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Kitabı oku: «Un Cadet de Famille, v. 1/3», sayfa 6

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XIII

En outre de l'affection que j'avais pour Aston, je me sentais vivement entraîné vers un jeune élève nommé Walter. Il n'y avait cependant entre nos deux caractères aucune ressemblance, ou pour mieux dire, nous différions dans nos goûts, dans nos habitudes et même dans notre manière de juger les choses. Cependant un motif puissant m'avait jeté vers lui avec l'amitié d'un frère dans le cœur. Walter avait été fort malheureux, et son père s'était montré envers lui plus cruel encore que le mien. Peut-être, dans les esprits scrupuleux, le pauvre enfant avait-il mérité la haine de son père en faisant son entrée dans le monde humanitaire d'une manière hétérodoxe et contraire aux lois. Parents, amis et tuteurs n'avaient pas été consultés, l'Église s'était vue frustrée de ses droits, ses saints ministres fraudés de leurs gages.

Il n'y avait point eu de gai carillon aux cloches du village où il était né, point de joyeux amis, point de voix harmonieuses pour souhaiter au petit étranger la bienvenue de sa présence.

Rien de tout cela; mais, au lieu des bons présages qui fêtent ordinairement l'entrée d'un enfant dans son berceau, ce furent des figures attristées, des femmes craintives, des mains tremblantes qui reçurent le nouveau-né.

Sa mère avait été transportée nuitamment dans l'obscur faubourg d'une grande ville, et on employa pour la dissimuler aux regards autant de précautions, de soins, d'artifices, d'argent qu'il en faut pour cacher un crime de meurtre.

Ce mystère fut la seule attention paternelle que donna à Walter l'auteur de ses jours.

La mère du pauvre abandonné était une de ces mille malheureuses qu'a séduites une promesse de mariage, une de ces infortunées qui ont cru aux protestations d'amour éternel, de constante adoration, d'inviolable fidélité, aux serments d'un lord! Comme si un lord pouvait aimer et rester fidèle à autre chose qu'à l'orgueil de son nom, qu'à la vanité de sa couronne. Comme si un lord pouvait hésiter un instant à sacrifier femme, enfant, famille, repos des uns, honneur de l'autre, à la crainte de paraître coupable, à la crainte d'entacher, même d'une ombre, la pureté de son écusson! Un lord ne peut tenir ses serments ainsi qu'un plébéien, il ne peut non plus reconnaître son enfant illégitime: il faut laisser cette prud'homie au peuple.

Walter fut élevé dans une maison de charité. Le Blue-coat-School est un établissement fondé par la royauté pour l'éducation des pauvres orphelins, enfants sans famille, et qui étaient moins pauvres que ce fils d'un homme qui avait cinquante mille livres de rente! Cette institution, qui n'est pas la seule en Angleterre, est une admirable place pour élever les bâtards de l'aristocratie, et le peuple doit être fier du haut et puissant privilége qui lui accorde de dépenser son argent pour l'entretien et l'éducation des enfants abandonnés de ses arrogants seigneurs. Ce serait en vérité un horrible sacrilége si une seule goutte de ce sang noble ne s'alimentait pas de la sueur du peuple.

La mère de Walter employa tout son courage et toutes ses ressources pour placer son fils dans la marine; mais, pauvre et sans protection, Walter n'y mena qu'une vie triste, sans espoir d'avenir, une vie de persécutions qui ne fut point améliorée sous la domination du lieutenant écossais. Ce brutal personnage appesantit sa force sur la faiblesse du pauvre garçon, et l'attrista tellement que, presque sans se rendre compte à lui-même des changements de son esprit, Walter devint pensif, soucieux, presque indifférent à tout ce qui se passait autour de lui. Après avoir fui nos réunions, il s'éloigna complétement de nous et ne nous adressa plus la parole.

Cette conduite, dans laquelle se révélait une immense douleur, m'attira à lui, et je devins, malgré son mutisme, le plus attaché de ses amis. Souvent, et sans qu'il s'en aperçût, tant le pauvre enfant était absorbé dans ses sombres rêveries, je remplissais ses devoirs, et peu à peu, de jour en jour, j'arrivai à conquérir sa confiance et son amitié.

