoyras; les Annales de de Thou et celles de Grotius; le Code diplomatique de Leibnitz; le Traité de la paix et de la guerre de Grotius, avec les Commentaires de Gronovius et de Barbeyrac. Il insiste particulièrement sur les recherches qu'il a faites sur l'histoire de l'Allemagne, de ses familles princières, et de ses principaux événements, jusqu'à la paix d'Utrecht. Il termine en disant qu'il vient d'accomplir sa trentième année, et il entre, sur sa personne et même sur sa manière de se vêtir, dans des détails qui montrent combien il craignait de ne pas être admis chez le comte de Bunau484.

Le savant historien de l'Empire accueillit favorablement les explications de Winckelmann, et il lui fit savoir qu'il l'admettait à travailler, dans sa bibliothèque, aux recherches qu'il lui indiquerait, aussi bien qu'à une partie du catalogue. Notre co-recteur, au comble de la joie, après avoir justifié de son instruction, voulut également convaincre son protecteur de sa bonne conduite: il lui envoya donc, par une lettre du 28 juillet 1748, trois certificats: l'un du surintendant général de la province de l'ancienne marche de Brandebourg, l'autre de l'inspecteur de Seehausen, et le troisième du conseil de cette ville. «Rien ne m'oblige, ajoutait-il, à partir d'ici, où je jouis d'un honnête nécessaire et de la table de quelques bons amis. Mais le désir inexprimable de m'attacher à un ministre aussi respectable et aussi éclairé que Votre Excellence, et mon ardent amour pour les sciences et les beaux-arts l'emportent sur la considération de tous les agréments que j'ai485.» C'est la première fois qu'on entend Winckelmann parler de son ardent amour pour les beaux-arts. D'où lui venait ce goût, quelle circonstance en avait développé le germe dans son esprit? On l'ignore; mais on doit être près de la vérité en supposant que la lecture assidue des grands poëtes de l'antiquité, tels qu'Homère et Virgile, avait fait naître en lui des aspirations vers le beau, et entretenu le désir de contempler les monuments de l'art antique, dont il est souvent question chez les principaux auteurs grecs et romains.

Quoi qu'il en soit, Winckelmann quitta Seehausen vers la fin d'août 1748, et vint s'installer à Nöthenitz dans les premiers jours de septembre. Il y prit possession de son emploi, qui consistait à faire des recherches et des extraits pour l'histoire de l'Empire, et fut bientôt en faveur auprès du comte de Bunau, fort en état d'apprécier la profonde érudition de ce collaborateur.

Winckelmann avait trouvé à Nöthenitz un savant modeste, Jean-Michel Franken, bibliothécaire du comte, chargé spécialement de dresser le catalogue de cette immense collection; il venait de publier le specimen de ce travail486. Quoique, dans la suite, Winckelmann et Franken aient échangé de nombreuses lettres, dans lesquelles on trouve toute l'effusion d'une amitié aussi tendre que sincère, ils vécurent à Nöthenitz avec assez de froideur. Franken convient487 qu'ils ne se connaissaient alors pas assez, et n'avaient pas su se comprendre. Accoutumé à vivre dans une solitude presque continuelle, Winckelmann avait contracté des habitudes singulières: pendant longtemps, il ne voulut se nourrir que de légumes et de fruits, et il fuyait la table de Franken, qui lui avait offert de vivre en commun. Bien qu'une froide circonspection régnât entre eux, ils s'entretenaient tous les jours de littérature, et vivaient ensemble, sinon dans la confiance et l'intimité, au moins dans un échange convenable d'égards et de politesses.

Pendant six années, du mois de septembre 1748 jusqu'à la fin du même mois 1754, Winckelmann fut occupé à Nöthenitz, soit à faire des recherches pour le comte, soit à rédiger le catalogue des ouvrages se rapportant à l'histoire de l'Allemagne488. Dans les intervalles de repos que lui laissait ce travail monotone, son imagination reprenait le dessus, et il étudiait la collection de gravures anciennes que possédait le comte de Bunau. Quelquefois aussi, s'échappant de Nöthenitz, il se rendait à Dresde, non-seulement pour y voir les tableaux de l'électeur de Saxe, roi de Pologne, mais pour y examiner attentivement les statues antiques et les nombreuses reproductions en plâtre des chefs-d'œuvre de Rome et de Florence. La vue de ces copies redoublait son désir de se rendre en Italie, afin de pouvoir y jouir de toute la beauté des originaux.

