Kitabı oku: «Un Cadet de Famille, v. 1/3», sayfa 7
XV
Dès que le vaisseau jetait l'ancre dans un port, je saisissais avec ardeur le plus futile prétexte pour prouver la nécessité de mon débarquement, et tant que le pavillon n'était pas hissé au grand mât, il était inutile de songer à me voir reparaître sur le pont de la frégate. Quand nous entrâmes pour la seconde fois dans le havre de Bombay, je sautai un des premiers dans la chaloupe qui nous conduisit à terre, et j'allai établir mon quartier général dans une taverne de la ville pour laquelle j'avais ressenti tout d'abord une vive prédilection. Là, libre de toute entrave, de toute autorité, je me plongeais sans réflexion dans toutes sortes de plaisirs et d'extravagances. Les heures que je ne consacrais ni à la société des femmes ni aux libations des festins, s'écoulaient en longues excursions faites à cheval autour de la ville. Pendant ces courses, je m'arrêtais quelquefois dans les bazars, bouleversant tout, y faisant un tapage d'enfer. Comme sur le vaisseau, j'étais la cause des bruits et des émeutes, le boute-en-train de toutes les querelles.
Dans l'Inde, les Européens tyrannisent les natifs et leur font rigoureusement sentir leur orgueilleux pouvoir. Tous les outrages peuvent être commis sur ces pauvres gens, et cela avec la certitude de la plus complète impunité. La douceur faible et flexible du caractère des Indiens a acquis sous ce joug une subordination presque servile, et la résistance ou les plaintes leur sont à peu près inconnues. La bienveillance des Européens, le témoignage de leur reconnaissance pour les Indiens après de longs et fidèles services, sont exprimés par des flatteries et des caresses les jours de bonne et de joyeuse humeur, mais aussi par des traitements d'une insensible cruauté aux heures de spleen. Je parle ici du passé, et j'ignore si les rapports de ces deux peuples, si bien confondus l'un dans l'autre aujourd'hui, ne se sont pas complétement changés.
Quoique plongé dans les enchantements d'une liberté ivre de plaisir, je n'oubliais pas le pauvre Walter, auquel il n'avait point été permis de venir à Bombay. Je lui écrivais tous les jours, et j'avais arrangé qu'il resterait sur le vaisseau jusqu'au moment où ce dernier mettrait à la voile. En retenant un canot, je l'avais averti que, la veille du départ, il eût à se jeter à la mer à l'avant du vaisseau, et à nager jusqu'à la barque dans laquelle je stationnerais en l'attendant.
Quant à notre projet de vengeance relativement à l'Écossais, je me chargeais seul de l'exécution, car j'étais assez grand et assez fort pour lutter avec lui, et avec avantage.
Dans la taverne où j'avais établi le lieu de ma résidence, je fis la rencontre d'un marchand avec lequel je parvins à me lier intimement.
Dans la première jeunesse, on forme ainsi sans arrière-pensée, sans méfiance, des liaisons qui prennent une grande place et dans l'existence du moment qui les voit naître, et dans les souvenirs qui en rappellent les joies.
À l'époque d'un âge plus sérieux, on emploie souvent des années entières pour former ces liens du sentiment qui confondent, par la pensée, deux individus l'un dans l'autre. Des officiers du bord, qui m'avaient pris en amitié, venaient souvent me voir à la taverne, et je les rendais, à leur rieuse satisfaction, les spectateurs de mille folies. Mon ami l'étranger (c'est ainsi qu'on le nommait) recherchait avec empressement la société des officiers, et il semblait prendre un vif plaisir à écouter les narrations de leurs voyages, l'histoire des différents vaisseaux auxquels ils avaient appartenu, leur manière de naviguer, et les particularités qui distinguaient leurs respectifs commandants. Sa conversation se bornait généralement à faire des demandes, et comme la plupart des marins préfèrent le plaisir d'être écoutés à celui d'écouter eux-mêmes, il en résultait qu'adoré et recherché pour son bienveillant et curieux silence, l'étranger était constamment entouré de narrateurs.
J'accompagnais souvent mon nouvel ami dans les visites inspectives qu'il faisait aux vaisseaux de guerre stationnés dans le port. Mais le seul dans lequel je ne voulus pas le suivre, et qu'il laissa de côté, fut notre frégate; cependant, pour le dédommager de l'inexplicable refus que je lui fis de lui servir de cicerone, je lui donnai avec soin et exactitude tous les renseignements qu'il voulait bien me demander.
