Kitabı oku: «Les grotesques de la musique», sayfa 12
»Mais la partie vocale de ses opéras n'en est pas moins restée, presque partout, la partie dominante, la scène n'en est pas moins toujours remplie par le sentiment humain, ses personnages n'en chantent pas moins librement et d'une façon dominatrice la vraie phrase mélodique. Otez l'orchestre, monsieur Grétry, remplacez-le par un clavecin, et vous verrez, à votre grand regret, j'imagine, que l'intérêt principal de l'opéra de Mozart est resté sur la scène et que son piédestal a autant de traits humains et paraît encore plus beau que toutes vos statues.» Voilà ce qu'on aurait pu répliquer à ce faux bonhomme qui faisait de faux bons mots sur Gluck et sur Mozart. On aurait dû ajouter que si quelques compositeurs ont mis réellement la statue dans l'orchestre, en certains cas, ce sont les Italiens. Oui, ce sont les maîtres de l'école italienne qui, avec autant de bon sens que de grâce, ont les premiers imaginé de faire chanter l'orchestre et réciter les paroles sur une partie de remplissage, dans les scènes bouffes où le canto parlato est de rigueur, et dans beaucoup d'autres même où il serait absolument contraire au bon sens dramatique de faire chanter par l'acteur une vraie mélodie. Le nombre d'exemples que l'on pourrait citer de cet excellent procédé chez les maîtres italiens, depuis Cimarosa jusqu'à Rossini, est incalculable. La plupart des compositeurs français modernes ont eu le bon esprit de les imiter; les Allemands, au contraire, recourent très-rarement à ce déplacement de l'intérêt musical. Mais ce sont eux précisément que l'on accuse de mettre la statue dans l'orchestre, uniquement parce qu'ils n'écrivent pas des orchestres de bric-à-brac. Ainsi le veut le préjugé.
Le préjugé veut encore, à Paris, qu'un musicien ne soit apte à faire que ce qu'il a déjà fait. Tel a débuté par un drame lyrique, qui sera inévitablement taxé d'outrecuidance s'il prétend écrire un opéra bouffon, seulement parce qu'il a montré des qualités éminentes dans le genre sérieux. Si son coup d'essai a été une belle messe. «Quelle idée, dira-t-on, à celui-ci de vouloir composer pour le théâtre! Il va nous faire du plain-chant; que ne reste-t-il dans sa cathédrale?»
Si le malheur veut qu'il soit un grand pianiste: «Musique de pianiste!» s'écrie-t-on avec effroi. Et tout est dit, et voilà notre homme à demi écrasé par un préjugé contre lequel il aura à lutter pendant longues années. Comme si un grand talent d'exécution impliquait nécessairement l'incapacité de composition, et comme si Sébastien Bach, Beethoven, Mozart, Weber, Meyerbeer, Mendelssohn et d'autres n'ont pas été à la fois de grands compositeurs et de grands virtuoses.
Si un musicien a commencé par écrire une symphonie, et si cette symphonie a fait sensation, le voilà classé ou plutôt parqué: c'est un symphoniste, il ne doit songer à produire que des symphonies, il doit s'abstenir du théâtre, pour lequel il n'est point fait; il ne doit pas savoir écrire pour les voix, etc., etc. Bien plus, tout ce qu'il fait ensuite est appelé par les gens à préjugés, symphonie; les mots, pour parler de lui, sont détournés de leur acception. Ce qui, produit par tout autre, serait appelé de son vrai nom de cantate, est, sortant de sa plume, nommé symphonie; un oratoire, symphonie; un chœur sans accompagnement, symphonie; une messe, symphonie. Tout est symphonie venant d'un symphoniste.
Il eût échappé à cet inconvénient si sa première symphonie eût passé inaperçue, si c'eût été une platitude; il eût même alors rencontré chez plus d'un directeur de théâtre un préjugé en sa faveur: «Celui-ci, eût-on dit, n'a pas réussi dans la musique de concert, il doit réussir au théâtre. Il ne sait pas tirer parti des instruments, donc il saura parfaitement employer les voix. C'est un mauvais harmoniste, au dire des musiciens, il doit être farci de mélodies.»