Le nonce du saint-siége près de la cour de Pologne et de Saxe était alors le prélat Archinto, d'une noble famille milanaise, prêtre d'un grand mérite, qui devint plus tard cardinal; il était lié avec le comte, quoique ce ministre fût luthérien, et il allait quelquefois visiter sa bibliothèque à Nöthenitz. Dans une de ses excursions, il y avait rencontré Winckelmann, et facilement deviné que sa véritable vocation était de vivre à Rome. Allant au-devant des désirs les plus ardents de notre antiquaire, il lui proposa de lui faciliter les moyens de se rendre et de se fixer dans cette ville. Mais préalablement, il fallait que Winckelmann se décidât à abjurer le luthéranisme, pour entrer dans le sein de la religion catholique. Notre savant hésita pendant quelque temps, et finit par s'y déterminer. Loin de nous la pensée de mettre en doute la sincérité de ses convictions nouvelles, et de vouloir scruter au fond de sa conscience les véritables motifs de son changement de religion. Mais, sans faire injure à sa mémoire, il est permis de croire que le désir de voir Rome et ses monuments ne fut pas étranger à cette grave détermination. La lettre qu'il écrivit, le 17 septembre 1754, au comte de Bunau, pour lui apprendre sa résolution, loin de respirer la foi vive d'un néophyte, renferme des explications assez singulières sur son changement. D'abord, le soin de sa santé demande qu'il quitte pour quelque temps le travail et les livres, et qu'il cherche à se dissiper davantage. Ensuite, l'amitié qu'il a contractée avec une personne qu'il ne nomme pas, «non l'amitié que doivent pratiquer les chrétiens, mais celle dont l'antiquité nous a fourni quelques exemples aussi rares qu'ils seront immortels,» l'a déterminé à son changement. «D'ailleurs, la brièveté de la vie, et les bornes étroites de nos connaissances, sont deux motifs puissants pour un homme qui, comme lui, a passé sa jeunesse dans la pauvreté… et ce serait une puérilité punissable que d'occuper, jusque dans la vieillesse, l'esprit qui nous a été donné pour un objet plus élevé à des choses qui ne peuvent servir qu'à exercer notre mémoire.» Il fait donc appel au cœur plein de bonté de son protecteur, et prie «le Dieu de tous les hommes, de toutes les nations et de toutes les sectes, de faire miséricorde à son maître.» Il termine en priant le comte de le juger avec sa bienveillance ordinaire. «Quel est l'homme, ajoute-t-il, qui agit toujours avec sagesse? Les dieux, dit Homère, n'accordent aux hommes qu'une certaine portion de raison par jour.»

Telles sont les raisons que donne Winckelmann de son changement de religion; et l'on voit qu'il est tellement pénétré des maximes de l'antiquité, qu'il ne peut s'empêcher, même dans une question de controverse, de s'appuyer sur l'opinion que le vieil Homère prête aux dieux de l'Olympe.

Le comte de Bunau, tout en regrettant de perdre un si précieux collaborateur, non-seulement ne lui adressa aucune observation, mais lui conserva, comme par le passé, sa confiance et son amitié. Winckelmann, de son côté, garda le plus affectueux souvenir des bontés de son premier protecteur.

CHAPITRE XLI

Winckelmann à Dresde. – Le peintre Œser, l'antiquaire Lippert. – M. de Hagedorn. – Chrétien Gotlob Heyne. – Le comte de Brühl, Auguste III, M. de Heinecken. – Le musée de Dresde. – Acquisitions faites en Italie et ailleurs. – État des tableaux pendant un siècle, leurs restaurations.

1754 – 1755

Winckelmann quitta Nöthenitz au commencement de novembre 1754, pour venir s'établir à Dresde. Il paraît que le nonce Archinto, d'accord avec le père Rauch, confesseur du roi de Pologne, lui avait assuré une pension modique, et l'avait engagé à passer quelque temps dans cette ville avant de se rendre en Italie.