Quoique mon ami se fît appeler de Witt, je parlerai de lui sous son véritable nom, qui est de Ruyter. Il me dit un jour qu'il attendait une occasion pour aller à Batavia, et il parlait de cette ville comme de toutes celles des Indes, qu'il paraissait parfaitement connaître. Entre les remarquables particularités qui distinguaient de Ruyter, il en était une qui, en piquant vivement ma curiosité, excitait au plus haut point mon admiration, et frappait mon esprit si avide de l'inconnu, si avide du savoir. Il parlait toutes les langues européennes et n'avait pas le moindre accent étranger en s'exprimant dans la langue anglaise.
De Ruyter connaissait tous les coins de Bombay, toutes ses rues; ni la plus petite allée, ni le plus obscur carrefour n'avait échappé à son investigation. Souvent, à ma vive surprise, nous passions la soirée à courir d'une maison à l'autre, et il apparaissait au milieu des propriétaires de ces habitations comme un commensal désiré et attendu. Il s'asseyait au centre de la famille, causant avec elle dans les différents dialectes du pays, et cela avec une incroyable facilité. Tantôt il parlait gravement le guttural et sauvage idiome des Malais, tantôt le langage plus civilisé des Hindous, tantôt encore la douce et harmonieuse langue persane.
La déférence que ces différents peuples témoignaient à de Ruyter allait jusqu'à la servilité chez les uns, jusqu'à la déférence craintive chez les autres. Quand il passait dans la rue, les gros, fiers et pompeux Arméniens faisaient arrêter leurs palanquins, descendaient, et couraient au-devant de lui en proclamant tout haut le bonheur de leur rencontre.
Cet excès d'empressement, si contraire aux habitudes de ces orgueilleux négociants, m'étonnait autant que la science et la familiarité de de Ruyter avec tous ceux dont il approchait; mais ma surprise était sans arrière-pensée, car à dix-sept ans on admire naïvement, et on ne prend pas tous les étrangers, comme à trente, pour des suppôts de police ou pour des fripons.
Dans toutes ses actions, et même dans l'accomplissement des plus insignifiantes, de Ruyter apportait une décision rapide et un imperturbable sang-froid; il était supérieur, physiquement et moralement, à tous les hommes qui l'entouraient. Peut-être n'eussé-je pas aussi bien senti cette supériorité si elle n'avait pas été évidente au point de frapper les plus indifférents ou les moins perspicaces à pouvoir le faire.
La stature de Ruyter était haute, majestueuse; ses membres avaient de magnifiques proportions; la rondeur de sa taille souple donnait à tout son corps un air d'élasticité et d'agilité extrêmement rare chez les habitants de l'Est. Ce n'était qu'après un sérieux examen qu'il était possible de découvrir que sous la mince et fragile écorce du dattier se cachait la force du chêne.
Pour plaire aux yeux d'un artiste, la figure de de Ruyter manquait de largeur, mais elle était dominée par un beau front, un front clair, intrépide, sans une ride, aussi poli, quoiqu'il ne fût pas aussi blanc, que du marbre de Paros sculpté. Ses cheveux étaient noirs et abondants, ses traits bien dessinés; mais la plus grande beauté de de Ruyter étaient ses yeux, à la couleur si variable qu'il était impossible d'en déterminer la nuance. Semblables au teint d'un caméléon, ils n'avaient pas de couleur fixe, mais, comme un miroir, ils réfléchissaient toutes les impressions de son esprit.
Au repos, les yeux de de Ruyter semblaient obscurcis par un nuage bleuâtre; mais quand ils étaient animés par l'entraînement de la conversation ou par la véhémence des sentiments, ce brouillard disparaissait, et ils devenaient vifs, brillants, lumineux comme un rayon de soleil. Cette lueur intense éblouissait tellement nos regards, qu'il nous était impossible d'en supporter le contact sans baisser nos yeux à la fois effrayés et fascinés. Les sourcils étaient épais, droits et saillants.
De Ruyter avait contracté, sous l'ardente chaleur du soleil de l'Est, l'habitude de fermer à demi ses paupières, et ce mouvement, presque continuel, avait fini par tracer au coin de l'œil une infinité de petites lignes, mais ces lignes étaient légères, délicates comme des ombres, et n'avaient rien qui pût rappeler ou les signes prématurés d'une vieillesse précoce ou ceux d'une débauche constante, ainsi que le révèlent souvent les tempes des hommes du Nord.
