Kitabı oku: «La parole empêchée», sayfa 14
2. Silence de la sociétésociété
Il faut sans doute aller plus loin et affirmer que le violviol incestueux n’est pas qu’une affaire de famillefamille, et que le silence autour de l’incesteinceste est un fait de sociétésociété : « les incestés font l’expérience d’une pratique persistante de la vie courante qui n’est pas nommée, pas reconnue, pas pensée, qui n’a officiellement aucun témoin et qui n’est jamais évoquée par personne, ni dans la famille, ni à l’extérieur, à aucun moment »1. L’inceste existe, mais nous n’en parlons pas. Il s’agit d’un taboutabou plus que d’un interditinterdiction2.
À ce silence gêné, il faut ajouter que les faits remontent à plus d’un demi-siècle et que, pour reprendre les mots de Saint PhalleSaint Phalle (Niki de), il faut « se souvenirsouvenir de l’époque » :
Je me suis souvent demandé pourquoi après le violviol, je n’ai pas immédiatement prévenue ma mère. Il faut se souvenirsouvenir de l’époque. J’avais été élevée dans la hontehonte de mon corps et dans l’idée catholique du péché. Les sœurs Irlandaises, au couvent, étaient obsédées par le sexe. Les enfants sont perméables. J’avais bu de ce lait empoisonné.
En 1942, le violviol est un crime paradoxal : son existence légale est ancienne, mais « les mœurs s’imposent au-delà de la loi » en persistant à le minimiser et à le marginaliser3. Il n’a été inscrit au code pénal sous la forme que nous lui connaissons – « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violenceviolence, contrainte, menacemenacer ou surprisesurprise » – qu’en 1980. L’incesteinceste n’est pas une infraction spécifique mais une circonstance aggravante du viol ou des atteintes sexuellessexualité « par un ascendant légitime, naturel ou adoptif, ou par toute autre personne ayant autorité sur la victimevictime »4.
Il aura fallu attendre les années 1970, avec Florence Rush aux États-Unis, pour que ces silences se lèvent. Celle-ci affirme, selon son expérience de travailleuse sociale, que les maltraitances infantiles sont souvent sexuelles, elle s’oppose à une certaine doxa psychanalytiquepsychanalyse concernant les fantasmes œdipiens et la théorie de la séduction, et ouvre une voie (offre la voix) aux anciennes victimes, qui s’identifient d’ailleurs non comme victimes mais comme survivantsurvivantes de l’incesteinceste5.
Même après cette libération de la parole, il faut être prêt·e à penser l’impensable, à imaginer l’inimaginableinimaginable, pour recevoir ce qui est généralement gardé secretsecret. Les victimes d’incesteinceste qui parlent enfin se heurtent parfois à la surdité de celles et ceux dont on pourrait attendre qu’ils et elles soient prêt·e·s à tout entendre. Non pas qu’il soit question ici d’incompétence, mais bien plutôt des limites de chacun·e quant à l’espoirespoir placé en l’être humain.
À ces limites s’ajoute le concept de complexe d’Œdipe qui, pour efficace qu’il soit dans d’autres circonstances, offre ici une opportunité pour ne pas entendre, voire pour rejeter la fautefaute sur la victimevictime. L’expérience de Saint PhalleSaint Phalle (Niki de) est à ce titre éclairante :
Tourmentée pendant des Années par ce violviol, je consultais de nombreux psychiatres : des hommes, hélas ! Ce qu’ils faisaient ressortir avant tout, à mon profond désarroi, c’était l’ambivalence de la petite fille, qui aurait provoqué la situation. Les psychiatres ainsi, puisqu’ils ne reconnaissaient pas le crime dont j’avais été victimevictime, prenaient inconsciemment le parti de mon père. Selon eux, aucun homme ne pouvait être blâmé de ne pas avoir pu résister à la séduction perverse d’une petite fille. C’était à elle à ne pas provoquer son père, celui-ci était victime d’un tragique moment de faiblesse.
