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Kitabı oku: «Un Cadet de Famille, v. 1/3», sayfa 15

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XXXVII

L'équipage du grab s'amusait constamment aux dépens de Louis, dont il ridiculisait les gestes, la figure et les habitudes: mais cette amicale moquerie était rieuse, inoffensive, sans méchanceté, car tous les hommes du bord avaient contracté envers ce brave et loyal garçon une dette d'amitié ou de reconnaissance. Toujours bon, toujours honnête et serviable, Louis se montrait infatigablement industrieux: puis, comme son estomac avait la régularité d'un véritable chronomètre, il ne mettait jamais le moindre retard dans le service des rations, du partage desquelles, malgré son économie, il n'était nullement parcimonieux.

La parfaite organisation du système de dépense établi par le consciencieux munitionnaire satisfaisait tout le monde, et Louis était enchanté de voir ses matelots joyeux, dodus et bien portants.

Un seul personnage paraissait indifférent, non-seulement au physique, mais encore au moral, à l'excellente nourriture distribuée par Louis, et ce personnage était l'étique Van Scolpvelt.

– Je crois, disait le munitionnaire, que ce docteur hollandais est le diable sous forme humaine; il vit de lecture et de tabac; sa pipe fume toute la journée; il ne mange pas, il ne dort que d'un œil.

En entendant l'éloge que nous faisions des admirables qualités de Louis, de Ruyter, qui entrait dans la cabine, dit en s'asseyant près de nous:

– Il n'y a rien de si utile et de si important pour un commandeur que de bien nourrir ses hommes. Les matelots mangent très-peu, mais si les aliments leur sont parcimonieusement limités, ils deviennent aussi indomptables et aussi sauvages que les bêtes fauves. Votre flotte, ajouta de Ruyter en se tournant vers Aston, s'est révoltée une fois, et cette flotte vous prit vos murs de bois, parce que vous aviez mesuré en petites portions leur part de nourriture. Pour nous, qui tenons notre autorité du suffrage universel de ceux qui se placent sous sa domination, il serait excessivement dangereux d'être entouré par des hommes mécontents et affamés. La faim est sourde à la voix de l'honneur; elle ne connaît pas la crainte; elle brise les liens de fer de l'habitude. Le seul abus qu'il soit nécessaire de réprimer à bord d'un vaisseau est celui des liqueurs, car l'ivresse réveille les idées d'indépendance et d'insubordination.

– Allons, vieux Louis, dit de Ruyter, donnez-nous encore une rasade de genièvre, et comme mes hommes ont beaucoup travaillé, je vous engage à leur porter à boire. Vous avez corrompu l'orthodoxie de nos Arabes, votre superbe éloquence a vaincu leurs scrupules. Ce Louis, continua de Ruyter en riant, a persuadé à mon équipage musulman que le gin n'a jamais été défendu par Mahomet, que les libations prohibées sont celles du vin; la raison de cette dernière défense vient de la faveur dont jouit le gin dans le paradis des croyants. Une vision miraculeuse m'a assuré ce que je vous dis, déclama Louis le munitionnaire: les jours où quelques rebelles refusèrent le genièvre, un ange m'est apparu; il m'a donné une bouteille de grès pleine de gin, et ce gin était un échantillon de celui qui se boit dans le séjour des bienheureux.

Après avoir rempli sa commission, Louis vint nous dire qu'un requin suivait notre sillage.

– Nos provisions fraîches sont épuisées, ajouta-t-il, je vais l'attraper; il sera très-bon à manger, car je le ferai cuire moi-même.

Aston et de Ruyter me suivirent sur le pont. J'appâtai le croc avec des entrailles de volailles, et je le lançai devant le poisson. À peine le vorace animal eut-il aperçu ma friandise qu'il se précipita sur elle, et, sans bénir le ciel de la trouvaille, il avala viande et pointes de fer. Nous le hissâmes sur le pont, et Louis eut bientôt taillé sur ses côtes un plat de côtelettes.

