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Kitabı oku: «Borgia», sayfa 4

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– Je veux que ce soit terrible. L’assassin, quel qu’il soit, du peuple ou de la noblesse, fût-il même quelque puissant seigneur, même un de nos parents, l’assassin subira le supplice dont j’ai dicté tout à l’heure l’ordonnance : il aura les ongles arrachés, la langue coupée, les yeux crevés, et demeurera exposé ainsi au po-teau d’infamie jusqu’à ce que mort s’ensuive. Alors, on lui arra-chera le cœur et le foie pour les jeter aux chiens, puis le cadavre sera brûlé et les cendres jetées au Tibre…, Cela te paraît-il suffi-sant, César ?… Parle !

César garda le silence. Il était seulement un peu pâle. Le pape reprit :

– Ah ! mon pauvre François ! Quand je songe que l’autre soir, plein de vie et de gaîté, il vint me trouver… et que je lui con-seillai d’aller passer la soirée chez ta sœur Lucrèce… Ah ! maudit conseil… Car c’est sûrement en sortant du Palais de Lucrèce qu’il a été tué… pauvre François ! Si bon ! Si tendre !… Mon cœur en saigne… Mais tu ne pleures donc pas, César ?…

– Mon père, j’attends, pour vous parler de choses sérieuses que vous ayez fini de jouer la comédie…

– Per bacco ! Que signifie !…

– Cela signifie que la mort de François vous enchante ou si-non je ne comprends plus, moi !

– Malheureux enfant ! Comment peux-tu penser de pareilles abominations ! Tu outrages ma douleur !

– François vous gênait, mon père, reprit César en haussant la voix. Fourbe, lâche, imposteur, indigne de ce nom de Borgia qu’il portait, ennemi en secret de votre gloire et de votre gran-deur, impuissant conspirateur, ne sachant ni aimer ni haïr, il nous déshonorait, mon père ! Sa mort est la bienvenue !

– Conspirateur ?… Tu dis qu’il conspirait ?…

– Vous le savez aussi bien que moi, mon père !

– N’importe ! Le crime est atroce et doit être puni ! Tu m’entends, César ?… Quoi qu’ait pu faire contre nous le pauvre François, il est intolérable que quelqu’un au monde ait osé porter la main sur un Borgia ! Un châtiment exemplaire doit apprendre à l’univers que les Borgia sont inviolables !

– Je suis de votre avis, mon père, dit froidement César. Aus-si, je vous jure que l’assassin sera retrouvé : c’est moi-même qui m’en occupe !

– Alors je commence à me tranquilliser, César… Si après avoir réduit la noblesse et muselé le peuple, si après avoir dompté l’Italie et mis Rome dans une cage, nous laissons assassiner, ce n’est pas la peine d’avoir fait ce que nous avons fait !… Seul, un Borgia peut toucher à un Borgia !

– Mon père, votre sagesse est infinie et je m’incline hum-blement devant votre génie. François nous trahissait…

– La Providence l’en a puni avec une sérénité qui fait trem-bler de douleur mon cœur paternel…

– Maintenant que nous avons réglé la question des justes vengeances…

– Tu retrouveras l’assassin, n’est-ce pas, César ? Promets-le-moi pour me tranquilliser.

– C’est juré, mon père… et vous savez ce que valent les ser-ments d’un Borgia… quand il y va de son intérêt !… Maintenant que cette question est réglée, je voudrais connaître un détail qui m’échappe…

– Parle, César.

– Vous avez dit que François conspirait, et que sa mort vous délivrait d’un danger.

– Per bacco ! C’est toi qui as dit cela !

– Oui, mais vous l’avez pensé. Mettons que vous l’ayez dit par l’intermédiaire de ma bouche…

– Soit, admettons-le… Après ?…

– Eh bien, mon père, achevez de m’éclairer : avec qui cons-pirait François ? Il est important que je le sache…

Le pape réfléchit quelques instants.

– Mon fils, dit-il enfin, il n’est que trop vrai que François avait fait alliance avec nos pires ennemis…

– Nommez-les, mon père !

– Te les nommer ! s’écria-t-il. Comme tu y vas ! Si je pouvais te les nommer, la besogne serait trop facile !

– Ainsi, vous ne savez pas le nom des conspirateurs ?

