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Kitabı oku: «La Conquête de Plassans», sayfa 22

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– Et l'abbé Fenil, que devient-il donc? Il y a un siècle que je n'ai entendu parler de lui.

Un profond silence s'était fait. M. de Condamin était seul capable de se hasarder sur un terrain aussi brûlant; on le regarda.

– Mais, répondit-il tranquillement, je le crois claquemuré dans sa propriété des Tulettes.

Et madame de Condamin ajouta avec un rire d'ironie:

– On peut dormir en paix: c'est un homme fini, qui ne se mêlera plus des affaires de Plassans.

Marthe seule restait un obstacle. L'abbé Faujas la sentait lui échapper chaque jour davantage; il roidissait sa volonté, appelait ses forces de prêtre et d'homme pour la plier, sans parvenir à modérer en elle l'ardeur qu'il lui avait soufflée. Elle allait au but logique de toute passion, exigeait d'entrer plus avant à chaque heure dans la paix, dans l'extase, dans le néant parfait du bonheur divin. Et c'était en elle une angoisse mortelle d'être comme murée au fond de sa chair, de ne pouvoir se hausser à ce seuil de lumière, qu'elle croyait apercevoir, toujours plus loin; toujours plus haut. Maintenant, elle grelottait, à Saint-Saturnin, dans cette ombre froide où elle avait goûté des approches si pleines d'ardentes délices; les ronflements des orgues passaient sur sa nuque inclinée, sans soulever ses poils follets d'un frisson de volupté; les fumées blanches de l'encens ne l'assoupissaient plus au milieu d'un rêve mystique; les chapelles flambantes, les saints ciboires rayonnant comme des astres, les chasubles d'or et d'argent, pâlissaient, se noyaient, sous ses regards obscurcis de larmes. Alors, ainsi qu'une damnée, brûlée des feux du paradis, elle levait les bras désespérément, elle réclamait l'amant qui se refusait à elle, balbutiant, criant:

– Mon Dieu, mon Dieu! pourquoi vous-êtes vous retiré de moi?

Honteuse, comme blessée de la froideur muette des voûtes, Marthe quittait l'église avec la colère d'une femme dédaignée. Elle rêvait des supplices pour offrir son sang; elle se débattait furieusement dans cette impuissance à aller plus loin que la prière, à ne pas se jeter d'un bond entre les bras de Dieu. Puis, rentrée chez elle, elle n'avait d'espoir qu'en l'abbé Faujas. Lui seul pouvait la donner à Dieu; il lui avait ouvert les joies de l'initiation, il devait maintenant déchirer le voile entier. Et elle imaginait une suite de pratiques aboutissant à la satisfaction complète de son être. Mais le prêtre s'emportait, s'oubliait jusqu'à la traiter grossièrement, refusait de l'entendre, tint qu'elle ne serait point à genoux, humiliée, inerte, ainsi qu'un cadavre. Elle l'écoutait, debout, soulevée par une révolte de tout son corps, tournant contre lui la rancune de ses désirs trompés, l'accusant de la lâche trahison dont elle agonisait.

Souvent, la vieille madame Rougon crut devoir intervenir entre l'abbé et sa fille, comme elle le faisait autrefois entre celle-ci et Mouret. Marthe lui ayant conté ses chagrins, elle parla au prête en belle-mère voulant le bonheur de ses enfants, passant le temps à mettre la paix dans leur ménage. – Voyons, lui dit-elle en souriant, vous ne pouvez donc vivre tranquilles! Marthe se plaint toujours, et vous sembla continuellement la bouder… Je sais bien que les femmes sont exigeantes, mais avouez aussi que vous manquez un peu de complaisance… Je suis vraiment peinée de ce qui se passe; il serait si facile de vous entendre! Je vous en prie, mon cher abbé, soyez plus doux.

Elle le grondait aussi amicalement de sa mauvaise tenue. Elle sentait, de son flair de femme adroite, qu'il abusait de la victoire. Puis elle excusait sa fille; la chère enfant avait beaucoup souffert, sa sensibilité nerveuse demandait de grands ménagements; d'ailleurs, elle possédait un excellent caractère, un naturel aimant, dont un homme habile devait disposer à sa guise. Mais, un jour qu'elle lui enseignait ainsi la façon de faire de Marthe tout ce qu'il voudrait, l'abbé Faujas se lassa de ces éternels conseils.

