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ANNEXES






Graver les spectacles de Torelli. Les enjeux politiques et éditoriaux de l’imprimé et de l’estampe (1645-1654)

Anthony SAUDRAIS

Université Rennes 2

Pourquoi graver des spectacles ? Une esthétique figée du mouvement

À la différence du spectacle, à ce tableau scénographique sujet au mouvement et à l’éphémère, aux aléas humains et matériels de la représentation, la gravure permettait de fixer, définitivement, un état idéal de ce que Ménestrier nommait des « images en actions1 ». Le mouvement, figé dans la bidimensionnalité de l’image – elle est aujourd’hui dématérialisée par internet – se trouve comme arrêté, privé de sa nature fugitive. L’arrivée à la cour de France de Giacomo Torelli (1608-1678), machiniste italien venu à la demande de Mazarin2, allait amplifier, complexifier la technicité des machines de théâtre. Mais Torelli ne fut pas le seul artiste italien appelé par Mazarin pour réformer les spectacles de cour, la nouveauté que constituait l’opéra en France demandant d’inviter des musiciens parmi lesquels Francesco Sacrati3 pour la représentation de la Finta Pazza dont la première eut lieu, le 14 décembre 1645, dans la salle du Petit-Bourbon, marquant le début d’une révolution scénographique en France, et d’abord à Paris4. En construisant des dessous et des dessus de scène, le machiniste permettait de changer les décors de théâtre par l’usage de châssis coulissants, la nouveauté technique résidant davantage encore dans l’aménagement de cintres pour l’exécution de vols jusqu’alors inédits en France. Pour les spectateurs de 1645, c’était une révolution5. Balayant la scénographie médiévale fondée sur la fixité linéaire et le compartimentage des décors, comme en témoignent les dessins de Georges Buffequin pour le Mémoire de Mahelot6, Torelli ridiculisait quatre ans plus tard l’un des rares spectacles français à être gravé : Mirame (1641)7. Vitesse, changements de décors, variété des mouvements et des machines : sur le plan technique et scénographique, la Finta Pazza rendait désuète la tragi-comédie de Desmarets de Saint-Sorlin qui ne recueillit pas auprès des spectateurs le succès espéré8. Les goûts de Mazarin, que sa formation italienne avait familiarisé avec les spectacles à machines, n’avaient plus rien à voir avec ceux du défunt Cardinal de Richelieu9. Pour démontrer les prouesses de Torelli, oublier dans le même élan Mirame, un imprimé pour la Finta Pazza reçut le rare privilège d’être illustré de gravures de Noël Cochin représentant les différents tableaux de l’opéra10. Cette entreprise anticipait la future politique éditoriale et politique de Louis XIV, en particulier celle des privilèges de librairie11.

Graver la Finta Pazza ne relevait donc pas d’une décision hasardeuse, l’image revêtant un rôle politique de première importance : celui d’inscrire dans la mémoire le souvenir d’un spectacle conçu pour disparaître, mais conservé par l’imprimé et ses estampes. Ces images, en plus d’illustrer le spectacle, servaient à prouver, pour ses contemporains comme pour la postérité, les talents d’un ingénieur que le pouvoir venait d’engager, Mazarin concurrençant sa terre natale dans son pays d’adoption en important la scénographie du changement à vue12. Pour glorifier la monarchie renforcée par Richelieu13 et nouvellement transmise au jeune Louis XIV, la politique éditoriale menée pour illustrer les spectacles de Torelli – l’une des plus importantes dans sa production iconographique en France sous l’Ancien Régime – se donnait l’ambition de prouver, dans son pays d’origine comme à l’étranger, la suprématie d’un pouvoir dont il fallait encore prouver la légitimité, une légitimité remise en cause à cette époque par les épisodes de la Fronde14.

