Kitabı oku: «Deux essais: Octave Mirbeau, Romain Rolland», sayfa 2
II
En 1872, sous les auspices de M. Dugué de la Fauconnerie, un ami de la famille, M. Octave Mirbeau débuta dans le journalisme, à L’Ordre, feuille bonapartiste.
Dès lors commença une existence agitée, batailleuse, menée avec toute la fougue d’une jeunesse robuste, toute l’aigreur d’une âpre sensitivité. Critique d’art, il démolit les réputations admises, insulte les académiques, déifie Manet, Monet, Cézanne, défend Puvis de Chavannes, Fantin, Besnard et Roll; critique théâtral, il éreinte les pièces à la mode, brouille le journal avec tous les directeurs et se fait retirer la rubrique. Il fume l’opium, si l’on en croit Goncourt, en robe fleurie, pendant quatre mois, jusqu’au jour où son père le déniche «pas mal crevard» dans ses atours cochinchinois et le promène en Espagne pour le remettre. Au Seize Mai, on le retrouve sous-préfet à Saint-Girons, où M. de Saint-Paul, député de l’arrondissement, l’a fait nommer; mais bientôt dégoûté il revient au journalisme. Il a des aventures. Une passion l’improvise boursier; il gagne douze mille francs par mois; et brusquement écœuré par le monde, s’enfuit en Bretagne, achète une sardinière et pêche comme un homme de la mer. Puis son nom reparaît au Gaulois, à l'Illustration, au Figaro où il publie contre le comédien un pamphlet cinglant qui secoue la presse et lance après lui la meute des acteurs. Le Figaro désavoue l’article; Mirbeau envoie ses témoins à Magnard, le rédacteur en chef. Pour dénoncer à son aise les faux grands hommes et crever les baudruches, il fonde avec Hervieu et Grosclaude une revue satirique: Les Grimaces. Il met l’épée à la main quand ses victimes regimbent, a des duels retentissants, se bat avec Déroulède, Etienne, Bonnetain, Mendès…; et, tireur admirable, fait redouter sa lame autant que sa plume.
Toute sa vie, il va de même, emballé, combatif, poussé par ses impressions, qu’il ressent fortes aussi bien quand elles l’enthousiasment que lorsqu’elles le blessent. Très noble de cœur au fond, très exigeant d’esprit, il cherche avidement dans la conscience des hommes et dans leurs œuvres une beauté impossible dont il se fait le chevalier servant toujours prêt à rompre des lances. Il y a du don Quichotte dans M. Octave Mirbeau. Et don Quichotte est le grand paladin de la justice et de la beauté, dont les exploits ne deviennent comiques, douloureusement d’ailleurs, que parce qu’ils sont inutiles et fous. On perd son temps aussi bien à batailler contre l’immuable bassesse humaine que contre les moulins à vent.
M. Octave Mirbeau n’a pas cessé néanmoins de guerroyer, avec une foi magnifique dans les espoirs très hauts que porte son âme sensible. Dans ses chroniques comme dans ses livres, il apparaît négateur, destructeur, réfractaire, simplement parce que son illusion est toujours détrompée, parce qu’il tombe du sommet de son idéal chaque fois qu’il se heurte à la vie, parce qu’il trouve du vice là où il espérait de la pureté, du monstrueux là où il aurait voulu du beau, de l’oppression là où doit être la justice.
M. Octave Mirbeau ne s’est pas soumis à ce désenchantement de vivre, si réel qu’il est au fond même des œuvres les plus avenantes du bon Alphonse Daudet. Il n’a pas accepté le leurre de la société, de l’éducation, des institutions, et comme Jules Vallès il s’est rebellé hargneusement et s’est pris à démolir à tour de bras.
La dédicace du Journal d’une femme de chambre, où il écrit à son ami Huret: «Nul mieux que vous et plus profondément n’a senti devant les masques humains cette tristesse et ce comique d'être un homme», est significative, et aussi celle du Jardin des supplices: «Aux Prêtres, aux Soldats, aux Juges, aux Hommes qui éduquent, dirigent, gouvernent les hommes, je dédie ces pages de meurtre et de sang.»
Dès son premier livre, Les contes de ma chaumière, qui est un recueil de bonnes histoires paysannes un peu à la manière de Maupassant, il insiste déjà sur la misère inéluctable et «la puanteur de la richesse malfaisante et sordide».