À Dresde, Winckelmann vint loger chez le peintre Œser, établi dans cette ville depuis 1739. Cet artiste, originaire de Presbourg, avait suivi pendant sept ans les cours de peinture à l'Académie de Vienne, où il remporta le prix étant encore jeune. Plus tard, il avait étudié pendant deux années chez Raphaël Donner, célèbre sculpteur viennois, pour allier au talent de la peinture celui de bien modeler, ainsi que l'étude du costume et de l'antique489. Œser jouissait à Dresde d'une grande réputation, passait pour un homme fort instruit, et avait peint plusieurs tableaux d'autel qui se trouvaient alors à la nouvelle église catholique, et qui étaient estimés des connaisseurs490.

Sous la direction d'Œser, Winckelmann commença réellement ses études sur l'art, études qu'il ne devait plus interrompre jusqu'à la fin de sa vie. Mais comme son goût et ses travaux antérieurs le ramenaient constamment vers les œuvres de l'antiquité, il se lia également avec un homme qui, dans un autre genre, partageait son admiration pour les anciens: c'était Lippert, grand amateur d'empreintes ou reproductions de pierres gravées antiques. Issu de parents pauvres, comme Winckelmann, Lippert, après avoir été obligé, pour vivre, d'exercer le métier de vitrier, s'était élevé, à force de travail et d'intelligence, jusqu'à la connaissance approfondie du grec et du latin; il apprit également le dessin et la peinture, et parvint à se faire nommer professeur de dessin des pages de l'électeur de Saxe, roi de Pologne. Il avait une véritable passion pour les pierres gravées, dont il possédait une assez belle collection. Mais ses ressources ne lui permettant pas de l'augmenter au gré de ses désirs, il se mit à reproduire, à l'aide d'une pâte blanche et brillante, de sa composition, les empreintes des plus belles pierres qu'il pût se procurer, à Dresde et ailleurs, par l'entremise de ses amis et de ses protecteurs. Avant l'arrivée de Winckelmann à Dresde, il venait de publier un millier de ces empreintes, qu'il offrait aux amateurs sous le titre de: – «Gemmarum anaglyphicarum et diaglyphicarum ex præcipuis Europæ museis selectarum Ectypa, M. ex vitro obsidiano et massa quœdam, studio Philippi Danielis Lippert, fusa et effecta; Dresde, 1753, in-4º.» – Il augmenta dans la suite cette collection, et en publia les catalogues en 1755, 1767 et 1776. – La première publication de Lippert ouvrait à Winckelmann un nouveau champ d'études: il s'empressa de le parcourir avec la sagacité qu'il apportait à tous ses travaux. Profitant des explications de Lippert lui-même, il ne tarda pas à acquérir, dans la glyptique, des connaissances précieuses, qu'il étendit plus tard à Florence, en rédigeant le catalogue des pierres gravées du baron de Stosch, et qui lui furent très-utiles pour expliquer, dans son Histoire de l'art, plus d'un monument de la sculpture antique.

À côté d'Œser et de Lippert, un autre personnage paraît avoir exercé alors une assez grande influence sur les idées de Winckelmann: nous voulons parler de Chrétien Louis de Hagedorn, frère du poëte allemand de ce nom. Porté par son goût vers les beaux-arts, il leur donna toujours la préférence sur les fonctions publiques qui lui furent conférées par l'électeur de Saxe, roi de Pologne. Bien que secrétaire de légation dans différentes cours, depuis 1737, et en dernier lieu résident de la Saxe près de l'électeur de Cologne, M. de Hagedorn passait une grande partie de son temps à Dresde, où il s'occupait de ses recherches favorites sur les artistes et leurs ouvrages. En 1755, il avait publié en français dans cette ville: «Sa lettre à un amateur de la peinture, avec les éclaircissements historiques sur un cabinet (le sien) et les auteurs des tableaux qui le composent, ouvrage entremêlé de digressions sur la vie de plusieurs peintres modernes.» – Cet ouvrage est surtout curieux, aujourd'hui, par les notices qu'il contient sur les artistes contemporains de l'auteur. Il n'était que le prélude de son ouvrage principal, intitulé: «Réflexions sur la peinture, qu'il publia en 1762491, et qui lui valut l'année suivante la place de directeur des Académies des Beaux-Arts de Dresde et Leipzig.» – Les Réflexions sur la peinture sont coordonnées avec méthode, et elles renferment d'excellents conseils, appuyés sur l'exemple des maîtres. On y voit que l'auteur connaissait à fond l'histoire de la peinture dans ses différentes écoles: il donne aux peintres d'histoire des préceptes qui méritent d'être médités. «Mais son goût particulier pour le paysage perce dans tout le cours de l'ouvrage, et ce genre y est traité avec prédilection. À l'article des tableaux de conversation, il ouvre une nouvelle carrière aux spéculations de l'observateur et aux conceptions du peintre; il tâche d'élever ce genre à un plus haut degré de perfection492

