Kitabı oku: «Gabriel», sayfa 6
SCÈNE IV
ASTOLPHE, SETTIMIA
SETTIMIA, sanglotant
Maintenant, me direz-vous, enfant dénaturé, pourquoi vous agissez de la sorte?
ASTOLPHE
Eh bien, ma mère, je vous supplie de ne pas me le demander. Vous savez que je n'ai que trop d'indulgence dans le caractère, et que ma nature ne me porte ni au soupçon ni à la haine. Aimez-moi, estimez-moi assez pour me croire: j'avais des raisons de la plus haute importance pour ne pas souffrir une heure de plus ce moine ici.
SETTIMIA
Et il faut que je me soumette à votre jugement intérieur, sans même savoir pourquoi vous me privez de la compagnie d'un saint homme qui depuis dix ans a la direction de ma conscience? Astolphe, ceci passe les limites de la tyrannie.
ASTOLPHE
Vous voulez que je vous le dise? Eh bien, je vous le dirai pour faire cesser vos regrets et pour vous montrer entre quelles mains vous aviez remis les rênes de votre volonté et les secrets de votre âme. Ce cordelier poursuivait ma femme de ses ignobles supplications.
SETTIMIA
Votre femme est une impie. Il voulait la ramener au devoir, et c'est moi qui l'avais invité à le faire.
ASTOLPHE
O ma mère! vous ne comprenez pas, vous ne pouvez pas comprendre… votre âme pure se refuse à de pareils soupçons!.. Ce misérable brûlait pour Gabrielle de honteux désirs, et il avait osé le lui dire.
SETTIMIA
Gabrielle a dit cela? Eh bien, c'est une calomnie. Une pareille chose est impossible. Je n'y crois pas, je n'y croirai jamais.
ASTOLPHE
Une calomnie de la part de Gabrielle? Vous ne pensez pas ce que vous dites, ma mère!
SETTIMIA
Je le pense! je le pense si bien que je veux la confondre en présence du frère Côme.
ASTOLPHE
Vous ne feriez pas une pareille chose, ma mère! non, vous ne le feriez pas!
SETTIMIA
Je le ferai! nous verrons si elle soutiendra son imposture en face de ce saint homme et en ma présence.
ASTOLPHE
Son imposture? Est-ce un mauvais rêve que je fais? Est-ce de Gabrielle que ma mère parle ainsi?. Que se passe-t-il donc dans le sein de cette famille où j'étais revenu, plein de confiance et de piété, chercher l'estime et le bonheur?
SETTIMIA
Le bonheur! Pour le goûter, il faut le donner aux autres; et vous et votre femme ne faites que m'abreuver de chagrins.
ASTOLPHE
Moi! si vous m'accusez, ma mère, je ne puis que baisser la tête et pleurer, quoique en vérité je ne me sente pas coupable; mais Gabrielle! quels peuvent donc être les crimes de cette douce et angélique créature?
SETTIMIA
Ah! vous voulez que je vous les dise'? Eh bien! je le veux, moi aussi; car il y a assez longtemps que je souffre en silence, et que je porte comme une montagne d'ennuis et de dégoûts sur mon coeur. Je la hais, votre Gabrielle; je la hais pour vous avoir poussé et pour vous aider tous les jours à me tromper en se faisant passer pour une fille de bonne maison et une riche héritière, tandis qu'elle n'est qu'une intrigante sans nom, sans fortune, sans famille, sans aveu, et, qui plus est, sans religion! Je la hais, parce qu'elle vous ruine en vous entraînant à de folles dépenses, à la révolte contre moi, à a la haine des personnes qui m'entourent et qui me sont chères… Je la hais, parce que vous la préférez à moi; parce qu'entre nous deux, s'il y a la plus légère dissidence, c'est pour elle que vous vous prononcez, au mépris de l'amour et du respect que vous me devez. Je la hais…
ASTOLPHE
Assez, ma mère; de grâce, n'en dites pas davantage! vous la haïssez parce que je l'aime, c'est en dire assez.