– Eh! non, cria-t-il brutalement, votre fille est folle, elle m'assomme, je ne veux plus m'occuper d'elle… Je payerais cher le garçon qui m'en débarrasserait.

Madame Rougon le regarda fixement, les lèvres pincées.

– Écoutez, mon cher, lui répondit-elle au bout d'un silence, vous manquez de tact; cela vous perdra. Faites la culbute, si ça vous amuse. Moi, en somme, je m'en lave les mains. Je vous ai aidé, non pas pour vos beaux yeux, mais pour être agréable à nos amis de Paris. On m'écrivait de vous piloter, je vous pilotais… Seulement, retenez bien ceci: je ne souffrirai pas que vous veniez faire le maître chez moi. Que le petit Péqueur, que le bonhomme Rastoil tremblent à la vue de votre soutane, cela est bon. Nous autres, nous n'avons pas peur, nous entendons rester les maîtres. Mon mari a conquis Plassans avant vous, et nous garderons Plassans, je vous en préviens.

A partir de ce jour, il y eut un grand froid entre les Rougon et l'abbé Faujas. Lorsque Marthe vint se plaindre de nouveau, sa mère lui dit nettement:

– Ton abbé se moque de toi. Tu n'auras jamais la moindre satisfaction avec cet homme… A ta place, je ne me gênerais pas pour lui jeter à la figure ses quatre vérités. D'abord, il est sale comme un peigne depuis quelque temps; je ne comprends pas comment tu peux manger à côté de lui.

La vérité était que madame Rougon avait soufflé à son mari un plan fort ingénieux. Il s'agissait d'évincer l'abbé pour bénéficier de son succès. Maintenant que la ville votait correctement, Rougon, qui n'avait point voulu risquer une campagne ouverte, devait suffire à la maintenir dans le bon chemin. Le salon vert n'en serait que plus puissant. Félicité, dès lors, attendit avec cette ruse patiente à laquelle elle devait sa fortune.

Le jour où sa mère lui jura que l'abbé «se moquait d'elle», Marthe se rendit à Saint-Saturnin, le coeur saignant, résolue à un appel suprême. Elle demeura là deux heures, dans l'église déserte, épuisant les prières, attendant l'extase, se torturant à chercher le soulagement. Des humilités l'aplatissaient sur les dalles, des révoltes la redressaient les dents serrées, tandis que tout son être, tendu follement, se brisait à ne saisir, à ne baiser que le vide de sa passion. Quand elle se leva, quand elle sortit, le ciel lui parut noir; elle ne sentait pas le pavé sons ses pieds, et les rues étroites lui laissaient l'impression d'une immense solitude. Elle jeta son chapeau et son châle sur la table de la salle à manger, elle monta droit à la chambre de l'abbé Faujas.

L'abbé, assis devant sa petite table, songeait, la plume tombée des doigts. Il lui ouvrit, préoccupé; mais, lorsqu'il l'aperçut toute pâle devant lui, avec une résolution ardente dans les yeux, il eut un geste de colère.

– Que voulez-vous? demanda-t-il, pourquoi êtes-vous montée?..

Redescendez et attendez-moi, si vous avez quelque chose à me dire.

Elle le poussa, elle entra sans prononcer une parole.

Lui, hésita un instant, luttant contre la brutalité qui lui faisait déjà lever la main. Il restait debout, en face d'elle, sans refermer la porte grande ouverte.

– Que voulez vous? répéta-t-il; je suis occupé.

Alors, elle alla fermer la porte. Puis, seule avec lui, elle s'approcha. Elle dit enfin:

– J'ai à vous parler.

Elle s'était assise, regardant la chambre, le lit étroit, la commode pauvre, le grand Christ de bois noir, dont la brusque apparition sur la nudité du mur lui donna un court frisson. Une paix glaciale tombait du plafond. Le foyer de la cheminée était vide, sans une pincée de cendre.

– Vous allez prendre froid, dit le prêtre d'une voix calmée. Je vous en prie, descendons.

– Non, j'ai à vous parler, dit-elle de nouveau.