Les enjeux politiques et historiographiques de l’image

Si le lecteur a l’avantage, le temps et le confort de parcourir l’imprimé dans son fauteuil, le spectacle a l’inconvénient de son accessibilité difficile et limitée1. Ce constat était de mise en 1645 pour voir les machines de Torelli qui impliquaient de se rendre à Paris et d’être en possession de billets dont le coût était élevé, à moins d’y être invité, notamment par le pouvoir royal2. Bien qu’ayant la chance d’assister à l’une des représentations, les spectateurs ne bénéficiaient sans doute pas tous de places d’égale qualité pour profiter de l’illusion perspectiviste3. En revanche, les estampes insérées dans l’imprimé offraient une sécurité visuelle. Grâce aux images, le lecteur pouvait/croyait devenir spectateur, assuré de bénéficier d’une totale tranquillité dans l’exercice de sa lecture. Idéalisées, ces gravures ont l’avantage de représenter avec une rare précision ce que les spectateurs les mieux placés et les plus attentifs n’avaient peut-être pas vu. Par exemple, pour le décor du cinquième acte d’Andromède dans l’édition de Laurent Maurry et Charles de Sercy, chaque piédestal – ils sont au nombre de sept par côté, soit quatorze au total pour la disposition latérale des châssis – bénéficiait d’une ornementation différente, imageant les didascalies qui faisaient valoir que « l’art du sieur Torelli est ici d’autant plus merveilleux, qu’il fait paraître une grande diversité en ces deux décorations, quoiqu’elles soient presque la même chose.


F. Chauveau, décor du cinquième acte d’Andromède (détail), Paris/Rouen, Laurent Maurry et Charles de Sercy, 1651. Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, RESERVE 4-BL-3523. Photo A. Saudrais, 2017.

On voit encore en celle-ci deux rangs de colonnes comme en l’autre, mais d’un ordre si différent, qu’on y remarque aucun rapport4 ». Lorsque nous tenons le livre entre nos mains, nous avons en effet le loisir d’admirer sereinement, paisiblement, avec tout le temps nécessaire, la qualité du dessin. Ce temps de lecture, étiré par fixation visuelle par rapport à la représentation, nous permet d’étudier le style du décorateur des châssis peints, notamment par le travail du dessin et de la gravure. Imager cet éphémère spectaculaire, c’était donner, dans le temps de la lecture, le détail de ce que la représentation limitait dans le temps comme dans les possibilités d’analyse. Les détails les plus finement représentés ont donc l’avantage, par rapport au spectacle, de montrer à travers une vue frontale et artificielle, communément appelée « l’œil du prince5 », ce que le spectateur avait vu différemment selon sa place, sa capacité de concentration et la durée du spectacle. Dans l’Andromède illustrée, les décors nous sont donnés à voir à quelques centimètres alors que, pendant les représentations du Petit-Bourbon, la distance se comptait en mètres.

Politiques, ces gravures flattaient simultanément l’ingénieur et le pouvoir commanditaire des spectacles de Torelli6, ces imprimés circulant aussi bien en province qu’à Paris, en France et en Europe, pour démontrer la capacité de la monarchie française à se doter des plus grands machinistes. Pensés dans le cadre d’une politique éditoriale qui devait être diffusée au-delà de la capitale française, ces imprimés permettaient à la monarchie de diffuser – l’image servant alors de preuve – ce qu’une infime partie des spectateurs avaient pu voir réellement, voire très partiellement pour une partie d’entre eux. Par le pouvoir des estampes, plus fortes à animer et émouvoir la mémoire que le texte, la Régence utilisait un outil de diffusion efficace pour servir la propagande royale dont les spectacles de Torelli étaient la vitrine. Avec ces gravures se jouait un pari politique sur le long terme par son éventuel impact historiographique. En effet, si Mirame n’avait pas bénéficié de si belles illustrations, l’histoire des spectacles aurait-elle accordé tant d’importance à l’événement ? Non, sans nul doute, car ce sont bien les gravures de Stefano Della Bella7 qui ont retenu l’attention des historiens, plus que la pièce écrite par l’auteur. Il en va de même pour les grandes fêtes de Versailles (1664, 1668 et 1674) dont l’écho n’aurait pu résonner autant sans la politique éditoriale menée par l’Imprimerie royale, soutenue de surcroît par la – très belle – plume de Félibien et sa politique de gravure8. Fortes de leurs pouvoirs, ces gravures ont parfois poussé les historiens à accorder une place exagérée à certains spectacles illustrés9, minorant la grande majorité des autres spectacles qui n’ont bénéficié d’aucune iconographie de leur vivant. Une pièce comme Mirame, qui ne fut jamais redonnée après les représentations du Palais-Cardinal, serait tombée dans l’anecdote historique sans la conception du livre de fête. Mais le fait qu’elle soit gravée a tout changé, les estampes ayant fait son histoire comme sa renommée. Inversement, un événement aussi extraordinaire que La Toison d’or de Corneille et Sourdéac – le machiniste – représenté d’abord au château du Neubourg pendant l’hiver 1660 puis au théâtre du Marais au début de l’année 1661, fut l’un des plus grands succès du répertoire à machines du XVIIe siècle10. Or le déficit d’images, non content d’avoir réduit sa visibilité dans l’historiographie, poussa certains historiens à trouver « coûte que coûte » des gravures pour illustrer le spectacle, au risque d’attributions douteuses, abusives et erronées11. Véritable phénomène théâtral parisien en comparaison de Mirame, le déficit d’estampes pour illustrer La Toison d’or lui a été dommageable au point de réduire la pièce aux dimensions de l’anecdote dramatique et historique, condamnant, par effet de contamination, son machiniste – le si talentueux marquis de Sourdéac qui fut pourtant machiniste du premier opéra français, Pomone (1671) – aux oubliettes de l’Histoire.