– Je sais que l’on conspire, voilà tout !… Je sais qu’on veut ma mort – et la tienne, César !… Je sais que les traîtres avaient mis leur confiance en ton frère François… que la divine Provi-dence ait pitié de son âme…

– Songeons à nous, mon père !

– Juste, per bacco !… Et, à ce propos, il m’est venu une idée.

Les idées du pape étaient généralement funestes à ceux à qui il les confiait. César ne l’ignorait pas.

– Je songe à te marier ! fit tout à coup le vieux Borgia.

César éclata de rire, rassuré.

– Quel mal vous ai-je fait, mon père ? s’écria-t-il.

– Ne plaisante pas, César… Je connais tes goûts, je sais que le sacrement du mariage inspire à ton indépendance une répul-sion que je ne veux pas contrarier… Donc, si je te parle d’un ma-riage possible, c’est que j’y vois le moyen de consolider à jamais notre puissance…

– Je vous écoute, mon père ! dit César redevenu attentif et sérieux.

– Écoute, César, il m’arrive parfois de regarder derrière moi dans ma vie et de me rappeler tout ce que j’ai fait pour la gloire et la fortune de notre maison…

La voix du vieillard devint rocailleuse… sa figure s’assombrit.

– Alors, César, il me semble que des fantômes se mettent à rôder autour de moi !… Des princes, des comtes, des évêques, des cardinaux… toute une ronde infernale de têtes livides qui me me-nacent… tous ceux qui sont tombés autour de nous, par le fer ou par le poison… Les Malatesta, les Manfredi, les Vitelli, les Sfor-za… tous sortent de leurs tombeaux et me disent : « Rodrigue Borgia, quiconque tue sera tué ! Borgia, tu périras par le poi-son !… »

– Mon père !… Chassez ces puériles imaginations…

– César ! César ! murmura le pape en saisissant la main de son fils, j’en ai l’horrible pressentiment : je mourrai avant peu… et c’est par le poison que je mourrai !… Tais-toi !… Laisse-moi achever ! Que je meure, moi, ce n’est rien ! Mais toi !

– Suis-je donc menacé ?…

Le pape jeta à son fils un de ces coups d’œil en dessous qui lui étaient familiers et vit que la terreur commençait à faire son œuvre dissolvante dans l’esprit de César.

– Enfant ! s’écria-t-il. T’imagines-tu donc que ce soit à moi qu’on en veut ? Allons donc ! S’il n’y avait que moi, on me laisse-rait mourir de vieillesse… car je suis usé… Mais toi ! Toi !… Le digne héritier de ma puissance ! Toi, qui as conquis les Ro-magnes ! Toi, qui rêves de restaurer l’empire de Néron et de Cali-gula ! Toi, César, mon fils, c’est toi que l’on veut atteindre, et pour te frapper plus sûrement, il faut que je disparaisse le pre-mier…

– Par l’enfer ! gronda César, avant qu’on ait touché à un cheveu de votre tête, mon père, j’incendierai l’Italie, du cap Spartivento jusqu’aux Alpes !…

– Il y a mieux à faire, César ! reprit le pape dont l’œil noir s’éclaira de satisfaction.

– Parlez… je suis prêt à tout !

– Eh bien, César… ce mariage… il arrangerait tout !

– Encore faut-il que je sache…

– Le nom de celle qui nous apportera en dot la pacification de l’Italie et la certitude de notre puissance consolidée ? Je vais te le dire : c’est la fille du comte Alma… Béatrix !

– La fille du comte Alma !… fit César étonné.

– Tu la connais ?

– J’ignorais même que le comte eût une fille !… Mais, mon père, comment pouvez-vous supposer qu’une alliance soit pos-sible entre les Borgia et les Alma ?… Vous disiez que j’ai conquis les Romagnes… C’est vrai, mais je n’ai pu faire capituler la cita-delle de Monteforte, qui a résisté à six assauts et à un siège de quatorze mois ! Le comte Alma, seigneur de Monteforte demeure debout, insolent, superbe, comme une perpétuelle menace…

– Eh ! tu mets le doigt sur la plaie… Monteforte est devenu le rendez-vous de tous les mécontents… de tous ceux que nous avons dépossédés et dépouillés. Intrigant, actif, courageux, le comte Alma a concentré autour de lui, en un faisceau, les haines et les rancunes éparses dans l’Italie… Vois-tu bien l’intérêt que nous avons à ce que Béatrix devienne ta femme ?…

– Jamais le comte n’y consentira…

– Tu l’y obligeras.