La bouche était nettement, hardiment coupée, pleine d'expression, et la proéminence de la lèvre supérieure avait, lorsque de Ruyter parlait, un mouvement nerveux et indépendant de sa compagne. Les contours fiers et à la fois suaves de cette bouche donnaient à la physionomie un air posé, sérieux, bienveillant, mais d'une invincible détermination. On sentait qu'après avoir prononcé un refus, elle ne devait jamais revenir sur l'expression et sur l'exécution de sa volonté.
Quoique naturellement d'un teint moins brun que le mien, le visage de de Ruyter était, en certains endroits, presque brûlé par le soleil; mais cette nuance foncée s'alliait bien à l'ensemble de toute sa personne, quoique le vieillissant un peu; car il avait à peine trente ans.
Si je suis minutieux, si je m'arrête aux détails en faisant la description de de Ruyter, c'est pour arriver à faire comprendre l'influence extraordinaire qu'il exerça sur mon esprit et sur mon imagination. Il devint le modèle de ma conduite, et le but de mon ambition fut de l'imiter, même dans ses défauts. Mon émulation s'était éveillée pour la première fois de ma vie. Je me trouvais impressionné par l'intelligence, par la grandeur, par l'évidente supériorité d'un être humain. En toute circonstance, grave ou futile, de Ruyter avait une manière d'agir si naturelle, si libre, si noble, si spontanée, que cette manière semblait être produite inopinément par sa propre individualité, et tout ce que faisaient les autres ne paraissait plus qu'une imitation affectée.
L'influence énervante d'une longue résidence dans un climat tropical n'avait pas fatigué de Ruyter; la vigueur de son tempérament, sa force et son énergie semblaient insurmontables. Les fièvres mortelles des Indes n'avaient pas corrompu son sang, et les feux du soleil tombaient impunément sur sa tête nue, car il vaquait en plein jour à ses occupations ordinaires. J'observais alors qu'il buvait peu, dormait à peine et mangeait très-frugalement.
De Ruyter partageait souvent mes longues veilles; il assistait à mes orgies, se joignait à nous; mais il ne buvait que son café en fumant son hooka; néanmoins, il nous surpassait en gaieté, et malgré la vertu soporifique du moka berrie, il suivait la vivacité de nos causeries. Quand l'entraînement en était excité par le jus de la grappe ou par l'arrack-punch, sans le moindre effort, de Ruyter saisissait le ton de la conversation, et montrait ainsi la condescendance et la souplesse de son esprit, tandis que d'un regard, d'une parole ou d'un geste, il eût pu plier à l'ordre de sa volonté ou au souhait de son caprice l'entêtement du plus obstiné d'entre nous tous. Mais de Ruyter préférait faire ressortir le caractère des autres; il préférait les voir dans leurs couleurs naturelles: il se mettait donc de pair avec nous, et par cette conduite, il obtint une influence que Salomon, avec toute sa sagesse et tous ses proverbes, n'a jamais possédée.
XVI
Traité comme un égal par un être d'une supériorité si grande, je ressentis un vif orgueil, et cette intime satisfaction me donna un air d'importance tout à fait grandiose. La conduite de Ruyter lui gagna mon entière confiance, et insensiblement il parvint à arracher de mon cœur ses plus secrètes pensées.
Je lui dis un jour que j'étais fermement résolu à abandonner la profession maritime, parce qu'elle ne pouvait réaliser l'ardente ambition et la perspective de gloire qu'elle avait peinte à mon esprit. Mais, au lieu d'encourager l'exécution de ma fuite prochaine du vaisseau, il m'engagea à ne rien faire prématurément et sous l'empire de la passion.
– Mon cher de Ruyter, m'écriai-je, j'ai souffert d'horribles outrages, j'ai vu s'enfuir une à une toutes mes espérances, et l'abandon de ma famille a été la pierre d'achoppement contre laquelle sont venus se réunir tous mes malheurs. J'ai pris la ferme détermination de me défaire des entraves qui, en embarrassant mon intelligence, bornent mes aspirations, et je vous déclare que, s'il m'est impossible de rien faire de mieux, j'irai dans les jungles, je m'associerai aux buffles et aux tigres, et là je serai au moins le libre agent de ma courte vie. Oui, de Ruyter, je préfère l'existence périlleuse et sauvage d'un chasseur de bêtes fauves à celle qui est contrainte de se soumettre à un despotisme de fer, à un despotisme qui comprime la pensée… N'est-il pas écrit dans le code de la loi navale: Vous ne devez, ni par regard, ni par geste, témoigner que vous êtes mécontent de ceux qui vous gouvernent en tenant le fouet de la correction levé sur votre tête. Si les dieux nous gouvernaient par une brutale intimidation, quel est celui qui ne se révolterait pas? Et si nous devons avoir un maître, pourquoi ne pas entrer au service des démons et des diables en bons termes et avec des accords avantageux?