– Ma foi, il a mérité sa mort, dit le munitionnaire en montrant les restes d'une jaquette de matelot enfouis dans l'estomac du monstre.

Les hommes du bord passèrent la soirée autour du requin. De Ruyter s'absorba dans la lecture d'un drame de Shakspeare, et je restai songeur, cherchant à prévoir l'avenir qui m'était réservé.

Le temps passait, toujours rapidement, emporté sur les ailes de la satisfaction; si quelquefois l'harmonie de notre tranquillité était interrompue par les inévitables rencontres d'un voyage à travers l'Océan, ces nuages fuyaient bientôt vers l'horizon, en laissant le ciel plus bleu et plus limpide. J'étais donc heureux entre deux hommes que j'aimais et que j'admirais à la fois. Il ne manquait au complément de mon bonheur que la présence de Walter. Un déluge eût englouti le monde, que le grab serait resté mon arche. Je n'aurais rien perdu, car, à cette époque, l'affection que je ressentais pour de Ruyter absorbait mon cœur. Il y avait entre mes deux amis, malgré la différence de leur éducation, de leur patrie, de leurs habitudes, une profonde ressemblance. Chez l'un comme chez l'autre existaient une grande stabilité d'esprit, un courage héroïque, des manières douces, affectueuses, un air mâle, fier, et l'inaltérable bonté des grands caractères.

Les marins considèrent la mer comme leur patrie, et tous les vrais enfants de Neptune sont frères; les préjugés nationaux lavés et effacés par les éléments permettent de former vite des amitiés qui durent longtemps. Quand les marins partagent leur bourse, cette action se fait avec plus d'empressement et de générosité que n'en mettra sur terre un frère à obliger son frère avec la garantie des hypothèques. Le mot emprunter ou prêter n'existe pas dans le langage d'un matelot. Il donne ou il reçoit; ce qui ferait croire que l'amitié, la confiance et la sincérité ont cherché un refuge sur l'océan.

Un matin, nous aperçûmes à l'ouest une voile étrangère, qui dirigeait sa course vers nous.

De Ruyter nous dit:

– C'est une corvette française.

Nous hissâmes un signal secret, et elle répondit.

Au coucher du soleil, la corvette vint sous nos quartiers, et, après une conversation avec le capitaine, de Ruyter alla à son bord.

Au retour de notre commandeur, nous changeâmes notre course vers l'île de Madagascar.

Plusieurs de nos blessés moururent, et, n'ayant pas assez de place sur le grab pour garder les prisonniers sans un grand embarras, de Ruyter demanda à Aston s'il voulait lui permettre de les confier au capitaine de la corvette.

– C'est un homme humain, dit de Ruyter, ils seront très-bien traités.

– J'y consens, répondit Aston, qui présida lui-même au transfert des prisonniers.

Aston et quatre Anglais dévoués à leur jeune lieutenant restèrent avec nous.

XXXVIII

Cette corvette, nous dit de Ruyter, a été envoyée pour examiner et mentionner les détails d'un acte de piraterie qui, on le suppose, a été commis par les Marratti, formidable nid de brigands perché vers le nord, sur la pointe de Madagascar.

Les Portugais et les Français ont tenté plusieurs fois de s'établir dans l'île de Madagascar, mais leur séjour n'a jamais pu s'y prolonger, tellement les natifs le leur rendaient odieux. Ils harcelaient nuit et jour ces faibles colons, qui abandonnaient l'île en rejetant l'insuccès de leurs efforts sur l'insalubrité du climat. Quelques-uns n'avaient même pas le temps de fuir: ils étaient assassinés; ceux qui parvenaient à s'échapper le faisaient avec une telle précipitation, qu'ils abandonnaient leurs bâtiments, leur famille, et les Marratti s'emparaient de tout.