SETTIMIA, pleurant
Eh bien! oui! je la hais parce que vous l'aimez, et vous ne m'aimez plus parce que je la hais. Voilà où nous en sommes. Comment voulez-vous que j'accepte une pareille préférence de votre part? Quoi! l'enfant qui me doit le jour, que j'ai nourri de mon sein et bercé sur mes genoux, le jeune homme que j'ai péniblement élevé, pour qui j'ai supporté toutes les privations, à qui j'ai pardonné toutes les fautes; celui qui m'a condamnée aux insomnies, aux angoisses, aux douleurs de toute espèce, et qui, au moindre mot de repentir et d'affection, a toujours trouvé en moi une inépuisable indulgence, une miséricorde infatigable: celui-là me préfère une inconnue, une fille qui l'excite contre moi, une créature sans coeur qui accapare toutes ses attentions, toutes ses prévenances, et qui se tient tout le jour vis-à-vis de moi dans une attitude superbe, sans daigner apercevoir mes larmes et mes déchirements, sans vouloir répondre à mes plaintes et à mes reproches, impassible dans son orgueil hypocrite, et dont le regard insolemment poli semble me dire à toute heure: – Vous avez beau gronder, vous avez beau gémir, vous avez beau menacer, c'est moi qu'il aime, c'est moi qu'il respecte, c'est moi qu'il craint! Un mot de ma bouche, un regard de mes yeux, le feront tomber à mes genoux et me suivre, fallût-il vous abandonner sur votre lit de mort, fallût-il marcher sur votre corps pour venir à moi! Mon Dieu, mon Dieu! et il s'étonne que je la déteste, et il veut que je l'aime! (Elle sanglote). ASTOLPHE, qui a écouté sa mère dans nu profond silence, les bras croises sur sa poitrine.
O jalousie de la femme! soif inextinguible de domination! Est-il possible que tu viennes mêler ta détestable influence aux sentiments les plus purs et les plus sacrés de la nature! Je te croyais exclusivement réservée aux vils tourments des âmes lâches et vindicatives. Je t'avais vue régner dans le langage impur des courtisanes; et, dans les ardeurs brutales de la débauche, j'avais lutté moi-même contre les instincts féroces qui me rabaissaient à mes propres yeux. Quelquefois aussi, ô jalousie! je t'avais vue de loin avilir la dignité du lien conjugal et mêler à la joie des saintes amours les discordes honteuses, les ridicules querelles qui dégradent également celui qui les suscite et celui qui les supporte. Mais je n'aurais jamais pensé que dans le sanctuaire auguste de la famille, entre la mère et ses enfants (lien sacré que la Providence semblé avoir épuré et ennobli jusque chez la brute), tu osasses venir exercer tes fureurs! O déplorable instinct, funeste besoin de souffrir et de faire souffrir! est-il possible que je te rencontre jusque dans le sein de ma mère! (Il cache son visage dans ses mains et dévore ses larmes.)
SETTIMIA essuie les siennes et se lève
Mon fils, la leçon est sévère! Je ne sais pas jusqu'à quel point il sied à un fils de la donner à sa mère; mais, de quelque part qu'elle me vienne, je la recevrai comme une épreuve à laquelle Dieu me condamne. Si je l'ai méritée de vous, elle est assez cruelle pour expier tous les torts que vous pouvez avoir à me reprocher.
(Elle veut se retirer.)
ASTOLPHE, tâchant de la retenir. Pas ainsi, ma mère, ne me quittez pas ainsi. Vous souffrez trop, et moi aussi!
SETTIMIA
Laissez-moi me retirer dans mon oratoire, Astolphe. J'ai besoin d'être seule et de demander à Dieu si je dois jouer ici le rôle d'une mère outragée ou celui d'une esclave craintive et repentante. (Elle sort.)
SCÈNE V
ASTOLPHE, seul; puis GABRIELLE
ASTOLPHE
Orgueil! toute femme est ta victime, tout amour est la proie!.. excepté toi, excepté ton amour, ô ma Gabrielle!.. ô ma seule joie, ô le seul être généreux et vraiment grand que j'aie rencontré sur la terre!
GABRIELLE, se jetant à son cou
Mon ami, j'ai tout entendu. J'étais là sous la fenêtre, assise sur le banc. Je sais tout ce qui se passe maintenant dans la famille à cause de moi. Je sais que je suis un sujet de scandale, une source de discorde, un objet de haine.
ASTOLPHE
O ma soeur! ô ma femme! depuis que je t'aime, je croyais qu'il ne m'était plus possible d'être malheureux! Et c'est ma mère!..
GABRIELLE
Ne l'accuse pas, mon bien-aimé, elle est vieille, elle est femme! Elle no peut vaincre ses préjugés, elle ne peut réprimer ses instincts. Ne te révolte pas contre des maux inévitables. Je les avais prévus dès le premier jour, et je ne t'aurais fait pressentir, pour rien au monde, ce qui t'arrive aujourd'hui. Le mal éclate toujours assez tôt.