Auparavant dans le texte, un épisode plus précis est raconté, après celui de la lettre paternelle :
Je montrais la lettre de mon père au psychiatre qui me soignait. Il prit une allumette et la brûla. Il me dit : « Votre Père est fou. Rien ne s’est passé. Il invente. La chose est impossibleimpossibilité. Un homme de son milieu et de son éducation Religieuse ne fait pas cela. » Le Dr. Cossa était lui-même père de famillefamille, il avait des filles de mon âge, il refusait de croire au violviol. C’était le point de vue de l’époque. FreudFreud (Siegmund) aussi pensait que toutes ces femmes qui se plaignaient d’incesteinceste étaient hystériques. Le Dr. Cossa écrivit une lettre à mon Père pour lui dire que s’il voulait que sa fille reste définitivement à l’asile il n’avait qu’à continuer à écrire de pareilles lettres. Qu’il ferait mieux de se faire soigner car il était victimevictime de dangereux fantasmes.
Il faut noter ici, au-delà du témoignagetémoignage et de la révolte, une recherche d’explications à la sur-violenceviolence subie : l’époque, le maître, le statut de père de son thérapeute. On retrouve cette volonté de comprendre jusqu’à la dernière page où, revenant sur la prisonprison, qu’elle avait envisagée, quelques pages auparavant, comme solution dissuasive, elle affirme en post-scriptum qu’elle ne saurait en être une. Le texte est, pour une grande part, une analyse qui dépasse l’individuel pour repérer les structures – famillefamille, religionreligion, psychanalysepsychanalyse – qui rendent le violviol possible. Certains passages pourraient même être versés au dossier des textes féministesféminisme qui posent la culture du viol comme étant, non pas une conséquence, mais un des éléments fondateurs du patriarcatpatriarcat : « Tous les hommes sont des Violeurs. Regarde l’histoire des guerreguerres. La récompense du soldat c’est toujours le viol. Cela se passe ainsi depuis des temps immémoriaux. »
Reste, nonobstant la non-violenceviolence d’une femme qui travaille à comprendre, voire à pardonner, une profonde colère dont elle indique que celle-ci est à l’origine de tout son travail d’artiste.
3. Survivre et créer
Dans Mon secretsecret, les indications concernant la carrière de Saint PhalleSaint Phalle (Niki de) sont rares mais décisives. Ce qui n’est pas une autobiographieautobiographie artistique cite pourtant trois faits qui permettent de comprendre à quel point le travail fut, au sens premier, déterminé par l’agression.
Ce qui est rétrospectivement qualifié de « premier gestegeste artistique » est consécutif à l’agression :
Je choisis d’obscurs moyens de me venger. […] Révoltée, je me mis à voler dans les magasins […] Au couvent, à l’âge de 12 ans je me déclarais athée, prenant un immense plaisir à scandaliser les bonnes sœurs. J’ai développé un rapport passionnel avec Dieu (lui aussi était un Père). En allant communier, je l’injuriaisinjure avec tous les gros mots que je connaissais entrecoupés de phrases d’amour. Un jour, je peignis en rouge brillant les feuilles de vignes qui couvraient le sexe des statues grecques dans le hall de l’école. Ce fut là mon premier gestegeste artistique.
C’est à la sortie de la clinique et suite à la réception de la lettre où le père fait ses aveux que celle qui se destinait au théâtrethéâtre va prendre la décision de devenir « peintre » : « Ce séjour me fut profitable, je me mis à peindre avec acharnement et pris la décision d’abandonner la mise en scène et l’art dramatique que j’avais commencé à étudier pour me consacrer à la peinturepeinture ».
Elle fut, à vrai dire, bien vite sculptricesculpture, performeuse, c’est-à-dire plasticienne au sens plein, plutôt que simple peintre. Le catalogue My art My dreams comporte plusieurs textes de l’artiste, dont certains en fac-similés de manuscrits. L’un d’eux, introduisant la partie sur les premières peintures, affirme que la colère s’est muée en nécessité de devenir artiste, sans autre choix, sauf peut-être celui d’être considérée comme follefolie1. Les peintures chapeautées par ce paragraphe datent de 1956 à 1958. Dès 1961, Saint PhalleSaint Phalle (Niki de) « embrasse » d’autres médiums pour extérioriser sa colère et parcourir son monde intérieur avec les Tirs, mêlant peinturepeinture, installation et performanceperformativité, rituels à la fois ludiques et violentsviolence. Sa créativité empruntera diverses voies, jusqu’au cinéma, avec Daddy, dix ans plus tard. Et encore une fois, ce choix est lié à ses rapports avec son père :
La mortmort subite de mon Père, sans que nous nous soyons réconciliés, fut pour moi un énorme choc. Je décidais de faire un film pour essayer de comprendre quelle avait été ma relation avec lui. Je commençais le film en 1972 avec l’aide du cinéaste Peter Whitehead. Je donnais libre cours à mes fantasmes et une colère folle ressort de ce film. À travers les imageimages, je piétine mon père, je l’humilie de toutes mes forces et je le tue. À ma grande surprisesurprise, ce film loin de m’apaiser, déclencha en moi une dépression nerveuse. Je n’avais pas eu le courage de faire ce film pendant que mon Père vivait et la Violence de mes sentiments contre lui et les hommes m’avait moi-même accablée.