Les Réflexions sur la peinture de M. de Hagedorn exercèrent longtemps, en Allemagne, une grande influence sur l'esthétique de l'art. Bien qu'elles n'eussent pas encore été publiées lorsque Winckelmann vint à Dresde se lier avec leur auteur, il suffit de parcourir plusieurs chapitres de ce livre, notamment celui des Limites de l'Imitation et celui de l'Allégorie493, et de les rapprocher de quelques théories de l'historien de l'art chez les anciens, pour comprendre l'influence que M. de Hagedorn a exercée sur ses appréciations et sur ses idées. L'auteur des Réflexions sur la peinture ne se bornait pas à écrire sur les arts; il les cultivait avec un certain talent, et il a publié, sous le modeste titre d'Essai (Versuch), une suite de têtes et de paysages gravés par lui à l'eau-forte, mais sans révéler quel avait été son maître.

Tout en visitant le musée de Dresde, Winckelmann continuait avec ardeur la lecture et l'étude des auteurs anciens, tels que Pausanias et Pline, chez lesquels il cherchait les inspirations du premier ouvrage qu'il était en train de composer. C'est dans la bibliothèque du comte de Brühl494, ouverte au public, qu'il allait souvent faire ses recherches. Il ne tarda pas à s'y lier avec un jeune homme doué également des dispositions les plus heureuses, et que le sort n'avait pas mieux traité du côté de la fortune, Chrétien Gotlob Heyne. Il était né en 1729, à Chemnitz, en Saxe, où son père était tisserand. Un de ses parrains, qui était ecclésiastique, s'étant chargé de son éducation, il avait fait des progrès remarquables; mais sa jeunesse se passait, comme celle de Winckelmann, à lutter contre la misère. Il était alors en qualité de copiste, avec cent écus de traitement, attaché à la bibliothèque du comte de Brühl, de même que Winckelmann avait été attaché à celle du comte de Bunau. La conformité de positions et de travaux rapprocha sans doute ces deux hommes, dont l'un devait bientôt être considéré comme l'oracle du goût, et comme le révélateur le plus instruit et le plus sûr des beautés de l'art chez les anciens; tandis que l'autre, suivant une route analogue, allait s'élever au premier rang parmi les doctes professeurs des universités allemandes, et placer sous l'autorité de son nom les meilleures éditions des auteurs classiques.

Le comte de Brühl, au service duquel le jeune Heyne était attaché, exerçait, depuis 1733, les fonctions de premier ministre d'Auguste III, roi de Pologne et électeur de Saxe. Nous n'avons point à tracer le portrait de ce favori, non plus que celui de son maître. L'histoire a peut-être le droit de les juger sévèrement, au point de vue de la politique et de l'administration: elle doit blâmer leur imprévoyance, leur légèreté, leur orgueil, leurs fautes, qui exposèrent la Saxe aux plus grands désastres et la mirent à deux doigts de sa perte. Mais ayant voué nos recherches à l'histoire de l'art exclusivement, il serait injuste de notre part de ne pas reconnaître l'amour du roi et de son favori pour les belles choses, et les services qu'ils ont rendus à la Saxe, en y introduisant les chefs-d'œuvre de l'art moderne. Nous nous associerons donc volontiers au jugement que porte, du prince et de son ministre, l'auteur du Catalogue de la galerie royale de Dresde495: «Si c'est à l'histoire, dit-il, qu'appartient le droit de juger les princes, et leurs vertus comme leurs faiblesses, l'historiographe du musée a l'avantage de n'avoir à parler que des qualités les plus brillantes d'Auguste III. Il en est de même du célèbre comte de Brühl, son conseiller dévoué, l'exécuteur de sa volonté royale: il apparaît dans cette sphère d'activité comme un homme qui, dès qu'il s'agit de poursuivre une noble tendance, s'applique avec un zèle non moins remarquable, et souvent de son propre mouvement, à accomplir d'une manière grandiose les vœux de son royal maître.»

