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Kitabı oku: «La Comédie humaine – Volume 03», sayfa 18

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Le jeune notaire saisissait en gros l'effet lointain d'une stipulation basée sur l'amour-propre des parties, et dans laquelle sa cliente avait donné tête baissée. Mais si Mathias n'était plus que notaire, Solonet était encore un peu homme, et portait dans les affaires un amour-propre juvénile. Il arrive souvent ainsi que la vanité personnelle fait oublier à un jeune homme l'intérêt de son client. En cette circonstance, maître Solonet, qui ne voulut pas laisser croire à la veuve que Nestor battait Achille, lui conseillait d'en finir promptement sur ces bases. Peu lui importait la future liquidation de ce contrat; pour lui, les conditions de la victoire étaient madame Évangélista libérée, son existence assurée, Natalie mariée.

– Bordeaux saura que vous donnez environ onze cent mille francs à Natalie, et qu'il vous reste vingt-cinq mille livres de rentes, dit Solonet à l'oreille de madame Évangélista. Je ne croyais pas obtenir un si beau résultat.

– Mais, dit-elle, expliquez-moi donc pourquoi la création de ce majorat apaise si promptement l'orage?

– Défiance de vous et de votre fille. Un majorat est inaliénable: aucun des époux n'y peut toucher.

– Ceci est positivement injurieux.

– Non. Nous appelons cela de la prévoyance. Le bonhomme vous a pris dans un piége. Refusez de constituer ce majorat; il nous dira: Vous voulez donc dissiper la fortune de mon client, qui par la création du majorat est mise hors de toute atteinte, comme si les époux se mariaient sous le régime dotal.

Solonet calma ses propres scrupules en se disant: – Ces stipulations n'ont d'effets que dans l'avenir, et alors madame Évangélista sera morte et enterrée.

En ce moment madame Évangélista se contenta des explications de Solonet, en qui elle avait toute confiance. D'ailleurs elle ignorait les lois; elle voyait sa fille mariée, elle n'en demandait pas davantage, le matin; elle fut toute à la joie du succès. Ainsi, comme le pensait Mathias, ni Solonet ni madame Évangélista ne comprenaient encore dans toute son étendue sa conception appuyée sur des raisons inattaquables.

– Hé! bien, monsieur Mathias, dit la veuve, tout est pour le mieux.

– Madame, si vous et monsieur le comte consentez à ces dispositions, vous devez échanger vos paroles. – Il est bien entendu, n'est-ce pas, dit-il en les regardant l'un et l'autre, que le mariage n'aura lieu que sous la condition de la constitution d'un majorat composé de la terre de Lanstrac et de l'hôtel situé rue de la Pépinière, appartenant au futur époux, item de huit cent mille francs pris en argent dans l'apport de la future épouse, et dont l'emploi se fera en terres? Pardonnez-moi, madame, cette répétition: un engagement positif et solennel est ici nécessaire. L'érection d'un majorat exige des formalités, des démarches à la chancellerie, une ordonnance royale, et nous devons conclure immédiatement l'acquisition des terres, afin de les comprendre dans la désignation des biens que l'ordonnance royale a la vertu de rendre inaliénables. Dans beaucoup de familles on ferait un compromis, mais entre vous un simple consentement doit suffire. Consentez-vous?

– Oui, dit madame Évangélista.

– Oui, dit Paul.

– Et moi? dit Natalie en riant.

– Vous êtes mineure, mademoiselle, lui répondit Solonet, ne vous en plaignez pas.

Il fut alors convenu que maître Mathias rédigerait le contrat, que maître Solonet minuterait le compte de tutelle, et que ces actes se signeraient, suivant la loi, quelques jours avant la célébration du mariage. Après quelques salutations, les deux notaires se levèrent.

– Il pleut. Mathias, voulez-vous que je vous reconduise, dit Solonet? J'ai mon cabriolet.

– Ma voiture est à vos ordres, dit Paul en manifestant l'intention d'accompagner le bonhomme.

– Je ne veux pas vous voler un instant, dit le vieillard: j'accepte la proposition de mon confrère.

– Hé! bien, dit Achille à Nestor quand le cabriolet roula dans les rues, vous avez été vraiment patriarcal. En vérité, ces jeunes gens se seraient ruinés.

– J'étais effrayé de leur avenir, dit Mathias en gardant le secret sur les motifs de sa proposition.

En ce moment les deux notaires ressemblaient à deux acteurs qui se donnent la main dans la coulisse après avoir joué sur le théâtre une scène de provocations haineuses.

– Mais, dit Solonet, qui pensait alors aux choses du métier, n'est-ce pas à moi d'acquérir les terres dont vous parlez? N'est-ce pas l'emploi de notre dot?

– Comment pourrez-vous faire comprendre dans un majorat établi par le comte de Manerville les biens de mademoiselle Évangélista? répondit Mathias.

– La chancellerie nous répondra sur cette difficulté, dit Solonet.

– Mais je suis le notaire du vendeur aussi bien que de l'acquéreur, répondit Mathias. D'ailleurs monsieur de Manerville peut acheter en son nom. Lors du paiement nous ferons mention de l'emploi des fonds dotaux.

– Vous avez réponse à tout, mon ancien, dit Solonet en riant. Vous avez été surprenant ce soir, vous nous avez battus.

– Pour un vieux qui ne s'attendait pas à vos batteries chargées à mitraille, ce n'était pas mal, hein?

– Ha! ha! fit Solonet.

La lutte odieuse où le bonheur matériel d'une famille avait été si périlleusement risqué n'était plus pour eux qu'une question de polémique notariale.

– Nous n'avons pas pour rien quarante ans de bricole! dit Mathias. Écoutez, Solonet, reprit-il, je suis bonhomme, vous pourrez assister au contrat de vente des terres à joindre au majorat.

– Merci, mon bon Mathias. A la première occasion vous me trouverez tout à vous.

Pendant que les deux notaires s'en allaient ainsi paisiblement, sans autre émotion qu'un peu de chaleur à la gorge, Paul et madame Évangélista se trouvaient en proie à cette trépidation de nerfs, à cette agitation précordiale, à ces tressaillements de moelle et de cervelle que ressentent les gens passionnés après une scène où leurs intérêts et leurs sentiments ont été violemment secoués. Chez madame Évangélista ces derniers grondements de l'orage étaient dominés par une terrible réflexion, par une lueur rouge qu'elle voulait éclaircir.

– Maître Mathias n'aurait-il pas détruit en quelques minutes mon ouvrage de six mois? se dit-elle. N'aurait-il pas soustrait Paul à mon influence en lui inspirant de mauvais soupçons pendant leur conférence secrète dans le petit salon?

Elle était debout devant sa cheminée, le coude appuyé sur le coin du manteau de marbre, toute songeuse. Quand la porte cochère se ferma sur la voiture des deux notaires, elle se retourna vers son gendre, impatientée de résoudre ses doutes.

– Voilà la plus terrible journée de ma vie, s'écria Paul vraiment joyeux de voir ces difficultés terminées. Je ne sais rien de plus rude que ce vieux père Mathias. Que Dieu l'entende, et que je devienne pair de France! Chère Natalie, je le désire maintenant plus pour vous que pour moi. Vous êtes toute mon ambition, je ne vis qu'en vous.

En entendant cette phrase accentuée par le cœur, en voyant surtout le limpide azur des yeux de Paul dont le regard, aussi bien que le front, n'accusait aucune arrière-pensée, la joie de madame Évangélista fut entière. Elle se reprocha les paroles un peu vives par lesquelles elle avait éperonné son gendre; et dans l'ivresse du succès, elle se résolut à rasséréner l'avenir. Elle reprit sa contenance calme, fit exprimer à ses yeux cette douce amitié qui la rendait si séduisante, et répondit à Paul: – Je puis vous en dire autant. Aussi, cher enfant, peut-être ma nature espagnole m'a-t-elle emportée plus loin que mon cœur ne le voulait. Soyez ce que vous êtes, bon comme Dieu? ne me gardez point rancune de quelques paroles inconsidérées. Donnez-moi la main?

Paul était confus, il se trouvait mille torts, il embrassa madame Évangélista.

– Cher Paul, dit-elle tout émue, pourquoi ces deux escogriffes n'ont-ils pas arrangé cela sans nous, puisque tout devait si bien s'arranger?