Ces Marratti sont une ancienne horde de pirates qui demeurait autrefois à l'est de Madagascar. De là, ils jetèrent dans les îles voisines une profonde terreur, car ils étaient alliés avec les corsaires de Nassi-Ibrahim, nommés plus tard les corsaires de Sainte-Marie. Ils détruisaient ou s'emparaient des provisions et des bestiaux envoyés aux îles par Madagascar. Quelquefois ils débarquaient sur les côtes, brûlaient et massacraient tous les habitants des îles Maurice et Bourbon. Les Hollandais, qui possédaient alors l'île Maurice, furent si tourmentés par le manque de vivres, si harassés par ces frelons, qu'ils abandonnèrent le pays. Comme les Portugais, les Hollandais eurent leur excuse toute préparée. Ils prétendirent que les sauterelles et les rats étaient la cause qui activait le désordre de leur fuite. Mais, ainsi que le dit le vieux Shylock, il y a des rats de terre et des rats d'eau. Ce furent des rats d'eau qui chassèrent les Hollandais.

Retirés au cap de Bonne-Espérance, les pauvres gens y trouvèrent le sauvage Hottentot, un animal peu agréable, mais cependant moins dangereux et moins rongeur que les rats (c'est-à-dire les pirates). Les Français, qui s'étaient établis dans l'île Bourbon, profitèrent avidement du départ des buveurs de gin: ils se précipitèrent dans leur nid, sans attendre même qu'il fût froid. À cette époque, Port-Louis était un misérable hameau; car les Hollandais adorent la boue et le bois, matériaux avec lesquels ils construisent leurs habitations.

Quelque temps après ces diverses installations, les compagnies française, portugaise et hollandaise équipèrent un armement pour exterminer les Marratti, qui continuaient à faire un grand ravage dans leur commerce. Ils attaquèrent la place forte de Nassi-Ibrahim, refuge des pirates, et réussirent, non sans de grandes pertes, à détruire une partie de leurs canots de guerre et à les chasser vers les montagnes de Madagascar.

Un mois de repos suivit cet exploit, puis les Marratti, après avoir exterminé une colonie française que la compagnie avait établie dans la baie d'Antongil, se rétablirent de nouveau sur les côtes de Madagascar, près du cap de Saint-Sébastien, où leur nombre devint alors formidable. Encouragés par les natifs, qui les trouvèrent moins désagréables que les Européens, lesquels ravageaient leurs côtes et les tuaient pour conquérir plus facilement des œufs frais ou une salade, les Marratti élargirent le cercle de leurs dévastations; ils dépeuplèrent le Comore, Mayatta, Mahilla et toutes les îles de leur voisinage, dont ils saisissaient les habitants pour les vendre comme esclaves aux marchands européens.

Avant leur expulsion de Nassi-Ibrahim, on ne pouvait leur persuader d'entrer dans le commerce des esclaves, car ils avaient pour ce commerce une si profonde horreur qu'ils massacraient invariablement l'équipage de chaque vaisseau qui tombait dans leurs mains, poursuivant comme une vengeance ce détestable trafic en comparaison duquel leur piraterie leur paraissait honorable. Cette conduite antérieure à leur première défaite avait servi à la combinaison de la compagnie pour arriver à les anéantir comme des barbares peu chrétiens et assez aveuglés pour ne pas comprendre leur propre intérêt. À Saint-Sébastien (qui, je le suppose, est le patron des esclaves), les Marratti prouvèrent qu'ils avaient non-seulement changé leur manière d'agir, mais encore qu'ils étaient moins portés vers le paganisme qu'on voulait bien le croire, car avec un vrai zèle chrétien, ils entrèrent dans toutes les ramifications du commerce des esclaves, ils accaparèrent ce trafic dans l'Est avec le système exclusif dont se servaient les méthodiques Hollandais pour vendre l'épice, et les Anglais pour exploiter les feuilles de thé.