La vision de ce film est une véritable épreuve, tant l’aspect malsain est traduit et exploré avec minutie. Il faut mettre au compte de ce malaise ressenti le fait que Saint PhalleSaint Phalle (Niki de) s’est dessaisie de sa propre histoire et laisse un homme faire la psychanalysepsychanalyse de ses œuvres, puis d’elle-même2. Elle relate dans Mon Secret que ce film a scandalisé ses proches et la presse ; consciente de l’impact de ce film, elle déconseille à sa mère de le voir. Daddy, alors qu’elle en attendait soulagement en l’envisageant comme exutoire, l’accable, selon ses propres mots. Sans doute l’art joue-t-il ce rôle cathartique quand il ne fouille pas directement les plaies.
L’art est envisagé en toutes lettres par Saint PhalleSaint Phalle (Niki de) comme un moyen de survivre, quand elle affirme :
Le nombre de femmes violées qui finissent par se suicider ou qui doivent retourner régulièrement à l’asile psychiatrique est énorme. Il y a des rescapées. Parmi les écrivains, la liste est longue des femmes qui s’en sont tirées. Virginia WoolfWoolf (Virginia) au contraire réussit une œuvre littéraire mais elle n’échappa finalement au suicidesuicide.
C’est une question de vie ou de mortmort : créer ou être follefolie, survivre ou se suicider. Sans le faire directement, au risque d’un effet contraire, l’art est un moyen de dire sans parler ; une fois la clé connue, toutes les œuvres de Saint PhalleSaint Phalle (Niki de) semblent habitées par ce violviol. La légèreté se leste, et ce qui pèse, c’est un livre qui n’est pas qu’un texte.
L’objet est aussi un livre d’art. D’assez grand format (24x30cm), imprimé sur papier grainé beige, le texte manuscrit est reproduit en fac-similé. On y reconnaît la graphie caractéristique de Saint PhalleSaint Phalle (Niki de), très ronde et régulière, agrémentée de lettrines rayées, de S qui se transforment en serpents, de spirales et de changements d’épaisseur ou de taille des lettres qui mettent en valeur les noms et parfois des mots. À trois reprises, elle « déborde » dans la marge, donnant le sentiment que l’écrit s’est fait d’une traite, avec des repentirs et sans brouillon. Ce texte, par la mise en page, par ses maladresses, par la mise en relief de parties, est intimeintime et vivant, comme une lettre que Saint Phalle nous aurait écrite. C’en est bien une, mais une lettre qui est adressée à sa fille Laura, alors adulte, et qui se termine ainsi, en affirmant une dernière fois la source traumatisantetraumatisme de sa créativité :
Mon Père, secrètsecretement, devait étouffer dans sa vie mais il manquaitmanque du courage d’une vraie révolte. La petite fille que j’étais sera la seule victimevictime de sa lamentable rébellion. Ce Violviol subi à onze ans me condamnacondamnation à un profond isolementisolement durant de longues années. À qui aurais-je pu me raconter ? J’appris à assumer et survivre avec mon secretsecret. Cette solitude forcée créa en moi l’espace nécessaire pour écrire mes premiers poèmes et pour développer ma vie intérieure, ce qui plus tard, ferait de moi une artiste. Je t’embrasse chère Laura avec beaucoup de tendresse et un regret de n’avoir pas pu te parler de tout ceci pendant que tu étais adolescente. Pourquoi c’est si difficile de parler ?