Par contre on n'eût pas manqué de dire: «Il traite magistralement l'orchestre, il ne doit pas savoir traiter les voix. C'est un harmoniste distingué, il faut se méfier de sa mélodie, s'il en a. Enfin il ne veut pas écrire comme tout le monde, il croit à l'expression en musique, il a un systême… c'est un homme dangereux…»
Les prôneurs de ces belles doctrines ont au ciel deux puissants protecteurs dont le nom ressemble fort à celui des patrons des savetiers; ils s'appellent, dit-on, saint Crétin et saint Crétinien.
Les Athées de l'expression
«La musique, a dit Potier, est, comme la justice, une bien belle chose… quand elle est juste.»
Je parlais tout à l'heure des compositeurs qui croient à l'expression musicale, mais qui y croient avec réserve et bon sens, sans méconnaître les limites imposées à cette puissance expressive par la nature même de la musique et qu'elle ne saurait en aucun cas dépasser.
Il y a beaucoup de gens à Paris et ailleurs qui, au contraire, n'y croient pas du tout. Ces aveugles niant la lumière, prétendent sérieusement que toutes paroles vont également bien sous toute musique. Rien ne leur semble plus naturel, si le livret d'un opéra est jugé mauvais, que d'en faire composer un autre d'un genre entièrement différent sans déranger la partition. Ils font des messes avec des opéras bouffes de Rossini. J'en connais une dont les paroles se chantent sur la musique du Barbier de Séville. Ils ajusteraient sans remords le poëme de la Vestale sous la partition du Freyschütz, et réciproquement. On ne discute point de telles absurdités, qui, professées par des hommes placés dans certaines positions particulières, peuvent pourtant avoir sur l'art une détestable influence.
On aurait beau répondre à ces malheureux comme cet ancien qui marchait pour prouver le mouvement, on ne les convertirait pas.
Aussi est-ce pour le divertissement des esprits sains seulement, que nous présentons ici les paroles de deux morceaux célèbres, placées, les premières sous l'air de la Grâce de Dieu, les autres sous celui de la chanson Un jour maître corbeau.
Paroles de la Marseillaise
Adaptées à la musique de la Grâce de Dieu



Paroles de l'air d'Eléazar dans la Juive
ADAPTÉES A LA MUSIQUE DE LA CHANSON
Un jour, maître Corbeau


Ces deux exemples grimaçants, dans lesquels une musique nouvelle et spéciale, substituée à la noble inspiration de Rouget de l'Isle et de M. Halévy, se trouve accolée à des vers pleins d'enthousiasme et de tendresse, forment le pendant de l'hymne de Marcello, que j'ai cité en commençant ce livre. Dans ce morceau trop célèbre, une mélodie d'une jovialité bouffonne fut composée par l'auteur pour une ode italienne d'un style élevé et grandiose; et c'est en adaptant des paroles joviales au chant de Marcello, que j'ai établi une concordance parfaite entre la musique et les vers.
Cette irrévérencieuse plaisanterie, qui n'ôte rien à mon admiration pour les belles œuvres de Marcello, ne choquera pas plus les athées de l'expression que la parodie de la Marseillaise et celle de l'air d'Éléazar, puisque, à les en croire, toutes paroles vont également bien sous toute musique.
Voici le thème du compositeur vénitien avec le double texte des poëtes:


La musique de ce morceau est le chant d'un marchant de bœufs revenant joyeux de la foire, plutôt que celui d'un religieux admirateur des merveilles du firmament. Les athées de l'expression n'admettent point qu'il puisse exister entre deux chants de cette espèce la moindre différence de caractère.
Marcello a produit un grand nombre de très-beaux pseaumes, de véritables odes, qui lui valurent le glorieux surnom de Pindare de la musique, mais on n'en chante aucun. Il eut le malheur de laisser échapper de sa plume cette grotesque mélodie, on l'entend aujourd'hui partout; elle est devenue à Paris presque populaire.
Allons, les athées ont raison; écrions-nous avec Cabanis: «Je jure qu'il n'y a point de Dieu.»
Le vrai est le faux, le faux est le vrai! L'horrible est beau, le beau est horrible!


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Mme Stoltz, Mme Sontag. – Les Millions
En 1854, après une clôture assez longue, le théâtre de l'Opéra, fit sa réouverture par la reprise de la Favorite. J'écrivis à ce sujet les observations suivantes, qui ne me semblent pas hors de propos aujourd'hui.