Mais si le ministre servit et encouragea l'amour du roi pour les beaux-arts, on ne doit pas oublier la part que prit à cette noble entreprise un véritable amateur, aussi distingué par son savoir que par son goût délicat, Charles-Henri de Heinecken, conseiller intime de Saxe et de Pologne, secrétaire de confiance du comte de Brühl, et son ami le plus fidèle. Il est certain que M. de Heinecken dirigea souvent les préférences du roi et de son ministre, et les détermina, plus d'une fois, à faire des acquisitions de tableaux et d'autres objets précieux. Il était merveilleusement propre à remplir ce rôle d'appréciateur, s'étant occupé toute sa vie, nonobstant ses emplois à la cour, de l'art, des artistes et de leurs œuvres. En 1755, il commençait à publier son «Recueil d'estampes, d'après les plus célèbres tableaux de la galerie royale de Dresde496.» Il composa par la suite plusieurs autres ouvrages sur les arts, dont le plus estimé est celui qui a pour titre: Idée générale d'une collection complète d'estampes, avec une Dissertation sur l'origine de la gravure et sur les premiers livres d'images497. M. de Heinecken avait réuni un très-beau cabinet de tableaux, gravures et médailles. Le Catalogue du musée de Dresde cite une acquisition de cent trente-deux tableaux, la plupart de Cranach et d'autres peintres de l'ancienne école allemande, qu'il fit, le 21 juin 1769, de l'électeur de Saxe, fils du roi Auguste III, pour le prix de sept mille neuf cents écus, payés d'avance498. Mais les dépenses énormes qu'il avait été obligé de faire pour la gravure des planches de la galerie de Dresde l'obligèrent, sur la fin de sa vie499, à céder ces planches et son riche cabinet à l'électeur, moyennant une pension viagère, et aujourd'hui les tableaux qui lui ont appartenu se trouvent, en partie, réunis au musée de Dresde.

C'est sous le règne d'Auguste III (1733 à 1763) que se sont faites les plus nombreuses et les plus belles acquisitions de cette galerie. On peut dire, avec une entière vérité, que cette collection doit au roi et à son ministre la haute réputation dont elle jouit en Europe, et l'éclat qui la rend l'égale de celles de Rome, Florence, Paris et Madrid. Sans entrer dans les détails, et pour ne citer que des chefs-d'œuvre, il suffira de dire que ce fut pendant cette période, malgré les embarras d'argent et les revers d'une guerre désastreuse, que furent achetés, à Modène, la Madeleine et la Nuit, du Corrège; le Christ à la Monnaie, du Titien; à Venise, la célèbre Vierge, de Hans Holbein; à Plaisance, la Madone de Saint-Sixte, de Raphaël500.

Une tradition, très-honorable pour la mémoire du roi Auguste III, se rattache à l'arrivée de ce dernier tableau à Dresde. Ce prince, qui avait beaucoup admiré ce chef-d'œuvre en passant par Plaisance, en 1733, était impatient de le revoir. «Il avait ordonné qu'il fût immédiatement déballé et exposé au château. Lorsqu'on l'eut porté à la salle du trône, comme on tardait quelque peu à le placer à son jour le plus favorable, c'est-à-dire à la place même où se trouvait le trône royal, le roi éloigna précipitamment le siége de sa propre main, en disant: Place au grand Raphaël501