Parler sans dire, par le dessin ; celui de la couverture représente une tête de mortmort noire, rappelant les calaveras mexicaines, composée de motifs noirs et blancs sur fond colorié en rose. Il faut insister sur le verbe : le fond est colorié et non simplement coloré, on voit les traces laissées visibles par l’artiste et participant à son esthétique enfantine. Du haut du crâne, semblent pousser des fleurs de couleur, dont les contours reprennent les registres graphiques noirs et blancs de la tête. L’intention est limpide : de l’horreurhorreur peuvent naître de belles choses, et l’imageimage résume à elle seule la tension du travail de Saint PhalleSaint Phalle (Niki de), entre enfance, mort et joie.
S’il faut insister sur l’aspect formel de l’objet-livre Mon Secret, c’est parce qu’il convient d’affirmer sa qualité artistique, qui va bien au-delà d’un simple témoignagetémoignage ou document. Ce n’est pas le seul texte que Saint PhalleSaint Phalle (Niki de) a produit et ici, comme pour les autres, se pose la question de leur statut. Des parentés plastiques lient les ouvrages entre eux, de même qu’elles lient l’ensemble des textes de Saint Phalle à ses autres œuvres. Un même vocabulaire formel s’applique à tous les objets, de la page manuscrite au jardin de sculpturesculptures et l’écriture hésitehésitation entre un texte qui accompagne (la compréhension de) l’œuvre et, simplement, un texte qui serait aussi une œuvre.
Si Mon secretsecret livre une clé qui permet de comprendre mieux les œuvres de Saint PhalleSaint Phalle (Niki de), s’il explique la présence même de celles-ci, s’il offre enfin un espace pour une parole cinquante ans contenue, il appartient aussi à l’ensemble des œuvres qui se sont substituées à cette parole. De la parole empêchée ont éclos des objets d’art et, quand la parole advient enfin, elle prend la forme de ce qui s’était substitué à elle.
Le silence comme moyen d’expression dans La Rebelle d’Aïcha AboulAboul Nour (Aïcha) Nour et dans Perquisition ! Carnets intimes de Latifa ZayyatZayyat (Latifa)
Aziza Awad (Université du Caire)
Au tournant du XXe siècle, on assiste en Égypte au développement d’une littéraire féminine cultivée : des auteures, souvent journalistes1, dont l’œuvre aspire à dessiner la « femme nouvelle », quittent alors l’espace privé et confiné du harem pour investir l’espace public et porter haut et fort des revendications sociales (féminismeféminisme, nationalisme) et culturelles, malgré les réticenceréticences séculaires et les résistancerésistances des milieux conservateurs. Ces auteures utilisent divers genres littéraires, comme le roman et la poésie, mais aussi l’essai ou l’écrit de recherche universitaire ; elles publient dans des périodiques, ou créent des revues pour s’exprimer. Elles mettent ainsi à l’épreuve les catégories opposant écriture dite féminine et écriture dite masculine. Elles contribuent également à élaborer une œuvre littéraire prenant en compte les traditiontraditions égyptiennes, mais proposant un renouvellement de la représentation de la femme et de la sociétésociété.
En rompant le silence, ces écrivaines se lancent dans une entreprise périlleuse : si la prise de parole féminine n’est jamais anodine, quelle que soit la sociétésociété dans laquelle les femmes évoluent, elle l’est encore moins dans la société égyptienne qui la considère comme indécente. Aussi s’installent-elles, malgré elles, dans une situation de provocation. L’accusation d’exhibitionnisme ou d’impudeur n’est jamais très loin quand la société fait de la réserve et de la retenue des notions survalorisées et, bien sûr, essentiellement féminines2.
Quoique cette littérature féministeféminisme rassemble une production très vaste, elle demeure mal connue à l’étrangerétranger ; en Égypte, elle est peu rééditée et peu lue de nos jours, alors même qu’elle jouissait au temps de sa sortie d’une véritable reconnaissance des lecteurs et des institutions littéraires. Notre travail consiste à donner voix à des écrivaines qui ont appelé aux droits des femmes, à la liberté d’exister et de s’exprimer en tant que personne à part entière. Nous nous pencherons particulièrement sur une nouvelle d’Aïcha AboulAboul Nour (Aïcha) Nour, intitulée La Rebelle3, et sur l’œuvre autobiographiqueautobiographique de Latifa ZayyatZayyat (Latifa), Perquisition ! Carnets intimes4. Ces deux exemples sont, à mon sens, très représentatifs d’une littérature féminine égyptienne qui remet en question les normenormes d’une sociétésociété patriarcalepatriarcat minimalisant et marginalisant la femme. Ce qui attire le plus l’attention, c’est la poétique novatrice d’un discours de nature contestataire. L’écriture, dans les deux cas, est marquée par une violenceviolence qui reflète un fort désir de dénoncer l’inégalité sociale. Le silence qui répond à cette violence devient un procédé pour contester l’injustice et libérer la sensibilité. Si le langage est un instrument de pouvoir, ces deux œuvres dévoilentdévoiler l’existence d’un nouveau moyen d’expression qui révèle la situation de femmes en conflitconflit avec le monde environnant.