Et, les mains jointes, en pénitente qui se confesse:

– Je vous dois beaucoup… Avant votre venue, j'étais sans âme. C'est vous qui avez voulu mon salut. C'est par vous que j'ai connu les seules joies de mon existence. Vous êtes mon sauveur et mon père. Depuis cinq ans, je ne vis que par vous et pour vous.

Sa voix se brisait, elle glissait sur les genoux. Il l'arrêta d'un geste.

– Eh bien! cria-t-elle, aujourd'hui je souffre, j'ai besoin de votre aide… Écoutez-moi, mon père. Ne vous retirez pas de moi. Vous ne pouvez m'abandonner ainsi… Je vous dis que Dieu ne m'entend plus. Je ne le sens plus… Ayez pitié, je vous en prie. Conseillez-moi, menez-moi à ces grâces divines dont vous m'avez fait connaître les premiers bonheurs; apprenez-moi ce que je dois faire pour guérir, pour aller toujours plus avant dans l'amour de Dieu. – Il faut prier, dit gravement le prêtre.

– J'ai prié, j'ai prié pendant des heures, la tête dans les mains, cherchant à m'anéantir au fond de chaque mot d'adoration, et je n'ai pas été soulagée, et je n'ai pas senti Dieu.

– Il faut prier, prier encore, prier toujours, prier jusqu'à ce que Dieu soit touché et qu'il descende en vous.

Elle le regardait avec angoisse.

– Alors, demanda-t-elle, il n'y a que la prière? Vous ne pouvez rien pour moi?

– Non, rien, déclara-t-il rudement.

Elle leva ses mains tremblantes, dans un élan désespéré, la gorge gonflée de colère. Mais elle se contint. Elle balbutia:

– Votre ciel est fermé. Vous m'avez menée jusque-là pour me heurter contre ce mur… J'étais bien tranquille, vous vous souvenez, quand vous êtes venu. Je vivais dans mon coin, sans un désir, sans une curiosité. Et c'est vous qui m'avez reveillée avec des paroles qui me retournaient le coeur. C'est vous qui m'avez fait entrer dans une autre jeunesse … Ah! vous ne savez pas quelles jouissances vous me donniez, dans les commencements! C'était une chaleur en moi, douce, qui allait jusqu'au bout de mon être. J'entendais mon coeur. J'avais une espérance immense. A quarante ans, cela me semblait ridicule parfois, et je souriais; puis, je me pardonnais, tant je me trouvais heureuse… Mais, maintenant, je veux le reste du bonheur promis. Ça ne peut pas être tout. Il y a autre chose, n'est-ce pas? Comprenez donc que je suis lasse de ce désir toujours en éveil, que ce désir m'a brûlée, que ce désir me met en agonie. Il faut que je me dépêche, à présent que je n'ai plus de santé; je ne veux pas être dupe… Il y a autre chose, dites-moi qu'il y a autre chose.

L'abbé Faujas restait impassible, laissant passer ce flot de paroles ardentes. – Il n'y a rien, il n'y a rien! continua-t-elle avec emportement; alors vous m'avez trompée… Vous m'avez promis le ciel, en bas, sur la terrasse, par ces soirées pleines d'étoiles. Moi, j'ai accepté. Je me suis vendue, je me suis livrée. J'étais folle, dans ces premières tendresses de la prière… Aujourd'hui, le marché ne tient plus; j'entends rentrer dans mon coin, retrouver ma vie calme. Je mettrai tout le monde à la porte, j'arrangerai la maison, je raccommoderai le linge à ma place accoutumée, sur la terrasse… Oui, j'aimais à raccommoder le linge. La couture ne me fatiguait pas… Et je veux que Désirée soit à côté de moi, sur son petit banc; elle riait, elle faisait des poupées, la chère innocente…

Elle éclata en sanglots.

– Je veux mes enfants!..C'étaient eux qui me protégeaient. Lorsqu'ils n'ont plus été là, j'ai perdu la tête, j'ai commencé à mal vivre… Pourquoi me les avez-vous pris?.. Ils s'en sont allés un à un, et la maison m'est devenue comme étrangère. Je n'y avais plus le coeur. J'étais contente, lorsque je la quittais pour une après-midi; puis, le soir, quand je rentrais, il me semblait descendre chez des inconnus. Jusqu'aux meubles qui me paraissaient hostiles et glacés. Je haïssais la maison… Mais j'irai les reprendre, les pauvres petits. Ils changeront tout ici, dès leur arrivée… Ah! si je pouvais me rendormir de mon bon sommeil!

