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Kitabı oku: «Deux essais: Octave Mirbeau, Romain Rolland», sayfa 3

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III

Un homme que remuent jusqu’à ce cri Beethoven et Rembrandt, un homme qui aime les fleurs et toute la nature, qui aime les œuvres d’art, qui aime les humbles, ne peut pas être qu’un acharné militant, pamphlétaire et satirique. Ses livres tumultueux, grouillants, exagérés, toujours intenses et outranciers comme la vie, la vie féconde, exubérante, sont tout imprégnés d’attendrissement aussi, tout éclaircis de paysages, tout frémissants d’un grand souffle humain.

«Chaque fois que je m’arrête quelque part, écrit M. Octave Mirbeau, n’importe où, et qu’il y a un peu d’eau, des arbres, et entre les arbres des toits rouges, un grand ciel sur tout cela et pas de souvenirs, j’ai peine à m’en arracher.» Son plus beau livre, L’abbé Jules, est une large baie ouverte sur les campagnes qui sentent la glèbe fouillée, le foin ou le vert des trèfles. Ici les avoines ondulent, là des blés froissent leur chaume; le soleil tombe en nappes, colore les brumes de l’aube ou s’éteint dans des nuages de pourpre; et c’est vraiment du plein air, vaste, odorant, qui fait frémir nos sens. Dans cette Hollande, qu’il a si merveilleusement décrite dans ses paysages d’eau, il s’émeut auprès «du palais de la Petite Reine douloureuse où aucun soldat ne veille», et de voir passer des fantassins qui vont chantant, des tulipes au goulot des fusils. Dans une pièce âpre et meurtrière, il laisse échapper soudain toute sa délicatesse dans ce geste de Germaine Lechat qui ramasse la serviette du vicomte de la Fontenelle, l’intendant noble, vieux et ruiné, insulté par son père le roturier millionnaire. La mort d’un petit chat frappé d’une balle, tandis qu’il se léchait joyeusement au bord d’un étang, le bouleverse; et il atteint au plus haut des sentiments d’humanité, lorsque, dans Le Calvaire, il précipite Jean Mintié sur le corps du ulhan abattu à l’embuscade, et lui fait baiser ardemment ce front ensanglanté d’un homme qui avait, comme lui, un cœur plein d’affection pour les êtres et les choses.

M. Octave Mirbeau est un grand artiste, non seulement parce qu’il est sensible et sait voir, mais surtout parce qu’il est créateur. Il ne s’est pas contenté de peindre, de noter ses impressions, de dérouler ses tendresses ou de clamer ses fureurs; il a modelé des types à larges coups de pouce et d’ébauchoir et leur a insufflé par la toute-puissance de son verbe une vie prodigieuse. Aucun romancier, aucun dramaturge autour de nous n’a dépassé la maîtrise avec laquelle il a su dresser de formidables personnages comme un abbé Jules, un Isidore Lechat, un père Pamphile, un Biron, un marquis de Portpierre.

Ses livres ne sont pas composés, certes. Le Jardin des supplices est en deux parties qui ne s’imposent pas nécessairement l’une à l’autre; de même Le Calvaire et Sébastien Roch. De L’abbé Jules se détache l’épisode, admirable d’ailleurs, de ce vieux moine possédé par l’idée fixe et qui, mendiant, aventurier, faisant le pitre, l’espion, l’esclave, le missionnaire, donnant la comédie ou le sermon, cueillant avec les dents des louis, Dieu sait où! amasse sous à sous l’argent de cette chapelle qui finit par l’écraser en effondrant sur lui ses échafaudages. Des volumes entiers ne sont guère que des carnets de notes, des suites d’anecdotes liées par le prétexte d’un journal, d’une cure, d’un voyage; mais ceux-là, s’ils sont moins composés encore que les premiers, abondent davantage en scènes truculentes où s’agitent des êtres d’envergure et puissants d’attitude.

D’ailleurs, il semble que nous ayons perdu le souci de la forte composition depuis Flaubert et Maupassant; et les frères de Goncourt, avec leurs romans de collectionneur, tout en tableaux juxtaposés, sautillant par petits bonds, qui sont autant de chapitres, de détails en détails, de faits en faits, n’ont pas peu contribué à en éteindre le goût.

M. Octave Mirbeau a écrit en tête de Sébastien Roch: «Au maître vénérable et fastueux du livre moderne, à Edmond de Goncourt, ces pages sont respectueusement dédiées.» Il n’y a donc pas à s’étonner qu’il ait parfois préféré le pittoresque des peintures, l’étrangeté d’une scène, un conte savoureux, un personnage typique en hors-d'œuvre, à l’inflexibilité de la composition.