Pour tout faire avec ordre, les Marratti comptèrent leur population, se divisèrent en districts, calculèrent leurs produits, et au commencement de chaque saison ils envoyèrent une flotte de proas pour visiter en rotation les différentes îles. Mais ils se gardaient bien de tomber sur la même île plus d'une fois dans l'espace de quatre années. Quand ils faisaient leur descente, ils choisissaient les habitants jeunes et robustes, depuis l'âge de dix ans jusqu'à celui de trente. Après avoir été marqués d'un fer chaud noirci de poudre, ces malheureux étaient transportés à Saint-Sébastien et vendus comme esclaves aux Français, aux Portugais, aux Hollandais et aux Anglais. Les Marratti s'instruisirent fort à l'école des Européens; ils apprirent encore à savoir tirer un grand parti de la discorde en semant le germe de ces disputes parmi les natifs de Madagascar, et cela en leur montrant l'avantage qu'ils auraient de se vendre les uns les autres. À ce trafic, les Marratti gagnèrent un très-joli intérêt, une sorte de dustovery. Alors les fils furent vendus par leurs pères, les frères et les sœurs par l'aîné de la famille, et tout fut accepté comme un commerce juste et honorable.

Sur ces entrefaites, un schooner français, ayant débarrassé un village de ses volailles et de ses moutons, fut poursuivi par les Marratti, abordé, pris, avant que les Français eussent eu le temps de couper la gorge aux moutons; ils furent eux-mêmes massacrés, et les innocents agneaux reprirent le chemin de leur pâturage. Les représentants de la grande nation, établis à l'île Maurice, furent frappés d'horreur, et on décida que si cette audacieuse atrocité n'était pas expiée par une destruction complète des pirates, l'honneur de la France se trouverait compromis. Le massacre des natifs de Madagascar fut d'abord prémédité, mais ce projet de rigueur échoua devant une malheureuse circonstance. Toutes les forces que les Français avaient à leur disposition se composaient de deux frégates, bloquées dans le Port-Louis par deux vaisseaux anglais. Enfin une corvette arriva et fut envoyée par des ordres très-amples; mais les moyens sont limités pour les exécuter. Cette corvette, mes amis, est celle que nous venons de rencontrer.

Quand de Ruyter nous eut quittés, je dis à Aston: – Bien certainement, nous allons attaquer les Marratti.

Le lendemain, le commandeur de la corvette vint à notre bord. Il employa tous les arguments possibles pour persuader à de Ruyter de se joindre à l'expédition.

– Venez dîner à mon bord avec ces messieurs, ajouta-t-il en désignant Aston et moi; vous me donnerez, au dessert, votre réponse définitive.

XXXIX

– Il y a une grande difficulté à l'exécution de votre projet, commandant, dit de Ruyter; mais si vous croyez qu'il nous soit possible de la surmonter, je me ferai non-seulement un devoir, mais encore un plaisir de partager les périls de votre expédition. Cette difficulté est notre faiblesse matérielle, car par nous-mêmes ils nous est littéralement impossible d'agir. D'abord nous ignorons dans quel lieu ils se trouvent, ces Marratti. (Je ne parle pas ici de les attaquer à Saint-Sébastien.) Puis, quel est leur nombre? Il faut également que nous soyons informés du motif de leur attaque contre le drapeau français, et si le schooner leur avait donné réellement un sujet de plainte. Car, mon cher commandant, et je suis fâché de le dire, nous sommes quelquefois trop emportés et trop arrogants dans notre manière d'agir vis-à-vis les natifs de ces îles. En conséquence, notre devoir est de chercher à connaître le premier agresseur. Si les Marratti ont tort, nous les punirons.

– J'ai abordé plusieurs vaisseaux, capitaine, répondit le commandeur, et tous m'ont dit qu'ils avaient été récemment pillés par les canots de guerre de Saint-Sébastien.