Elle s'exaltait de plus en plus. Le prêtre tenta de la calmer par un moyen qui lui avait souvent réussi.

– Voyons, soyez raisonnable, chère dame, dit-il en cherchant à s'emparer de ses mains pour les tenir serrées entre les siennes.

– Ne me touchez pas! cria-t-elle en reculant. Je ne veux pas… Quand vous me tenez, je suis faible comme un enfant. La chaleur de vos mains m'emplit de lâcheté… Ce serait à recommencer demain; car je ne puis plus vivre, voyez-vous, et vous ne m'apaisez que pour une heure.

Elle était devenue sombre. Elle murmura:

– Non, je suis damnée à présent. Jamais je n'aimerai plus la maison. Et si les enfants venaient, ils demanderaient leur père… Ah! tenez, c'est cela qui m'étouffe… Je ne serai pardonnée que lorsque j'aurai dit mon crime à un prêtre.

Et tombant à genoux:

– Je suis coupable. C'est pourquoi la face de Dieu se détourne de moi.

Mais l'abbé Faujas voulut la relever.

– Taisez-vous, dit-il avec éclat. Je ne puis recevoir ici votre aveu.

Venez demain à Saint-Saturnin.

– Mon père, reprit-elle en se faisant suppliante, ayez pitié! Demain, je n'aurai plus la force.

– Je vous défends de parler, cria-t-il plus violemment; je ne veux rien savoir, je détournerai la tête, je fermerai les oreilles.

Il reculait, les bras tendus, comme pour arrêter l'aveu sur les lèvres de Marthe. Tous deux se regardèrent un instant en silence, avec la sourde colère de leur complicité.

– Ce n'est pas un prêtre qui vous entendrait, ajouta-t-il d'une voix plus étouffée. Il n'y a ici qu'un homme pour vous juger et vous condamner.

– Un homme! répéta-t-elle affolée. Eh bien! cela vaut mieux. Je préfère un homme.

Elle se releva, continua dans sa fièvre:

– Je ne me confesse pas, je vous dis ma faute. Après les enfants, j'ai laissé partir le père. Jamais il ne m'a battue, le malheureux! C'était moi qui étais folle. Je sentais des brûlures par tout le corps, et je m'égratignais, j'avais besoin du froid des carreaux pour me calmer. Puis, c'était une telle honte après la crise, de me voir ainsi toute nue devant le monde, que je n'osais parler. Si vous saviez quels effroyables cauchemars me jetaient par terre! Tout l'enfer me tournait dans la tête. Lui, le pauvre homme, me faisait pitié, à claquer des dents. Il avait peur de moi. Quand vous n'étiez plus là, il n'osait approcher, il passait la nuit sur une chaise.

L'abbé Faujas essaya de l'interrompre.

– Vous vous tuez, dit-il. Ne remuez pas ces souvenirs. Dieu vous tiendra compte de vos souffrances.

– C'est moi qui l'ai envoyé aux Tulettes, reprit-elle, en lui imposant silence d'un geste énergique. Vous tous, vous me disiez qu'il était fou… Ah! quelle vie intolérable! Toujours, j'ai eu l'épouvante de la folie. Quand j'étais jeune, il me semblait qu'on m'enlevait le crâne et que ma tête se vidait. J'avais comme un bloc de glace dans le front. Eh bien! cette sensation de froid mortel, je l'ai retrouvée, j'ai eu peur de devenir folle, toujours, toujours… Lui, on l'a emmené. J'ai laissé faire. Je ne savais plus. Mais, depuis ce temps, je ne peux fermer les yeux, sans le voir, là. C'est ce qui me rend singulière, ce qui me cloue pendant des heures à la même place, les yeux ouverts… Et je connais la maison, je l'ai dans les yeux. L'oncle Macquart me l'a montrée. Elle toute grise comme une prison, avec des fenêtres noires.

Elle étouffait. Elle porta à ses lèvres un mouchoir, qu'elle retira tâché de quelques gouttes de sang. Le prêtre, les bras croisés fortement, attendait la fin de la crise.