Pour conduire à bonne fin des négociations aussi délicates que celles qui devaient aboutir à la cession de ces tableaux et de bien d'autres dans toutes les parties de l'Europe, le comte de Brühl se servait d'intermédiaires d'un esprit fin et délié, vrais diplomates de l'art, sachant tenter la cupidité des possesseurs par l'appât de prix très-élevés et par d'autres avantages. Parmi ceux que cite l'introduction du catalogue de Dresde, nous regrettons de retrouver nos anciennes connaissances502, le vieux Zanetti de Venise, le chanoine Louis Crespi de Bologne, et le cosmopolite Algarotti, qui aimait l'art, mais plus encore l'argent. Les détails révélés par l'auteur du catalogue donnent une triste idée de la facilité avec laquelle ces intermédiaires se mettaient à la disposition du roi de Pologne pour dépouiller l'Italie, leur propre patrie, de ses chefs-d'œuvre.

Mais si Modène, Plaisance, Bologne et Venise perdaient à cet échange de vieilles toiles et de panneaux de bois, chargés de couleurs, livrés contre les florins ou les thalers du roi-électeur, Dresde pouvait s'enorgueillir à bon droit de la munificence de son prince, et de l'ardeur de son ministre à exciter et servir la passion de son maître pour les plus belles choses. «Des dépenses qui, à cette époque, ont peut-être été taxées de prodigalité, par cela même qu'elles n'avaient pour but que de satisfaire le goût si noble et si élevé du roi, devinrent avec le temps, dit M. Hübner, une mesure de finance très-heureuse; car les sommes très-considérables qui furent dépensées alors pour l'acquisition de ces chefs-d'œuvre de l'art (outre que le capital s'en est trouvé décuplé) portent encore aujourd'hui les plus hauts intérêts, si l'on considère les avantages pécuniaires résultant pour le pays de l'affluence d'étrangers qu'y attire chaque année la célébrité de notre galerie.» Ces réflexions de l'auteur du catalogue de Dresde503 sont pleines de justesse: elles prouvent que, même dans l'ordre économique, les œuvres d'art ont une valeur bien supérieure à leur prix intrinsèque, valeur qui s'accroît de siècle en siècle, et qui devient, pour ainsi dire, inappréciable, en attirant de toutes les parties du monde civilisé les hommes qui ont le sentiment du beau.

Mais tout en félicitant la Saxe, et Dresde en particulier, de posséder un des premiers musées de l'Europe, nous devons dire que, jusqu'à ces derniers temps, les tableaux eux-mêmes avaient eu beaucoup à souffrir de l'abandon dans lequel on les avait laissés, et du local où ils restèrent confinés pendant plus d'un siècle. Ces tableaux, avant l'heureuse construction du musée actuel504, étaient exposés à des alternatives de chaud, de froid et d'humidité, qui exerçaient tour à tour, sur les toiles les plus solidement peintes et sur les panneaux de bois les mieux empâtés, leur influence destructive. «Ajoutons à cela une calamité, particulière surtout à Dresde: nous voulons parler du chauffage à la houille, qui devenait malheureusement toujours plus général et remplissait l'atmosphère d'un épais nuage de suie, pénétrant par les fenêtres les mieux fermées dans l'intérieur de tout bâtiment505

Le triste état de la plupart des tableaux appela leur restauration. En général, c'est une opération très-délicate, dangereuse même, et que les vrais amis de l'art n'admettent qu'à la dernière extrémité car qui peut se flatter de restaurer, c'est-à-dire de refaire Raphaël, Titien, Corrège, Rubens et les autres maîtres? Cependant, presque tous les chefs-d'œuvre qu'on admire à Dresde durent passer par les mains des rentoileurs et restaurateurs; et M. Hübner nous révèle un fait des plus tristes, mais en même temps des plus curieux: c'est que «la restauration de la célèbre Nuit a plus rapporté à Palmaroli, que l'original n'avait valu au pauvre Correggio506.» Aujourd'hui, grâce au nouveau local dans lequel les tableaux ont été installés, grâce surtout aux soins tout particuliers dont ils sont l'objet, les amateurs doivent espérer que de semblables nécessités ne se renouvelleront plus de longtemps.