– Comment ?

– En enlevant sa fille, d’abord.

César, soucieux, le front barré d’un pli de défiance, cher-chait dans sa tête les arguments pour se dispenser de cette opéra-tion qui lui souriait médiocrement. L’amour sauvage qui, d’heure en heure, grandissait dans ce cœur, n’y laissait plus de place pour l’aventure proposée.

– Marcher sur Monteforte, reprit le pape, avec des forces suffisantes, s’emparer de ce dernier rempart, tenir le comte à ta merci, et alors lui proposer d’épouser sa fille : c’est un coup ma-gnifique, superbe… C’est la fin des révoltes… c’est l’apaisement définitif… la déroute de nos ennemis désormais découragés…

» La fille est belle, sais-tu ?… Cette Béatrix est jolie à dam-ner un pape !…

César haussa les épaules. Le pape se leva.

– Je vois que cette affaire ne te convient pas…

César demeura muet, obstiné.

– Soit ! reprit le vieux Borgia en dardant sur lui un regard empreint d’une inexprimable malice. J’y renonce… Je trouverai bien le moyen de me défendre et de te défendre aussi, sans t’obliger à un désagréable mariage avec cette petite Primevère…

César bondit. Il était devenu très pâle.

– Qu’avez-vous dit, mon père ? fit-il d’une voix rauque.

– J’ai dit : Primevère… C’est un surnom que des gens ont donné à Béatrix…

– Vous dites ? Primevère est la fille du comte Alma ?

– Je le dis ! Qu’y a-t-il qui puisse t’émouvoir ?

César souffla bruyamment, assura son ceinturon et, se tour-nant vers le pape :

– Mon père, quand faut-il marcher sur Monteforte ?…

– Je te dirai cela d’ici quatre jours… Tu acceptes donc ?

– Oui, fit César les dents serrées.

– Bien !… Va maintenant t’occuper des funérailles de ce pauvre François. On me dit qu’il y a, à ce sujet, quelque fièvre parmi le peuple…

César sortit en haussant les épaules avec mépris. Le pape écouta un instant le bruit décroissant de ses éperons qui réson-naient sur les dalles. Puis, simplement, il murmura :

– Imbécile !…

Quant à César, après avoir franchi un grand nombre de salles, il avait descendu un escalier, puis un autre… puis s’était enfin trouvé dans les vastes caves du Vatican. Personne ne l’accompagnait.

Au fond des caves – immense enchevêtrement de sous-sols – il ouvrit une trappe et descendit encore. Alors, il parvint à un caveau circulaire.

Il appuya des deux mains sur une pierre que rien ne distin-guait des autres – et la muraille s’entr’ouvrit, laissant le passage libre pour un homme. Une sorte d’étroit boyau, noir et humide, commençait là. César s’y engagea sans lumière.

Ce boyau, c’était le fameux souterrain qui réunissait le Vati-can au château Saint-Ange. À cette époque-là, trois personnes seulement connaissaient l’existence de ce souterrain : le pape, César et Lucrèce.

VIII. LE MOINE À L’ŒUVRE

Après la pompeuse et ironique présentation du baron As-torre, la foule des courtisans s’était tournée vers le nouveau venu. Le chevalier salua avec cette grâce impertinente dont il avait le secret.

– Messieurs, dit-il avec une modestie qui frisait de près l’insolence, M. le baron Astorre est trop bon de vous rappeler l’avantage que j’ai eu de le toucher six fois de suite.

Astorre pâlit et, par un regard circulaire, implora l’aide de ses amis. Il était évident que, sur le terrain des allusions, il n’était pas de force à lutter avec le chevalier. Un jeune homme s’avança et, saluant Ragastens :

– Ainsi, monsieur le chevalier est venu… Comment as-tu dit, Astorre ? Pour nous enseigner l’escrime ?

– À votre disposition, monsieur, fit Ragastens avec son im-perturbable politesse.

– Prends garde, cher Rinaldo, dit Astorre en riant. Monsieur porte un nom terrible : il s’appelle le chevalier La Rapière.

Il y eut des éclats de rire tout autour de Ragastens.