– Vous savez tout, n'est-ce pas? acheva-t-elle en balbutiant. Je suis une misérable, j'ai péché pour vous… Mais donnez-moi la vie, donnez-moi la joie, et j'entre sans remords dans ce bonheur surhumain que vous m'avez promis.

– Vous mentez, dit lentement le prêtre, je ne sais rien, j'ignorais que vous eussiez commis ce crime.

Elle recula à son tour, les mains jointes, bégayant, fixant sur lui des regards terrifiés. Puis, emportée, perdant conscience, se faisant familière:

– Écoutez, Ovide, murmura-t-elle, je vous aime, et vous le savez, n'est-ce pas? Je vous ai aimé, Ovide, le jour où vous êtes entré ici… Je ne vous le disais pas. Je voyais que cela vous déplaisait. Mais je sentais bien que vous deviniez mon coeur. J'étais satisfaite, j'espérais que nous pourrions être heureux un jour, dans une union toute divine… Alors, c'est pour vous que j'ai vidé la maison. Je me suis trainée sur les genoux, j'ai été votre servante… Vous ne pouvez pourtant pas être cruel jusqu'au bout. Vous avez consenti à tout, vous m'avez permis d'être à vous seul, d'écarter les obstacles qui nous séparaient. Souvenez-vous, je vous en supplie. Maintenant que me voilà malade, abandonnée, le coeur meurtri, la tête vide, il est impossible que vous me repoussiez… Nous n'avons rien dit tout haut, c'est vrai. Mais mon amour parlait et votre silence répondait. C'est à l'homme que je m'adresse, ce n'est pas au prêtre. Vous m'avez dit qu'il n'y avait qu'un homme, ici. L'homme m'entendra… Je vous aime, Ovide, je vous aime, et j'en meurs.

Elle sanglotait. L'abbé Faujas avait redressé sa haute taille, il s'approcha de Marthe, laissa tomber sur elle son mépris de la femme.

– Ah! misérable chair! dit-il. Je comptais que vous seriez raisonnable, que jamais vous n'en viendriez à cette honte de dire tout haut ces ordures… Oui, c'est l'éternelle lutte du mal contre les volontés fortes. Vous êtes la tentation d'en bas, la lâcheté, la chute finale. Le prêtre n'a pas d'autre adversaire que vous, et l'on devrait vous chasser des églises, comme impures et maudites.

– Je vous aime, Ovide, balbutia-t-elle encore; je vous aime, secourez-moi.

– Je vous ai déjà trop approchée, continua-t-il. Si j'échoue, ce sera vous, femme, qui m'aurez ôté de ma force par votre seul désir. Retirez-vous, allez-vous-en, vous êtes Satan! Je vous battrai pour faire sortir le mauvais ange de votre corps.

Elle s'était laissé glisser, assise à demi contre le mur muette de terreur, devant le poing dont le prêtre la menaçait. Ses cheveux se dénouaient, une grande mèche blanche lui barrait le front. Lorsque, cherchant un secours dans la chambre nue, elle aperçut le Christ de bois noir, elle eut encore la force de tendre les mains vers lui, d'un geste passionné.

– N'implorez pas la croix, s'écria le prêtre au comble de l'emportement. Jésus a vécu chaste, et c'est pour cela qu'il a su mourir.

Madame Faujas rentrait, tenant au bras un gros panier de provisions. Elle se débarrassa vite, en voyant son fils dans cette épouvantable colère. Elle lui prit les bras.

– Ovide, calme toi, mon enfant, murmura-t-elle en le caressant.

Et, se tournant vers Marthe écrasée, la foudroyant du regard:

– Vous ne pouvez donc pas le laisser tranquille!.. Puis-qu'il ne veut pas de vous, ne le rendez pas malade, au moins. Allons, descendez, il est impossible que vous restiez là. Marthe ne bougeait pas. Madame Faujas dut la relever et la pousser vers la porte; elle grondait, l'accusait d'avoir attendu qu'elle fût sortie, lui faisait promettre de ne plus remonter pour bouleverser la maison par de pareilles scènes. Puis, elle ferma violemment la porte sur elle.

Marthe descendit en chancelant. Elle ne pleurait plus. Elle répétait:

– François reviendra, François les mettra tous à la rue.