ASTOLPHE
O Gabrielle! tu as entendu ses invectives contre toi!.. Si toute autre que ma mère eût proféré la centième partie…
GABRIELLE
Calme-toi! tout cela ne peut m'offenser; je saurai le supporter avec résignation et patience. N'ai-je pas dans ton amour une compensation à tous les maux? et pourvu que tu trouves dans le mien la force de subir toutes les misères attachées à notre situation…
ASTOLPHE
Je puis tout supporter, excepté de te voir avilie et persécutée.
GABRIELLE
Ces outrages ne m'atteignent pas. Vois-tu, Astolphe, lu m'as fait redevenir femme, mais je n'ai pas tout à fait renoncé à être homme. Si j'ai repris les vêtements et les occupations de mon sexe, je n'en ai pas moins conservé en moi cet instinct de la grandeur morale et ce calme de la force qu'une éducation mâle a développés et cultivés dans mon sein. Il me semble toujours que je suis quelque chose de plus qu'une femme, et aucune femme ne peut m'inspirer ni aversion, ni ressentiment, ni colère. C'est de l'orgueil peut-être; mais il me semble que je descendrais au-dessous de moi-même, si je me laissais émouvoir par de misérables querelles de ménage.
ASTOLPHE
Oh! garde cet orgueil, il est bien légitime… Être adoré! tu es plus grand à toi seul que tout ton sexe réuni. Rapportes-en l'honneur à ton éducation si tu veux; moi, j'en fais honneur à ta nature, et je crois qu'il n'était pas besoin d'une destinée bizarre et d'une existence en dehors de toutes les lois pour que tu fusses le chef-d'oeuvre de la création divine. Tu naquis douée de toutes les facultés, de toutes les vertus, de toutes les grâces, et l'on te méconnaît! l'on te calomnie!..
GABRIELLE
Que t'importe? Laisse passer ces orages; nos têtes sont à l'abri sous l'égide sainte de l'amour. Je m'efforcerai d'ailleurs de les conjurer. Peut-être ai-je eu des torts. J'aurais pu montrer plus de condescendance pour des exigences insignifiantes en elles-mêmes. Nos parties de chasse déplaisent, je puis bien m'en abstenir; on blâme nos idées sur la tolérance religieuse, nous pouvons garder le silence à propos; on me trouve trop élégante et trop futile, je puis m'habiller plus simplement et m'assujettir un peu plus aux travaux du ménage.
ASTOLPHE
Et voilà ce que je ne souffrirai pas. Je serais un misérable si j'oubliais quel sacrifice tu m'as fait en reprenant les habits de ton sexe et en renonçant à cette liberté, à celle vie active, à ces nobles occupations de l'esprit dont tu avais le goût et l'habitude. Renoncer à ton cheval? hélas! c'est le seul exercice qui ait préservé la santé des altérations que ce changement d'habitudes commençait à me faire craindre. Restreindre ta toilette? elle est déjà si modeste! et un peu de parure relève tant ta beauté! Jeune homme, tu aimais les riches habits, et tu donnais à nos modes fantasques une grâce et une poésie qu'aucun de nous ne pouvait imiter. L'amour du beau, le sentiment de l'élégance est une des conditions de ta vie, Gabrielle: tu étoufferais sous le pesant vertugadin et sous le collet empesé de dame Barbe. Les travaux du ménage gâteraient tes belles mains, dont le contact sur mon front enlève tous les soucis et dissipe tous les nuages. D'ailleurs que ferais-tu de tes nobles pensées et des poétiques élans de ton intelligence au milieu des détails abrutissants et des prévisions égoïstes d'une étroite parcimonie? Ces pauvres femmes les vantent par amour-propre, et vingt fois le jour elles laissent percer le dégoût et l'ennui dont elles sont abreuvées. Quant à renfermer tes sentiments généreux et à te soumettre aux arrêts de l'intolérance, tu l'entreprendrais en vain. Jamais ton coeur ne pourra se refroidir, jamais tu ne pourras abandonner le culte austère de la vérité; et malgré toi les éclairs d'une courageuse indignation viendraient briller au milieu des ténèbres que le fanatisme voudrait étendre sur ton âme. Si d'ailleurs toutes ces épreuves ne sont pas au-dessus de tes forces, je sens, moi, qu'elles dépassent les miennes; je ne pourrais te voir opprimée sans me révolter ouvertement. Tu as bien assez souffert déjà, tu t'es bien assez immolée pour moi.