1. La Rebelle
Aïcha AboulAboul Nour (Aïcha) Nour est née et a été élevée au Caire. Elle a étudié à la Faculté de Mass Media et obtenu un diplôme en journalisme de l’université du Caire en 1974 puis, à partir de 1975, a été rédactrice au magazine hebdomadaire, Akher Saâ (Dernières nouvelles) où elle a été responsable des sections culturelle et littéraire et s’est montrée particulièrement intéressée par toutes les questions féminines. Elle a publié trois recueils de nouvelles en 80, 89 et 90 : Peut-être comprendriez-vous un jour (Robbama tafham yawman), Une rencontre au Temps de l’Amour perdu (Al Liqa’ fi Zaman al Hob al Daëi), Les Hommes aussi ont peurpeur (Al Rigal Aydan Yakhafoun). Elle est également l’auteure de deux romans, édités en 1981 et 1985. Le thème essentiel de la plupart de ses textes est le conflitconflit entre l’homme et la femme. Certaines de ses nouvelles ont été traduites en français, en allemand et en anglais.
La Rebelle, une nouvelle de trois pages et demie, parue dans Peut-être comprendriez un jour (Robbama tafham yawman), raconte l’histoire d’une femme anonyme, « Elle », qui se trouve dans une chambre et se prépare à sortir, mais se rend compte que toutes les portes de la chambre – il y en a trois – et son unique fenêtre sont hermétiquement fermées et verrouillées. Jusqu’à la fin du récit, elle essaie de trouver une issue et utilise tout ce qu’elle trouve pour faire un trou dans l’une des portes de la chambre.
Tout au début, ce récit met l’accent sur la féminité du personnage : « Elle » est une femme belle, coquette, qui aime vivre. Cela se voit dans sa manière de se vêtir, de se coiffer et de se préparer pour sortir :
Elle était parée de tous ses atouts naturels, de ses vêtements harmonieux aux couleurs douces entremêlées avec un art et un goût raffinés. Ses cheveux brillants et lourds étaient noués derrière ses petites oreilles avec une grosse épingle (R, 35).
Or, elle se heurte aux portes fermées de cette chambre qui a la forme d’une cellule :
D’un gestegeste spontané, elle tire la porte pour sortir. Elle est surprisesurprise de la voir verrouillée. Elle recommence son geste mais en vain… Elle court vers la seconde porte de la chambre… puis se précipite sur la troisième… Toutes les portes sont hermétiquement verrouillées. Elle saute par-dessus le mobilier modeste de la chambre exiguë pour parvenir à l’unique grande fenêtre. Mais, elle se cogne contre le rideau d’acier épais qui l’encadre (R, 35).
La première réaction de cette femme est de crier : « alors, d’une voix rauque, elle laisse échapper des criscri stridents et successifs et l’échoécho de ses cris revient à ses oreilles, lui faisant mal, secouant le tréfonds de son âme assiégée » (R, 35). Ses cris ne serviront à rien. Elle se rend compte qu’elle doit agir et ne peut compter que sur elle-même. Elle décide de se battre et tente, de toutes ses forces, de trouver l’issue de ce labyrinthe monstrueux où toutes les portes sont impraticables. Mais la situation se renverse quand elle comprend que ses appels au secours vont la rendre de plus en plus faible, qu’ils seront le signe de son incapacité à faire face à la situation où elle se trouve.