XXI

La voiture de Toulon, qui passait aux Tulettes, ou se trouvait un relais, partait de Plassans à trois heures. Marthe, redressée par le coup de fouet d'une idée fixe, ne voulut pas perdre un instant; elle remit son châle et son chapeau, ordonna à Rose de s'habiller tout de suite.

– Je ne sais ce que madame peut avoir, dit la cuisinière à Olympe; je crois que nous partons pour un voyage de quelques jours.

Marthe laissa les clefs aux portes. Elle avait hâte d'être dans la rue. Olympe, qui l'accompagnait, essayait vainement de savoir où elle allait et combien de jours elle resterait absente.

– Enfin, soyez tranquille, lui dit-elle sur le seuil, de sa voix aimable; je soignerai bien tout, vous retrouverez tout en ordre… Prenez votre temps, faites vos affaires. Si vous allez à Marseille, rapportez-nous des coquillages frais.

Et Marthe n'avait pas tourné le coin de la rue Taravelle, qu'Olympe prenait possession de la maison entière. Quand Trouche rentra, il trouva sa femme en train de faire battre les portes, de fouiller les meubles, furetant, chantonnant, emplissant les pièces du vol de ses jupes.

– Elle est partie, et sa rosse de bonne avec elle! lui cria-t-elle, en s'étalant dans un fauteuil. Hein? ce serait une fameuse chance, si elles restaient toutes les deux au fond d'un fossé!.. N'importe, nous allons être joliment à notre aise pendant quelque temps. Ouf! c'est bon d'être seuls, n'est-ce pas, Honoré? Tiens, viens m'embrasser pour la peine! Nous sommes chez nous, nous pouvons nous mettre en chemise, si nous voulons.

Cependant, Marthe et Rose arrivèrent juste sur le cours Sauvaire comme la voiture de Toulon partait. Le coupé était libre. Quand la domestique entendit sa maîtresse dire au conducteur qu'elle s'arrêterait aux Tulettes, elle ne s'installa qu'en rechignant. La voiture n'avait pas encore quitté la ville qu'elle grognait déjà, répétant de son air revêche:

– Moi qui croyais que vous étiez enfin raisonnable! Je m'imaginais que nous partions pour Marseille voir monsieur Octave. Nous aurions rapporté une langouste et des clovisses… Ah bien! je me suis trop pressée. Vous êtes toujours la même, vous allez toujours au chagrin, vous ne savez qu'inventer pour vous mettre la tête à l'envers.

Marthe, dans le coin du coupé, à demi évanouie, s'abandonnait. Une faiblesse mortelle s'emparait d'elle, maintenant qu'elle ne se roidissait plus contre la douleur qui lui brisait la poitrine. Mais la cuisinière ne la regardait même pas.

– Si ce n'est pas une invention baroque d'aller voir monsieur! reprenait-elle. Un joli spectacle, et qui va vous égayer! Nous en aurons pour huit jours à ne pas dormir. Vous pourrez bien avoir peur la nuit, du diable si je me lève pour regarder sous les meubles!.. Encore, si votre visite faisait du bien à monsieur; mais il est capable de vous dévisager et d'en crever lui-même. J'espère bien qu'on ne vous laissera pas entrer. C'est défendu d'abord… Voyez-vous, je n'aurais pas dû monter dans la voiture, quand vous avez parlé des Tulettes; vous n'auriez peut-être pas osé faire la bêtise toute seule.

Un soupir de Marthe l'interrompit. Elle se tourna, la vit toute blême qui étouffait, et se fâcha plus fort, en baissant un carreau pour donner de l'air.

– C'est cela, passez-moi entre les bras maintenant, n'est-ce pas? Est-ce que vous ne seriez pas mieux dans votre lit, à vous soigner? Quand on pense que vous avez eu la chance de ne rencontrer autour de vous que des gens dévoués, sans seulement dire merci au bon Dieu! Vous savez bien que c'est la vérité. Monsieur le curé, sa mère, sa soeur, jusqu'à monsieur Trouche, sont aux petits soins pour vous; ils se jetteraient dans le feu, ils sont debout à toute heure du jour et de la nuit. J'ai vu madame Olympe pleurer, oui pleurer, lorsque vous étiez malade, la dernière fois. Eh bien! comment reconnaissez-vous leurs bontés? Vous les mettez dans la peine, vous partez comme une sournoise pour voir monsieur, tout en sachant que cela leur fera beaucoup de chagrin; car ils ne peuvent pas aimer monsieur, qui était si dur pour vous… Tenez, voulez-vous que je vous le dise, madame? le mariage ne vous a rien valu, vous avez pris la méchanceté de monsieur. Entendez-vous, il y a des jours où vous êtes aussi méchante que lui.

