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Kitabı oku: «Honoré de Balzac», sayfa 3

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III

Nous avons raconté l'anecdote du trésor enfoui par Toussaint Louverture, non pour le plaisir de narrer une histoire bizarre, mais parce qu'elle se rattache à une idée dominante de Balzac, – l'argent. – Certes, personne ne fut moins avare que l'auteur de La Comédie Humaine, mais son génie lui faisait pressentir le rôle immense que devait jouer dans l'art ce héros métallique, plus intéressant pour la société moderne que les Grandisson, les Desgrieux, les Oswald, les Werther, les Malek‐Adhel, les René, les Lara, les Waverley, les Quentin Durward, etc.

Jusqu'alors le roman s'était borné à la peinture d'une passion unique, l'amour, mais l'amour dans une sphère idéale en dehors des nécessités et des misères de la vie. Les personnages de ces récits tout psychologiques ne mangeaient, ni ne buvaient, ni ne logeaient, ni n'avaient de compte chez leur tailleur. Ils se mouvaient dans un milieu abstrait comme celui de la tragédie. Voulaient‐ils voyager, ils mettaient, sans prendre de passeport, quelques poignées de diamants au fond de leur poche, et payaient de cette monnaie les postillons, qui ne manquaient pas à chaque relais de crever leurs chevaux; des châteaux d'architecture vague les recevaient au bout de leurs courses, et avec leur sang ils écrivaient à leurs belles d'interminables épîtres datées de la tour du Nord. Les héroïnes, non moins immatérielles, ressemblaient à des aqua‐tinta d'Angelica Kauffmann: grand chapeau de paille, cheveux demi‐défrisés à l'anglaise, longue robe de mousseline blanche, serrée à la taille par une écharpe d'azur.

Avec son profond instinct de la réalité, Balzac comprit que la vie moderne qu'il voulait peindre était dominée par un grand fait, – l'argent, – et, dans La Peau de Chagrin, il eut le courage de représenter un amant inquiet non‐seulement de savoir s'il a touché le cœur de celle qu'il aime, mais encore s'il aura assez de monnaie pour payer le fiacre dans lequel il la reconduit. – Cette audace est peut‐être une des plus grandes qu'on se soit permise en littérature, et seule elle suffirait pour immortaliser Balzac. La stupéfaction fut profonde, et les purs s'indignèrent de cette infraction aux lois du genre; mais tous les jeunes gens qui, allant en soirée chez quelque belle dame avec des gants blancs repassés à la gemme élastique, avaient traversé Paris en danseurs, sur la pointe de leurs escarpins, redoutant une mouche de boue plus qu'un coup de pistolet, compatirent, pour les avoir éprouvées, aux angoisses de Valentin, et s'intéressèrent vivement à ce chapeau qu'il ne peut renouveler et conserve avec des soins si minutieux. Aux moments de misère suprême, la trouvaille d'une des pièces de cent sous glissées entre les papiers du tiroir, par la pudique commisération de Pauline, produisait l'effet des coups de théâtre les plus romanesques ou de l'intervention d'une péri dans les contes arabes. Qui n'a pas découvert aux jours de détresse, oublié dans un pantalon ou dans un gilet, quelque glorieux écu apparaissant à propos et vous sauvant du malheur que la jeunesse redoute le plus: rester en affront devant une femme aimée pour une voiture, un bouquet, un petit banc, un programme de spectacle, une gratification à l'ouvreuse ou quelque vétille de ce genre ?

Balzac excelle d'ailleurs dans la peinture de la jeunesse pauvre, comme elle l'est presque toujours, s'essayant aux premières luttes de la vie, en proie aux tentations des plaisirs et du luxe, et supportant de profondes misères à l'aide de hautes espérances. Valentin, Rastignac, Bianchon, d'Arthez, Lucien de Rubempré, Lousteau, ont tous tiré à belles dents les durs beefsteaks de la vache enragée, nourriture fortifiante pour les estomacs robustes, indigeste pour les estomacs débiles; il ne les loge pas, tous ces beaux jeunes gens sans le sou, dans des mansardes de convention tendues de perse, à fenêtre festonnée de pois de senteur et donnant sur des jardins; il ne leur fait pas manger « des mets simples, apprêtés par les mains de la nature, » et ne les habille pas de vêtements sans luxe, mais propres et commodes; il les met en pension bourgeoise chez la maman Vauquer, ou les accroupit sous l'angle aigu d'un toit, il les accoude aux tables grasses des gargotes infimes, les affuble d'habits noirs aux coutures grises, et ne craint pas de les envoyer au mont‐de‐piété, s'ils ont encore, chose rare, la montre de leur père.