Point suffisamment maître de lui, à vrai dire, pour se tenir à l’écart de son œuvre, la faire impersonnelle et la bâtir avec mesure, comme est bâti cet admirable Pierre et Jean, M. Octave Mirbeau est partout dans son récit, combattant avec son héros ou contre lui, souffrant avec les misérables, haïssant ses ennemis, empoigné par les circonstances qu’il crée, les discutant, se rebellant sous leurs conséquences parce qu’il en porte vraiment tout le poids sur sa poitrine, ému par la seule page qu’il vient d’écrire. La plupart de ses grands personnages aussi, ceux-là qui ont le plus de relief et le plus d’humanité, sont des douloureux et des révoltés, parce que Mirbeau est tout entier dans eux, palpitant et froissé. Et l’impulsion donnée le pousse loin, jusqu’à l’égarer un peu, jusqu’à faire discuter par Sébastien Roch, enfant de dix ans, Dieu, la noblesse et l’instruction.

Où qu’il aille cependant, où qu’il soit entraîné par sa passion du moment, jamais son style ne faiblit. A mesure de son exaltation au contraire, il s’élève à des mouvements plus larges, des sonorités plus retentissantes. M. Octave Mirbeau est un grand écrivain parce qu’il a toujours la phrase grammaticale et sûre, riche d’expression, haute en couleur, qui dit fortement ce qu’elle doit dire, par le sens de ses mots corsé d’un rythme adéquat à la pensée. En fait de langue et d’écriture d’ailleurs, M. Octave Mirbeau ne révolutionne pas. Il se sert tout simplement et vaillamment du solide français de bonne race qui n’est pas si exténué que des barbares voudraient le faire croire, puisqu’il a su en composer des livres forts et de belles pages.

Avec cela, M. Octave Mirbeau est un écrivain habile, non pas à la manière de ces mercantis littéraires, démarqueurs des maîtres et qui, sans avoir rien à dire, avec une intrigue font un roman comme on fait des équilibres ou un tour de passe-passe, mais habile parce qu’il sait utiliser les dons de son beau tempérament, dramatiser ses récits et rendre avec un maximum d’intensité ses imaginations.

Au Jardin des supplices, c’est d’abord l’obscurité puante, infernale du bagne où les forçats agonisent dans des cages, la tête roulant sur des cangues; ce sont les ténèbres effarantes, hantées par les plaintes, les jappements, les lueurs des yeux, infectées par les pourritures; – et déjà un son de cloche qui arrive de là-bas, par volée. Puis brusquement du soleil, de la lumière, des fleurs par nappes, des pivoines, des roses par champs, des allées poudrées de brique pulvérisée où traîne la robe chatoyante des paons, des arceaux fleuris où posent les riches faisans, le ciel calme, le raffinement de la culture, les plantes rares, étranges, bizarres… – et la cloche plus distincte qui sonne là-bas, sans répit. Les supplices se déroulent alors, gradués dans l’horreur, parmi la féerie de ce jardin où l’on tue avec patience. Partout la terre trempée de sang, engraissée de viande humaine, de charognes, produit des fleurs uniques, belles, luxuriantes, les pieds dans un fumier de chair, la tête dans le soleil; – et l’on entend la cloche qui se ralentit au loin. Des corbeaux, des vautours planent très haut dans l’air; des plaintes s’exhalent des massifs comme si les fleurs criaient; les supplices se succèdent; et parmi tout cela Clara, la chair plus froide, à mesure que croît la torture, Clara parfois défaillante mais sitôt raidie et s’enfonçant davantage dans la décomposition et le meurtre, énonçant que «l’amour et la mort c’est la même chose». Enfin la cloche; la cloche qui s’arrête avec de longs soupirs au-dessus du condamné le plus effroyablement tué, tordu par la folie qu’a provoquée le son. Et après un dernier passage au travers des gibets, des fers, des herses, des pinces, des scies, au travers du sang, des entrailles et des fleurs, le livre s’achève par la fuite de Clara dans un éclatement de nerfs trop tendus, vers un bateau de fleurs, bateau de luxure, où l’amant, affolé par la saturnale, jette sans discontinuer, en appel de détresse, ces deux syllabes qui cinglent comme les coups d’une flagellation: Clara! Clara! Clara!

Voilà comment M. Octave Mirbeau sait être habile.

Ailleurs, dans La 628 E-8, par un mouvement étourdissant, une trépidation continue, par le rythme, la hâte dans la succession des paysages, des idées, au hasard, il arrive à donner l’impression de la vitesse, de la course, pendant trois cents pages, à travers villes et campagnes, les regards ricochant à fleur de pays, l’esprit battant comme le moteur, toujours en éveil, toujours émoustillé par les visions qui détalent aux deux côtés de la route. Il a le temps de conter une histoire à l’étape, de camper un type comme Weil-Sée, de rêver à un souvenir, de juger, discuter et larder au vol les grotesques de son ironie pointue.