Elle continua ainsi jusqu'aux Tulettes, défendant les Faujas et les Trouche, accusant sa maîtresse de toutes sortes de vilenies. Elle finit par dire:

– Ce sont ces gens-là qui seraient de braves maîtres, s'ils avaient assez d'argent pour avoir des domestiques! Mais la fortune ne tombe jamais qu'aux mauvais coeurs.

Marthe, plus calme, ne répondait pas. Elle regardait vaguement les arbres maigres filer le long de la route, les vastes champs se déplier comme des pièces d'étoffes brune. Les grondements de Rose se perdaient dans les cahots de la voiture.

Aux Tulettes, Marthe se dirigea vivement vers la maison de l'oncle Macquart, suivie de la cuisinière, qui se taisait maintenant, haussant les épaules, les lèvres pincées.

– Comment! c'est toi! s'écria l'oncle, très-surpris. Je te croyais dans ton lit. On m'avait raconté que tu étais malade… Eh! eh! petite, tu n'as pas l'air fort… Est-ce que tu viens me demander à dîner ?

– Je voudrais voir François, mon oncle, dit Marthe.

– François? répéta Macquart en la regardant en face, tu voudrais voir François? C'est l'idée d'une bonne femme. Le pauvre garçon a assez crié après toi. Je l'apercevais du bout de mon jardin, qui donnait des coups de poing dans les murs en t'appelant… Ah! tu viens le voir? Je croyais que vous l'aviez tous oublié là-bas.

De grosses larmes étaient montées aux yeux de Marthe.

– Ce ne sera pas facile de le voir aujourd'hui, continua Macquart. Il va être quatre heures. Puis, je ne sais trop si le directeur voudra te donner la permission. Mouret n'est pas sage depuis quelque temps; il casse tout, il parle de mettre le feu à la boutique. Dame! les fous ne sont pas aimables tous les jours.

Elle écoutait, toute frissonnante. Elle allait questionner l'oncle, mais elle se contenta de tendre les mains vers lui.

– Je vous en supplie, dit-elle. J'ai fait le voyage exprès; il faut absolument que je parle à François aujourd'hui, à l'instant… Vous avez des amis dans la maison, vous pouvez m'ouvrir les portes.

– Sans doute, sans doute, murmura-t-il, sans se prononcer plus nettement.

Il semblait pris d'une grande perplexité, ne pénétrant pas clairement la cause de ce voyage brusque, paraissant discuter le cas à un point de vue personnel, connu de lui seul. Il interrogea du regard la cuisinière, qui tourna le dos. Un mince sourire finit par paraître sur ses lèvres.

– Enfin, puisque tu le veux, murmura-t-il, je vais tenter l'affaire. Seulement, souviens-toi que, si ta mère se fâchait, tu lui expliquerais que je n'ai pas pu te résister… J'ai peur que tu ne te fasses du mal. Ça n'a rien de gai, je t'assure.

Lorsqu'ils partirent, Rose refusa absolument de les accompagner. Elle s'était assise devant un feu de souches de vigne, qui brûlait dans la grande cheminée.

– Je n'ai pas besoin d'aller me faire arracher les yeux, dit-elle aigrement. Monsieur ne m'aimait pas assez… Je reste ici, je préfère me chauffer.

– Vous seriez bien gentille alors de nous préparer un pot de vin chaud, lui glissa l'oncle à l'oreille; le vin et le sucre sont là, dans l'armoire. Nous aurons besoin de ça, quand nous reviendrons.

Macquart ne fit pas entrer sa nièce par la grille principale de la maison des Aliénés. Il tourna à gauche, demanda à une petite porte basse le gardien Alexandre, avec lequel il échangea quelques paroles à demi-voix. Puis, silencieusement, ils s'engagèrent tous trois dans des corridors interminables. Le gardien marchait le premier.