– Je croyais que les Marratti n'allaient sur mer que vers le sud-ouest, à l'époque des moussons. Cependant je ne mets pas en doute la mauvaise action dont ils se sont rendus coupables envers le schooner. Malheureusement je suis forcé d'être prudent et de me demander si une attaque faite avec passion ne sera pas une témérité regrettable.

– Ils sont en mer dans ce moment, capitaine, et je suis certain de la vérité de mes paroles; seulement il m'est impossible de désigner le lieu où ils se trouvent. Pensons d'abord à vos dépêches, car je crois que nous allons avoir une occasion pour les envoyer; je m'attends tous les jours à faire la rencontre de nos bateaux de transport.

La corvette et le grab marchèrent ainsi de compagnie. Le temps était beau, et nous passions les heures du jour et celles de la nuit d'une manière très-agréable. Aston, qui avait été prisonnier en France pendant son premier séjour sur la mer, parlait français aussi bien que de Ruyter. Au point du jour les deux vaisseaux se séparaient, et au coucher du soleil nous les rapprochions, afin de passer la nuit ensemble.

Le premier vaisseau que nous rencontrâmes fut un schooner, et après l'avoir chassé longtemps, nous découvrîmes que c'était un bâtiment américain. Aussitôt qu'à son tour il nous eut reconnus pour être des Français, il mit en panne. Cet américain était un magnifique vaisseau aux mâts élancés, terminés en pointe, aux girouettes en queue-d'aronde, volant çà et là comme des feux follets. Le drapeau étoilé voltigeait sur la poupe, et quand le vaisseau tourna sous le vent pour se mettre en panne, il mit dans ses mouvements une vitesse et une légèreté d'oiseau qui n'appartient qu'à cette classe de bâtiments. Il s'agitait avec la grâce et la fierté qu'apporte dans sa course un coursier arabe traversant le désert.

L'Amérique a le mérite d'avoir perfectionné cette merveille nautique, et elle surpasse tous les autres vaisseaux par ses proportions exquises, par sa beauté autant que la fine et souple gazelle surpasse toute la nature animale.

Un bateau léger, presque féerique, fut lancé à la mer par-dessus le plat-bord, et j'avais de la peine à comprendre comment il était possible que ce léger esquif pût supporter le poids des quatre hercules qui en dirigeaient la course. Deux ou trois coups de rames l'amenèrent auprès de nous, et de Ruyter fut joyeusement surpris en reconnaissant des compatriotes; car, Hollandais par son père, il s'était fait naturaliser Américain. Après avoir affectueusement serré la main du capitaine du schooner, qui était de ses amis, après avoir longuement causé de Boston-Ville, où s'était écoulée sa première jeunesse, de Ruyter demanda pour quelle destination voyageait le schooner.

Il avait touché à Saint-Malo et voguait vers l'île Maurice.

Ce schooner était un de ces vaisseaux qui sont remarquables pour l'excessive rapidité avec laquelle ils naviguent, et qui suivent ce que l'on appelle un commerce forcé de drogues et d'épices. Généralement ces vaisseaux étaient américains, et, après avoir quitté l'Amérique, ils touchaient à quelque port français, prenaient du papier, des livres, des commissions, des lettres; et comme tous les hommes du bord avaient une part dans les profits de la cargaison, ils étaient tous intéressés au succès de l'entreprise.

Le schooner que nous venions de rencontrer avait, à mon avis, une cargaison plus riche qu'une mine d'or; elle se composait des meilleurs vins de France et de différentes liqueurs européennes. Tous ces précieux liquides devaient être échangés à l'île Maurice contre des épices. Le schooner avait déjà passé sous les baguettes de l'escadre anglaise, dans la baie de Biscaye, ainsi qu'au cap de Bonne-Espérance; et si nous ne l'avions pas informé des événements, il n'eût point évité les Marratti.

De Ruyter conseilla au capitaine d'entrer dans le port de l'île Maurice par le côté opposé au vent; il lui donna nos dépêches, ainsi qu'un paquet de lettres. En échange, le capitaine fit passer sur notre bord une pipe de vin de Bordeaux, une pièce de cognac et une grande quantité de vivres.