C’est Motteau qui tue son enfant, comme les autres pères de la Boulaie Blanche, parce qu’il ne peut pas le nourrir. Ce sont les paysans traqués par ce banquier qui agrandit son parc pour élever des faisans et incite aux guet-apens nocturnes où tombent les gardes d’une balle dans le dos. C’est une première figure d’Isidore Lechat, encore un peu dérouté parmi ses millions, mais déjà vantard, insolent, cruel, faisant tuer les oiseaux et bâtonner les pauvresses, maître sans pitié, maître tout-puissant, parce qu’il a de l’or!
Par la suite, M. Octave Mirbeau systématise et met presque exclusivement en œuvre la formule de Taine: «L’homme est un gorille féroce et lubrique»; oui, une simple bête aux instincts immodérés, féroce dans son égoïsme jusqu’au crime, lubrique dans le sadisme jusqu’au meurtre.
Et c’est bien souvent là qu’il aboutit, non seulement dans ce Jardin des supplices arrosé de sang et fumé de chair humaine où Clara promène son rut exaspéré par la douleur et l’odeur du charnier, mais encore dans Les vingt et un jours d’un neurasthénique, où un vieux notaire étrangle pour ses débauches des vierges de douze ans; dans le Journal de cette femme de chambre qui dit «qu’un beau crime l’empoigne comme un beau mâle» et qu’attire invinciblement Joseph, le cocher voleur et meurtrier; dans Les affaires sont les affaires, où flotte l’épouvante des égorgements autour des gestes implacables d’Isidore Lechat-Tigre.
Pour M. Octave Mirbeau, tout est au plus mal dans le plus mauvais des mondes possibles; il n’y a rien de bon à attendre de qui que ce soit et surtout de celui qui tient aux classes dirigeantes par sa fortune ou sa situation.
D’abord, il n’existe pas de bons parents, ni d’enfants élevés sans douleur. Le petit Robin, le petit Dervelle, Jean Mintié, Germaine Lechat, Sébastien Roch n’ont connu que la souffrance. «Ah! combien d’enfants qui, compris et dirigés, seraient de grands hommes peut-être, s’ils n’avaient été déformés pour toujours par cet effroyable coup de pouce au cerveau du père imbécile ou du professeur ignorant.» Il n’existe pas davantage de maîtres probes. «J’adore servir à table, dit la femme de chambre. C’est là qu’on surprend ses maîtres dans toute la saleté, dans toute la bassesse de leur nature intime.» Pas non plus de patrons justes, mais de mauvais bergers qui professent, le ventre plein, cigare aux lèvres: «Le prolétaire est un animal inéducable, inorganisable! On ne le maintient qu’à la condition de lui faire sentir, durement, le mors à la bouche et le fouet aux reins. Quant à l’affranchissement social, à l’égalité, à la solidarité, mon Dieu! je ne vois pas d’inconvénients à ce qu’ils s’établissent dans l’autre monde! Mais dans ce monde-ci, halte-là!.. Des gendarmes… encore des gendarmes… toujours des gendarmes!..»
Enfin, il n’y a jamais d’honnêtes gens, mais des crapules sous le masque, enrichis par le commerce, l’industrie ou la banque qui ne sont que des adaptations sociales du vol. «La haute société est sale et pourrie… et si infâmes que soient les canailles, ils ne le sont jamais autant que les honnêtes gens.» Courtin qui est baron, sénateur, académicien, fondateur d’une œuvre de charité, est aussi concussionnaire, escroc et pis encore puisqu’il va jusqu’à troquer sa femme pour une situation. Eugène Mortain est ministre, mais il mérite le bagne. Parsifal, le politicien, a échappé dix fois aux travaux forcés et à la réclusion. L’explorateur est un bandit, le militaire une brute, le prêtre un scélérat, la femme une goule; et il n’y a pas dans toute la galerie des personnages d’Octave Mirbeau, à l’exception de Germaine Lechat et de Madeleine Thieux peut-être, une seule figure blanche; mais partout, sous l’habit décoratif, c’est «le bruit des passions, des manies, des habitudes secrètes, des tares, des vices, des misères cachées, toutes choses par où je reconnais, dit-il, et par où j’entends vivre l'âme de l’homme».
