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Kitabı oku: «Borgia», sayfa 28

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LX. LE PORT D’OSTIE

Au moment où Ragastens montait à cheval, Giacomo lui fit ses adieux.

– Tout ce que je pourrais vous dire pour vous détourner de ce voyage serait inutile, ajouta-t-il. Je vais de mon côté me rendre à Caprera pour reprendre mon service auprès de la signora Lu-crèce, car je n’en ai pas fini avec elle.

– Pourquoi ne pas faire route ensemble ?

– La signora le saurait infailliblement et cela suffirait peut-être à vous faire échouer dans votre projet, quel qu’il soit ; cela suffirait en tout cas pour me faire assassiner. Seulement, voici ce que je voulais vous dire… Sur la gauche du château, en longeant le bord de la mer, il y a, à un quart de lieue environ, quelques ca-banes de pêcheurs. Entrez dans la troisième de ces cabanes, dites que vous venez de la part de Giacomo, et vous serez bien reçu. Partout ailleurs, vous seriez dénoncé.

Ragastens serra vigoureusement la main du vieillard et par-tit. De Rome à Ostie, la distance n’est guère que de quelques pe-tites lieues. Ragastens fit rapidement le trajet et arriva en pleine nuit au port.

Il fallait passer la nuit à Ostie. Ragastens chercha des yeux une auberge où il pût s’abriter avec Spadacape. Mais toutes les lumières étaient éteintes.

– Nous allons donc passer la nuit à la belle étoile ?

– Monsieur, dit alors Spadacape, si vous voulez me suivre, je me charge de vous trouver un abri.

– Tu connais donc Ostie ?

– Eh ! Monsieur, dans mon ancien métier, il fallait prévoir un peu tout ce qui pouvait arriver. Et dans ce tout, la possibilité d’une fuite par mer tenait naturellement sa place. Nous étions en accointance avec certains mariniers de la côte, et je crois que c’est parmi eux que nous trouverons notre affaire pour le voyage de Caprera.

Quelques minutes plus tard, Spadacape s’arrêtait devant une maison basse, de sinistre apparence, dont la porte et les fe-nêtres étaient soigneusement fermées.

Spadacape et Ragastens avaient mis pied à terre devant la porte. Le premier siffla d’une façon particulière et, presque aus-sitôt, la porte s’entrouvrit, un homme parut. Il eut un moment d’effarement et de soupçon en apercevant deux cavaliers qui avaient tout l’air de gens de guerre. Mais Spadacape s’approchant de lui prononça à voix basse quelques paroles. Il se rassura aussitôt et, frappant dans ses mains, appela une sorte de domestique.

– Conduis à l’écurie les chevaux de ces seigneuries.

– Si leurs seigneuries veulent prendre la peine d’entrer… dit le patron de l’auberge.

Et il s’effaça pour les laisser pénétrer dans une salle basse. Cette salle était garnie de tables et de bancs. Sur les tables, des brocs et des gobelets d’étain. Sur les bancs, des marins et quelques filles.

À l’entrée de Ragastens et de Spadacape, il se fit un instant de silence plein de défiance ; mais le patron esquissa de la main quelques signes mystérieux et les hôtes du bouge, sans plus se soucier des nouveaux arrivés, reprirent leurs conversations.

Spadacape et Ragastens avaient été s’asseoir à une table inoccupée. Le patron apporta sur la table une cruche et deux go-belets.

– Tu m’avais dit qu’ici nous trouverions des marins pour nous transporter à Caprera, dit Ragastens.

– Attendez, monsieur… D’abord, soyez sûr qu’aucun patron de tartane ou de goélette ne voudra vous embarquer si vous dites que vous allez à Caprera.

– Pourquoi cela ?

– Parce que la signora Lucrèce déteste les curieux, c’est une femme de précaution et tous les marins de la côte savent ce qu’il en coûte de conduire des étrangers trop près de son château…

– Comment faire, alors ?…

– Rappelez-vous, monsieur, que le digne patron de cette au-berge nous a accueillis parce que nous sommes en fuite ; nous al-lons en Sardaigne ; du moins, je le lui ai fait croire quand je lui ai parlé tout à l’heure. Dans quelques minutes, tous les marins qui sont ici vont le savoir. Et alors, nous n’aurons que l’embarras du choix.

– Attendons, en ce cas !

L’attente ne fut pas longue. En effet, au bout de quelques minutes, un vieux marin à barbe grise s’approcha, en se dandi-nant, des deux hommes, et sans y être d’ailleurs invité, prit place auprès de Ragastens, se versa un plein gobelet de vin qu’il vida d’un trait.

– Je suis le patron de la Stella, fine mouche qui file vent de-vant comme hirondelle de mer ; je m’appelle Giuseppo.

Ragastens salua gravement de la tête.

– Et comme ça, reprit le marin, il paraît que la terre du con-tinent vous brûle les pieds ?… Et alors, vous ne seriez pas fâchés d’aller voir ce qui se passe en Sardaigne ?

– Tout juste.

– Alors, si le cœur vous en dit, je vous embarque à bord de la Stella. Nous levons l’ancre à quatre heures du matin. C’est deux ducats seulement pour chacun de vous… Un ducat payé au dé-part ; l’autre en débarquant…

– Ce prix me convient, dit Ragastens.

– Bien ! dit Giuseppo. N’oubliez pas : à quatre heures.

– Nous n’aurons garde !

LXI. LA TARTANE « LA STELLA »

Deux heures plus tard, Ragastens et Spadacape quittèrent à leur tour l’étrange cabaret. Ils se rendirent sur le port, Spadacape conduisant en main les deux chevaux. Ils ne tardèrent pas à trou-ver la Stella accotée à une sorte d’appontement.

Les chevaux furent embarqués. Car tout était prévu par les patrons de ces petits bâtiments qui se livraient à des commerces de toute nature. À quatre heures du matin, comme il l’avait dit, le patron Giuseppo fit larguer les amarres et leva l’ancre.

Pourtant il avait l’air embarrassé…

– À propos, j’ai oublié cette nuit de vous prévenir… Oh !… ce n’est pas grave. Nous allons en Sardaigne ; nous y allons même directement ; mais je pense que cela ne vous ennuiera pas trop que je m’arrête en route…

– Vous arrêter ?… Où cela ?…

– Oh ! Le temps de tirer quelques bordées devant Caprera, de toucher l’île, puis nous repartons aussitôt !

– Vous touchez Caprera ? s’écria Ragastens.

– Je réponds de tout, fit le patron à voix basse. Il n’y a aucun danger. Et d’ailleurs, je n’arrêterai que pour déposer deux passa-gers.

Le cœur de Ragastens se mit à battre violemment. Il pâlit un peu. Giuseppo remarqua cette pâleur :

– Ne craignez donc rien ! Les deux passagers sont inoffen-sifs… Un jeune homme et une vieille femme.

– Et ils vont à Caprera ?

– Oui ! J’ai fait marché avec eux hier soir et ils ont passé la nuit à bord. Peut-être bien qu’ils avaient plus que vous encore in-térêt à se cacher.

– Où sont-ils ?

– Dans les cabines que je leur ai aménagées à l’avant… Mais enfin, cela ne vous ennuie pas, n’est-ce pas, que je touche Capre-ra ?

– Non… au contraire.

Giuseppo regarda Ragastens d’un air étonné. Il ne compre-nait pas. Mais en homme habitué à respecter tous les secrets du moment qu’on le payait, il se tut. Ragastens était demeuré tout étourdi.

– Où est ma cabine, à moi ? demanda-t-il au bout d’un ins-tant.

– Là… Descendez par cette écoutille… vous trouverez deux bons hamacs, si vous voulez vous reposer.

– J’en ai grand besoin… À propos, patron Giuseppo, il est inutile, vous entendez bien, que vos passagers connaissent ma présence à votre bord.

– Compris ! fit le marin en clignant des yeux.

Ragastens fit signe à Spadacape de le suivre et s’enfonça par une petite échelle dans l’écoutille qui lui avait été indiquée.

– Spadacape, dit Ragastens, lorsqu’ils furent seuls, il y a deux passagers à bord.

– Je le sais, monsieur, j’ai entendu.

– Ces deux passagers débarquent à Caprera !…

– Oui ! Eh bien, ce sera pour nous une bonne occasion !

– Spadacape, il faut absolument savoir qui sont ces deux passagers et ce qu’ils vont faire à Caprera.

– C’est à quoi je pensais, monsieur.

Tout en causant, Spadacape furetait dans l’étroit espace que le patron de la Stella avait pompeusement appelé une cabine et n’était guère qu’un réduit servant de débarras.

Spadacape finit par découvrir dans un coin un vieux bonnet phrygien et une chemise avec une ceinture rouge de matelot.

– Voilà mon affaire ! murmura-t-il.

En dix minutes, il eut opéré sa transformation et apparut les jambes nues, la poitrine découverte, le bonnet phrygien sur la tête. Ainsi habillé – ou déshabillé – il ne se distinguait en rien des autres matelots de la Stella.

– Monsieur le chevalier, dit-il, ne bougez pas d’ici et ne vous montrez pas. Avant une heure, je vous apporte des renseigne-ments exacts.

Sur ce mot, Spadacape monta par la petite échelle sur le pont. Il se dirigea vers l’avant du navire. À l’avant, s’ouvrait une écoutille semblable à celle de l’arrière. Près de l’écoutille se dres-sait un rouleau de cordages. Spadacape s’allongea près de ces cordages, comme un matelot désœuvré qui s’apprête à faire un bon somme. Et il manœuvra de telle sorte que sa tête, peu à peu, se trouva placée sur le rebord de l’écoutille.

D’abord, il ne vit rien. Puis, ses yeux s’étant accoutumés à l’obscurité du réduit, Spadacape finit par apercevoir dans l’angle le plus noir une vieille femme qu’il pensa n’avoir jamais vue. Près d’elle, un jeune homme qu’il reconnut aussitôt pour l’avoir aper-çu de loin dans les cortèges du pape, les jours de cérémonie. C’était l’abbé Angelo qui passait à Rome pour l’un des grands fa-voris de Sa Sainteté.

Pendant plus de deux heures, Spadacape guetta, écouta. Mais il ne vit rien, n’entendit pas un mot qui pût lui laisser entre-voir les intentions des deux voyageurs. Désormais rassuré, il se leva, revint auprès de Ragastens.

– Eh bien ? demanda celui-ci.

– Rien à craindre, monsieur le chevalier. J’ai reconnu l’homme : c’est un jeune abbé qui fait partie de la maison du pape, l’abbé Angelo. Quant à la femme, acheva Spadacape, je ne la connais pas ; mais j’ai tout lieu de supposer que c’est quelque gouvernante, ou quelque domestique de la signora Lucrèce.

– Et ils ne se disent rien ?…

– Rien.

Vers six heures du soir, la tartane était en vue de Caprera. Ragastens monta sur le pont et se dissimula dans l’angle formé par la pointe du navire qu’encombraient des rouleaux de cordes. Il tenait à jeter un coup d’œil sur l’abbé et la vieille femme qui l’accompagnait.

La côte de Caprera était visible, avec son hérissement de ro-chers à pic que dominait la masse blanchâtre du château de Lu-crèce. Ragastens contempla avidement le vaste bâtiment, que protégeaient des murailles épaisses.

Ragastens fut soudainement distrait de ses pensées par un mouvement que fit la tartane, sur un commandement du patron Giuseppo. Brusquement, le bâtiment vira de bord. Ragastens, étonné de ces mouvements qu’il ne comprenait pas appela Giu-seppo. Celui-ci s’approcha.

– Vous n’abordez donc pas ?…

– Pas encore ; et, en attendant, je tire quelques bordées pour ne pas m’éloigner.

– Quand aborderez-vous ?

– À la nuit.

– À la nuit ! pensa Ragastens. Les deux voyageurs ont donc intérêt à ne pas se montrer ?…

Cependant le soleil s’était couché. Pendant deux heures en-core, la tartane manœuvra devant Caprera. La nuit était venue, une nuit noire, sans lune. La tartane, tout à coup, se mit à filer droit sur les rochers ; près d’une heure plus tard, elle amena ses voiles, mais sans mouiller l’ancre. Le canot qui suivait à l’arrière fut amené bord à bord, contre une échelle de corde jetée au flanc du bâtiment.

Alors Ragastens vit paraître les deux mystérieux voyageurs qui allaient être déposés à Caprera. Mais il n’eut pas le temps de les examiner. Déjà ils étaient dans le canot qui s’éloigna, conduit à force de rames par deux marins de la Stella.

– Vous voyez, dit Giuseppo à Ragastens que la chose n’aura pas été longue. Dans une demi-heure, le canot sera de retour et nous filons sur la Sardaigne.

– Où est le château ? demanda Ragastens.

– Oh ! nous l’avons laissé à une bonne lieue sur la droite.

Ragastens ne dit plus rien et attendit le retour du canot. Au bout d’une demi-heure, comme l’avait dit Giuseppo, un bruit de rames se fit entendre.

Giuseppo poussa un soupir de satisfaction. Car il n’était qu’à demi rassuré tant qu’il se trouvait dans les eaux de Caprera.

– Nous allons pouvoir partir, dit-il. Sur quel point de la Sar-daigne voulez-vous que je vous dépose ?

– Je ne vais pas en Sardaigne ! dit Ragastens.

– Ah bah !… Et où, alors ?

– Vous allez me débarquer ici, à Caprera.

Le patron de la Stella fut très probablement étonné de ce brusque changement, mais il n’en laissa rien paraître.

– À votre aise, dit-il simplement. Voici le canot bord à bord, vous n’avez qu’à descendre.

– Oui, mais avant de vous quitter, je voudrais vous dire quelques mots de façon que nul ne nous entende.

– Suivez-moi ! dit Giuseppo avec la même tranquillité.

Quelques instants plus tard, Giuseppo et Ragastens se trou-vaient installés dans la petite chambre du patron.

– Voulez-vous gagner une petite fortune d’un seul coup ?

– Votre Seigneurie n’a qu’à parler… Que faut-il faire ?

– Je descends à Caprera ; je vais y rester quelques jours ; deux ou peut-être dix ; je ne sais pas exactement… Il me faut un bâtiment pour le retour… Voulez-vous croiser en vue de la côte jusqu’à ce que je vous fasse signe de m’envoyer le canot ?…

– Oui ! dit Giuseppo : ce sera dix ducats par jour.

– Dix ducats, soit ! Plus une somme de cinquante ducats le jour où je toucherai l’Italie.

– Je suis votre homme ! fit-il. Écoutez, lorsque vous aurez besoin du canot, si c’est le jour, tirez trois coups d’arquebuse du haut du rocher devant lequel vous allez aborder ; si c’est la nuit, allumez trois feux sur le rocher…

Ragastens acheva de s’entendre avec le patron de la Stella. Puis il remonta sur le pont.

– Et vos chevaux ? demanda alors Giuseppo.

– Ils resteront à bord ; ils nous seraient inutiles à terre.

Puis suivi de Spadacape, Ragastens descendit dans le canot qui, vingt minutes après, toucha le sable d’une étroite plage.

Ragastens escalada aussitôt la falaise du rocher ; il trouva en haut une route qui suivait le bord de la mer. Ils se mirent à mar-cher d’un bon pas. Bientôt ils arrivèrent à une sorte de hameau sans doute habité par des pêcheurs et composé d’une douzaine de cabanes.

