Kitabı oku: «Deux essais: Octave Mirbeau, Romain Rolland», sayfa 4
ROMAIN ROLLAND
I
Les vieilles gens d’autrefois aussi bien que les jeunes aimaient à proclamer la décadence de leur temps: ceux-là étaient immobiles dans le souvenir transfiguré d’un passé de vie plus large, de mœurs plus saines; ceux-ci n’avaient d’yeux que pour l’avenir où leur force allait repétrir le monde. Ni les uns, ni les autres n’étaient contents du présent qui est toujours en deçà du désir, et ils mettaient à le critiquer un point de vanité, car l’on paraît d’autant plus pur que l’on dénonce mieux la corruption.
Maintenant l’on sourit et le sourire est une acceptation. Notre sang n’est plus assez chaud pour bouillonner à des révoltes, et notre égoïsme est trop vivace pour se plier aux disciplines. Nos moelles ne sont plus roides, parce que nous sommes des fils de vaincus, que la défaite courbe les échines et fend, sans qu’on y prenne garde, le cristal des cœurs énergiques. Nous n’avons plus de mépris, sauf celui de l’effort, plus de passion, excepté celle de jouir, et après quelques vains soubresauts en faveur du progrès social, nous demeurons étendus, face à l’or.
Il est devenu le grand soleil qui fait chavirer les prunelles et rend fou. On le prie, on l’adore, on le gagne, on le vole. Lui seul soulève encore des batailles, mais à la ruse, car notre chair a peur des coups. Il n’y a plus que les escarpes pour avoir du courage devant les balles, et ce sont des malades, dit-on!
Alors les mœurs ont baissé de niveau comme une écluse qui fuit et montre la vase. L’exemple venait de haut, de ces hommes que l’on nommait politiques parce qu’ils se targuaient de conduire les autres. A l’ordinaire, leur gouvernement se réduisait au pillage du bien public, ce qui valait mieux, sans doute, que son administration, puisque chacune de leurs lois était à refaire. Leur incompétence égalait leur vénalité. Ils vendaient leur nom, leur influence, leur femme, leur patrie. On les jouait à nu sur la scène; mais ils allaient s’applaudir, cyniques et tranquilles, car l’auteur mangeait à leur table et ils couchaient avec l’actrice.
La littérature s’empoisonnait à son tour. A la jalousie de la confraternité s’ajoutait la puissance de l’argent. Le théâtre, où il y a la femme, donna le branle. Il devint un commerce usuraire de la scène, du rôle, de la mode. Il fallait une fortune à l’auteur, et des syndicats d’amants pour entretenir de robes et de publicité les premiers noms des affiches.
A la face de la nation, l’Académie perpétuait le mensonge de la gloire et vendait ses fauteuils. Le salon de bonne tenue tombait à la brocante; et la civilité séculaire qui excusait la présence des mitres et des panaches, aggravait l’inconvenance des Boucicauts qui y fréquentaient.
Le public avait ses fournisseurs. Au lieu de tâcher pour l’élever jusqu’à eux, des gens d’esprit s’abaissaient vers lui de tous leurs efforts. Le plus faible des lecteurs marquait le niveau d’un magazine. On faisait des affaires. Et malgré les belles tentatives de quelques-uns, – des coups d’épée dans l’eau, – la foule ne connaissait jamais que les grands hommes rabaissés à sa taille.
Plus bas il y avait des talents sans doute, captifs résignés de cercles étroits, mais surtout des arrivistes. Dans ce temps de mollesse pacifique et de culture générale, le crime et la production littéraire augmentaient. On ramassait des assassins de quinze ans, et des morveux sans poils s’appelaient «hommes de lettres». Ça les prenait à la mamelle, et dès qu’ils pouvaient marcher ils aboyaient aux trousses des géants pour que ceux-ci baissassent les yeux sur eux.
Chaque groupe était une chapelle qui avait son étendard. Les plus riches faisaient une réclame dont les autres crevaient de dépit: aux pauvres il restait la grimace. Et tous criaient à la fois qu’il fallait sauver les arts, comme les passagers d’entrepont qui prennent le roulis pour l’engloutissement et hurlent, tandis que le navire les emporte à pleines voiles.