O Corinne, toi qui laisses, au cap Misène, pendre ton bras de neige sur ta lyre d'ivoire, tandis que le fils d'Albion, drapé d'un superbe manteau neuf et chaussé de bottes à cœur parfaitement cirées, te contemple et t'écoute dans une pose élégante, Corinne, qu'aurais‐tu dit de semblables héros? Ils ont pourtant une petite qualité qui manquait à Oswald, – ils vivent, et d'une vie si forte qu'il semble qu'on les ait rencontrés mille fois; – aussi Pauline, Delphine de Nucingen, la princesse de Cadignan, Mme. de Bargeton, Coralie, Esther, en sont‐elles follement éprises.

A l'époque où parurent les premiers romans signés de Balzac, on n'avait pas, au même degré qu'aujourd'hui, la préoccupation, ou, pour mieux dire, la fièvre de l'or. La Californie n'était pas découverte; il existait à peine quelques lieues de voies ferrées dont on ne soupçonnait guère l'avenir, et qu'on regardait comme des espèces de glissoires devant succéder aux montagnes russes, tombées en désuétude; le public ignorait, pour ainsi dire, ce qu'on nomme aujourd'hui « les affaires, » et les banquiers seuls jouaient à la Bourse. Ce remuement de capitaux, ce ruissellement d'or, ces calculs, ces chiffres, cette importance donnée à l'argent dans des œuvres qu'on prenait encore pour de simples fictions romanesques et non pour de sérieuses peintures de la vie, étonnaient singulièrement les abonnés des cabinets de lecture, et la critique faisait le total des sommes dépensées ou mises en jeu par l'auteur. Les millions du père Grandet donnaient lieu à des discussions arithmétiques, et les gens graves, émus de l'énormité des totaux, mettaient en doute la capacité financière de Balzac, capacité très‐grande cependant, et reconnue plus tard. – Stendhal disait avec une sorte de fatuité dédaigneuse du style: « Avant d'écrire, je lis toujours trois ou quatre pages du code civil pour me donner le ton. » Balzac, qui avait si bien compris l'argent, découvrit aussi des poèmes et des drames dans le code: Le Contrat de Mariage, où il met aux prises, sous les figures de Matthias et de Solonnet, l'ancien et le nouveau notariat, a tout l'intérêt de la comédie de cape et d'épée la plus incidentée. La banqueroute dans Grandeur et Décadence de César Birotteau vous fait palpiter comme l'histoire d'une chute d'empire; la lutte du château et de la chaumière dans Les Paysans offre autant de péripéties que le siège de Troie. Balzac sait donner la vie à une terre, à une maison, à un héritage, à un capital, et en fait des héros et des héroïnes dont les aventures se dévorent avec une anxieuse avidité.

Ces éléments nouveaux introduits dans le roman ne plurent pas tout d'abord, – les analyses philosophiques, les peintures détaillées de caractères, les descriptions d'une minutie qui semble avoir en vue l'avenir, étaient regardées comme des longueurs fâcheuses, et le plus souvent on les passait pour courir à la fable. Plus tard, on reconnut que le but de l'auteur n'était pas de tisser des intrigues plus ou moins bien ourdies, mais de peindre la société dans son ensemble, du sommet à la base, avec son personnel et son mobilier, et l'on admira l'immense variété de ses types. N'est‐ce pas Alexandre Dumas qui disait de Shakespeare: « Shakespeare, l'homme qui a le plus créé après Dieu; » le mot serait encore plus juste appliqué à Balzac; jamais, en effet, tant de créatures vivantes ne sortirent d'un cerveau humain.

Dès cette époque (1836), Balzac avait conçu le plan de sa Comédie Humaine et possédait là pleine conscience de son génie. Il rattacha adroitement les œuvres déjà parues à son idée générale et leur trouva place dans des catégories philosophiquement tracées. Quelques nouvelles de pure fantaisie ne s'y raccrochent pas trop bien, malgré les agrafes ajoutées après coup; mais ce sont là des détails qui se perdent dans l'immensité de l'ensemble, comme des ornements d'un autre style dans un édifice grandiose.

Nous avons dit que Balzac travaillait péniblement, et, fondeur obstiné, rejetait dix ou douze fois au creuset le métal qui n'avait pas rempli exactement le moule; comme Bernard Palissy, il eût brûlé les meubles, le plancher et jusqu'aux poutres de sa maison pour entretenir le feu de son fourneau et ne pas manquer l'expérience; les nécessités les plus dures ne lui firent jamais livrer une œuvre sur laquelle il n'eût pas mis le dernier effort, et il donna d'admirables exemples de conscience littéraire. Ses corrections, si nombreuses qu'elles équivalaient presque à des éditions différentes de la même idée, furent portées à son compte par les éditeurs dont elles absorbaient les bénéfices, et son salaire, souvent modique pour la valeur de l'œuvre et la peine qu'elle avait coûté, en était diminué d'autant. Les sommes promises n'arrivaient pas toujours aux échéances, et pour soutenir ce qu'il appelait en riant sa dette flottante, Balzac déploya des ressources d'esprit prodigieuses et une activité qui eût absorbé complètement la vie d'un homme ordinaire. Mais, lorsque assis devant sa table, dans son froc de moine, au milieu du silence nocturne, il se trouvait en face des feuilles blanches sur lesquelles se projetait la lueur de son flambeau à sept bougies, concentrée par un abat‐jour vert, en prenant la plume il oubliait tout, et alors commençait une lutte plus terrible que la lutte de Jacob avec l'ange, celle de la forme et de l'idée. Dans ces batailles de chaque nuit, dont au matin il sortait brisé mais vainqueur, lorsque le foyer éteint refroidissait l'atmosphère de sa chambre, sa tête fumait et de son corps s'exhalait un brouillard visible comme du corps des chevaux en temps d'hiver. Quelquefois une phrase seule occupait toute une veille; elle était prise, reprise, tordue, pétrie, martelée, allongée, raccourcie, écrite de cent façons différentes, et, chose bizarre! la forme nécessaire, absolue, ne se présentait qu'après l'épuisement des formes approximatives; sans doute le métal coulait souvent d'un jet plus plein et plus dru, mais il est bien peu de pages dans Balzac qui soient restées identiques au premier brouillon. Sa manière de procéder était celle‐ci: quand il avait longtemps porté et vécu un sujet, d'une écriture rapide, heurtée, pochée, presque hiéroglyphique, il traçait une espèce de scénario en quelques pages, qu'il envoyait à l'imprimerie d'où elles revenaient en placards, c'est‐à‐dire en colonnes isolées au milieu de larges feuilles. Il lisait attentivement ces placards, qui donnaient déjà à son embryon d'œuvre ce caractère impersonnel que n'a pas le manuscrit, et il appliquait à cette ébauche la haute faculté critique qu'il possédait, comme s'il se fût agi d'un autre. Il opérait sur quelque chose; s'approuvant ou se désapprouvant, il maintenait ou corrigeait, mais surtout ajoutait. Des lignes partant du commencement, du milieu ou de la fin des phrases, se dirigeaient vers les marges, à droite, à gauche, en haut, en bas, conduisant à des développements, à des intercalations, à des incises, à des épithètes, à des adverbes. Au bout de quelques heures de travail, on eût dit le bouquet d'un feu d'artifice dessiné par un enfant. Du texte primitif partaient des fusées de style qui éclataient de toutes parts. Puis c'étaient des croix simples, des croix recroisées comme celles du blason, des étoiles, des soleils, des chiffres arabes ou romains, des lettres grecques ou françaises, tous les signes imaginables de renvois qui venaient se mêler aux rayures. Des bandes de papier, collées avec des pains à cacheter, piquées avec des épingles, s'ajoutaient aux marges insuffisantes, zébrées de lignes en fins caractères pour ménager la place, et pleines elles‐mêmes de ratures, car la correction à peine faite était déjà corrigée. Le placard imprimé disparaissait presque au milieu de ce grimoire d'apparence cabalistique, que les typographes se passaient de main en main, ne voulant pas faire chacun plus d'une heure de Balzac.