Ragastens chercha la cabane indiquée par Giacomo. Et quand il l’eut trouvée, il remarqua qu’elle était encore éclairée, tandis que tout le hameau était plongé dans l’obscurité. Il frappa à la porte.

Un homme parut, une lanterne à la main.

– Que demandez-vous ? demanda-t-il d’un ton rude.

– Nous venons de la part de Giacomo, répondit Ragastens.

– Entrez ! dit l’homme. Vous allez trouver l’autre personne qui vient comme vous.

Ragastens entendit mal cette partie de la réponse, ou il ne la comprit pas. Il entra, suivi de Spadacape, et se trouva dans une pièce assez étroite.

Près d’une cheminée, bien qu’il n’y eût en réalité pas de feu, une femme assise tendait ses mains vers l’âtre. Spadacape saisit le bras de Ragastens et lui montra cette femme :

– La vieille qui était à bord de la Stella ! murmura-t-il.

– La Maga ! s’exclama-t-il.

LXII. L’AILE DE LA MORT

Alexandre Borgia menait dans le château de sa fille l’existence d’un condamné. Chez ce vieillard qui, jusqu’alors, avait donné des preuves constantes d’une incroyable énergie mo-rale, s’était produite soudain une dépression des facultés de l’esprit. Tous les soirs, avant de s’endormir il se verrouillait soli-dement. Il était rare qu’il dormît deux nuits de suite dans la même chambre.

Peu à peu, pourtant, le pape se rassurait. Lucrèce, d’ailleurs, s’ingéniait à lui démontrer que, dans ce château si bien gardé, il n’avait rien à redouter.

Le vieillard, au bout de quelques jours, s’enhardit jusqu’à descendre seul, le soir, à la nuit, dans son jardin qu’il avait tout de suite pris en affection parce qu’il lui rappelait les jardins de Tivoli. Comme à Tivoli, il aimait à se promener seul.

Un soir donc, le pape était descendu dans le jardin où il ai-mait à méditer. Il allait lentement, par les allées, caressant de ses doigts les fleurs qui dressaient leurs têtes vers la fraîcheur. La nuit vint.

Alexandre Borgia s’assit sur un banc, sous un massif d’arbustes, et aspira à pleins poumons la brise nocturne qui en-traînait avec elle des parfums de myrtes, de lentisques mêlés à des parfums d’algues marines. Il sentait un immense repos en-trer dans son esprit.

Soudain il demeura cloué sur place, hagard, une sueur froide au front…

Du bout de l’allée, un fantôme blanc s’avançait lentement… C’était le fantôme d’une femme… Sa longue robe blanche traînait sur le gravier de l’allée sans faire de bruit… Une écharpe blanche couvrait à demi son front… Mais la lune éclairait en plein son vi-sage doux et triste.

– Honorata ! murmura le vieillard.

Il n’avait plus la force de faire un geste. Il était pétrifié par cette apparition.

Lentement, silencieusement, le fantôme s’avançait.

Il voulut crier. Le son expira dans sa gorge.

Le fantôme s’approcha encore. Il passa devant Borgia, tout près de lui. La robe blanche frôla le vieillard…

Ses yeux exorbités ne la perdaient pas de vue… La femme s’éloigna lentement, et enfin disparut… Alors, le pape poussa un grand cri et tombant à la renverse sur le banc s’évanouit.

Quand il revint à lui, sa fille, des serviteurs l’entouraient.

– Qu’avez-vous, mon père ? s’écria Lucrèce.

Mais il ne voulut rien dire. Il se hâta de remonter dans son appartement, soutenu par deux serviteurs. Et ce fut quand il se vit seul avec Lucrèce qu’il se décida à parler :

– C’est fini, ma fille, balbutia-t-il.