– Je vais t'attendre ici, dit Macquart en s'arrêtant dans une petite cour; Alexandre restera avec toi.

– J'aurais voulu être seule, murmura Marthe.

– Madame ne serait pas à la noce, répondit le gardien avec un sourire tranquille; je risque déjà beaucoup.

Il lui fit traverser une seconde cour et s'arrêta devant une petite porte. Comme il tournait doucement la clef, il reprit en baissant la voix:

– N'ayez pas peur… Il est plus calme depuis ce matin; on a pu lui retirer la camisole… S'il se fâchait, vous sortiriez à reculons, n'est-ce pas? et vous me laisseriez seul avec lui. Marthe entra, tremblante, la gorge sèche. Elle ne vit d'abord qu'une masse repliée contre le mur, dans un coin. Le jour pâlissait, le cabanon n'était éclairé que par une lueur de cave, tombant d'une fenêtre grillée, garnie d'un tablier de planches.

– Eh! mon brave, cria familièrement Alexandre, en allant taper sur l'épaule de Mouret, je vous amène une visite… Vous allez être gentil, j'espère.

Il revint s'adosser contre la porte, les bras ballants, ne quittant pas le fou des yeux. Mouret s'était lentement relevé. Il ne parut pas surpris le moins du monde.

– C'est toi, ma bonne? dit-il de sa voix paisible; je t'attendais, j'étais inquiet des enfants.

Marthe, dont les genoux fléchissaient, le regardait avec anxiété, rendue muette par cet accueil attendri. D'ailleurs, il n'avait point changé; il se portait même mieux, gros et gras, la barbe faite, les yeux clairs. Ses tics de bourgeois satisfait avaient reparu; il se frotta les mains, cligna la paupière droite, piétina, en bavardant de son air goguenard des bons jours.

– Je suis tout à fait bien, ma bonne. Nous allons pouvoir retourner à la maison… Tu viens me chercher, n'est-ce pas?.. Est-ce qu'on a pris soin de mes salades? Les limaces aiment diantrement les laitues, le jardin en était rongé; mais je sais un moyen pour les détruire… J'ai des projets, tu verras. Nous sommes assez riches, nous pouvons nous payer nos fantaisies… Dis, tu n'as pas vu le père Gautier, de Saint-Eutrope, pendant mon absence? Je lui avais acheté trente milleroles de gros vin pour des coupages. Il faudra que j'aille le voir… Toi tu n'as pas de mémoire pour deux sous.

Il se moquait, il la menaçait amicalement du doigt.

– Je parie que je vais trouver tout en désordre, continua-t-il. Vous ne faites attention à rien; les outils traînent, les armoires restent ouvertes, Rose salit les pièces avec son balai… Et Rose, pourquoi n'est-elle pas venue? Ah! quelle tête! En voilà une dont nous ne ferons jamais rien! Tu ne sais pas, elle a voulu me mettre à la porte, un jour. Parfaitement… La maison est à elle, c'est à mourir de rire… Mais tu ne me parles pas des enfants? Désirée est toujours chez sa nourrice, n'est-ce pas? Nous irons l'embrasser, nous lui demanderons si elle s'ennuie. Je veux aussi aller à Marseille, car Octave me donne de l'inquiétude; la dernière fois que je l'ai vu, je l'ai trouvé bien dissipé. Je ne parle pas de Serge: celui-là est trop sage, il sanctifiera toute la famille… Tiens, cela me fait plaisir de parler de la maison.

Et il parla, parla toujours, demandant des nouvelles de chaque arbre de son jardin, s'arrêtant aux détails les plus minimes du ménage, montrant une mémoire extraordinaire, à propos d'une foule de petits faits. Marthe, profondément touchée de l'affection tatillonne qu'il lui témoignait, croyait voir une délicatesse suprême dans le soin qu'il prenait de ne lui adresser aucun reproche, de ne pas même faire la moindre allusion à ses souffrances. Elle était pardonnée; elle jurait de racheter son crime en devenant la servante soumise de cet homme, si grand dans sa bonhomie; et de grosses larmes silencieuses coulaient sur ses joues, pendant que ses genoux se pliaient pour lui crier merci.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
13 ekim 2017
Hacim:
430 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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