Le jour suivant, on rapportait les placards avec les corrections faites, et déjà augmentées de moitié.

Balzac se remettait à l'œuvre, amplifiant toujours, ajoutant un trait, un détail, une peinture, une observation de mœurs, un mot caractéristique, une phrase à effet, faisant serrer l'idée de plus près par la forme, se rapprochant toujours davantage de son tracé intérieur, choisissant comme un peintre parmi trois ou quatre contours la ligne définitive. Souvent ce terrible travail terminé avec cette intensité d'attention dont lui seul était capable, il s'apercevait que la pensée avait gauchi à l'exécution, qu'un épisode prédominait, qu'une figure qu'il voulait secondaire pour l'effet général saillait hors de son plan, et d'un trait de plume il abattait courageusement le résultat de quatre ou cinq nuits de labeur. Il était héroïque dans ces circonstances.

Six, sept, et parfois dix épreuves revenaient raturées, remaniées, sans satisfaire le désir de perfection de l'auteur. Nous avons vu aux Jardies, sur les rayons d'une bibliothèque composée de ses œuvres seules, chaque épreuve différente du même ouvrage reliée en un volume séparé depuis le premier jet jusqu'au livre définitif; la comparaison de la pensée de Balzac à ses divers états offrirait une étude bien curieuse et contiendrait de profitables leçons littéraires. Près de ces volumes un bouquin à physionomie sinistre, relié en maroquin noir, sans fers ni dorure, attira nos regards: « Prenez‐le, nous dit Balzac, c'est une œuvre inédite et qui a bien son prix. » Le titre portait: Comptes Mélancoliques ; il contenait la liste des dettes, les échéances des billets à payer, les mémoires des fournisseurs et toute la paperasserie menaçante que légalise le timbre. Ce volume, par une espèce de contraste railleur, était placé à côté des Contes Drolatiques, « auxquels il ne faisait pas suite, » ajoutait en riant l'auteur de La Comédie Humaine.

Malgré cette façon laborieuse d'exécuter, Balzac produisait beaucoup, grâce à sa volonté surhumaine servie par un tempérament d'athlète et une réclusion de moine. Pendant deux ou trois mois de suite, lorsqu'il avait quelque œuvre importante en train, il travaillait seize ou dix‐huit heures sur vingt‐quatre; il n'accordait à l'animalité que six heures d'un sommeil lourd, fiévreux, convulsif, amené par la torpeur de la digestion après un repas pris à la hâte. Il disparaissait alors complètement, ses meilleurs amis perdaient sa trace; mais il sortait bientôt de dessous terre, agitant un chef‐d'œuvre au‐dessus de sa tête, riant de son large rire, s'applaudissant avec une naïveté parfaite et s'accordant des éloges que, du reste, il ne demandait à personne. Nul auteur ne fut plus insoucieux que lui des articles et des réclames à l'endroit de ses livres; il laissait sa réputation se faire toute seule, sans y mettre la main, et jamais il ne courtisa les journalistes. – Cela d'ailleurs lui eût pris du temps: il livrait sa copie, touchait l'argent et s'enfuyait pour le distribuer à des créanciers qui souvent l'attendaient dans la cour du journal, comme, par exemple, les maçons des Jardies.

Quelquefois, le matin, il nous arrivait haletant, épuisé, étourdi par l'air frais, comme Vulcain s'échappant de sa forge, et il tombait sur un divan; sa longue veille l'avait affamé et il pilait des sardines avec du beurre en faisant une sorte de pommade qui lui rappelait les rillettes de Tours, et qu'il étendait sur du pain. C'était son mets favori; il n'avait pas plutôt mangé qu'il s'endormait, en nous priant de le réveiller au bout d'une heure. Sans tenir compte de la consigne, nous respections ce sommeil si bien gagné, et nous faisions taire toutes les rumeurs du logis. Quand Balzac s'éveillait de lui‐même, et qu'il voyait le crépuscule du soir répandre ses teintes grises dans le ciel, il bondissait et nous accablait d'injures, nous appelant traître, voleur, assassin: nous lui faisions perdre dix mille francs, car étant éveillé il aurait pu avoir l'idée d'un roman qui lui aurait rapporté cette somme (sans les réimpressions). Nous étions cause des catastrophes les plus graves et de désordres inimaginables. Nous lui avions fait manquer des rendez‐vous avec des banquiers, des éditeurs, des duchesses; il ne serait pas en mesure pour ses échéances; ce fatal sommeil coûterait des millions. Mais nous étions habitué déjà à ces prodigieuses martingales que Balzac, partant du chiffre le plus chétif, poussait à toute outrance jusqu'aux sommes les plus monstrueuses, et nous nous consolions aisément en voyant ses belles couleurs tourangelles reparues sur ses joues reposées.