GABRIELLE
Je n'ai pas souffert, je n'ai rien immolé; j'ai eu confiance en toi, voilà tout. Tu sais bien que je n'étais pas assez faible d'esprit pour ne pas accepter les petites souffrances que ces nouvelles habitudes dont tu parles pouvaient me causer dans les premiers jours; j'avais des répugnances mieux motivées, des craintes plus graves. Tu les as toutes dissipées; je ne suis pas descendue comme femme au-dessous du rang où, comme homme, ton amitié m'avait placée. Je n'ai pas cessé d'être ton frère et ton ami en devenant ta compagne et ton amante; ne m'as-tu pas fait des concessions, toi aussi? n'as-tu pas changé ta vie pour moi?
ASTOLPHE
Oh! loue-moi de mes sacrifices! J'ai quitté le désordre dont j'étais harassé, et la débauche qui de plus en plus me faisait horreur, pour un amour sublime, pour des joies idéales! Et loue-moi aussi pour le respect et la vénération que je te porte! J'avais en toi le meilleur des amis; un soir Dieu fit un miracle et te changea en une maîtresse adorable: je ne t'en aimai que mieux. N'est-ce pas bien charitable et bien méritoire de ma part?
GABRIELLE
Cher Astolphe, je vois que tu es calme: va embrasser et rassurer ta mère, ou laisse-moi lui parler pour nous deux. J'adoucirai son antipathie contre moi, je détruirai ses préventions; ma sincérité la touchera, j'en suis sûre; il est impossible qu'elle ne soit pas aimante et généreuse, elle est ta mère!..
ASTOLPHE
Cher ange! oui, je suis calme. Quand je passe un instant près de toi, tout orage s'apaise, et la paix des cieux descend dans mon âme. J'irai trouver ma mère, je ferai acte de respect et de soumission, c'est tout ce qu'elle demande; après quoi nous partirons d'ici; car le mal est sans remède, je le sais, moi! Je connais ma mère, je connais les femmes, et tu ne les connais pas, toi qui n'es pas à moitié homme et à moitié femme comme tu le crois, mais un ange sous la forme humaine. Tu ferais ici de vains efforts de patience et de vertu, on n'y croirait pas; et, si on y croyait, on te serait d'autant plus hostile qu'on serait plus humilié de ta supériorité. Tu sais bien que le coupable ne pardonne pas à l'innocent les torts qu'il a eus envers lui; c'est une loi fatale de l'orgueil humain, de l'orgueil féminin surtout, qui ne connaît pas les secours du raisonnement et le frein de la force intelligente. Ma mère est orgueilleuse avant tout. Elle fut toujours un modèle des vertus domestiques; tristes vertus, crois-moi, quand elles ne sont inspirées ni par l'amour ni par le dévouement. Pénétrée depuis longtemps de l'importance de son rôle dans la famille et du mérite avec lequel elle s'en est acquittée, elle songe beaucoup plus à maintenir ses prérogatives qu'à donner du bonheur à ceux qui l'entourent. Elle est de ces personnes qui passeront volontiers la nuit à raccommoder vos chausses, et qui d'un mot vous briseront le coeur, pensant que la peine qu'elles ont prise pour vous rendre un service matériel les autorise à vous causer toutes les douleurs de l'âme.
GABRIELLE
Astolphe! tu juges ta mère avec une bien froide sévérité. Hélas! je vois que les meilleurs d'entre les hommes n'ont pour les femmes ni amour profond ni estime complète. On avait raison quand on m'enseignait si soigneusement dans mon enfance que ce sexe joue sur la terre le rôle le plus abject et le plus malheureux!
ASTOLPHE
O mon amie! c'est mon amour pour toi qui me donne le courage de juger ma mère avec cette sévérité. Est-ce à toi de m'en faire un reproche? T'ai-je donc autorisée à plaindre si douloureusement la condition où je t'ai rétablie.
GABRIELLE, l'embrassant avec effusion
Oh! non, mon Astolphe, jamais! Aussi je ne pense pas à moi quand je parle avec cette liberté des choses qui ne me regardent pas. Permets-moi pourtant d'insister en faveur de ta mère: ne la plonge pas dans le désespoir, ne la quitte pas à cause de moi.
ASTOLPHE
Si je ne le fais pas aujourd'hui, elle m'y forcera demain. Tu oublies, ma chère Gabrielle, que tu es vis-à-vis d'elle dans une position délicate, et que tu ne pourras jamais la satisfaire sur ce qu'elle a tant à coeur de connaître: ton passé, ta famille, ton avenir.