– Je n'aurais pas su, dit Paul, combien vous étiez grande et généreuse.

– Bien cela, Paul! dit Natalie en lui serrant la main.

– Nous avons, dit madame Évangélista, plusieurs petites choses à régler, mon cher enfant. Ma fille et moi, nous sommes au-dessus de niaiseries auxquelles certaines gens tiennent beaucoup. Ainsi Natalie n'a nul besoin de diamants, je lui donne les miens.

– Ah! chère mère, croyez-vous que je puisse les accepter? s'écria Natalie.

– Oui, mon enfant, ils sont une condition du contrat.

– Je ne le veux pas, je ne me marierai pas, répondit vivement Natalie. Gardez ces pierreries que mon père prenait tant de plaisir à vous offrir. Comment monsieur Paul peut-il exiger…?

– Tais-toi, chère fille, dit la mère dont les yeux se remplirent de larmes. Mon ignorance des affaires exige bien davantage!

– Quoi donc?

– Je vais vendre mon hôtel pour m'acquitter de ce que je te dois.

– Que pouvez-vous me devoir, dit-elle, à moi qui vous dois la vie? Puis-je m'acquitter jamais envers vous, moi? Si mon mariage vous coûte le plus léger sacrifice, je ne veux pas me marier.

– Enfant!

– Chère Natalie, dit Paul, comprenez donc que ce n'est ni moi, ni votre mère, ni vous qui exigeons ces sacrifices, mais les enfants…

– Et si je ne me marie pas? dit-elle en l'interrompant.

– Vous ne m'aimez donc point? dit Paul.

– Allons, petite folle, crois-tu qu'un contrat soit un château de cartes sur lequel tu puisses souffler à plaisir? Chère ignorante, tu ne sais pas combien nous avons eu de peine à bâtir un majorat à l'aîné de tes enfants! Ne nous rejette pas dans les ennuis d'où nous sommes sortis.

– Pourquoi ruiner ma mère? dit Natalie en regardant Paul.

– Pourquoi êtes-vous si riche? répondit-il en souriant.

– Ne vous disputez pas trop, mes enfants, vous n'êtes pas encore mariés, dit madame Évangélista. Paul, reprit-elle, il ne faut donc ni corbeille, ni joyaux, ni trousseau? Natalie a tout à profusion. Réservez plutôt l'argent que vous auriez mis à des cadeaux de noces, pour vous assurer à jamais un petit luxe intérieur. Je ne sais rien de plus sottement bourgeois que de dépenser cent mille francs à une corbeille de laquelle il ne subsiste rien un jour qu'un vieux coffre en satin blanc. Au contraire, cinq mille francs par an attribués à la toilette évitent mille soucis à une jeune femme, et lui restent pendant toute la vie. D'ailleurs l'argent d'une corbeille sera nécessaire à l'arrangement de votre hôtel à Paris. Nous reviendrons à Lanstrac au printemps, car pendant l'hiver Solonet aura liquidé mes affaires.

– Tout est pour le mieux, dit Paul au comble du bonheur.

– Je verrai donc Paris, s'écria Natalie avec un accent qui aurait justement effrayé un de Marsay.

– Si nous nous arrangeons ainsi, dit Paul, je vais écrire à de Marsay de me prendre une loge aux Italiens et à l'Opéra pour l'hiver.

– Vous êtes bien aimable, je n'osais pas vous le demander, dit Natalie. Le mariage est une institution fort agréable, si elle donne aux maris le talent de deviner les désirs de leurs femmes.

– Ce n'est pas autre chose, dit Paul; mais il est minuit, il faut partir.

– Pourquoi si tôt aujourd'hui? dit madame Évangélista qui déploya les câlineries auxquelles les hommes sont si sensibles.