«L'Opéra à fait sa réouverture. Nous avons revu Mme Stoltz plus dramatique que jamais dans son beau rôle de Léonor. Cette brillante soirée a été suivie de deux autres exécutions non moins remarquables du même ouvrage, après quoi l'Opéra, pour se reposer, nous a donné une fois le Maître chanteur, de M. Limnander, partition dans laquelle se trouvent de charmantes choses qu'on ne remarque point assez, à mon sens. Après le Maître chanteur est venue la Reine de Chypre, où Mme Soltz a reconquis les honneurs du triomphe, au son des trompettes du théâtre, aux bouquets des loges d'avant-scène, aux acclamations enthousiastes de tous. Le monde entier de l'Opéra s'en est mêlé; et je n'y étais pas! Le fabuliste a raison, l'absence est le plus grand des maux, pour moi surtout qui jouis d'un guignon infatigable? Quand je suis à Paris, rien n'est plus terne ni plus stagnant que nos théâtres lyriques, et je n'ai pas plus tôt tourné les talons qu'on y tire des feux d'artifice merveilleux, et que les chandelles romaines du succès y montent au ciel de l'art par myriades.
Mme Stoltz n'a rien perdu de sa voix ni de sa verve brûlante, c'est ce que chacun dit; mais je lui dirai, moi, qu'elle se prodigue, qu'elle met trop de voiles au vent, qu'elle donne trop de son âme, qu'elle se tue, qu'elle se brûle par les deux bouts. Il faut faire vie qui dure, et notre public de l'Opéra n'est pas habitué à un tel luxe d'élans dramatiques, à une telle profusion d'accents passionnés. Il y a beau temps qu'il avait fait son deuil de toutes ces choses; ne souffrons pas qu'il en reprenne l'habitude. Mme Stoltz pourrait, elle le devrait même en se bornant, au tiède nécessaire, se dire encore ce que disait Rossini: E troppo bono per questi, etc.»
D'illustres exemples d'illustrissimes cantatrices prouvent surabondamment ce que j'avance. L'une supprime une partie des phrases de ses plus beaux airs, elle compte des pauses pour ne pas se fatiguer, et s'abstient dans presque tout le reste de ses rôles d'articuler les paroles; vocaliser est plus facile, même quand on ne sait pas vocaliser. L'autre s'arme d'un calme monumental, d'un froid de marbre, et vous récite de la passion comme Bossuet récitait ses sermons, sans gestes, sans mouvements, sans varier l'accentuation de son débit, en maintenant toujours ce qu'elle croit être son âme au degré de chaleur modérée recommandé par les professeurs d'hygiène. Et voilà comme on fait les bonnes maisons! Aussi ces cantatrices ménagères vivent beaucoup plus longtemps que ne vivent les roses, elles n'acceptent que des centaines de mille francs, achètent des châteaux, en bâtissent en France, et deviennent marquises ou duchesses. Tandis que Mme Stoltz, qui n'a peut-être encore bâti de châteaux qu'en Espagne et ne possède pas le moindre titre dont elle puisse faire précéder son nom est forcée d'accepter des cinquantaines de mille francs, des misères, pour se consumer comme elle le fait dans la flamme de son inspiration. Voyez, la voilà obligée déjà par les fatigues d'un seul mois de demander un congé, et d'aller chercher de nouvelles forces sous le ciel doux et bienfaisant de l'Angleterre. Qu'elle y profite aux moins des bons exemples que Londres ne lui refusera point. C'est là qu'on voit des cantatrices dont l'âme n'use pas le fourreau; c'est là que les artistes ardentes apprennent à se tremper dans les ondes stygiennes de bons gros oratorios d'où elles sortent froides, rigides et inaccessibles à l'émotion.
Cela vaut mieux, en tout cas, beaucoup mieux que d'aller courir au delà de l'Océan chez les peuples intertropicaux et plus ou moins anthropophages. Quel besoin de musique peuvent avoir les sauvages? et quel charme pouvez-vous trouver à leurs détellements de chevaux, à leurs bouquets de diamants, quand le choléra, quand le vomito nero, quand la fièvre jaune, dardant sur vous leurs yeux vitreux, sont là mêlés au cortège de vos adorateurs? Mme Stoltz est revenue une fois déjà de Rio de Janeiro, il est vrai, mais Mme Sontag est restée à Mexico, bien morte, la malheureuse femme, elle n'en reviendra pas.
Où l'aiglonne a passé le rossignol demeure
Pauvre Sontag! aller mourir si tristement, si absurdement, loin de l'Europe, qui seule pouvait savoir quelle artiste elle était!
On m'a reproché de ne lui avoir pas payé le moindre tribut de regrets. Ce n'est pas au moins qu'une telle perte m'ait trouvé insensible, je puis le dire. Je connais toute l'étendue du malheur qui en frappant l'incomparable cantatrice a frappé l'art musical. Mais on fait journellement tant d'étalage de douleurs mensongères, on a tant abusé du prétexte de la mort pour illustrer des médiocrités, que l'élégie, devenue lieu commun, méfait peur, surtout quand il s'agit de parler de choses et d'êtres essentiellement dignes d'admiration. Je ne sais bien faire d'ailleurs qu'une espèce d'oraison funèbre, celle des artistes médiocres vivants.
Et puis, le dirai-je? je blâmais en ma conscience cette course au million entreprise par Mme Sontag, et poursuivie jusqu'au sommet des Andes. Je ne pouvais me faire à la voir si âpre au gain, elle, une artiste, une artiste sainte, possédant réellement tous les dons de l'art et de la nature: la voix, le sentiment musical, l'instinct dramatique, le style, le goût le plus exquis, la passion, la rêverie, la grâce, tout, et quelque chose de plus que tout. Elle chantait les bagatelles sonores, elle jouait avec les notes comme jamais jongleur indien ne sut jouer avec ses boules d'or; mais elle chantait aussi la musique, la grande musique immortelle, comme les musiciens rêvent parfois de l'entendre chanter. Oui, elle pouvait tout interpréter, même les chefs-d'œuvre; elle les comprenait comme si elle les eût faits. Je n'oublierai jamais mon étonnement un soir à Londres. J'assistais à une représentation du Figaro de Mozart. Quand, dans la scène nocturne du jardin, Mme Sontag vint soupirer ce divin monologue de femme amoureuse que je n'avais jusque-là jamais entendu que grossièrement exécuté; à cette mezza voce si tendre, si douce et si mystérieuse en même temps, cette musique secrète, dont j'avais pourtant le mot, me parut mille fois plus ravissante encore. Enfin, pensai-je, car je n'avais garde de me récrier, enfin voilà l'admirable page de Mozart fidèlement rendue! Voilà le chant de la solitude, le chant de la rêverie voluptueuse, le chant du mystère et de la nuit; c'est ainsi que doit s'exhaler la voix d'une femme dans une scène pareille; voilà le clair-obscur de l'art du chant, la demi-teinte, le piano enfin, ce piano, ce pianissimo que les compositeurs obtiennent des orchestres de cent musiciens, des chœurs de deux cents voix, mais que, ni pour or, ni pour couronnes, ni par la flatterie, ni par la menace, ni par les caresses, ni par les coups de cravache, ils ne pourraient obtenir de la plupart des cantatrices, savantes ou inhabiles, italiennes ou françaises, intelligentes ou sottes, humaines ou divines. Presque toutes vocifèrent plus ou moins avec la plus exaspérante obstination; elles ne sauraient s'aventurer au delà du mezzo forte, ce juste-milieu de la sonorité; elles semblent craindre de n'être pas entendues. Eh! malheureuses, nous ne vous entendons que trop! Oui, l'Allemande Sontag nous avait enfin rendu le chant secret, le chant de l'a parté, le chant de l'oiseau caché sous la feuillée, saluant le crépuscule du soir. Elle connaissait cette nuance exquise dont la simple apparition donne aux auditeurs bien organisés un frisson de plaisir à nul autre comparable; elle chantait piano aussi finement, aussi sûrement, aussi mystérieusement que le font vingt bons violons avec sourdines dirigés par un habile chef; elle savait enfin tout l'art du chant…
Admirable Sontag!.. Elle eût été Juliette, s'il eût existé un opéra de Roméo shakspearien… elle fût sortie triomphante de la scène du balcon; elle eût bien dit le fameux passage:
J'ai oublié pourquoi je t'ai rappellé:
Reste, mon Roméo, jusqu'à ce qu'il m'en souvienne;
elle eût été digne de chanter l'incomparable duo d'amour du dernier acte du Marchand de Venise:
«Ce fut par une nuit semblable que la jeune Cressida, quittant les tentes des Grecs, alla rejoindre aux pieds des murs de Troie Troïlus son amant.»
Quelque invraisemblable que cela puisse paraître, Mme Sontag, je le crois, eût pu chanter Shakspeare. Je ne connais pas d'éloge comparable à celui-là.
Et pour quelques milliers de dollars!.. aller mourir…
Auri sacra fames!
Mais quel besoin d'avoir tant d'argent quand on n'est qu'une cantatrice? Quand vous avez maison de ville, maison de campagne, l'aisance, le luxe, le sort de vos enfants assuré, que vous faut-il donc de plus? Pourquoi ne pas se contenter de cinq cent mille francs, de six cent mille francs, de sept cent mille francs? Pourquoi vous faut-il absolument un million, plus d'un million? C'est monstrueux cela, c'est une maladie.
Ah! si vous ambitionnez de faire de grandes choses dans l'art, à la bonne heure; gagnez des millions tant que vous pourrez; pourtant arrêtez-vous à temps pour conserver les forces nécessaires à la tâche que vous vous êtes proposé d'accomplir. Tâche royale que nul roi n'a encore envisagée dans son ensemble. Oui, gagnez des millions, et alors nous pourrons voir un vrai théâtre lyrique où l'on exécutera dignement des chefs-d'œuvre, de temps en temps, et non trois fois par semaine; où les barbares à aucun prix ne pourront être admis; où il n'y aura pas de claqueurs; où les opéras seront des œuvres musicales et poétiques seulement; où l'on ne se préoccupera jamais de la valeur en écus de ce qui est beau. Ce sera un théâtre d'art et non un bazar. L'argent y sera le moyen et non le but.
Gagnez des millions, et vous établirez un gigantesque Conservatoire, où l'on enseignera tout ce qu'il est bon de savoir en musique et avec la musique; où l'on formera des musiciens artistes, lettrés, et non des artisans; où les chanteurs apprendront leur langue, et l'histoire et l'orthographe, avec la vocalisation, et même aussi la musique, s'il se peut; où il y aura des classes de tous les instruments utiles sans exception, et vingt classes de rhythme; où l'on formera d'immenses corps de choristes ayant de la voix et sachant réellement chanter et lire et comprendre ce qu'ils chantent; où l'on élèvera des chefs-d'orchestre qui ne frappent pas la mesure avec le pied et sachent lire les grandes partitions; où l'on professera la philosophie et l'histoire de l'art, et bien d'autres choses encore.
Gagnez des millions et vous construirez de belles salles de concerts faites pour la musique et non pour des bals et des festins patriotiques, ou destinées à devenir plus tard des greniers à foin.
Vous y donnerez de véritables concerts, rarement; car la musique n'est pas destinée à prendre place parmi les jouissances quotidiennes de la vie, comme le boire, le manger, le dormir; je ne sais rien d'odieux comme ces établissements où bouillotte invariablement chaque soir le pot au feu musical. Ce sont eux qui ruinent notre art, le vulgarisent, le rendent plat, niais, stupide, qui l'ont réduit à n'être plus à Paris, qu'une branche de commerce, que l'art de l'épicerie en gros.
Gagnez des millions et vous détruirez d'une main en édifiant de l'autre, et vous civiliserez artistement une nation. Alors on vous pardonnera votre richesse et l'on vous louera même d'avoir pris tant de peine à l'acquérir, d'être allée la chercher à Mexico, à Rio, à San-Francisco, à Sydney, à Calcutta.
Mais du diable si un tel rêve préoccupe jamais une cantatrice ni un chanteur à millions; et je suis bien sûr que ceux qui vont lire cette inconvenante sortie, si tant est que j'aie des lecteurs parmi les gens à millions, vont me regarder comme le plus rare imbécile. Imbécile, oui, mais rare, non. Nous sommes par le monde un assez bon nombre de gens de cette trempe, dont le mépris pour les millions inintelligents est cent millions de fois plus vaste et plus profond que l'Océan.
Il faut en prendre votre parti et ne pas trop vous brûler la cervelle, si vous en avez, pauvres millionnaires!