Graver les spectacles machinés par Torelli, c’était donc engager une politique éditoriale ambitieuse et onéreuse misant sur une potentielle postérité historiographique en faveur de la Régence et de la monarchie française. L’estampe devenait alors un extraordinaire outil de propagande politique, redoutable pour ses contemporains, et peut-être plus encore pour la postérité, l’historien accordant une grande valeur aux images12. Parmi ces premiers historiens du théâtre se trouve Claude-François Ménestrier, contemporain des spectacles du règne de Louis XIV. Pour construire sa « philosophie des images13 », il eut certainement sous les yeux quelques-uns de ces imprimés gravés, notamment ceux de Torelli lorsqu’il mentionne Andromède ou le Ballet royal de la Nuit14. L’Histoire pouvait donc se construire – et à l’avantage des spectacles illustrés.

Les enjeux éditoriaux. Du luxe éditorial aux feuillets éphémères

Politiques, ces images engageaient d’importants enjeux éditoriaux, le luxe déployé par les mises en scène de Torelli demandant, par effet de miroir, des éditions dont la richesse devait égaler celle des spectacles eux-mêmes. Par exemple, lorsque nous découvrons l’édition d’Andromède de Laurent Maurry et de Charles de Sercy1 publiée en 16512, le lecteur comprend qu’il n’a pas affaire à un imprimé comme les autres. Imprimé à Rouen le 13 août 1651, l’ouvrage est postérieur d’un an aux représentations du Petit-Bourbon. Élégant objet de luxe et de collection, le livre se donnait l’ambition d’inscrire le spectacle dans la mémoire alors que les représentations étaient depuis longtemps terminées, même si la pièce eut quelques reprises au théâtre du Marais3. L’ouvrage, conçu comme un objet d’émerveillement à l’égal du spectacle, ouvre la réjouissance par un magnifique frontispice.


F. Chauveau, frontispice d’Andromède, Paris/Rouen, Laurent Maurry et Charles de Sercy, 1651. Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, RESERVE 4-BL-3523. Photo A. Saudrais, 2017.

L’estampe, qui ne représente pas explicitement un décor de théâtre, propose une porte d’entrée monumentale à la lecture, le frontispice étant défini par Furetière, en « terme d’architecture », comme « la face et principale entrée d’un grand bâtiment qui se présente de front aux yeux des spectateurs4. » Invitant le lecteur à une expérience de lecture architecturale agrémentée par des gravures de Chauveau, l’un des meilleurs artistes du règne de Louis XIV5, le lecteur est invité à déplier de ses propres mains, avant de lire les premiers vers, l’image représentant le décor du prologue.


F. Chauveau, illustration pliée du prologue d’Andromède, Paris/Rouen, Laurent Maurry et Charles de Sercy, 1651. Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, RESERVE 4-BL-3523. Photo A. Saudrais, 2017.

Torelli y est mentionné comme « inv », c’est-à-dire comme maître de l’inventio. Une fois l’image contemplée, la lecture débute par ces vers de Melpomène :

Melpomène.

Arrête un peu ta course impétueuse,

Mon théâtre, Soleil, mérite bien tes yeux,

Tu n’en vis jamais en ces lieux

La pompe plus majestueuse :

J’ai réuni, pour la faire admirer,

Tout ce qu’ont de plus beau la France, et l’Italie,

De tous leurs Arts mes sœurs l’ont embellie,

Prête-moi tes rayons pour la mieux éclairer.