481.C'est Winckelmann lui-même qui indique le temps passé à Seehausen, dans une lettre au comte de Bunau, du 23 juillet 1748. Voy. ses lettres, édition d'Yverdon, t. Ier, p. 44.
482.Préface des éditeurs viennois de l'Histoire de l'art, traduite en italien par Fea, t. Ier, XLIV.
483.Voici une des phrases de cette lettre: «Je ne trouve ressource qu'à avoir recours à la grâce d'un des plus grands hommes du siècle, dont l'humanité, qu'il fait éclater de tous les traits de ses écrits immortels, nous inspire une si haute idée qu'on ne se peut dispenser d'en espérer bien.» Lettres, ut suprà, t. Ier, p. 33 à 36.
484.«Trigesimum annum nunc primum complevi. Mundus corporis, quantum fieri potuit, genio sæculi accommodatus est… Lipsiæ, quo iter facere quotannis consuevi, consarcinare curavi vestimenta modeste tincta, ut non pudeat elegantium hominum ora subire.» Lettres, t. Ier, p. 43.
485.Lettres, t. Ier, p. 45-46.
486.Specimen catalogi bibliothecæ Bunarianæ, Leipzig, in-4º, 1748. Le catalogue a été publié dans la même ville, de 1750 à 1756, 3 tomes en 7 vol., in-4º, mais il n'a pas été terminé.
487.Dans une note qui accompagne la lettre à lui adressée par Winckelmann, le 28 janvier 1764, t. Ier, p. 150-155-157.
488.Lettre au comte de Bunau, du 22 janvier 1754, t. Ier, p. 46.
489.Lettres de Winckelmann, t. Ier, p. 59, ad notam.
490.M. de Hagedorn, dans ses Réflexions sur la peinture, traduction de Hubert, fait le plus grand éloge d'un tableau d'Œser, représentant Saül et la Pythonisse d'Endor, évoquant l'ombre de Samuel. – Œser exécuta plus tard à Leipzig plusieurs morceaux de sculpture, entre autres la statue de l'électeur, sur l'esplanade de la porte de Saint-Pierre, et le petit monument élevé à la mémoire du poëte Gellert. – Sur Raphaël Donner et ses œuvres, voyez les Éclaircissements historiques attribués à M. de Hagedorn, à la suite de la Lettre d'un amateur de peinture; Dresde, 1755, in-18, p. 330 et suivantes.
491.En allemand; il a été traduit en français par Hubert, Leipzig, 1765, 2 vol. in-8º.
492.Appréciation de Moses Mendelssohn, citée dans l'avertissement de Hubert, en tête de sa traduction, VI.
493.T. Ier, p. 81 et suiv.; 439 à 478.
494.Elle fut achetée plus tard par l'électeur de Saxe, pour être réunie à celle de Dresde.
495.Par M. Jules Hübner; traduit de l'allemand par M. Louis Grangier; Dresde, imprimerie de Blochmann et fils, in-18; introduction, p. 8. Ce catalogue, dressé avec beaucoup d'ordre et de méthode, est précédé d'une introduction historique, qui renferme des détails pleins d'intérêt sur l'origine et l'accroissement de cette admirable collection.
496.En français, 2 vol. in-fº, fig. Dresde, 1755-1757.
497.Également on français, Leipzig et Vienne, 1770, in-8º.
498.Introduction au Catalogue du musée de Dresde, p. 51.
499.M. de Heinecken mourut le 5 décembre 1792.
500.Voy., dans l'introduction du catalogue de la galerie de Dresde, des détails pleins d'intérêt sur ces acquisitions et sur beaucoup d'autres; de la p. 8 à la p. 49.
501.Ibid., p. 31-32.
502.Voy. l'Histoire des plus célèbres amateurs français, t. II, Mariette.
503.Introduction, p. 9.
504.Il a été ouvert le 25 septembre 1855. On commença de bâtir en 1847, d'après les plans de M. G. Semper, alors professeur et directeur de l'école d'architecture de Dresde, et l'on continua ces travaux, depuis 1849, sous la direction des architectes Haüel et Krüger, puissamment secondés par M. de Benchelt. – Catalogue de Dresde, introduction, p. 67-70.
505.Ibid., p. 61.
506.Ibid., p. 63, ad notam.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
01 ağustos 2017
Hacim:
462 s. 5 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain