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Kitabı oku: «Les français au pôle Nord», sayfa 28

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IX

Le froid diminue. – Encore un obstacle vaincu. – Nouveau souvenir au pays du soleil. – La mer!.. La mer!.. – Le traîneau est à son tour porté. – En bateau. – A quinze heures du Pôle. – Entrain magnifique. – Coup de sonde. – Stupéfaction. – Un fond de vingt-cinq mètres. – Brusquement le fond tombe à deux cents mètres. – Les idées du Basque Michel. – Tout dérive, le bateau, les glaces, la mer elle-même.

Cette journée du 30 avril devait être fertile en événements.

Les cinq hommes après avoir réédifié le cairn du capitaine Markham retrouvé de si étrange façon, et si loin de la latitude observée par l'officier anglais, avaient repris leur marche vers le pôle.

Marche terrible, semée de heurts et de chutes, épuisante par la continuité d'efforts surhumains et de privations dont rien ne faisait présager la fin.

La petite troupe halant intrépidement avec les chiens sur le traîneau venait, après avoir atteint, puis franchi une série d'escarpements vertigineux, s'échouer sur une plate-forme dépourvue de neige, et constituée par un glaçon colossal.

Chose étrange, plus on monte, plus la température paraît augmenter. Au lieu d'être saisis comme le matin par un froid plus vif, à mesure qu'ils s'élèvent, les marins transpirent avec une abondance incroyable, à tel point que le capitaine fait enlever les surtouts de toile, quitte à les remettre si le froid reprend brusquement.

Mais non. Le thermomètre, d'accord avec eux, indique seulement une température de −17°, et cela, sur une colline de glace complètement nue, et bien qu'il soit sept heures et demie du soir.

Aussi, déclare le Parisien, quelle joie, quelle sensation délicieuse de sentir qu'on a encore des pieds! et ne plus marcher, sur des «espèces de patins» qu'on ne sait plus si c'est des pilons d'invalides, ou des paquets de n'importe quoi.

Les sacs à dormir sont installés sans aucun abri, en plein vent, et la modeste cuisine préparée, puis absorbée d'excellent appétit, comme par de bons bourgeois qui, pour la première fois de l'année, dînent sous leur tonnelle déjà garnie de bourgeons et de fleurettes.

Par exemple, il faut redescendre chercher de la neige pour faire le thé et abreuver les chiens. La neige, qui jusqu'à présent a surabondé, manque absolument sur le plateau, et la glace est toujours salée.

Sur ce point élevé le vent l'a balayée dans les déclivités, comme il est d'ailleurs facile de le voir en contemplant le morne paysage.

Cette subite élévation de la température a déridé tout le monde et ramené l'espoir descendu, lui aussi, à quelques degrés au-dessous de zéro, au thermomètre des illusions.

Il y a en vue une nouvelle crête montagneuse, plus escarpée, plus haute que toutes celles rencontrées jusqu'alors, mais le Pôle s'est rapproché encore et ce qui reste à parcourir n'est plus qu'une misère, un rien… d'autant plus que le froid atroce des jours passés semble vouloir faire relâche!

Les quatre marins et leur chef entreprennent courageusement l'escalade. Il faudrait également dire: et les chiens, car les braves bêtes, malgré le mauvais état de leurs pattes, donnent des coups de collier tels qu'ils font monter, par instant, le traîneau, sans le secours des hommes.

Il est du reste à remarquer que pour ces quadrupèdes si singulièrement transformés en bêtes de trait, plus rude est l'obstacle, plus grand est l'effort. Il est pour ainsi dire sans exemple que, sauf bien entendu en cas d'impossibilité absolue, les chiens groenlandais, toujours disposés à tirer un fardeau supérieur à leurs forces, soient demeurés en détresse.

Le versant méridional de cette véritable chaîne de montagnes de glace arrête pendant près de quatre heures le petit équipage, tant l'ascension est rude et les haltes fréquentes.

Pour la première fois depuis longtemps, la sueur ruisselle franchement sur les visages et ne se prend plus en glaçons, dès qu'elle est exposée au coup de fouet cinglant de la bise.

Le thermomètre n'est plus qu'à −14°!

Les hommes n'en reviennent pas et s'égayent comme de grands fous.

– Mais qu'est-ce qu'on va donc trouver derrière cette montagne qu'on dirait que c'est la toile de fond de notre sempiternel décor? demande Plume-au-Vent toujours hanté par les comparaisons tirées de son ancienne profession.

– Peut-être des terrains couverts de beaux sapins, répondent les Basques, croyant avoir déjà un avant-goût des landes.

– Eh! millé dioux, vous pourriez bien dire: d'orangers, riposte Dumas, d'orangers et d'oliviers, à preuve que ze sucerais bien une oranze et que ze serais heureux d'apprêter, aux olives, notre premier filet de phoque.

– Pourquoi pas des bananiers, des cocotiers ou des arbres à pain, avec des coups de soleil, renchérit Plume-au-Vent, dont la face violette a un superbe ton d'engelure.

– Ou simplement la mer libre, termine le capitaine.

– La mer libre, sur laquelle glisserait sans entraves et à toute vitesse notre canot…

On arrive en ce moment au sommet de la crête glacée, et le Parisien, qui se trouve en tête de l'attelage d'hommes et de chiens, s'arrête sur un petit plateau et s'écrie d'une voix retentissante:

– La mer!.. La mer!..

Certes, jamais les dix mille conduits par Xénophon ne poussèrent de meilleur cœur, à l'aspect des flots du Pont-Euxin, le cri suprême de joie et de délivrance renfermé dans ce mot résumant toutes les angoisses d'hier, toutes les espérances de demain:

– Thalassa!.. Thalassa!..

Le capitaine qui vient après, et avec lui Dumas, Elimberri et Itourria, s'arrêtent et s'écrient aussi:

– La mer!.. La mer!..

De ce poste élevé, ils aperçoivent une magnifique étendue d'eau, s'étalant à perte de vue et sur laquelle flottent, en petit nombre, des glaçons probablement détachés de la vieille banquise paléocrystique finissant brusquement là, sous leurs pieds.

A droite et à gauche, les monticules bleuâtres, les collines poudrées de neige s'allongent en une ligne déchiquetée formant le rivage de cette mer intérieure, d'où n'émerge, du moins à première vue, nulle terre, nul îlot, pas même un roc, rien.

C'est la solitude absolue que n'animent ni les ébats bruyants des mammifères arctiques, ni les randonnées capricieuses des oiseaux polaires sans doute retenus là-bas par les rigueurs d'un tardif hiver.

C'est aussi le silence, car les flots sont immobiles, et frissonnent à peine au pied des floebergs qui se dressent comme des spectres sur les eaux glauques.

Au-dessus de cette portion d'océan libre, qui partout ailleurs se montrerait sphérique, s'incurve en coupole un firmament d'un bleu intense, où flamboie l'aveuglant soleil dont nulle vapeur n'atténue l'incomparable éclat.

Une profusion de lumière, un immense lac d'eau vive, quelques glaces flottantes, c'est tout!

Rien qui frappe le cerveau, enthousiasme l'esprit, fasse battre le cœur, étreigne l'âme! Rien qu'un paysage polaire plus silencieux que ceux aperçus jusqu'alors! Rien qu'une étendue banale où la nature ne s'est donnée la peine d'être ni imposante, ni terrible, ni gracieuse, ni surabondante.

Les matelots qui se sont fait une tout autre idée de cette abstraction, jusqu'à lui donner un aspect en rapport avec leur éducation ou même leurs superstitions, à la matérialiser selon leurs aptitudes et leur compréhension, paraissent un moment interdits.

Mais, comme après tout ils sont matelots, que la mer est faite pour naviguer, et non pas pour exécuter un métier d'acrobates sur les montagnes de glace qui la recouvrent, ils se disent non sans raison, par l'organe de Dumas qui résume leur pensée:

– Voici de l'eau, de la belle eau dont que la Méditerranée elle en serait zalouse!

«Assez de glaces, Pécaïré!

«Et vive la mer, Tron dé l'air!..

«Nous sommes tous francs chaloupiers, et nous quitterons volontiers cette mauvaise rosse de glace, pour cette belle eau salée!..

«Pas vrai, camarades!..