Daigne à tant de beautés par ta propre lumière

Donner un parfait agrément,

Et rends cette merveille encore,

En lui servant toi-même d’ornement.6

Tous ces mots déclamés par Melpomène trouvent, dans les gravures de Chauveau, une réalité picturale invitant le lecteur à devenir spectateur, cette édition luxueuse proposant un autre parcours de lecture – un spectacle de/par la lecture – où les mots, confrontés aux illustrations, revêtent une autre signification. L’œil est influencé par l’iconographie qui complète, si elle ne commande pas directement, l’imaginaire textuel. Dans un ordre de lecture hiérarchique imposé par la construction du livre, forcé par la logique du tournoiement des pages, le lecteur découvre d’abord la description des décors ; ensuite, il regarde l’image ; enfin, il lit l’intégralité de l’acte. À la différence d’une lecture numérisée dont nous sommes aujourd’hui familiers7, les gravures de Chauveau demandent d’être dépliées minutieusement, cette manœuvre rappelant la fragilité de l’image. L’estampe, que nous déplions sur la gauche (Fig. 3), est un moment de découverte provoquant ce sentiment d’émerveillement comme la levée du rideau de scène. Seulement, l’opération est effectuée de nos propres mains. Les détails se découvrent petit à petit alors que certains d’entre eux, comme les fameux piédestaux du cinquième acte pour les premières paires de châssis, représentent ce que les didascalies ne prennent pas la peine de décrire. Sur un de ces piédestaux (Fig. 1), nous découvrons la représentation d’une scène de sacrifice avec un autel fumant où l’on distingue quatre personnages et un mouton. Derrière, on reconnaîtra également une scène de bacchanale agrémentée de danses alors que d’autres détails dans les différentes estampes font directement référence à la monarchie française, comme les fleurs de lys présentes dans l’architecture du décor du quatrième acte.

Cette expérience de lecture, si différente des représentations du Petit-Bourbon, demeure un spectacle de/par la lecture. C’est un sentiment bien étrange que celui de tourner les pages, de déplier et de replier soigneusement l’image pour découvrir le nouveau décor et oublier l’ancien. Comme l’illusion théâtrale, le lecteur devient maître du changement, pliant et dépliant les estampes comme bon lui semble alors que, pendant le spectacle, le public ne maîtrisait pas les changements de décors manœuvrés par les ouvriers disposés dans les dessous et les dessus de scène. En tenant Andromède entre ses mains, le lecteur assume, autant symboliquement que réellement, le rôle de machiniste, moteur de son émerveillement et de son statut ambigu de lecteur/spectateur. Figée, la gravure n’en reste pas pour autant une agréable tromperie, une machine où seule l’imagination du lecteur projette dans son esprit les mouvements d’un spectacle inexistants dans la fixité de l’estampe. En 1650, Torelli trompait les yeux de son public. Un an plus tard, dans l’édition de Laurent Maurry et Charles de Sercy, le lecteur était encore trompé par les gravures de Chauveau pour trouver du plaisir dans ce qu’il convient peut-être d’appeler une lecture scénographique ou une scénographie de la lecture8.

Or, si quelques ouvrages furent conçus pour accueillir des estampes, ce privilège éditorial restait un phénomène marginal, la grande majorité des imprimés ne possédant aucune estampe ni même un frontispice. Parmi ces livres se trouvent les programmes produits à bas coûts pour être immédiatement débités dans la capitale, à la porte du théâtre. Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, à la suite de l’essor du répertoire à machines amorcé par Torelli, ces programmes étaient imprimés en grand nombre pour conserver la description des décors et des machines. Pour Andromède, cette tâche fut confiée à l’imprimeur parisien Augustin Courbé, ce dernier obtenant un droit d’impression le 3 mars 1650, soit pendant les représentations du Petit-Bourbon9. Cet écart de date avec l’édition luxueuse de Laurent Maurry et de Charles de Sercy suffit à prouver la nature divergente – l’éphémère contre le durable – entre les deux livres. Le fait que ce programme fut imprimé « aux dépens de l’auteur » comme le mentionne la page de titre implique une politique éditoriale menée par Corneille10 qui s’arrogeait le droit de faire des bénéfices sur la vente de ces feuillets, la description des décors et des machines de Torelli ne bénéficiant d’aucune illustration dans cet imprimé. Ces livres étaient d’une qualité fragile, voire médiocre, et composés de feuillets comme en témoigne celui d’Andromède pour la pompeuse reprise de la Comédie-Française démarrée le 19 juillet 168211, la veuve G. Adam ayant obtenu le permis d’impression le 14 juillet, soit cinq jours avant les premières représentations.