– Mais au nom du ciel, mon père, que vous est-il arrivé ?… Reprenez courage !…

– C’est fini !… Plus de courage ! Plus rien !… C’est fini, te dis-je !… Car l’aile de la mort m’a touché ce soir !…

Le fantôme blanc qui avait frôlé de sa robe le vieux Borgia épouvanté s’était enfoncé dans les profondes allées du jardin, pendant que Lucrèce, en toute hâte, faisait remonter son père dans son appartement. Il avait gagné une porte de l’aile droite du château et, ayant monté un étage, était entré dans une chambre vaste, mais simple.

Quiconque avait connu la comtesse Honorata, morte empoi-sonnée par le pape, eût cru la voir revivre en cette jeune femme.

Ce fantôme, en effet, ou plutôt cette femme, c’était la fille de la comtesse, c’était Béatrix, c’était Primevère… Depuis qu’elle était enfermée dans le château de Caprera, elle vivait pour ainsi dire séparée du reste du monde.

Les huit premiers jours s’étaient passés ainsi pour la prison-nière dans la dissolvante et terrible misère morale que créent la solitude et le silence absolus.

Un jour, la servante ne vint pas : ce fut Lucrèce qui entra dans la chambre. Primevère, d’un geste rapide s’assura que son petit poignard était bien à sa place. Elle s’attendait à voir entrer César derrière Lucrèce. Il n’en fut rien.

Rassurée sur ce point, Primevère dédaigna dès lors de fixer son regard sur sa visiteuse. Celle-ci la contempla en silence pen-dant quelques minutes.

– Vous ressemblez admirablement à la comtesse votre mère… On vous prendrait pour elle… si ce n’est qu’elle avait les traits fatigués… par les chagrins… sans doute, et les cheveux presque blancs.

Lucrèce continua après un long silence :

– Je suis venue m’enquérir auprès de vous de ce que vous pourriez désirer… Vous me rendrez cette justice que je ne vous ai point maltraitée… À propos, je vous annonce la prochaine visite de mon frère César…

Un imperceptible tressaillement de Primevère apprit à Lu-crèce attentive que le coup avait été rude. La fille de Borgia eut un petit rire satisfait.

– Est-ce que cette visite vous contrarie ? demanda-t-elle en exagérant le ton de l’inquiétude. Ce serait dommage. Il vous aime tant, ce cher César !…

Mais Primevère s’était reprise et immobilisée. Puis Lucrèce avait regagné son appartement en méditant :

– Oui !… Elle ressemble à sa mère d’une manière frap-pante… Qui sait si cela ne pourra pas me servir…

Des journées s’écoulèrent encore, effroyables pour Prime-vère, condamnée au silence dans cette chambre où elle était en-fermée à clef. Sa seule consolation était de se mettre à la fenêtre. Alors, pendant des heures, elle examinait l’horizon.

Elle en venait à souhaiter ardemment de pouvoir parler à quelqu’un, à n’importe qui, ou encore de pouvoir, ne fût-ce que pendant quelques minutes, se promener dans les allées de ce beau jardin qu’elle avait sous les yeux.

Un matin, à son réveil, elle ne trouva plus ses vêtements. À leur place, une longue robe blanche, un voile blanc… Primevère prit d’abord la résolution de rester couchée. Il lui semblait que cette étrange substitution de vêtements cachait quelque piège abominable. Mais bientôt elle redouta de ne point être habillée, prête à la défense. Et elle revêtit la robe blanche.

Une heure plus tard, elle vit entrer Lucrèce.

– Je ne vous importunerai pas longtemps, dit Lucrèce avec une singulière douceur. Je veux seulement vous dire qu’à partir d’aujourd’hui, tous les soirs, vous serez libre de descendre vous promener au jardin…

Une grande défiance s’éleva dans l’esprit de Primevère contre cette douceur. Le soir, lorsqu’elle entendit qu’on lui ou-vrait sa porte, elle demeura dans sa chambre. Le lendemain et le surlendemain elle résista encore. Enfin, elle s’abandonna…

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
30 ağustos 2016
Hacim:
510 s. 1 illüstrasyon
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