– Eh! zou!.. tu as bien dit, maître coq, répondent les autres, et ce qu'on va se paumoyer en bas, si toutefois c'est l'idée du capitaine!..

– Certainement, matelots, c'est mon idée.

«Mais vous prendrez bien le temps de manger, puis de boire la double ration que je vous offre.

– Oh! oui, capitaine, et surtout de la boire à votre santé et à la réussite de votre affaire.»

Ce qui fut fait, et religieusement! Puis, selon l'énergique et pittoresque expression des marins, on se paumoya jusqu'au ras de l'eau, après avoir eu toutefois le soin d'accrocher à un des pics les plus élevés un vaste lambeau de fourrure. Ce signal devait servir «d'amer», c'est-à-dire de point de repère pour indiquer la route du retour, dans le cas où la banquise paléocrystique, en apparence immobile depuis le commencement du voyage, viendrait à se déplacer, sous l'influence possible d'un ouragan et des courants.

La descente fut rude, mais l'adresse et le courage des cinq hommes suppléa au manque presque absolu de moyens. Le chargement fut encore une fois fractionné en fardeaux proportionnés à la vigueur humaine, et déposé au bord de l'eau. Bateau et traîneau suivirent le même chemin, et vinrent s'accumuler près du monceau d'objets composant le «vade mecum» des voyageurs.

Le bateau fut enfin démarré du traîneau. Un divorce! dit le Parisien qui aime toujours à rire.

Il ferait mieux de dire: un changement d'état et de position, car le traîneau de porteur devient porté. Il est installé à l'avant, sur le fond plat de l'embarcation bâtie d'après le modèle des «oumiaks» esquimaux, léger comme eux et comme eux aussi à peu près insubmersible, malgré son excessive mobilité.

Le chargement complet des bagages le fit à peine entrer de quelques centimètres, mais le poids des hommes et celui des chiens l'alourdit sensiblement, tout en lui donnant plus de stabilité.

La journée du 30 avril ayant été employée à l'ascension du dernier rempart de glace et à l'arrimage du bateau, le petit équipage cuisina, dîna et campa encore une fois sur la glace.

Chose singulière ou tout au moins inusitée, ces hommes éreintés, fourbus par cette série de manœuvres, dormirent à peine dans leurs sacs de fourrures.

L'attente du grand événement dont la réalisation est si proche les tint éveillés pendant cette nuit sans ténèbres, et toute conventionnelle, là-bas, où le grand jour de six mois est depuis longtemps commencé.

Le lendemain, le canot fut mis à flot sans peine. Les chiens, heureux et stupéfaits de ne plus sentir la glace sous leurs pauvres pattes gelées et engourdies, se blottirent sans perdre de temps sur les sacs et semblèrent vouloir incruster tout leur corps à cette substance si tiède et si moelleuse.

Chaque homme saisit un aviron et se mit à son poste de nage, le capitaine prit place à la barre, orienta le petit bâtiment, et les yeux fixés à la boussole commanda:

– Nage partout!

Le bateau déborde aussitôt et s'avance sur les flots unis comme un miroir, avec une vitesse de bon augure.

Il pouvait être à ce moment quatre heures du matin.

Très satisfait de cette vitesse apparente, le capitaine voulut se rendre compte de ce qu'elle pouvait être en réalité. Il improvisa avec une ligne et un morceau de cuir amarré en parachute une sorte de loch grossier, mais suffisant. Il calcula la longueur de la ligne, la pourvut de nœuds régulièrement espacés; puis, sa montre à secondes remplaçant le sablier, il mouilla le petit appareil en recommandant aux nageurs de conserver leur vitesse.

L'expérience marcha le mieux du monde et le résultat montra que la nage atteignait une vitesse de quatre milles environ à l'heure, c'est-à-dire près de sept kilomètres et demi (exactement 7 kil. 408 m).

Si le temps se maintient au beau, si la mer continue à être favorable, si enfin il ne survient aucun accident de navigation susceptible de ralentir cette allure, il est possible d'atteindre le pôle en quinze heures.

Quinze heures!.. Les matelots n'en peuvent croire leurs oreilles.