Quoique tout se fût passé dans les meilleurs termes, et selon les lois de la plus exquise politesse, l'effet de la discussion de ces intérêts avait néanmoins jeté chez le gendre et chez la belle-mère un germe de défiance et d'inimitié prêt à lever au premier feu d'une colère ou sous la chaleur d'un sentiment trop violemment heurté. Dans la plupart des familles, la constitution des dots et les donations à faire au contrat de mariage engendrent ainsi des hostilités primitives, soulevées par l'amour-propre, par la lésion de quelques sentiments, par le regret des sacrifices et par l'envie de les diminuer. Ne faut-il pas un vainqueur et un vaincu, lorsqu'il s'élève une difficulté? Les parents des futurs essaient de conclure avantageusement cette affaire à leurs yeux purement commerciale, et qui comporte les ruses, les profits, les déceptions du négoce. La plupart du temps le mari seul est initié dans les secrets de ces débats, et la jeune épouse reste, comme le fut Natalie, étrangère aux stipulations qui la font ou riche ou pauvre. En s'en allant, Paul pensait que, grâce à l'habileté de son notaire, sa fortune était presque entièrement garantie de toute ruine. Si madame Évangélista ne se séparait point de sa fille, leur maison aurait au delà de cent mille francs à dépenser par an; ainsi toutes ses prévisions d'existence heureuse se réalisaient.

– Ma belle-mère me paraît être une excellente femme, se dit-il encore sous le charme des patelineries par lesquelles madame Évangélista s'était efforcée de dissiper les nuages élevés par la discussion. Mathias se trompe. Ces notaires sont singuliers, ils enveniment tout. Le mal est venu de ce petit ergoteur de Solonet, qui a voulu faire l'habile.

Pendant que Paul se couchait en récapitulant les avantages qu'il avait remportés dans cette soirée, madame Évangélista s'attribuait également la victoire.

– Eh! bien, mère chérie, es-tu contente? dit Natalie en suivant sa mère dans sa chambre à coucher.

– Oui, mon amour, répondit la mère, tout a réussi selon mes désirs, et je me sens un poids de moins sur les épaules qui ce matin m'écrasait. Paul est une excellente pâte d'homme. Ce cher enfant, oui, certes! nous lui ferons une belle existence. Tu le rendras heureux, et moi je me charge de sa fortune politique. L'ambassadeur d'Espagne est un de mes amis, je vais renouer avec lui, comme avec toutes mes connaissances. Oh! nous serons bientôt au cœur des affaires, tout sera joie pour nous. A vous les plaisirs, chers enfants; à moi les dernières occupations de la vie, le jeu de l'ambition. Ne t'effraie pas de me voir vendre mon hôtel, crois-tu que nous revenions jamais à Bordeaux? à Lanstrac? oui. Mais nous irons passer tous les hivers à Paris, où sont maintenant nos véritables intérêts. Eh! bien, Natalie, était-il si difficile de faire ce que je te demandais?

– Ma petite mère, par moments, j'avais honte.

– Solonet me conseille de mettre mon hôtel en rente viagère, se dit madame Évangélista, mais il faut faire autrement, je ne veux pas t'enlever un liard de ma fortune.

– Je vous ai vus tous bien en colère, dit Natalie. Comment cette tempête s'est-elle donc apaisée?

– Par l'offre de mes diamants, répondit madame Évangélista. Solonet avait raison. Avec quel talent il a conduit l'affaire. Mais, dit-elle, prends donc mon écrin, Natalie! Je ne me suis jamais sérieusement demandé ce que valent ces diamants. Quand je disais cent mille francs, j'étais folle. Madame de Gyas ne prétendait-elle pas que le collier et les boucles d'oreilles que m'a donnés ton père, le jour de notre mariage, valaient au moins cette somme. Mon pauvre mari était d'une prodigalité! Puis mon diamant de famille, celui que Philippe II a donné au duc d'Albe et que m'a légué ma tante, le Discreto, fut, je crois, estimé jadis quatre mille quadruples.

Natalie apporta sur la toilette de sa mère ses colliers de perles, ses parures, ses bracelets d'or, ses pierreries de toute nature, et les y entassa complaisamment en manifestant l'inexprimable sentiment qui réjouit certaines femmes à l'aspect de ces trésors avec lesquels, suivant les commentateurs du Talmud, les anges maudits séduisirent les filles de l'homme en allant chercher au fond de la terre ces fleurs du feu céleste.