– Ma foi ! s’écria Rinaldo, je serais enchanté de voir jusqu’à quel point ce nom est justifié…

– Cela vous sera difficile, monsieur, répondit Ragastens.

– Et pourquoi donc, s’il vous plaît ?

– Parce que je ne veux pas vous battre.

– Dites que vous ne voulez pas vous battre…

– Vous n’y êtes pas… je ne demande pas mieux que de vous donner la petite leçon dont vous paraissez avoir aussi grand be-soin que notre ami, le baron Astorre…

Il s’était fait un grand silence, et chacun attendait la suite de la provocation. Le chevalier continua :

– Malheureusement, j’ai fait hier un serment…

– Celui de ne plus vous exposer ?…

– Voyant combien il était facile de vous toucher, vous autres Romains…

Des murmures menaçants se firent entendre.

– J’ai été pris, continua Ragastens avec son sourire, de re-mords et de pitié…

– Et alors ? s’écria Rinaldo, livide de fureur.

– Alors, j’ai résolu de ne plus accepter de duel, à Rome, à moins d’avoir deux adversaires… Pour ma rapière, il faut deux épées – au moins !

Trois épées étincelèrent, parmi lesquelles celle de Rinaldo.

– J’en demandais deux, on m’en offre trois… Je les accepte, puisqu’on me les offre !

Aussitôt, il tira sa rapière et tomba en garde. Il était rayon-nant et superbe d’audace.

– Messieurs, ricana-t-il, pour aujourd’hui encore, ce sera une simple leçon… Vous allez voir comment on fait décrire à trois épées des courbes élégantes dans l’espace… Attention… une !…

L’un des trois spadassins jeta une exclamation furieuse ; son épée venait de lui sauter des mains.

– Deux ! continua tout à coup le chevalier.

C’était l’épée de Rinaldo qui sautait. Fendant le cercle des spectateurs, il courut après l’arme. L’épée était tordue…

Au moment où il se baissait pour la ramasser, un moine qui, debout dans un coin obscur, notait les phases de cette passe d’armes, s’avança vers lui. Il entr’ouvrit son manteau et, tendant une épée nue à Rinaldo :

– En voici une, dit-il, qui ne se tordra pas. Pour l’honneur de Rome, pour notre salut, touchez cet insolent…

Rinaldo n’écoutait plus. Il avait saisi l’arme qu’on lui tendait et, s’élançant vers le chevalier de Ragastens, il tomba en garde devant lui au moment où il s’écriait :

– Trois !

Son troisième adversaire, en effet, venait d’être désarmé.

– Ah ! fit Ragastens en se tournant vers Rinaldo, il paraît qu’une leçon ne vous suffit pas… J’aime cette ardeur… Tiens ! Vous avez une épée neuve ?… Je croyais avoir tordu la vôtre…

Rinaldo ne disait rien et s’escrimait froidement, résolu à toucher au moins une fois l’indomptable chevalier.

– Je vois que vous n’avez pas bien compris, reprit celui-ci… Tenez, regardez bien… Je commence par vous endormir le poi-gnet par ces battements… bon !… Puis, par cette série de doublés, je lie votre épée… un dernier coup… et… ça fait quatre !…

Une fois encore, l’épée venait de sauter… Elle décrivit une courbe et alla retomber par-dessus le cercle des spectateurs… On entendit un léger cri : l’arme, en retombant, venait d’égratigner à la main un laquais qui passait.

– Ce n’est rien ! fit le moine en s’élançant vers le laquais. Tais-toi et suis-moi. Je vais te guérir cela à l’instant.

Le laquais suivit le moine, très étonné, car l’égratignure, à peine visible, n’offrait rien de grave.

Pendant ce temps, un remous s’était opéré dans le cercle des courtisans. Toutes les têtes se découvraient. César Borgia venait d’apparaître.

– À cheval, messieurs, dit-il… À cheval, aujourd’hui, pour la cérémonie funèbre qui nous attend… Mais, dans quelques jours, à cheval pour la bataille !…

Un grand vivat s’éleva, et la cohue entoura César.

– Oui, messieurs, continua celui-ci ; sous peu nous par-tons… que chacun soit prêt au plus tôt pour une campagne qui sera dure… En attendant, allons enterrer mon bien-aimé frère François… M. le chevalier de Ragastens, ajouta-t-il en apercevant le chevalier, vous vous tiendrez près de moi, vous entendez ?… Messieurs, je vous présente M. le chevalier de Ragastens, mon ami… l’un des meilleurs !