En cherchant par quel moyen il me serait possible d'infliger au second lieutenant la juste punition de la revanche que je m'étais promis de prendre, il me vint à l'esprit de compléter le rôle ridicule que nous lui faisions jouer depuis l'aventure du vaisseau malais en traçant au crayon le tableau de son obéissance empressée à se rendre au signal du rappel pendant que les deux autres bateaux se hâtaient impatiemment d'arriver sur le malais.

Je fis la composition de mon œuvre; mais, comme Walter avait plus de talent que moi pour le dessin, je lui persuadai de faire une bonne copie de mon travail.

L'ouvrage terminé, je saisis pour faire éclater ma bombe le moment où, rassemblés autour de la table servie, tous les officiers étaient en présence.

Mon dessin glissa comme une flèche sur la table, passa de main en main et excita un rire général.

Quelques minutes se passèrent avant que le principal personnage s'aperçût qu'il était le héros de mon œuvre; mais quand le dessin arriva à lui, sa longue et blafarde figure devint livide, puis couleur de citron; nous crûmes qu'il allait avoir une attaque de jaunisse. L'Écossais n'épargna ni les questions ni les recherches pour connaître l'auteur de la satire. J'oublie d'ajouter que nous avions joint à cette esquisse, pour en expliquer ironiquement le sujet, une chanson en mauvais vers, et, avec la vanité d'un auteur, ou peut-être suivant l'exemple des anciens bardes et d'un poëte moderne, je m'amusais constamment à la chanter, et cela sans souci du lieu, du temps ou des oreilles. Cette chanson devint bientôt aussi familière à l'équipage que Cessez, Hude Boreas, et Tom Bouling. Moi, je trouvais que la mienne leur était bien supérieure, mais cela parce que j'ignorais à cette époque que l'auteur de la dernière de ces chansons nationales avait obtenu une pension du gouvernement, et certes, si je l'avais su, je n'aurais point osé me mettre sur le même rang de versification et d'esprit. La seule récompense que me donna cet ingrat lieutenant, que j'étais si infatigable à immortaliser, fut un ordre de me taire; c'était animer la flamme: je chantais, ou, pour mieux dire, nous chantions de plus belle.

Quelques jours après le premier acte de notre petite comédie de vengeance, le lieutenant apprit que le dessin avait été fait par Walter.

– Je croyais que cet infâme barbouillage était l'œuvre du vagabond – j'étais ledit vagabond – l'œuvre de cet enfant du diable, car il est capable de toutes les atrocités, mais on le protége ici; son insolence n'a-t-elle pas le soutien du premier lieutenant, celui d'Aston? Petit misérable, petit brigand, il mourra sur les pontons: je ne puis rien contre lui; mais quant à Walter, à ce blême et maladif garçon qui est battu et maltraité par tout le monde, pardieu! je le dégoûterai tellement de la vie, qu'il finira par se noyer.

L'Écossais s'appliqua si lâchement à tenir sa parole, qu'à force de ruse, de lâcheté, de perfidie, il arriva à persuader au capitaine et au premier lieutenant que Walter était indiscipliné, paresseux, insolent, incapable de remplir le plus simple devoir.

Walter fut donc constamment puni, et tomba dans le désespoir.

Un jour, exaspéré par l'injustice d'une punition sans motif, il répondit insolemment à l'Écossais et refusa de lui obéir.

Son insubordination prit sur les lèvres du lieutenant des proportions si révoltantes contre la discipline, que Walter fut dégradé de son titre d'officier et attaché au mât comme un criminel.

Malgré la défense expresse de parler au malheureux garçon, j'essayai de le consoler; mais son cœur si doux, si patient, si bon, était littéralement brisé: il se dégoûta de la vie, et j'eus la douloureuse crainte qu'il ne réalisât le monstrueux souhait du lieutenant, qui tentait de le pousser à se donner la mort.

Toutes mes paroles d'amitié et d'encouragement restaient perdues: Walter ne les entendait pas, il ne les écoutait pas. Cette inertie m'affectait horriblement. Enfin j'employai le dernier moyen que me suggérait ma tendresse pour le pauvre enfant, en lui disant que j'avais pris la détermination de quitter le vaisseau et la marine aussitôt que nous serions arrivés à un port. En l'engageant à prendre courage, à me suivre, je lui dépeignis le délicieux plaisir que nous ressentirions en prenant une vengeance terrible des méchancetés de notre ennemi. L'espoir de cette revanche fit plus que toute la tendresse de mes paroles. Walter se ranima et parut reprendre ses devoirs avec le désir d'attirer sur lui la bienveillance de ses chefs.