« Elle » vide alors son sac, sort tous ses petits outils féminins, comme sa lime à ongles, son épingle à cheveux, sa pince à épiler, le couvercle de son rouge à lèvres et le taille-crayon dont elle se sert pour tailler son crayon à sourcils. Tous ces outils très fins, qui étaient auparavant les symbolesymboles de sa féminité et de sa beauté serviront désormais dans sa bataille pour la liberté. Elle utilise chaque petite chose afin de faire un trou dans l’une des portes de la chambre :
La voilà qui parvient à y faire un trou minuscule qui ne dépasse pas la tête de l’épingle à cheveux métallique qui emprisonne ses boucles touffues et luisantes derrière l’oreille. Elle la tire sans hésitationhésitation. Libérées, les mèches foncées voltigent follement dans tous les sens sur son front, sur ses épaules. Elle enfonce son arme dans la partie faible de l’obstacle massif (R, 36).
L’auteure décrit minutieusement ce travail silencieux et épuisant et elle souligne la manière impressionnante de contester ou de dire non, non par les mots, la parole, mais par les gestegestes d’un corps faible quoique mû par une volonté décisive : « le cercle s’élargit… la cavité s’approfondit… le cœur faible du corps brutal, massif, saigne plus fort » (R, 37).
Face à « Elle », un personnage masculin est introduit au milieu du récit. Nommé « l’œil », ce personnage se trouve à l’extérieur de la chambre où elle est enfermée. Énervé, il la surveille en train d’essayer d’élargir ce trou avec une « ardeur » et un zèle sans pareils. Nous comprenons que c’est lui qui l’a enfermée – encerclée – dans cette chambre : « un œil cruel la regarde à travers le trou de son cercle. Il observe son ardeur au travail et son éventuelle chance de parvenir à la liberté et au salut naturel » (R, 38). Cet homme est pris de panique lorsqu’il la voit obstinée, persévérante dans son « travail », proche d’atteindre sa « liberté » :
L’œil est foufolie de rage de voir à quel point elle est tenace et opiniâtre et qu’elle avance dans son travail. Dans un minuscule coin de la pièce exiguë, il la surveille (regarde) en train d’épuiser toutes ses armes féminines primitives (R, 39).
Ce récit dynamique, où aucune parole n’a été prononcée, nous présente le personnage féminin, « Elle », en train de lutter, de se battre pour la vie, en se servant de « ses armes primitives », de « ses armes féminines », afin d’élargir « le cercle » où elle étouffe, de trouver une issue au siège monstrueux dont elle est victimevictime. Elle devrait cricrier, supplier son bourreau de lui ouvrir la porte pour la laisser partir. C’est d’ailleurs ce qu’il attend de sa prisonnière : « Il veut qu’elle capitule, qu’elle proclame à tout prix sa défaite » (R, 39). Mais, obstinée, bien déterminée et silencieuse, elle décide d’agir par elle-même en fabriquant de ses propres mains une sortie à sa prisonprison pour arracher sa liberté à celui qui la retient enfermée.
Le texte se clôt sur la persévérance de « Elle » qui, malgré l’épuisement de toutes ses armes, continue en enfonçant ses propres ongles dans le trou afin d’en agrandir le diamètre :
Comme l’infirme qui résisterésistance de toutes ses forces pour se libérer du fardeau du handicap qui lui a été imposé par l’oppression et le terrorisme, elle enfonce ses dix ongles aigus et pointus, la dernière arme qui lui reste et continue à élargir le diamètre de son cercle… (R, 40).
La fin de ce récit symboliquesymbole met ainsi l’accent tout à la fois sur la faiblesse de la femme, (« son handicap ») et sur sa détermination, sa forte décision d’aller jusqu’au bout de sa bataille contre l’homme et pour sa liberté. Elle devient ainsi la femme, soit n’importe quelle femme égyptienne se heurtant cruellement à la sociétésociété rigide, au système patriarcalpatriarcat représenté par « l’œil cruel » qui tente de la paralyser, de l’enfermer afin de l’empêcher de vivre comme elle le veut, d’être libre, de s’épanouir et d’exister en tant que personne à part entière. Le texte dit et redit surtout la volonté ardente de la femme de mener son combat contre la société, malgré la petitesse de ses armes et de se battre jusqu’au bout pour être indépendante et exister hors de toute tutelle.
Passons au second texte, celui de Latifa ZayyatZayyat (Latifa), Perquisition ! Carnets intimes.