F. Chauveau, dépliement par la gauche de l’illustration du prologue d’Andromède, Paris/Rouen, Laurent Maurry et Charles de Sercy, 1651. Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, RESERVE 4-BL-3523. Photo A. Saudrais, 2017.

Dans un état de conservation préoccupant, ce programme conservé à la Bibliothèque de l’Arsenal contraste avec les luxueuses éditions gravées des spectacles de Torelli, la jouissance de l’estampe n’étant réservée qu’à quelques collectionneurs qui eurent le privilège, et surtout les moyens financiers, de pouvoir se la procurer.

Cette politique éditoriale low cost pour les « desseins » et autres « sujets » de pièce à machines, à défaut de pouvoir graver le spectacle, misait tout sur l’écriture et la longueur des descriptions hyperboliques. C’est par exemple le cas d’un imprimé sans nom d’éditeur pour Les Noces de Pelée et de Thétis12.


Andromède, tragédie en machines, 1682. Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, B. L. G. D. 43389. Photo A. Saudrais, 2017.

Dépourvu d’estampes, ce petit livre était un programme distribué au public. Pensé pour le confort des spectateurs, il permettait de suivre le ballet pendant les représentations, l’imprimé comprenant la traduction française, située à gauche, des vers chantés en italien, disposés à droite de l’imprimé. À la différence d’un ouvrage comme l’Andromède de Laurent Maurry et Charles de Sercy, cet imprimé n’était pas destiné à la postérité. Produit pour l’éphémère des représentations, il avait une utilité immédiate pour suivre un spectacle dont on ne comprenait pas toujours les paroles13. Ainsi, graver cet imprimé s’avérait inutile, le public ayant devant les yeux les décors et les machines de Torelli. La gravure intervenait donc après la mort du spectacle lui-même.

La présence de l’estampe dans les spectacles imprimés : l’éphémère et/ou l’Histoire

Recoupant des enjeux doublement politiques et éditoriaux, les estampes présentes dans certains imprimés des spectacles de Torelli résultent d’un phénomène assez unique dans la France du XVIIe siècle. De la Finta Pazza aux Noces de Pelée et de Thétis est apparue une iconographie jusqu’alors inédite, dans sa quantité comme dans sa qualité1, pour illustrer des spectacles, l’ampleur comme leur nombre répondant à la qualité artistique des dessins et du travail de gravure.


Le Nozze di Peleo e di Theti, commedia. Les Noces de Pelée et de Thétis, comédie, 1654. Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, B. L. G. D. 43389. Photo A. Saudrais, 2017.

Mais ces estampes insérées dans quelques imprimés étaient un luxe réservé à une élite, propice à diffuser les talents d’un ingénieur et à célébrer le pouvoir monarchique. Or, cette politique iconographique et éditoriale au service de la mémoire et de l’Histoire fut très rapidement gagnante avec un impact historiographique quasi immédiat dans l’histoire des spectacles en France, que l’on pense à Ménestrier ou à Donneau de Visé, le fondateur du Mercure Galant se remémorant les décors et les machines de Torelli trente ans plus tard lors de la reprise de la pièce par la Comédie-Française. Le rôle des estampes fut déterminant pour la célébration d’un spectacle disparu mais réactualisé avec une nouvelle mise en scène du machiniste Dufort en 1682, Donneau de Visé ne tarissant pas d’éloges :

Les comédiens Français ont commencé depuis quelques jours les représentations d’Andromède, tragédie en machines, de Mr Corneille l’aîné. Elle fut faite pour le divertissement du roi, dans les premières années de sa minorité. La reine mère qui n’entreprenait rien que de grand, y fit travailler dans la grande salle du Petit-Bourbon, où se représentaient les ballets du roi, lorsqu’ils étaient accompagnés de machines. Le théâtre était beau, élevé et profond, et l’on y a vu plusieurs grands ballets, où sa Majesté dansait, dignes de l’éclat et de la grandeur de la cour de France. Le sieur Torelli, pour lors machiniste du roi, travailla aux machines d’Andromède. Elles parurent si belles, aussi bien que les décorations, qu’elles furent gravées en taille-douce.2

Donneau de Visé, qui n’assista pas aux représentations de 16503, construisait déjà la notoriété d’un spectacle grâce aux gravures de Chauveau dont les estampes étaient insérées dans l’imprimé de Laurent Maurry et de Charles de Sercy, confirmant l’heureux pari d’une politique éditoriale entreprise par le pouvoir, pour la gloire du machiniste et le souvenir de Mazarin.