Balzac habitait alors à Chaillot, rue des Batailles, une maison d'où l'on découvrait une vue admirable, le cours de la Seine, le champ de Mars, l'Ecole militaire, le dôme des Invalides, une grande portion de Paris et plus loin les coteaux de Meudon. Il s'était arrangé là un intérieur assez luxueux, car il savait qu'à Paris on ne croit guère au talent pauvre, et que le paraître y amène souvent l'être. C'est à cette période que se rapportent ses velléités d'élégance et de dandysme, le fameux habit bleu à boutons d'or massif, la massue à pommeau de turquoises, les apparitions aux Bouffes et à l'Opéra, et les visites plus fréquentes dans le monde où sa verve étincelante le faisait rechercher, visites utiles d'ailleurs, car il y rencontra plus d'un modèle. Il n'était pas facile de pénétrer dans cette maison, mieux gardée que le jardin des Hespérides. Deux ou trois mots de passe étaient exigés. Balzac, de peur qu'ils ne s'ébruitassent, les changeait souvent. Nous nous souvenons de ceux‐ci: au portier l'on disait: « La saison des prunes est arrivée, » et il vous laissait franchir le seuil; au domestique accouru sur l'escalier au son de la cloche, il fallait murmurer: « J'apporte des dentelles de Belgique, » et si vous assuriez au valet de chambre que « Mme. Bertrand était en bonne santé, » on vous introduisait enfin.

Ces enfantillages amusaient beaucoup Balzac; ils étaient peut‐être nécessaires pour écarter les fâcheux et d'autres visiteurs plus désagréables encore.

Dans La Fille aux Yeux d'Or se trouve une description du salon de la rue des Batailles. Elle est de la plus scrupuleuse fidélité, et l'on ne sera pas fâché peut‐être de voir l'antre du lion peint par lui‐même; il n'y a pas un détail d'ajouté ou de retranché.

« La moitié du boudoir décrivait une ligne circulaire mollement gracieuse, qui s'opposait à l'autre partie parfaitement carrée, au milieu de laquelle brillait une cheminée en marbre blanc et or. On entrait par une porte latérale que cachait une riche portière en tapisserie et qui faisait face à une fenêtre. Le fer‐à‐cheval était orné d'un véritable divan turc, c'est‐à‐dire un matelas posé par terre, mais un matelas large comme un lit, un divan de cinquante pieds de tour en cachemire blanc, relevé par des bouffettes en soie noire et ponceau, disposées en losanges; le dossier de cet immense lit s'élevait de plusieurs pouces au‐dessus des nombreux coussins qui l'enrichissaient encore par le goût de leurs agréments. Ce boudoir était tendu d'une étoffe rouge sur laquelle était posée une mousseline des Indes cannelée comme l'est une colonne corinthienne, par des tuyaux alternativement creux et ronds, arrêtés en haut et en bas dans une bande d'étoffe couleur ponceau, sur laquelle étaient dessinées des arabesques noires. Sous la mousseline, le ponceau devenait rose, couleur amoureuse que répétaient les rideaux de la fenêtre, qui étaient en mousseline des Indes doublée de taffetas rose et ornée de franges ponceau mélangé de noir. Six bras en vermeil supportant chacun deux bougies étaient attachés sur la tenture à d'égales distances, pour éclairer le divan. Le plafond, au milieu duquel pendait un lustre en vermeil mat, étincelait de blancheur, et la corniche était dorée. Le tapis ressemblait à un châle d'Orient, il en offrait les dessins et rappelait les poésies de la Perse, où des mains d'esclaves l'avaient travaillé. Les meubles étaient couverts en cachemire blanc, rehaussé par des agréments noir et ponceau. La pendule, les candélabres, tout était en marbre blanc et or. La seule table qu'il y eût avait un cachemire pour tapis; d'élégantes jardinières contenant des roses de toutes les espèces, des fleurs ou blanches ou rouges. »

Nous pouvons ajouter que sur la table était posée une magnifique écritoire en or et en malachite, don, sans doute, de quelque admirateur étranger.