– Certes, dit madame Évangélista, quoiqu'en fait de joyaux, je ne sois bonne qu'à les recevoir et les porter, il me semble qu'en voici pour beaucoup d'argent. Puis, si nous ne faisons plus qu'une seule maison, je peux vendre mon argenterie, qui seulement au poids vaut trente mille francs. Quand nous l'avons apportée de Lima, je me souviens qu'ici la douane lui attribuait cette valeur. Solonet a raison! J'enverrai chercher Élie Magus. Le juif m'estimera ces écrins. Peut-être serais-je dispensée de mettre le reste de ma fortune à fonds perdu.

– Le beau collier de perles! dit Natalie.

– J'espère qu'il te le laissera, s'il t'aime. Ne devrait-il pas faire remonter tout ce que je lui remettrai de pierreries et te les offrir. D'après le contrat les diamants t'appartiennent. Allons, adieu, mon ange. Après une si fatigante journée, nous avons toutes deux besoin de repos.

La petite maîtresse, la créole, la grande dame incapable d'analyser les dispositions d'un contrat qui n'était pas encore formulé, s'endormit donc dans la joie en voyant sa fille mariée à un homme facile à conduire, qui les laisserait toutes deux également maîtresses au logis, et dont la fortune, réunie aux leurs, permettrait de ne rien changer à leur manière de vivre. Après avoir rendu ses comptes à sa fille, dont toute la fortune était reconnue, madame Évangélista se trouvait encore à son aise.

– Étais-je folle de tant m'inquiéter, se dit-elle, je voudrais que le mariage fût fini.

Ainsi madame Évangélista, Paul, Natalie et les deux notaires étaient tous enchantés de cette première rencontre. Le Te Deum se chantait dans les deux camps, situation dangereuse! il vient un moment où cesse l'erreur du vaincu. Pour la veuve, son gendre était le vaincu.

Le lendemain matin, Élie Magus vint chez madame Évangélista, croyant, d'après les bruits qui couraient sur le mariage prochain de mademoiselle Natalie et du comte Paul, qu'il s'agissait de parures à leur vendre. Le juif fut donc étonné en apprenant qu'il s'agissait au contraire d'une prisée quasi-légale des diamants de la belle-mère. L'instinct des juifs, autant que certaines questions captieuses, lui fit comprendre que cette valeur allait sans doute être comptée dans le contrat de mariage. Les diamants n'étant pas à vendre, il les prisa comme s'ils devaient être achetés par un particulier chez un marchand. Les joailliers seuls savent reconnaître les diamants de l'Asie de ceux du Brésil. Les pierres de Golconde et de Visapour se distinguent par une blancheur, par une netteté de brillant que n'ont pas les autres dont l'eau comporte une teinte jaune qui les fait, à poids égal, déprécier lors de la vente. Les boucles d'oreilles et le collier de madame Évangélista, entièrement composés de diamants asiatiques, furent estimés deux cent cinquante mille francs par Élie Magus. Quant au Discreto, c'était, selon lui, l'un des plus beaux diamants possédés par des particuliers, il était connu dans le commerce et valait cent mille francs. En apprenant un prix qui lui révélait les prodigalités de son mari, madame Évangélista demanda si elle pouvait avoir cette somme immédiatement.

– Madame, répondit le juif, si vous voulez vendre, je ne donnerais que soixante-quinze mille du brillant et cent soixante mille du collier et des boucles d'oreilles.

– Et pourquoi ce rabais? demanda madame Évangélista surprise.

– Madame, répondit le juif, plus les diamants sont beaux, plus longtemps nous les gardons. La rareté des occasions de placement est en raison de la haute valeur des pierres. Comme le marchand ne doit pas perdre les intérêts de son argent, les intérêts à recouvrer, joints aux chances de la baisse et de la hausse auxquelles sont exposées ces marchandises, expliquent la différence entre le prix d'achat et le prix de vente. Vous avez perdu depuis vingt ans les intérêts de trois cent mille francs. Si vous portiez dix fois par an vos diamants, ils vous coûtaient chaque soirée mille écus. Combien de belles toilettes n'a-t-on pas pour mille écus! Ceux qui conservent des diamants sont donc des fous; mais, heureusement pour nous, les femmes ne veulent pas comprendre ces calculs.

– Je vous remercie de me les avoir exposés, j'en profiterai!

– Vous voulez vendre? reprit avidement le juif.

– Que vaut le reste? dit madame Évangélista.