Et M. Octave Mirbeau s’exalte, avec son esprit excessif, et généralise fougueusement à mesure qu’il avance. «Plus je vais dans la vie et plus je vois clairement que chacun est l’ennemi de chacun. Un même farouche désir luit dans les yeux de deux êtres qui se rencontrent: le désir de se supprimer… Personne n’aime personne, personne ne secourt personne, personne ne comprend personne.»
Et dans Les vingt et un jours d’un neurasthénique, Le journal d’une femme de chambre, Le jardin des supplices, les Farces et Moralités, ici en paradoxes bouffons, en grosses farces de fabliaux, là en drames poignants, s’agite une humanité malsaine de maniaques, de détraqués, de névropathes; demi-fous qui sont la proie des hantises; aveulis menés par leurs vices; gens qui tuent un homme pour rien, parce qu’il leur porte sur les nerfs, parce qu’il occupe leur place au tube d’eau sulfureuse, parce qu’ils ont une crise quelconque et qu’ils voient rouge; êtres déments jusqu’au crime, inconscients jusqu’à s’en vanter! Puis c’est l’infamie des riches qui interdisent des enfants à leurs domestiques, les condamnent aux fausses couches, aux meurtres; la navrance des cabinets de toilette où les vieilles amoureuses se retapent pour une illusion dernière, où les belles délaissées se dessèchent et pleurent, la chair nue devant leur glace; et la laideur des antres où, à bout de misère, des mères livrent leurs fillettes. Et encore les passions dévorantes des possédés de la femme, possédés par l’esprit d’abord, puis par les moelles, enchaînés par leur désir acide et toujours inassouvi à la femelle vicieuse, ordurière, d’autant plus fortement qu’elle les tue; et les imaginations tourmentées d’un livre de luxure furieuse et d’épouvantement où l’obscénité de spasmes monstrueux se mêle au giclement du sang, aux râles des condamnés qui agonisent.
Exagération sans doute, mais, tout de même, ce n’est là qu’un grossissement lyrique des inflexibles vérités de la vie. Si optimiste qu’on soit, on doit reconnaître l’unanimité de la canaillerie humaine, même parmi ces hommes sains et vigoureux que leur force incite à la suprématie, à l’expansion au détriment des autres. Le méchant, disait Hobbes, est un enfant robuste. On doit reconnaître encore la malfaisance de la richesse qui permet le désœuvrement, provoque toutes les fantaisies, incline au vice, aux déliquescences morales, aux pourritures physiques, et c’est vraiment pitié de voir la société dorée faire joujou avec la misère dans les bals de charité, les fêtes de bienfaisance.
Certes, au cours d’une existence on rencontre un ami, deux peut-être, qui ont le cœur noble, l’affection vivace; et il y a toute une bourgeoisie moyenne qui s’entretient par de maigres calculs, à la vérité assez bas, mais qui n’est pas mauvaise au fond, seulement ridicule, et fournit ce que l’on appelle les bons garçons et les braves gens. Et il y a encore ceux que l’amour surélève très au-dessus des réalités boueuses et qui sont très beaux dans leur inconscience, très purs dans leur désintéressement. M. Octave Mirbeau s’est du moins souvenu de ces derniers dans la mort de Jean Roule et Madeleine Thieux, dans la fuite de Germaine Lechat et de Garraud, si, d’autre part, son œuvre, surtout vers la fin, est pessimiste avec emportement.
M. Octave Mirbeau est une nature outrancière, vraiment à son aise dans les excès, et ceux qui le connaissent bien savent qu’il est un causeur paradoxal et exalté. Les moindres événements se gonflent au souffle de son imagination et rien qu’en y touchant il pousse une idée à la limite du vraisemblable.
Pendant la guerre russo-japonaise, un petit fait recueilli, une confidence l’échauffaient et il courait conter des choses effroyables, que les Russes n’avaient plus de vivres, mangeaient leurs capotes, jetaient leur poudre à la mer, et il inventait des batailles fracassantes, des retraites de grande armée, et la lourde chute de l’empire sous le canon des révolutionnaires. Et tout ainsi. M. Octave Mirbeau ne garde jamais la mesure, il s’enflamme, s’emballe, se passionne et amplifie magnifiquement, le plus souvent d’ailleurs dans le but de dégager la hideur de l’homme et de ses créations.