Aussitôt, César se dirigea vers le grand escalier d’honneur qui aboutissait à la cour du château. La foule des courtisans le suivit avec un grand cliquetis d’épées et d’éperons.

Des mains nombreuses s’étaient tendues vers Ragastens. Les uns s’empressaient à saluer en lui un favori du maître. D’autres, simplement heureux de témoigner une sympathie à sa vaillance.

Dom Garconio – le moine qui avait tendu une épée neuve à Rinaldo désarmé – dom Garconio avait entraîné le laquais que cette épée venait d’égratigner légèrement à la main. Mais il n’avait pas fait vingt pas que l’homme s’arrêta soudain, comme frappé d’un vertige. Il devint livide. Une mousse apparut au coin de ses lèvres. Il voulut parler. Mais sa gorge ne put émettre qu’une sorte de cri guttural. Puis ses genoux fléchirent et il s’abattit.

Garconio, penché sur lui, suivait attentivement les phases de l’agonie. Cette agonie fut courte.

– Bien, murmura Dom Garconio… Selon mes prévisions, le poison paralyse la langue dès que ses effets commencent à se produire… Donc, pas de bavardages inutiles au moment de l’agonie… Mais, d’autre part, cette agonie vient beaucoup trop vite… j’avais calculé qu’elle se produirait au moins deux heures après la blessure… Il faudra modifier le dosage…

Puis, Garconio ayant jeté un dernier regard sur le cadavre, s’en alla lentement, la tête penchée, absorbé par de savants cal-culs.

Les funérailles de François Borgia, duc de Gandie, avaient eu lieu en grande pompe. Après la messe solennelle célébrée à Saint-Pierre, le corps avait été promené par la ville, en proces-sion.

Il était environ cinq heures lorsque, ayant fait le tour de la ville au son des cloches de toutes les églises, le cercueil fut rame-né à Saint-Pierre. Là, il fut fermé et le cadavre fut déposé dans un des caveaux de la crypte.

Sur tout le parcours, des cris retentirent, comme s’il y eût eu un commencement de sédition. À ces cris, César qui, jusque-là, avait paru s’absorber en une profonde méditation, releva la tête.

– Oh ! oh ! fit-il, nos Romains sont bien courageux au-jourd’hui ! Ils osent me regarder en face !…

Mais aussitôt il s’aperçut avec stupéfaction que ce n’était pas vers lui que convergeaient les mille menaces jaillies de la foule.

– Corpo di bacco, comme dit mon vénéré père… À qui en ont-ils donc ?

Près de lui, sur sa droite, comme il le lui avait recommandé, se tenait le chevalier de Ragastens. Un peu en arrière, venait As-torre, favori détrôné, puis Rinaldo, le duc de Rienzi et une cen-taine de seigneurs.

César avait jeté un rapide coup d’œil derrière lui. Chose étrange, les courtisans qui, en vingt circonstances pareilles, s’étaient massés autour de lui, l’épée haute, ne bronchaient pas. Et même, il lui sembla que des signes s’échangeaient entre cer-tains seigneurs et la foule.

César pâlit. Était-il donc trahi ?…

Mais, presque aussitôt, il se rassura.

Non ! Ce n’était pas à lui qu’on en voulait !… Les clameurs éclataient maintenant, brutales et significatives :

– Mort à l’assassin de François !…

– Au Tibre, le Français maudit !…

– Justice ! Au bourreau, le meurtrier !…

Et c’était vers Ragastens que se tendaient les poings. Borgia eut un mauvais rire.

– Parbleu ! fit-il, entendez-vous, chevalier ?

– J’entends, monseigneur, mais je ne comprends pas.

– C’est pourtant du bon italien…

– Peuh ! De l’italien de bas étage !

– Mais enfin, que leur avez-vous fait ?

– Le diable y perdrait son latin, monseigneur… Holà… ils sont enragés… Attention, Capitan !…

La situation devenait périlleuse. En effet, dans les moments de flux et de reflux de la foule que l’impunité excitait, Ragastens fut tout à coup enveloppé dans un tourbillon et violemment sépa-ré de Borgia.

Le chevalier ramassa les rênes de son cheval et, par une pression des genoux, le mit en garde.

Borgia voulut se retourner et donner l’ordre de charger la multitude. Mais il se vit entouré de ses courtisans. Rinaldo saisit la bride de son cheval et s’écria :

– Au château, monseigneur ! Tout à l’heure nous sortirons en force pour dompter cette rébellion… Maintenant, nous serions écrasés.

Ragastens demeura seul. Il ne se demanda pas pourquoi la foule l’accusait de l’assassinat du duc de Gandie. Il ne vit pas le moine Garconio qui, vêtu en homme du peuple, courait de groupe en groupe. Mais il vit qu’il était cerné de toutes parts.

Et il résolut de vendre chèrement sa vie. La vision de Prime-vère flotta un instant devant ses yeux. Il eut comme un soupir de regret.

– Bah ! murmura-t-il, un peu plus tôt, un peu plus tard… peu importe ! Montrons à ces faquins comment sait mourir le pauvre aventurier qui n’a pour capital que sa dague et son cou-rage !

En même temps, il enfonça ses éperons dans les flancs de Capitan. Celui-ci, peu habitué à semblable traitement, se cabra, pointa et finalement détacha coup sur coup une douzaine de for-midables ruades. En un clin d’œil, un vaste cercle vide s’était formé. Des hurlements de fureur s’élevèrent, mêlés aux gémis-sements de trois ou quatre assaillants dont Capitan venait de fra-casser les mâchoires.

Ragastens répondit aux clameurs par un éclat de rire.

Il avait dédaigné de tirer sa rapière qui, d’ailleurs, contre cette masse compacte lui eût été d’un faible secours. Mais, crâ-nement campé sur sa selle, le buste haut, le rire sonore, il appa-raissait comme un Hercule qui eût entrepris de bousculer à lui tout seul un peuple de Cacus.

Capitan, tenu dans les rênes par la main de fer du chevalier, piétinait rageusement, écumait, soufflait bruyamment ; ses na-seaux grands ouverts semblaient aspirer la bataille. Tout à coup, Ragastens lui rendit la bride… Le cheval bondit, se rua, tourbil-lonnant, battant l’air de ses fers…

– Place, faquins ! Place, truands ! tonna Ragastens.

– Mort à l’assassin ! Mort au Français ! répondit la foule dans une clameur délirante.

Des coups d’arquebuse avaient retenti. Mais pas une balle n’atteignit le cavalier qui, dans un tourbillonnement vertigineux, insaisissable, gagnait du terrain vers la place du Château main-tenant tout proche… Mais, entre cette place et le chevalier, un rang de forcenés dressait une barrière vivante et infranchissable.

Ragastens, pourtant, s’avança… Tout à coup, il vit un homme s’approcher en rampant de son cheval. L’homme avait à la main un large coutelas.

L’homme allait couper les jarrets de Capitan !…

Ragastens se vit perdu.

À cette minute où sa vie ne dépendait plus que d’une inspira-tion d’héroïsme fou qui, seule, pouvait le sauver, le chevalier sen-tit ses forces centuplées. À l’instant précis où l’homme au coute-las bondissait sur Capitan, il se baissa, rapide comme la foudre, et saisissant l’homme par la ceinture, il le souleva, l’enleva, le plaça en travers de sa selle… Cet homme, c’était Garconio ! Mais Ragastens ne le reconnut pas. Il ne le regarda pas… Il poussa droit à la barrière vivante, qui redoublait ses invectives furieuses et s’ébranlait sur lui…

Alors, Ragastens, lâchant la bride de Capitan, empoigna à deux mains l’homme qui rugissait et se démenait… Il le souleva jusque par-dessus sa tête, à bras tendus, se dressa tout droit sur ses étriers et, d’une secousse formidable, d’un effort qui fit cra-quer ses nerfs et ses muscles, il balança un instant le moine, puis, à toute volée, comme une catapulte, le projeta violemment sur ses assaillants !…

En même temps, il ressaisissait la bride et enlevait Capitan dans un élan de tempête. Le cheval, fou de terreur, se ramassa sur ses jarrets, exécuta un bond prodigieux et, sautant par-dessus plusieurs rangs, alla retomber de l’autre côté de la vivante bar-rière et galopa vers la grande porte du château.

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Litres'teki yayın tarihi:
30 ağustos 2016
Hacim:
510 s. 1 illüstrasyon
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