GABRIELLE
Il est vrai. Mon avenir surtout, qui peut le prévoir? dans quel labyrinthe sans issue t'es-tu engagé avec moi?
ASTOLPHE
Et quel besoin avons-nous d'en sortir? Errons ainsi toute notre vie, sans nous soucier d'atteindre le but de la fortune et des honneurs. Ne faisons-nous pas ensemble ce bizarre et délicieux voyage, qui n'aura pour terme que la mort? N'es-tu pas à moi pour jamais? Eh bien, qu'avons-nous besoin l'un ou l'autre d'être riche et de nous appeler prince de Bramante? Mon petit prince, garde ton titre, garde ton héritage, je n'en veux à aucun prix; et si le vieux Jules trouve dans sa tortueuse cervelle quelque nouvelle invention cachée pour t'en dépouiller, console-toi de n'être qu'une femme, pauvre, inconnue au monde, mais riche de mon amour et glorieuse à mes yeux.
GABRIELLE
Crains-tu que cela ne me suffise pas?
ASTOLPHE, la pressant dans ses bras
Non, en vérité! je n'ai pas cette crainte. Je sens dans mon coeur comme tu m'aimes.
QUATRIÈME PARTIE
Dans une petite maison de campagne, isolée au fond des montagnes. Une chambre très-simple, arrangée avec goût; des fleurs, des livres, des instruments de musique.
SCÈNE PREMIÈRE
GABRIELLE, seule
(Elle dessine et s'interrompt de temps en temps pour regarder à la fenêtre.)
Marc reviendra peut-être aujourd'hui. Je voudrais qu'il arrivât avant qu'Astolphe fût de retour de sa promenade. J'aimerais à lui parler seule, à savoir de lui toute la vérité. Notre situation m'inquiète chaque jour davantage, car il me semble qu'Astolphe commence à s'en tourmenter étrangement… Je me trompe peut-être. Mais quel serait le sujet de sa tristesse? Le malheur s'est étendu sur nous insensiblement, d'abord comme une langueur qui s'emparait de nos âmes, et puis comme une maladie qui les faisait délirer, et aujourd'hui comme une agonie qui les consume. Hélas! l'amour est-il donc une flamme si subtile, qu'à la moindre atteinte portée à sa sainteté il nous quitte et remonte aux cieux? Astolphe! Astolphe! tu as eu bien des torts envers moi, et tu as fait bien cruellement saigner ce coeur, qui te fut et qui te se sera toujours fidèle! Je t'ai tout pardonné, que Dieu te pardonne! Mais c'est un grand crime d'avoir flétri un tel amour par le soupçon et la méfiance: et tu en portes la peine; car cet amour s'est affaibli par sa violence même, et tu sens chaque jour mourir en toi la flamme que tu as trop attisée par la jalousie. Malheureux ami! c'est en vain que je t'invite à oublier le mal que tu nous as fait à tous deux; tu ne le peux plus! Ton âme a perdu la fleur de sa jeunesse magnanime; un secret remords la contriste sans la préserver de nouvelles fautes. Ah! sans doute il est dans l'amour un sanctuaire dans lequel on ne peut plus rentrer quand on a fait un seul pas hors de son enceinte, et la barrière qui nous séparait du mal ne peut plus être relevée. L'erreur succède à l'erreur, l'outrage à l'outrage, l'amertume grossit comme un torrent dont les digues sont rompues… Quel sera le terme de ses ravages? Mon amour, à moi, peut-il devenir aussi sa proie? Succombera-t-il à la fatigue, aux larmes, aux soucis rougeurs? Il me semble qu'il est encore dans toute sa force, et que la souffrance ne lui a rien fait perdre. Astolphe a été insensé, mais non coupable; ses torts furent presque involontaires, et toujours le repentir les effaça. Mais s'ils devenaient plus graves, s'il venait à m'outrager froidement, à m'imposer cette captivité à laquelle je me dévoue pour accéder à ses prières… pourrais-je le voir des mêmes yeux? pourrais-je l'aimer de la même tendresse?.. Est-ce que ses égarements n'ont pas déjà enlevé quelque chose à mon enthousiasme pour lui?.. Mais il est impossible qu'Astolphe se refroidisse ou s'égare à ce point! C'est une âme noble, désintéressée, généreuse jusqu'à l'héroïsme. Que ses défauts sont peu de chose au prix de ses vertus!.. Hélas! il fut un temps où il n'avait point de défauts!.. O Astolphe! que tu m'as fait de mal en détruisant en mot l'idée de ta perfection (On frappe.) Qui vient ici? C'est peut-être Marc.