Un mot de Rodenbach explique parfaitement cet esprit négateur: «On pourrait dire de M. Octave Mirbeau qu’il est le don Juan de l’Idéal», de tout l’Idéal, car don Juan, qui est le grand incontenté et appartient à cette famille des Lunatiques dont il est parlé dans Baudelaire: «Tu aimeras le lieu où tu ne seras pas, l’amant que tu ne connaîtras pas…», cherche l’absolu, mais sous la seule forme de l’Amour. M. Octave Mirbeau, lui, l’a cherché dans l’art aussi, dans la justice, le bonheur, la bonté, dans tout ce pourquoi son cœur a battu violemment; et, toujours déçu, il s’inclinait vers un autre amour. «C’est la nature de don Juan… Or, M. Octave Mirbeau lui ressemble comme un frère plus souffrant, plus inassouvi, puisqu’il aime davantage et que son idéal est sans limite.»
D’avoir cru, de croire encore à la beauté dans les formes, les couleurs, les sentiments, les actes, d’avoir poursuivi avidement, de poursuivre encore la perfection dans l’art et la vie, et de s'être toujours heurté à la médiocrité, à la laideur, d’avoir brisé régulièrement son rêve, jamais comblé largement son désir, M. Octave Mirbeau est arrivé, à force de désenchantements qui ne le pliaient pas pourtant, à la rancune, à la haine.
Vraiment, c’est parce que M. Mirbeau a aimé trop haut qu’il déteste si fort et cingle avec tant de violence tous ceux-là qui ont trompé ses aspirations. Sitôt sentie la piqûre de la déception, comme il est vigoureux et batailleur, il s’indigne jusqu’à la colère, jusqu’à cravacher. C’est la vengeance de ses déconvenues. Et s’il a fouaillé la société, le prêtre, le noble, le riche, c’est par compassion pour les misérables qu’ils écrasent; et s’il a éreinté les pseudo-artistes, littérateurs mondains, peintres officiels, esthètes évanescents, c’est qu’ils exaspéraient sa passion du beau; et s’il a buriné des portraits justiciers d’un Elphège Roch, le boutiquier enrichi, d’un marquis de Portpierre, maquignon, des politiques, des coloniaux, des commerçants qui ne songent «qu’à mettre les gens dedans», c’est navré par la bêtise et la sauvagerie des hommes.
Il a une systématisation facile, c’est vrai. Plus un personnage est grand, plus il doit être canaille, et ceux-là seuls qui ont des vertus, dans ses livres, sont les très humbles et les tout petits. Et toujours, et régulièrement c’est ainsi; et cela pourrait être puéril si ce n’était pas très loin d'être la vérité, et si dans La 628 E-8 M. Mirbeau n’avait expliqué son parti pris: «Sans pose, sans littérature, sans arrière-pensée d’ambition, dit-il, je m’indigne que – quelle que soit l’étiquette – les hommes de pouvoir fassent de l’inégalité sociale, soigneusement cultivée, une méthode. Et puisque le riche est toujours aveuglément contre le pauvre, je suis, moi, aveuglément aussi, et toujours avec le pauvre contre le riche, avec l’assommé contre l’assommeur.»
C’est cette tendance nette, accentuée à mesure des étapes, qui donne à son œuvre une unité d’ensemble, quoique on ait surtout reproché à M. Mirbeau de changer, voire de se contredire. Oui, dans le détail, et qu’importe! c’est le fait d’un impulsif, trop fortement ébranlé par ses impressions pour pouvoir les maîtriser, les modifier, les plier aux besoins d’une thèse, et il faut être un froid méthodiste de collège pour lui en garder rigueur. Dans la tenue générale de son œuvre, il apparaît toujours comme une âme large ouverte à la pitié, à la beauté; et les mécomptes seuls l’ont rendu parfois hargneux comme un dogue.
D’ailleurs invariable dans ses admirations et ses amitiés, M. Octave Mirbeau conserve la meilleure place dans ses souvenirs et son cœur à Maeterlinck, Verhaeren, Franz Servais, Rodenbach, Van Gogh, Monet, Cézanne, Manet, Rodin, de Goncourt, Constantin Meunier, et tant d’autres qui furent, qui sont encore de vrais, de purs artistes; car, de même que ses coups s’abattent sur des échines méprisables, ses enthousiasmes sont à bon escient et montent vraiment vers ceux qui le méritent. N’a-t-il pas écrit, dans une phrase qui est tout une confession: «Rembrandt et Beethoven, les deux ferveurs de ma vie!»