Le juif considéra l'or des montures, mit les perles au jour, examina curieusement les rubis, les diadèmes, les agrafes, les bracelets, les fermoirs, les chaînes, et dit en marmottant: – Il s'y trouve beaucoup de diamants portugais venus du Brésil! Cela ne vaut pour moi que cent mille francs. Mais, de marchand à chaland, ajouta-t-il, ces bijoux se vendraient plus de cinquante mille écus.

– Nous les gardons, dit madame Évangélista.

– Vous avez tort, répondit Élie Magus. Avec les revenus de la somme qu'ils représentent, en cinq ans vous auriez d'aussi beaux diamants et vous conserveriez le capital.

Cette conférence assez singulière fut connue et corrobora certaines rumeurs excitées par la discussion du contrat. En province tout se sait. Les gens de la maison ayant entendu quelques éclats de voix supposèrent une discussion beaucoup plus vive qu'elle ne l'était, leurs commérages avec les autres valets s'étendirent insensiblement; et, de cette basse région, remontèrent aux maîtres. L'attention du beau monde et de la ville était si bien fixée sur le mariage de deux personnes également riches; petit ou grand, chacun s'en occupait tant, que, huit jours après, il circulait dans Bordeaux les bruits les plus étranges: – Madame Évangélista vendait son hôtel, elle était donc ruinée. Elle avait proposé ses diamants à Élie Magus. Rien n'était conclu entre elle et le comte de Manerville. Ce mariage se ferait-il? Les uns disaient oui, les autres non. Les deux notaires questionnés démentirent ces calomnies et parlèrent des difficultés purement réglementaires suscitées par la constitution d'un majorat. Mais, quand l'opinion publique a pris une pente, il est bien difficile de la lui faire remonter. Quoique Paul allât tous les jours chez madame Évangélista, malgré l'assertion des deux notaires, les doucereuses calomnies continuèrent. Plusieurs jeunes filles, leurs mères ou leurs tantes, chagrines d'un mariage rêvé pour elles-mêmes ou pour leurs familles, ne pardonnaient pas plus à madame Évangélista son bonheur qu'un auteur ne pardonne un succès à son voisin. Quelques personnes se vengeaient de vingt ans de luxe et de grandeur que la maison espagnole avait fait peser sur leur amour-propre. Un grand homme de préfecture disait que les deux notaires et les deux familles ne pouvaient pas tenir un autre langage ni une autre conduite dans le cas d'une rupture. Le temps que demandait l'érection du majorat confirmait les soupçons des politiques bordelais.

– Ils amuseront le tapis pendant tout l'hiver; puis, au printemps, ils iront aux eaux, et nous apprendrons dans un an que le mariage est manqué.

– Vous comprenez, disaient les uns, que, pour ménager l'honneur de deux familles, les difficultés ne seront venues d'aucun côté, ce sera la chancellerie qui refusera; ce sera quelque chicane élevée sur le majorat qui fera naître la rupture.

– Madame Évangélista, disaient les autres, menait un train auquel les mines de Valenciana n'auraient pas suffi. Quand il a fallu fondre la cloche, il ne se sera plus rien trouvé!

Excellente occasion pour chacun de supputer les dépenses de la belle veuve, afin d'établir catégoriquement sa ruine! Les rumeurs furent telles qu'il se fit des paris pour ou contre le mariage. Suivant la jurisprudence mondaine, ces caquetages couraient à l'insu des parties intéressées. Personne n'était ni assez ennemi ni assez ami de Paul ou de madame Évangélista pour les en instruire. Paul eut quelques affaires à Lanstrac, et profita de la circonstance pour y faire une partie de chasse avec plusieurs jeunes gens de la ville, espèce d'adieu à la vie de garçon. Cette partie de chasse fut acceptée par la société comme une éclatante confirmation des soupçons publics. Dans ces conjonctures, madame de Gyas, qui avait une fille à marier, jugea convenable de sonder le terrain et d'aller s'attrister joyeusement de l'échec reçu par les Évangélista. Natalie et sa mère furent assez surprises en voyant la figure mal grimée de la marquise, et lui demandèrent s'il ne lui était rien arrivé de fâcheux.