Son persécuteur infernal continua de le tourmenter avec une inexorable persistance; il contraignit Walter à travailler avec les garçons de l'artimon; il l'obligea à s'habiller comme les matelots, à manger avec eux. Ce lâche, qui ne rougissait pas de torturer un enfant, usa de toute son influence sur le capitaine pour flétrir Walter par la honte d'une punition corporelle. Le commandant, juste et bon malgré sa faiblesse, refusa avec énergie d'accéder à cette demande.

XIV

Quand j'étais en faction, et particulièrement pendant les veilles de nuit, je restais auprès de Walter, et je soulageais, autant que cela m'était possible, les pitoyables gémissements du pauvre garçon contre sa misérable destinée. J'en revenais toujours, pour attirer son attention, à lui montrer la perspective d'une ample vengeance contre notre ennemi.

– Nous sommes maintenant des hommes, lui disais-je, il viendra un moment où nous aurons le pouvoir de briser les entraves qui nous gênent. Ce vaisseau n'est pas le monde, nous ne sommes pas des galériens enchaînés, condamnés à l'aviron pour toute la vie. Si les Anglais conspirent contre notre liberté, ce ne sont que des tyrans, et l'Inde, avec ses mille rois, est ouverte pour nous. Il y a de l'espoir, mon ami Walter, dans la douleur même de notre situation présente; il est impossible que nos misères s'accroissent, et un changement ne peut être qu'une amélioration.

– Oui, mon ami, répondit Walter, allons dans un pays inconnu aux Européens, dans un pays où leur race maudite n'aura jamais paru, et où ils n'oseront pas nous suivre; abandonnons une patrie où nous n'avons ni patrimoine, ni parents, ni amis; changeons de nation, de tribu, et cherchons une demeure parmi les enfants de la nature. J'ai lu que les hommes primitifs étaient bons, hospitaliers, généreux: allons à eux; qui, mieux que nous, pourra apprécier et leur simplicité et leur grandeur natives? Nous, qui sommes opprimés, torturés, chassés du sol natal par les injustices du sort, par la cruauté des hommes. Pour moi, devant mes yeux, le paria lépreux et méprisé, haï par tous, jouit, dans sa liberté restreinte, d'un bonheur suprême, si je compare sa vie à la mienne, ses souffrances à ce que j'ai souffert, à ce que je souffre encore.

– Quant à la lèpre, mon cher Walter, m'écriai-je, elle est en dehors de la question, puisque mon intention est de travailler, de me servir de mes membres; ils sont les seuls amis que je possède, et les vrais philosophes de l'Est mettent une très-grande valeur dans les dons de la nature; une plus grande valeur que les Anglais, parmi lesquels les avortons ont une ressemblance de forme et d'intelligence assez grande avec les hommes pour qu'ils les classent parmi eux; mais ces avortons naissent dans les palais, et nous qui pourrions les écraser comme une puce entre le pouce et le doigt, nous sommes obligés, par la hiérarchie des situations, de les saluer, de nous tenir tête nue devant eux! Parmi les natifs au milieu desquels nous irons vivre, il n'y a pas de dégradations si infâmes. La force, c'est le pouvoir, et les balances de la justice n'ont d'autre poids que la valeur de l'épée.

En m'entendant parler ainsi, Walter s'enthousiasmait, et son esprit charmant s'échappait de ses lèvres en paroles ardentes et passionnées. Il se transportait en imagination dans une des nombreuses îles de l'archipel des Indes, avec un arc et des flèches, des lignes de pêcheur et un canot. – Non, s'écriait-il en interrompant la description de sa vie future, non, pas de canot, car jamais je ne regarderai l'eau salée: mon sang se glacerait aussitôt dans mes veines. Je chercherai quelque ravin isolé, un vallon ombragé par des arbres, et je vivrai heureux et fraternellement uni avec les natifs.

– Tu leur prendras leurs sœurs? lui dis-je.

– Oui, mon cher Trelawnay, je me marierai, j'aurai des enfants, et je bâtirai une hutte.