Jamais, chez lui, l’artiste n’est en défaut. La moindre chose le touche ou l’indigne, et il sait, en un tour de main, donner une forme à son impression, concrétiser sa pensée avec art, même dans le sarcasme. Et quand le sujet le prend tout entier, quand ses colères sont profondément soulevées, – n’a-t-il pas écrit: «Si je pouvais avoir de la haine, vraiment de la haine, je crois que j’aurais du génie…» – alors, par l’ampleur de sa création dans les personnages et le récit, il monte parfois à la note épique, au poème, de même que par la noble violence de ses diatribes, la brutalité des peintures, il se dégage du particulier et domine de haut les petites actions des hommes révoltantes ou obscènes. Rien de plus chaste que ce sermon où l’abbé Jules confesse en public l’ordure de son âme, ses fornications immondes, et anathématise la femme pétrie de péchés, dont les flancs recèlent tous les mauvais désirs, répandent tous les vices; et les bedeaux, saisis eux-mêmes par l’ardente sincérité de l’abbé, font circuler «ces sacrées femelles» à coups de latte.

En vérité, c’est bien là le Mirbeau qui est toujours au fond de ses livres; et c’est au fond qu’il faut regarder. Il chasse furieusement les vendeurs du temple de cette Beauté qu’il a tant adorée et servie par son verbe, mais c’est pour y installer des artistes plus dignes.

M. Octave Mirbeau fut le premier à comprendre Maurice Maeterlinck, à le défendre, à l’imposer en France. Il se fit également le champion de Charles-Louis Philippe qui n’obtint jamais la place qu’il méritait parce qu’il était humble, modeste et sans intrigue. Il appuya de tout son effort les débuts de Rodin, et chargea un universitaire que ses méditations de cuistre, son incompréhension d’enseigneur stipendié avaient conduit au projet d’expurger Balzac!

Chevalier du Beau toujours, on l’a vu lire un soir le manuscrit d’une inconnue et chaud d’enthousiasme, sans calcul, le placer lui-même le lendemain dans une revue et chez un éditeur. Ah! oui, M. Mirbeau est un don Quichotte, désintéressé, tout débordant de bonté, de justice, et toujours prêt à sauter en selle, la lance au poing, pour châtier quelque gredin. Et il faut bien le dire, ces belles mœurs de la grande époque des Flaubert, des Maupassant, des Zola, auraient passé, si M. Octave Mirbeau ne les prolongeait aujourd’hui parmi l'âpre et avide troupeau des gens de lettres qui s’entre-dévorent pour un peu de renom, pas même de gloire, et une poignée de gros sous!

Edmond de Goncourt avait désigné M. Octave Mirbeau pour faire partie de son Académie. Il en est donc membre depuis la fondation et a porté parmi les Dix son esprit généreux, paradoxal et combatif. Avec Lucien Descaves, il a provoqué l’élection de ce pauvre Jules Renard qui misérait malgré toute sa gloire littéraire et dont cinq amis, cinq seulement! accompagnèrent le corps au triste wagon qui devait l’emmener dans sa Nièvre. Le Tout-Paris ne perd pas de temps en reconnaissance, pressé qu’il est de s’amuser, de se montrer surtout aux pantalonnades des célèbres Jocrisses.

Aussi M. Octave Mirbeau s’en est retiré, vraiment en misanthrope, dans cette maison ensoleillée de Triel, parmi les fleurs, parmi la franche nature. Il cultive, il regarde, il voisine avec un vieux jardinier qui ne parle point, ramassé sur lui-même et observant. Côte à côte, ils restent parfois fort longtemps, les yeux perdus dans les houles lointaines des collines aux flancs desquelles passe, par intervalle, un joujou de petit train qui se dépêche. Le chien sommeille, le museau sur les pattes. A genoux, le vieux jardinier masse méthodiquement la terre avec le pouce, autour d’un œillet frais planté; il s’interrompt, laisse tomber une phrase, peut-être la seule de la journée. M. Octave Mirbeau la recueille et ne répond point. Il vous dira que chaque mot de cet homme est lourd de l’expérience d’une vie entière, que «quand il parle, c’est comme du Tolstoï», et qu’il se tait, lui, parce qu’il est impressionné, et que devant ce simple faiseur de boutures, «il a peur de dire des bêtises!»

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
11 ağustos 2017
Hacim:
70 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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