– Mais, dit-elle, vous ignorez donc les bruits qui circulent dans Bordeaux? Quoique je les croie faux, je venais savoir la vérité pour les faire cesser sinon partout, au moins dans mon cercle d'amis. Être les dupes ou les complices d'une semblable erreur est une position trop fausse pour que de vrais amis veuillent y rester.

– Mais que se passe-t-il donc? dirent la mère et la fille.

Madame de Gyas se donna le plaisir de raconter les dires de chacun, sans épargner un seul coup de poignard à ses deux amies intimes. Natalie et madame Évangélista se regardèrent en riant, mais elles avaient bien compris le sens de la narration et les motifs de leur amie. L'Espagnole prit sa revanche à peu près comme Célimène avec Arsinoé.

– Ma chère, ignorez-vous donc, vous qui connaissez la province, ignorez-vous ce dont est capable une mère quand elle a sur les bras une fille qui ne se marie pas faute de dot et d'amoureux, faute de beauté, faute d'esprit, quelquefois faute de tout? Elle arrêterait une diligence, elle assassinerait, elle attendrait un homme au coin d'une rue, elle se donnerait cent fois elle même si elle valait quelque chose. Il y en a beaucoup dans cette situation à Bordeaux qui nous prêtent sans doute leurs pensées et leurs actions. Les naturalistes nous ont dépeint les mœurs de beaucoup d'animaux féroces; mais ils ont oublié la mère et la fille en quête d'un mari. Ce sont des hyènes qui, selon le Psalmiste, cherchent une proie à dévorer, et qui joignent au naturel de la bête l'intelligence de l'homme et le génie de la femme. Que ces petites araignées bordelaises, mademoiselle de Belor, mademoiselle de Trans, etc., occupées depuis si longtemps à travailler leurs toiles sans y voir de mouche, sans entendre le moindre battement d'aile à l'entour, soient furieuses, je le conçois, je leur pardonne leurs propos envenimés. Mais que vous, qui marierez votre fille quand vous le voudrez, vous riche et titrée, vous qui n'avez rien de provincial; vous dont la fille est spirituelle, pleine de qualités, jolie, en position de choisir; que vous, si distinguée des autres par vos grâces parisiennes, ayez pris le moindre souci, voilà pour nous un sujet d'étonnement! Dois-je compte au public des stipulations matrimoniales que les gens d'affaires ont trouvées utiles dans les circonstances politiques qui domineront l'existence de mon gendre? La manie des délibérations publiques va-t-elle atteindre l'intérieur des familles? Fallait-il convoquer par lettres closes les pères et les mères de votre province pour les faire assister au vote des articles de notre contrat de mariage?

Un torrent d'épigrammes roula sur Bordeaux. Madame Évangélista quittait la ville: elle pouvait passer en revue ses amis, ses ennemis, les caricaturer, les fouetter à son gré sans avoir rien à craindre. Aussi donna-t-elle passage à ses observations gardées, à ses vengeances ajournées, en cherchant quel intérêt avait telle ou telle personne à nier le soleil en plein midi.

– Mais, ma chère, dit la marquise de Gyas, le séjour de monsieur de Manerville à Lanstrac, ces fêtes aux jeunes gens en semblables circonstances…

– Hé! ma chère, dit la grande dame en l'interrompant, croyez-vous que nous adoptions les petitesses du cérémonial bourgeois? Le comte Paul est il tenu en laisse comme un homme qui peut s'enfuir? Croyez-vous que nous ayons besoin de le faire garder par la gendarmerie? Craignons-nous de nous le voir enlever par quelque conspiration bordelaise?

– Soyez persuadée, chère amie, que vous me faites un plaisir extrême…

La parole fut coupée à la marquise par le valet de chambre, qui annonça Paul. Comme tous les amoureux, Paul avait trouvé charmant de faire quatre lieues pour venir passer une heure avec Natalie. Il avait laissé ses amis à la chasse, et il arrivait éperonné, botté, cravache en main.

– Cher Paul, dit Natalie, vous ne savez pas quelle réponse vous donnez en ce moment à madame.

Quand Paul apprit les calomnies qui couraient dans Bordeaux, il se mit à rire au lieu de se mettre en colère.