Au fond, ils ne voulaient que des sinécures et du renom, braillaient mais ne cassaient rien, et pour avoir découvert Platon se proclamaient novateurs. La compétition, la flatterie des dispensateurs et l’attaque des adversaires les occupaient plus que les œuvres. Ils rompaient des plumes à critiquer des critiques, et leurs messies n’étaient pas nés.
C’est pourquoi quelques hommes qui respectaient le silence et la création s’étaient retirés de ce monde. Trop hauts et trop francs pour s’accommoder de compromis et de prostitution, ils méprisaient la fosse commune et le champ clos des envies. Ils ne désiraient point la gloire et aimaient le travail. Comme Elémir Bourges, ils bâtissaient au delà des frontières du peuple, ou, comme Romain Rolland, ils attendaient que la foule vînt d’elle-même saisir le voile et démasquer le monument.
Celui-ci gagna le public à la force de l'œuvre édifiée patiemment et avec enthousiasme comme une cathédrale. Il a toujours vécu dans la retraite et n’a point couru après la renommée qui l’a recherché ainsi qu’une fiancée. Son visage n’a traîné ni les illustrés, ni les salons; il n’a point créé d’école et on ne connaît pas sa personne: il travaille, il fait des livres.
M. Romain Rolland est venu à Paris vers 1880, pour entrer à l’Ecole Normale. Il quittait le Morvan où ses ancêtres, gens de robe du côté maternel, notaires du côté paternel, lui donnaient de profondes racines, jusqu’au cœur du Nivernais et de la Bourgogne.
Il est du centre de la France et du centre de la bourgeoisie, de ces vieilles races de magistrats qui vivaient dans l’attachement à la terre et le respect du devoir. Ils demeuraient dans leur pays de générations en générations, toujours plus liés au sol, où il y avait plus de leur poussière, conquérant sur le peuple la domination des justes dont ils étaient fiers, et plaçant l’honneur dans la droiture. Ils avaient la maison de famille, qu’ils vénéraient, où battait le cœur de la race dans le souvenir des hommes et des choses. Solidaires du passé, ils y puisaient la dignité et cette honnêteté un peu vaniteuse et guindée, mais ferme jusqu’au sacrifice.
Ainsi le père de M. Rolland abandonna son étude de Clamecy, sa vie paisible, l’amitié des campagnes et des braves gens, pour suivre à Paris le jeune Romain qui avait besoin de lui. C’était son devoir. Il n’hésita pas, rompit avec la liberté et s’enferma dans un bureau, pour ne point délaisser son fils.
Celui-ci est du même sang. Une sévère grandeur morale, faite de probité et de volonté dans le bien, est au fond de toutes ses œuvres, comme une assise de granit. Il soumet son existence aux contraintes de sa profession et poursuit sa voie avec méthode et ténacité. Elle est à la fois comme il faut, opiniâtre et pure.
Et pourtant, une sensibilité très aiguë, qui pouvait l’incliner à des folies passagères, vibre au centre de cette maîtrise. Sans doute vient-elle de la fatigue d’une lignée qui s’épuise à mesure qu’elle s’étend, et de sa mère aussi, qui la développa en élevant son enfant dans la musique.
Elle lui avait révélé tôt le monde des sons, la manière de les ordonner, de les asservir et de réveiller les âmes tumultueuses ou navrées qui sommeillaient au fond des vieilles œuvres. Elle renforça vraisemblablement ses émotions féminines aux reflets des impressions qu’elle provoquait. Il y eut entre la mère et l’enfant un échange de sentiments qui allaient s’affinant; et puis, cet art précis et vague, enveloppant et dominateur, souple comme notre pensée, était propre à surexciter une imagination enfantine.
M. Romain Rolland avait donc entraîné déjà sa faculté de sentir, qui fait les artistes, quand il arriva à l’École Normale. La méthode l’y attendait. Il se forma, dans la section d’histoire et de géographie qu’il choisit, une discipline de l’esprit. En même temps qu’il y prenait le goût des compositions ordonnées, son intelligence s’adaptait aux systèmes critiques, la recherche, la comparaison, le classement des textes, qui permettent de maçonner une œuvre comme une tour.