Comment! il suffirait de quinze fois soixante minutes pour échapper à l'obsédante ténacité de cette idée qui, depuis un an, travaille toutes les cervelles.

Dans quinze heures les matelots de la Gallia auraient accompli ce que nul n'a jamais pu réaliser depuis que le monde existe!

Ils seraient riches des largesses de leur capitaine, et célèbres à jamais. Enfin, on commencerait à quitter cet atroce pays des glaces éternelles, pour revenir au pays natal, cette belle France aujourd'hui couverte de feuilles et de fleurs, avec ses ports où le matelot est roi, et où la bordée franche attend celui qu'une longue campagne a enrichi et affamé.

Ah! pardieu! on va souquer dur… à s'en faire éclater le fil des reins.

D'abord, pour faire plaisir au capitaine… le roi des hommes… et puis pour savoir en fin le compte ce que c'est, en réalité, que ce pôle Nord, pour lequel on a dérangé tant de braves mathurins, fait sauter un fier navire comme la Gallia, failli se manger le nez avec les Allemands, et finalement turbiné comme jamais morutiers et baleiniers ne l'ont fait!

Quelque désireux qu'il soit, lui aussi, d'en finir, le capitaine modère cette ardeur, et déclare qu'il sera impossible de conserver pareille vitesse pendant quinze heures. Que l'on devra compter sur un temps presque double, pour permettre à deux hommes sur quatre de se reposer.

Tiens! c'est juste… nul n'avait pensé à cela. Il faudra bien avoir quelques moments de relâche…

A moins que… dame! si on trouvait le fond à une profondeur raisonnable. Il y a deux grappins à bord, avec un bout de drisse. Alors, on verrait à s'ancrer tant bien que mal, de façon à se reposer deux ou trois heures, tout le monde ensemble, après quoi on nagerait de plus belle, jusqu'à ce que la peau des mains vous en pèle!

C'est très juste et le capitaine s'empresse de transformer en sonde, sa ligne de loch, avec un simple morceau de plomb amarré au bout de la ligne.

Il mouille par-dessus bord, après avoir fait stopper, le petit appareil, et constate, avec stupéfaction, que le plomb s'arrête à vingt brasses! exactement trente-deux mètres quarante centimètres, la brasse mesurant un mètre soixante-deux.

Il fait avancer d'une centaine de mètres, et ne trouve plus que dix-sept brasses, vingt-sept mètres cinquante centimètres.

Deux cents mètres plus loin, le fond est par vingt-deux brasses ou trente-cinq mètres soixante-quatre!

Il voudrait bien connaître la nature de ce fond rencontré, contre toute prévision, à une aussi faible profondeur. Mais le bloc de plomb n'est pas creusé inférieurement comme les sondes, pour recevoir un morceau de suif qui ramène des échantillons de vase, de sable ou de grève composant ces fonds.

Plume-au-Vent, un peu mécanicien, se charge d'évider à la halte du soir le grossier instrument, et de le mettre à même de fonctionner.

Le bateau reprend sa marche avec une vitesse très satisfaisante, une absence de brise qui rend la nage facile, et une température autorisant la simple vareuse de laine en usage à bord.

A onze heures, on stoppe pour déjeuner, après avoir vaillamment parcouru environ cinquante et un kilomètres. Comme il n'y a ni brise ni courant, on se contente de déborder les avirons, et de rester tout naturellement en panne.

L'eau sur laquelle flotte le bateau est d'une salure atroce. Bien a pris à Dumas de remplir à tout hasard de neige le digesteur lors de l'appareillage. C'est une trentaine de litres d'eau douce à peine suffisante pour deux jours aux besoins des hommes et des chiens.

Une glace flottante, grosse comme une barrique, passe à portée.

Elle est happée avec un croc et dégustée sans retard. Chose encore plus étonnante que toutes les contradictions auxquelles on se heurte depuis deux jours, cette glace est absolument douce.

La glace douce étant toujours fournie par les glaciers, il y aurait donc à proximité un glacier, c'est-à-dire une terre… à moins que ce morceau perdu au milieu des floebergs, ou glaces de mer salées par conséquent, n'erre depuis de longs mois…

Dumas, à coups de pic, en casse quelques volumineux morceaux, en prévision de la soif et des futurs besoins culinaires.

La profondeur est toujours identique, à quelques brasses près.

A midi, le petit équipage reprend vaillamment sa nage en dépit des ampoules qui font saigner les mains copieusement frottées de graisse de phoque, un remède souverain, paraît-il.

Tout à coup, le capitaine, auquel ses fonctions de timonier donnent quelques loisirs, laisse tomber encore une fois son plomb de sonde et commande de stopper.

– Sacrebleu! voilà qui est étrange, dit-il étonné.

La sonde descend toujours…

«Matelots! nage un peu à culer! la ligne a du biais et s'engage.

Arrivés à pic, les marins, non moins surpris que leur chef, voient la ligne se dérouler encore, presque indéfiniment…

A tel point que la longueur totale disparaît, c'est-à-dire deux cents mètres, et le fond n'est pas encore atteint.

Force est à l'officier de remonter l'engin, sans pouvoir approfondir, du moins pour l'instant, cette singulière et nouvelle contradiction.

La ligne remontée et enroulée, le capitaine commande:

– Nage partout!

A vingt mètres à peine de l'endroit qu'il vient de sonder, il trouve le fond par trente mètres!

De plus en plus stupéfaits, les deux Basques échangent un regard effaré comme s'il y avait là quelque maléfice.

Heureusement que Plume-au-Vent et Dumas, deux fortes têtes, les rassurent par leur aspect imperturbable.

– C'est le trou par où passe l'axe de la terre, s'écrie le Parisien.

– T'es bête! observe Dumas.

«Si nous étions au Pôle, je ne dis pas.

– Alors, c'est un faux coup de tarière, ou bien un des évents du grand puits artésien par ousque les ingénieurs du commencement du monde ont poussé leurs travaux.

– Moi, dit enfin Michel Elimberri le baleinier, rasséréné par les plaisanteries de ses copains, il me vient une autre idée, mais je ne la dirai que ce soir, parce qu'il faut que je la médite afin de ne pas me faire fiche de moi.

– Dis tout de même, mon brave Michel, interrompt le capitaine de sa voix chaude et sympathique.

«Tu es baleinier depuis longtemps, tu connais bien les glaces, tu es enfin homme d'expérience, parle, mon ami, et sois certain que nul ne se moquera de toi.

– Vous êtes bien bon, capitaine, et voici donc la chose telle qu'elle m'apparaît comme çà, en vrai!

«D'abord, y a une chose pas naturelle, c'est de n'apercevoir aucun poisson, gros ou petit, ni aucun autre habitant des eaux ou des airs.

«Donc, pas d'animaux marins, et pas d'oiseaux pour les manger.

«Donc, en fin finale de manière de dire, y a là, je réitère, une chose pas naturelle et que la mer ousque nous bourlinguons n'est pas la vieille amie du matelot, celle qu'est un monde plus grand, plus beau, plus varié, plus peuplé que n'importe pas quel monde de dessus la terre.

«Comprenez, c'pas, capitaine?

– Parfaitement, Michel, et ce que tu dis m'a déjà beaucoup frappé.

«Continue.

– Or donc, capitaine, voici l'opinion que je me fais depuis que les camarades ont parlé, après votre coup de sonde extraordinaire.

«C'est que la mer ousque flotte le canot n'est pas une mer, mais une espèce d'eau salée qu'a un double fond.

– Bravo! Michel… Je crois, mon ami, que tu as découvert du premier coup le mystère.

– Or donc, reprend avec son expression favorite le matelot encouragé par l'approbation de son chef, voici la chose qui me fait penser à un double fond.

«Toute montagne de glace flottante cache sous les eaux deux fois la hauteur qu'elle laisse apercevoir au-dessus.

«De telle sorte qu'un iceberg qui sort de vingt mètres s'enfonce de quarante… Y a pas un mousse de baleinier pour ignorer ça.

– C'est parfaitement juste.

– Or donc, la banquise que nous venons de quitter, nous a offert à franchir des versants, notamment le dernier, qui s'élevait d'au moins cent mètres au-dessus du niveau de la mer.

«Par conséquent, ce tiers de glace escaladé par nous se prolonge au moins de deux cents mètres dans l'eau.

– Très bien!

– Je n'apprendrai rien de neuf aux camarades en leur disant que les banquises, surtout celles d'un pareil calibre, se prolongent non seulement à pic, de haut en bas, mais encore et surtout «horizontalement».

«Eh bien, je veux perdre ma part de haute paye, si cette portion de mer déserte n'est pas une espèce de lac enfermé au milieu des glaces, et résultant soit de la fonte partielle des vieilles glaces, soit de leur affaissement également partiel.

«Voilà pourquoi, à mon avis, le capitaine trouvait le fond entre vingt-cinq et trente brasses.

– Mais, objecte Plume-au-Vent, tu oublies le coup de sonde de cent quarante brasses.

– Au contraire!

«L'endroit par où est passée la sonde qui s'est brusquement enfoncée de deux cents mètres communique directement avec la mer, la vraie, celle-là, et qui alimente notre lac.

– Je veux bien! mais, qui l'a creusé?

– C'est peut-être un ancien trou à phoque élargi au contact d'eaux plus chaudes qui en ont rongé les bords…

«Peut-être un éclatement du banc de glace sur une roche de fond… je ne sais pas au juste.

«Le malheur est que nous n'ayons pas une vraie sonde avec seulement cinq cents brasses de ligne…

«Alors on verrait voir le véritable fond et tréfond de cette vieille mâtine de mer qui nous monte le coup, avec ce firelin d'océan qui se donne des airs de baie d'Arcachon!

«C'est tout!.. sauf vot' respect, et le devoir de vous obéir, capitaine.

– Bien parlé, Michel!

«Je crois que tu as de plus en plus raison.

«Reste à savoir si ce lac dans les glaces va se prolonger longtemps.

«L'horizon est si borné, grâce à notre faible élévation, que nous n'en pouvons rien voir.

… On avait recommencé à souquer dur, malgré la fatigue. Mais le capitaine, ayant doublé la ration de vieux rhum, avait par ce moyen augmenté le rendement en calorique des machines humaines.

A six heures néanmoins il fallut stopper, sans avoir pu maintenir au bateau la vitesse considérable conservée pendant la journée.

Le chiffre de kilomètres parcourus s'éleva néanmoins à quarante, ce qui, avec les cinquante et un enlevés le matin, donne le total de quatre-vingt-onze!

L'expédition française n'est plus qu'à vingt kilomètres du pôle Nord!

Le capitaine fait prendre sans plus tarder les dispositions pour la nuit. Les chiens, ankylosés par une marche de douze heures, sont débarqués ainsi que trois hommes sur un glaçon flottant, où ils peuvent s'ébattre, cabrioler et se livrer aux exercices familiers aux toutous après réclusion.

Les hommes reviennent au bateau prendre la place de leurs camarades qui aspirent aussi à quelques minutes d'exercice et de… solitude, puis chacun réintègre le bord.

Les deux grappins sont facilement mouillés sur le fond que chacun, depuis la démonstration du Basque, pense être de la glace. Puis, le bateau immobilisé, la cuisine de Dumas absorbée, le grog au rhum dégusté bouillant, quatre sur cinq des membres de l'expédition se glissent dans leurs sacs et s'endorment à poings fermés, pendant que le cinquième veille à la sécurité de l'esquif, éventuellement menacé par la rencontre des glaçons flottants.

Tout va bien; la sentinelle relevée d'heure en heure ne constate rien d'anormal. Réveil général à quatre heures… du matin pour ne pas oublier que le jour se compose de deux fois douze heures.

Cependant, le capitaine qui pendant son heure de veille avait pris sa latitude et calculé minutieusement son observation semble tout inquiet.

Rien d'anormal, pourtant.

Rien… du moins pour les matelots qui ne connaissent point l'usage des instruments nautiques dont la précision les étonne toujours.

Cette précision vient de révéler au capitaine que, pendant ce court espace de temps écoulé entre les deux dernières observations astronomiques, les montagnes de glaces entrevues au midi, le bateau, la mer elle-même ont dérivé de trois minutes vers l'Est.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
30 haziran 2017
Hacim:
490 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain

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