La corvette vint nous rejoindre. Nous nous séparâmes du schooner, et nous continuâmes notre course vers Saint-Sébastien.

Quelques jours après, nous fîmes la rencontre de plusieurs vaisseaux arabes; ils avaient été pillés, et la plupart n'avaient plus à leur bord que de pauvres vieillards. Cet outrage avait été commis par une flotte de dix-huit proas, montées chacune par une quarantaine d'hommes. Ces malheureux nous apprirent que la flotte se dirigeait vers les îles situées dans le canal de Mozambique.

Après une longue conférence avec le capitaine de la corvette, il fut décidé que, pendant l'absence d'une partie des pirates, nous ferions une descente sur Saint-Sébastien.

– Nous allons, dit de Ruyter, nous diriger vers ce repaire de brigands pendant la nuit; il nous sera facile de les surprendre, de détruire leurs fortifications, de brûler leur ville et d'emmener leurs prisonniers.

Ce plan d'attaque arrêté, la corvette nous donna deux canons de cuivre et quinze de ses soldats.

Aucun événement particulier ne troubla notre course, et nous arrivâmes bientôt en vue des montagnes de Madagascar. Des pêcheurs de baleines nous donnèrent toutes les informations dont nous avions besoin pour diriger savamment notre attaque.

À la faveur du crépuscule, de Ruyter nous pilota au travers d'un étroit canal dans la retraite, et vers minuit nous nous trouvâmes à l'est, près des rochers cachés par le cap placé entre la ville et nous.

La nuit était profondément obscure. Nous fîmes sortir nos bateaux, et nous débarquâmes cent trente soldats et marins, tous résolus et bien armés. Pour rendre justice et pour faire apprécier le caractère du capitaine français, je dois dire ici qu'il n'était point jaloux de la supériorité de de Ruyter; que non-seulement il la reconnaissait, mais encore qu'il avait insisté pour que ce dernier prît le commandement. Il ordonna donc à ses officiers d'obéir implicitement aux ordres du commandeur du grab, car il restait lui-même sur la corvette.

En débarquant, de Ruyter divisa ses hommes en trois parties, se réservant pour lui une troupe composée de cinquante hommes armés de mousquets et de baïonnettes. Le lieutenant français eut trente-cinq marins sous ses ordres, moi j'en reçus trente, et parmi ces hommes j'avais plusieurs Arabes de la compagnie favorite de de Ruyter.

Nous marchâmes ensemble jusqu'à ce que nous fûmes passés de l'autre côté du cap. Là, de Ruyter me dit de grimper sur les rochers et de faire le tour de la colline au pied de laquelle était située la ville; je ne devais m'arrêter qu'en me trouvant placé au-dessus de Saint-Sébastien. Le lieutenant continua sa course le long du rivage et se mit en face de moi; de Ruyter dirigea ses hommes en avant. Nous devions marcher aussi près que possible les uns des autres et prendre les précautions les plus minutieuses pour éviter d'être découverts. Il avait encore été convenu que nous devions jusqu'au point du jour rester en silence dans nos positions respectives, que le signal annonçant l'heure de l'attaque serait une roquette faite par de Ruyter.

Protégés par la solitude de la nuit, nous pouvions faire toutes les observations possibles, afin d'entrer facilement dans la ville, qui n'était défendue que par des murs de boue, et qui avait trois portes d'entrée. En prenant possession de ces trois portes, nous devions y laisser une partie de nos hommes, afin de les garder. Il fut ordonné de tuer ou de faire prisonnière toute personne qui essayerait de fuir. Si nous étions découverts et attaqués avant le signal, il fallait se replier sur de Ruyter.

– Ne tuez que les gens armés, avait encore dit notre commandant, et surtout évitez de faire aucun mal aux femmes, aux enfants et aux prisonniers.