Cette formation se coula bien dans ce tempérament probe et volontaire, sans trop contraindre la sensibilité qu’il entretenait d’ailleurs par la musique, dont il disait «qu’elle lui semblait un aliment aussi indispensable à sa vie que le pain». D’autre part, en lisant Wagner, en se saturant de Tolstoï, qu’il aima toujours avec dévotion, il élargissait son cœur, pénétrait à la fois la force et la douleur humaines et se passionnait pour la vérité.
Dès cette époque – 1887, – où il reçoit une lettre admirable de Tolstoï, touchant la dignité religieuse de l’art, et qui éclaire, en l’affermissant, sa foi dans cet art auquel il brûlait de se vouer, il arrive à des convictions qui, fortifiées encore, prendront par la suite une valeur dogmatique. Ce sont la haine du mensonge, le souci de la sincérité, le besoin d'être utile, la nécessité du sacrifice, l’universalité de l’art.
Des influences successives et très lourdes pèseront encore sur lui, mais elles ne feront qu’accentuer les plis. M. Romain Rolland, après une courte période où les aspirations violentes de son être aimant et sain se tendaient dans le vide, comme les bras d’un adolescent dans les nuits solitaires, trouva bien vite les formes de son idéal qu’il put embrasser. Les rails de sa vie étaient forgés. Il savait où il allait, ce qu’il voulait; et avec un peu plus de réflexion et de maturité, il saurait comment y atteindre.
Voici un homme. Il a une charpente morale et des idées. Le fait n’est pas commun aujourd’hui. Il n’aura peut-être point une rigidité d’acier de trempe dure qui éclate sous la pression, mais plus souple, – plus humain, – il ploiera quelquefois sans jamais cesser de revenir à sa forme d’une détente. Et dans toute son œuvre, derrière la diversité des apparences, on retrouve cet homme et sa parole.
Reçu en 1889 à l’agrégation d’histoire, M. Romain Rolland accepte une place à l’école française de Rome.
L’Italie lui fut une révélation, non seulement par sa lumière dans laquelle les choses ont plus de forme, par ses paysages où les arbres font des taches et les ruines des reflets de soleil, mais surtout par son passé. Cette terre qui garde les trophées des civilisations successives, du temple de Pæstum, immobile dans la plaine de l’humanité comme une borne, au Coleone féodal et au coteau d’Assise, où l’art couva sans cesse, parmi les décombres, ainsi qu’un foyer, attirant tous les grands hommes, de Montaigne à Ibsen, toucha peut-être davantage l’historien en lui.
On le sent très enthousiaste, particulièrement de la Renaissance, mais très curieux aussi d’apprendre, de fouiller les archives et les musées, de nourrir ces dossiers avec lesquels, romans ou biographies, il bâtira plus tard ses livres.
Déjà il écrit des drames historiques: Orsino, Les Baglioni, Le siège de Mantoue, Niobé, Caligula, Jeanne de Pienne, qui n’ont jamais paru, mais furent lus dans le petit appartement occupé, derrière le Colisée, par Malwida von Meysenbug.
Cette femme admirable avait alors 73 ans, et toute sa vie n’avait été qu’une lente purification de son âme mystique et idéaliste. Elle s’était séparée de son père, un Français germanisé, ministre du prince Guillaume Ier de Hesse-Cassel, parce qu’elle ne voulait pas compromettre ses croyances dans l’existence officielle; mais jamais elle ne relâcha les liens sentimentaux qui l’unissaient à sa famille. Réfugiée à Londres après 48, elle connut Kossuth, Mazzini, Herzen, Ogareff, Ledru-Rollin et Louis Blanc, tous ceux qui, comme elle, désiraient «pour l’humanité un progrès indéfini dans la liberté et la justice», et qui étaient proscrits, parce que l’amour des hommes épouvante les gouvernements.