– Tu te laisseras tatouer? demandai-je à Walter.

– Certainement, me répondit-il, je serai tatoué, je ne mettrai plus de vêtements. Qu'importe cela! tout ce qu'ils feront, je le ferai.

Nous passions ainsi les longues heures de veille, faisant des châteaux en Espagne, les possédant presque toujours, et oubliant nos misères jusqu'à ce que notre pastoral et romantique édifice fût entièrement détruit par la maudite, par la coassante, dolente et sycophante voix du lieutenant écossais, qui criait avec sa vulgarité d'expression:

– Taisez-vous, là-haut, ennuyeux vagabonds, ou je vous ferai descendre pour recevoir une raclée; taisez-vous, misérables gueux, ou j'appelle le contre-maître, qui viendra avec sa corde.

Alors, tellement est grande la force de l'habitude, nous descendions silencieusement pour regagner nos hamacs, et le lendemain nous nous réveillions au grondement de cette voix discordante, passant la journée à attendre la nuit, la nuit qui nous apportait dans sa robe semée d'étoiles, et l'espérance en des jours meilleurs, et les chants de l'illusion qui tracent sur le sable les féeries du désir. Le noble et généreux Aston ne cessa jamais de traiter Walter comme un gentilhomme; en voyant cela, les matelots, fins et rusés comme des esclaves, suivirent l'exemple silencieux que leur donnait le jeune officier.

J'ai raconté les événements qui se sont passés sur la frégate, non pas précisément dans l'ordre de leur arrivée, mais comme ils se sont présentés à ma mémoire.

Après être restés quelques jours à Bombay, nous naviguâmes vers Madras, et nous reprîmes le chemin de Bombay, avec des ordres secrets de l'amiral.

Un beau jour, pendant notre traversée de Bombay à Madras, il s'éleva sur le vaisseau des cris tellement furieux ou tellement effrayés, que, l'esprit encore sous l'impression d'une révolte d'équipage que je venais de lire, je crus à un commencement de mutinerie.

Je n'avais jamais vu ni pu concevoir une pareille commotion; les matelots se précipitaient les uns sur les autres par des ouvertures au travers des écoutilles; il n'y avait plus de discipline; le lieutenant qui commandait le pont était debout, pâle, stupéfait; le capitaine et la plupart des officiers donnaient des ordres et faisaient des questions tout en essayant de pénétrer la masse d'hommes qui se concentrait sur le pont avec des cris et des gémissements inarticulés. Mais ni le capitaine ni le lieutenant ne réussirent à se faire entendre; ils avaient perdu toute l'autorité de leurs voix, et, entraînés par la foule compacte, ils se trouvèrent confondus avec elle.

Je vis bientôt que c'était le désespoir et non la fureur qui était peint sur les fronts rudes et brunis des matelots.

Enfin, le premier instant de la peur passé, le secret de cette épouvante s'échappa en un cri lugubre de toutes les bouches.

– Le feu! le feu! le feu est dans les magasins de devant!

Ces effroyables paroles jetaient les marins dans une indicible terreur. Les plus braves, les plus hardis, les plus audacieux dans l'ardeur du combat, étaient inertes et sans courage devant l'écrasant malheur qui se présageait.

Le feu au magasin, le feu dans l'entre-pont, c'est-à-dire une mort hideuse, une destruction complète, sans espoir de secours ni du ciel ni de la terre!

L'habitude ou l'instinct réveilla les officiers, qui, après avoir entendu le premier cri, avaient paru s'anéantir dans le sentiment de l'unique torpeur.

Pendant l'espace de quelques minutes, personne ne bougea; tous les fronts étaient rougis par une délirante anxiété, tous les regards étaient fixés sur l'écoutille de devant, attendant et cherchant d'un œil insensé l'apparition d'une mort qu'il était impossible d'éviter. Nous étions hors de vue de la terre, et pas une voile, pas un point, pas une tache visible n'apparaissait sur la bleuâtre limpidité de l'horizon. Le seul nuage qui coupât l'air était la fumée noire et épaisse qui s'échappait de l'écoutille, et comme il n'y avait pas de vent, elle montait vers le ciel comme une colonne de marbre noir. Nous attendions à chaque instant la terrible explosion qui devait nous élancer de l'immensité des airs dans les profondeurs de la mer. Après un silence lugubre, quelques murmures confus se firent entendre simultanément, et, poussés par l'instinct de la conservation, tous les matelots se précipitèrent les uns sur les quartiers bateaux, les autres sur les côtés du vaisseau, regardant autour d'eux, dans le vain espoir de chercher un refuge.