Ce fut avec une satisfaction enfantine que Balzac nous montra ce boudoir pris dans un salon carré, et laissant nécessairement des vides aux encoignures de la moitié arrondie. Quand nous eûmes assez admiré les splendeurs coquettes de cette pièce, dont le luxe paraîtrait moindre aujourd'hui, Balzac ouvrit une porte secrète et nous fit pénétrer dans un couloir obscur qui circulait autour de l'hémicycle; à l'une des encoignures était placée une étroite couchette de fer, espèce de lit de camp du travail; dans l'autre, il y avait une table « avec tout ce qu'il faut pour écrire, » comme dit M. Scribe dans ses indications de mise en scène: c'était là que Balzac se réfugiait pour piocher à l'abri de toute surprise et de toute investigation.

Plusieurs épaisseurs de toile et de papier matelassaient la cloison de manière à intercepter tout bruit d'un côté comme de l'autre. Pour être sûr qu'aucune rumeur ne pouvait transpirer du salon au dehors, Balzac nous pria de rentrer dans la pièce et de crier de toutes les forces de nos poumons; on entendait encore un peu; il fallait coller quelques feuilles de papier gris pour éteindre tout à fait le son. Tout ce mystère nous intriguait fort et nous en demandâmes le motif. Balzac nous en donna un qu'eût approuvé Stendhal, mais que la pruderie moderne empêche de rapporter. Le fait est qu'il arrangeait déjà dans sa tête la scène de Henry de Marsay et de Paquita, et il s'inquiétait de savoir si d'un salon ainsi disposé les cris de la victime parviendraient aux oreilles des autres habitants de la maison.

Il nous donna dans ce même boudoir un dîner splendide, pour lequel il alluma de sa main toutes les bougies des bras en vermeil, et du lustre et des candélabres. Les convives étaient le marquis de B***, le peintre L. B.: quoique très‐sobre et abstème d'habitude Balzac ne craignait pas de temps à autre « un tronçon de chière lie; » il mangeait avec une joviale gourmandise qui inspirait l'appétit, et il buvait d'une façon pantagruélique. Quatre bouteilles de vin blanc de Vouvray, un des plus capiteux qu'on connaisse, n'altéraient en rien sa forte cervelle et ne faisaient que donner un pétillement plus vif à sa gaieté. Que de bons contes il nous fit au dessert! Rabelais, Beroalde de Verville, Eutrapel, le Pogge, Straparole, la reine de Navarre et tous les docteurs de la gaie science eussent reconnu en lui un disciple et un maître !

Trait caractéristique! A ce festin splendide fourni par Chevet il n'y avait pas de pain! Mais quand on a superflu à quoi bon le nécessaire ?

Après le dîner, notre Amphytrion nous emmena aux Italiens dans une superbe remise. La soirée était déjà fort avancée, mais Balzac ne voulait pas manquer disait‐il « la descente de l'escalier » spectacle, selon lui, éminemment instructif.

Nous devons dire qu'alourdis par la bonne chère et les vins fins, enveloppés de la chaude atmosphère de la salle, nous nous endormîmes tous les trois du sommeil des justes pour ne nous réveiller qu'à la félicita finale.

Le public dut s'amuser beaucoup de ce trio somnolent.

Dans ce même appartement de la rue des Batailles, dont nous avons décrit le salon avec le texte même de Balzac, nous nous souvenons d'avoir vu une magnifique esquisse de Louis Boulanger d'après le bas‐relief de Léda et du Cygne attribué à Michel‐Ange. C'était le seul tableau qu'il contînt, car l'auteur de La Comédie Humaine n'avait pas encore le goût de la peinture et des curiosités qui lui vint ensuite, et son luxe d'alors, comme on a pu le voir, cherchait plutôt la richesse que l'art. Son peintre était Girodet. Quelques‐unes de ses premières nouvelles portent des traces de cette admiration arriérée qui lui valait de notre part des plaisanteries qu'il acceptait de bonne grâce.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
27 eylül 2017
Hacim:
100 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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