– Ces braves gens savent peut-être qu'il n'y aura pas de ces nopces et festins en usage dans les provinces, ni mariage à midi dans l'église; ils sont furieux. Eh! bien, chère mère, dit-il en baisant la main de madame Évangélista, nous leur jetterons à la tête un bal, le jour de la signature du contrat, comme on jette au peuple sa fête dans le grand carré des Champs-Élysées, et nous procurerons à nos bons amis le douloureux plaisir de signer un contrat comme il s'en fait rarement en province.

Cet incident fut d'une haute importance. Madame Évangélista pria tout Bordeaux pour le jour de la signature du contrat, et manifesta l'intention de déployer dans sa dernière fête un luxe qui donnât d'éclatants démentis aux sots mensonges de la société. Ce fut un engagement solennel pris à la face du public de marier Paul et Natalie. Les préparatifs de cette fête durèrent quarante jours, elle fut nommée la nuit des camélias. Il y eut une immense quantité de ces fleurs dans l'escalier, dans l'antichambre et dans la salle où l'on servit le souper. Ce délai coïncida naturellement avec ceux qu'exigeaient les formalités préliminaires du mariage, et les démarches faites à Paris pour l'érection du majorat. L'achat des terres qui jouxtaient Lanstrac eut lieu, les bans se publièrent, les doutes se dissipèrent. Amis et ennemis ne pensèrent plus qu'à préparer leurs toilettes pour la fête indiquée. Le temps pris par ces événements passa donc sur les difficultés soulevées par la première conférence, en emportant dans l'oubli les paroles et les débats de l'orageuse discussion à laquelle avait donné lieu le contrat de mariage. Ni Paul ni sa belle-mère n'y songeaient plus. N'était ce pas, comme l'avait dit madame Évangélista, l'affaire des deux notaires? Mais à qui n'est-il pas arrivé, quand la vie est d'un cours si rapide, d'être soudainement interpellé par la voix d'un souvenir qui se dresse souvent trop tard, et vous rappelle un fait important, un danger prochain? Dans la matinée du jour où devait se signer le contrat de Paul et de Natalie, un de ces feux follets de l'âme brilla chez madame Évangélista pendant les somnolescences de son réveil. Cette phrase: Questa coda non è di questo gatto! dite par elle à l'instant où Mathias accédait aux conditions de Solonet, lui fut criée par une voix. Malgré son inaptitude aux affaires, madame Évangélista se dit en elle-même: – Si l'habile maître Mathias s'est apaisé, sans doute il trouvait satisfaction aux dépens de l'un des deux époux. L'intérêt lésé ne devait pas être celui de Paul, comme elle l'avait espéré. Serait-ce donc la fortune de sa fille qui payait les frais de la guerre? Elle se proposa de demander des explications sur la teneur du contrat, sans penser à ce qu'elle devait faire au cas où ses intérêts seraient trop gravement compromis. Cette journée influa tellement sur la vie conjugale de Paul, qu'il est nécessaire d'expliquer quelques-unes de ces circonstances extérieures qui déterminent tous les esprits. L'hôtel Évangélista devant être vendu, la belle-mère du comte de Manerville n'avait reculé devant aucune dépense pour la fête. La cour était sablée, couverte d'une tente à la turque et parée d'arbustes malgré l'hiver. Ces camélias, dont il était parlé depuis Angoulême jusqu'à Dax, tapissaient les escaliers et les vestibules. Des pans de murs avaient disparu pour agrandir la salle du festin et celle où l'on dansait. Bordeaux, où brille le luxe de tant de fortunes coloniales, était dans l'attente des féeries annoncées. Vers huit heures, au moment de la dernière discussion, les gens curieux de voir les femmes en toilette descendant de voiture se rassemblèrent en deux haies de chaque côté de la porte cochère. Ainsi la somptueuse atmosphère d'une fête agissait sur les esprits au moment de signer le contrat. Lors de la crise, les lampions allumés flambaient sur leurs ifs, et le roulement des premières voitures retentissait dans la cour. Les deux notaires dînèrent avec les deux fiancés et la belle-mère. Le premier clerc de Mathias, chargé de recevoir les signatures pendant la soirée en veillant à ce que le contrat ne fût pas indiscrètement lu, fut également un des convives.

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Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
Hacim:
721 s. 2 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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