Une petite bande de jeunes vétérans, dont les cheveux avaient grisonné dans les tempêtes de leur vie maritime, restèrent debout, immobiles, attendant la mort avec un calme résigné, mais intrépide.

La voix claire, forte et sonore d'Aston ordonna aux pompiers de préparer leurs seaux, aux soldats de marine de venir à l'arrière avec leurs armes, aux officiers de suivre son exemple. En achevant ces ordres énergiquement énoncés, Aston prit un poignard dans sa main:

– Obéir ou mourir! dit-il d'un ton ferme.

Le premier lieutenant et les officiers sortirent enfin de leur engourdissement; ils chassèrent les hommes des bateaux, les disciplinèrent, et un peu de calme rendit la manœuvre possible.

Dès que j'eus entendu la voix d'Aston, je m'avançai vers lui en disant:

– Je descendrai dans le magasin si vous voulez y envoyer les canotiers pour me passer de l'eau.

Sans attendre la réponse d'Aston, je me précipitai dans la grande ouverture à travers les écoutilles; je hâtai ma course le long du second pont, entièrement abandonné, et, saisissant une corde, je descendis, à travers la fumée, directement dans le magasin. L'obscurité y était plus profonde qu'elle ne peut l'être dans la plus profonde nuit, de sorte qu'au premier instant il me fut impossible de distinguer d'où sortait le feu. Je tâtai partout, et je sentis que mes mains et ma tête étaient atteintes par l'incendie; je pouvais à peine respirer la fumée qu'embrasait l'air. Enfin, en me heurtant contre un objet qui entrava ma marche, je sentis un corps humain, un homme mort ou ivre-mort, qui gisait au milieu de la pièce.

Le contre-maître canonnier était l'individu couché par terre. Sa pipe cassée dans sa bouche avait allumé (car tout abruti qu'il était, il fumait encore) des mèches qu'on tenait amorcées pour les canons. La négligence de cet ivrogne avait alimenté ce lent et étouffant brasier de plusieurs centaines de ces mèches; elles causaient donc l'effroyable fumée qui avait mis tout le vaisseau en révolution. Le seul danger qu'il y eût réellement était leur proximité de la poudre.

– Envoyez des hommes! criai-je.

À ce moment, Aston parut.

– Ne descendez pas, mon ami, envoyez-moi de l'eau, beaucoup d'eau, et dans quelques secondes tout sera fini.

Aston jeta sur moi le premier baquet d'eau, en disant:

– Vous êtes tout en feu!

Mes cheveux et ma chemise brûlaient. Cette aspersion saisissante, jointe à la fumée, me renversa, et je tombai sans mouvement aux pieds d'Aston qui était descendu. Il me remplaça.

L'air frais me rendit à la vie. L'incendie était éteint, la joie et le calme avaient reparu.

Le capitaine m'envoya l'ordre de monter sur le pont.

Mes traits noircis par la fumée, mes cheveux et mes sourcils brûlés, mes vêtements en désordre, ou plutôt en lambeaux, donnaient à ma personne un extérieur si diabolique que j'avais l'air d'un démon nouvellement arrivé des enfers. Tous les officiers sourirent, mais ils parurent sincèrement louer mon sang-froid et mon courage. Je dis, ils semblèrent, car il n'est point dans les habitudes de la marine d'en exprimer davantage. Me remercier eût été s'adresser à eux-mêmes une réprimande, ils ne me dirent donc rien. Le capitaine me fit donner des soins et un second poulet!

L'impression produite par l'opportunité de mon secours ne s'effaça pas aussi promptement que le souvenir de mon impétueuse attaque contre le vaisseau malais, et j'eus le loisir, sans craindre les reproches, de paresser pendant des journées entières. Si, par habitude, on revenait aux anciennes exigences, aux anciennes épithètes de lâche, de paresseux, je riais d'un air dédaigneux, et les officiers prenaient ma défense en disant: – En vérité, ce pauvre garçon mérite un peu de repos et beaucoup d'indulgence.