Plus tard elle se retira en Italie, et, après le mariage d’une fille de Herzen qu’elle avait adoptée, écrivit ses mémoires. Wagner, Liszt, Lenbach, Nietzsche, Garibaldi, Ibsen furent de ses amis, et ces grandes pensées refoulaient de plus en plus les brumes de son cœur qui devenait comme une mer calme sous un soleil immobile.
M. Romain Rolland la gagna par la musique qu’elle aimait beaucoup et dont elle était privée. Il allait souvent jouer pour elle à son vieux piano, et remuer entre eux des souvenirs et les antiques émotions humaines. Il discutait aussi d’art et de sociologie, et elle apportait, dans ces causeries, les idées fécondes qu’avaient semées en elle les meilleurs et les plus grands des hommes.
Elle disait: «La liberté est la plus sévère des lois», et encore: «J’appartiens à la grande communauté de ceux qui aiment et cherchent à réaliser en eux et autour d’eux le bien, le noble et le beau». Elle estimait que «la littérature ne pouvait être un pur rêve d’art; elle devait être une action humanitaire et moralisatrice». Elle s’éteignit comme un astre qui se prolonge en doux reflets après sa chute. Ses derniers mots furent: amour et paix.
Son influence marqua chez M. Romain Rolland en donnant force de dogme aux tendances morales acquises près de Tolstoï, en l’inclinant davantage vers le peuple, la liberté, et en le poussant définitivement à la littérature d’action. Sans doute, par contraste, la sérénité spirituelle de l’appartement du Colisée lui fit-elle mieux pénétrer l’anarchie du temps et rêver une œuvre de critique et de réaction qui serait Jean-Christophe, en même temps qu’il se promettait de bousculer l’art hors des salons, de l’élargir à la mesure de la vie, de le hausser à la taille du peuple: il y avait trop longtemps que l’on disait la messe dans l’obscurité des chapelles; il fallait de nouveau le sacrifice, en plein jour, à la face du monde.
En 1895, il soutient en Sorbonne sa thèse de doctorat: Les Origines de l’opéra avant Lulli et Scarlatti. C’était, après celle de M. Jules Combarieu, la seconde thèse musicale.
M. Romain Rolland s’efforçait déjà de mettre à sa place, dans l’enseignement universitaire, un art que l’on ne prenait pas encore au sérieux. Avec cette patience et cette combativité qu’il apporte à défendre ses idées, il ne manqua jamais, avec raison, de glorifier la musique et d’en propager l’étude, jusqu’au jour où son effort fut récompensé par cette inauguration qu’il fit, à l’Ecole des Hautes Etudes Sociales, d’une section de musique.
Le voici professeur: deux ou trois ans de débuts pénibles; puis, en 1897, il est chargé d’un cours d’Histoire de l’Art à l’Ecole Normale Supérieure. Cependant il publie, pour la première fois, à la Revue de Paris, un poème dramatique, Saint Louis, «dans la façon de Shakespeare», celui de tous les artistes qu’il a «le plus constamment préféré depuis l’enfance». Un an et demi après, le Théâtre de l'Œuvre représente une pièce en trois actes, Aërt, puis, quinze jours plus tard, monte Les Loups, et l’année suivante, Le Triomphe de la raison.
La voie est ouverte. M. Romain Rolland y marchera d’un pas énergique, poussant devant lui ses idées, ainsi qu’un troupeau dont le piétinement et la masse éveillent au loin les attentions. Rien ne le détournera de la route, et son labeur énorme de professeur, de critique et de romancier devient toute son existence. Il s’acharne à réaliser, successivement et avec méthode, ses grandes conceptions: le théâtre du peuple, l’épopée révolutionnaire, la vie des héros, l’exaltation de la vraie France. Il marche sans faiblir, avec la volonté d'être un rénovateur dans une civilisation malsaine, avec le désir d'être un ami. Et si le soir il s’arrête, las, au bord du chemin, c’est pour écouter les voix du sol, ou bien son cœur qui tinte, afin de nous dire la splendeur fortifiante de la terre et les mystères qui roulent au fond de nos poitrines.