– Mon ami, me répondit de Ruyter, vous vous éloignez de la route et vous laissez parler vos passions; retenez-les, regardez les choses sous leurs véritables couleurs, et non défigurées par la teinte jaune dont les enveloppe votre esprit malade. Nous ne pouvons pas être tous chefs, oppresseurs et maîtres; il est impossible également qu'un supérieur contente toujours ceux qui sont sous ses ordres. Votre esprit a reçu une fausse direction, mon cher Trelawnay, c'est moins votre faute que celle de vos parents.
L'égarement de votre imagination vous est venu de faibles, mais non de méchantes créatures. Puisque vous avez souffert, mon enfant, puisque vous avez subi le joug de ces esprits étroits et moroses, vous devez apprendre à raisonner juste, apprendre à connaître, et tâcher de conquérir cette charitable vertu qu'on appelle la tolérance, apprendre surtout à distinguer entre la faiblesse et la méchanceté de ceux qui vous ont offensé. Dans le véhément récit que vous m'avez fait de vos griefs contre la destinée et contre ceux qui ont contribué à vous rendre malheureux, je ne vois qu'un cas de malice réelle, et, entre nous, il est trop insignifiant pour qu'on daigne y arrêter une seule pensée de rancune: je veux parler du lieutenant écossais.
– Comment, de Ruyter, vous appelez peu de chose l'entière ruine et la complète dégradation que ce misérable a accumulées sur mon ami Walter? J'en suis la cause, et je me dévoue à venger ses injures. Puissent tous les malheurs de la vie s'abîmer sur ma tête, puisse le paria m'insulter et me cracher au visage, puissent les chiens sauvages me poursuivre à travers les forêts, si je pardonne à ce monstre!
Le nom maudit de l'Écossais tremblait sur mes lèvres, et j'allais le prononcer, lorsque le scélérat lui-même entra dans la salle de billard où nous étions.
Au premier coup d'œil qu'il jeta sur moi, le lieutenant s'aperçut de mon émotion, et le regard de fureur dont j'accueillis son entrée, joint à la rougeur qui colorait mes joues, le fit rester un instant immobile sur le seuil de la porte, ne sachant s'il devait avancer ou reculer.
Il se décida pourtant, et après avoir éclairé sa figure verdâtre d'un gracieux sourire, après s'être armé de toute cette artillerie de grimaces et d'affectation courtisane qui lui avait fait faire son chemin dans le monde en détruisant toutes les espérances des bons, des braves, des honnêtes gens, il s'avança vers nous. – Je dois dire que, pendant mon séjour à la taverne, il était venu très-souvent s'y attabler, et qu'il déployait sur terre autant d'affabilité et d'obligeance qu'il montrait de cruauté et d'injustice sur le vaisseau.
Comme j'étais placé sous son commandement personnel, le lieutenant me considérait encore esclave de son pouvoir. Il s'approcha donc de moi, et me dit de sa voix mielleuse:
– Eh bien! Trelawnay, allez-vous aujourd'hui à bord? Le vaisseau met à la voile demain; tous les officiers seront rentrés dès l'aurore.
– Vraiment? répondis-je d'une voix sombre, car je cherchais à contenir l'emportement de ma fureur. Mais chaque fibre de mon corps tressaillait de colère, et mon sang bouillonnait dans mes veines comme une lave ardente. Monsieur, dis-je au lieutenant en faisant quelques pas vers lui, l'heure de régler mes comptes vient de sonner; je vais m'en occuper, car, fort heureusement, mon principal créancier est ici.
– Que voulez-vous dire? demanda l'Écossais en considérant d'un air effaré le bouleversement de ma physionomie.
– Je vais me faire comprendre: un jour vous m'avez défendu de paraître devant vos yeux la tête couverte; je vous obéis pour la dernière fois.
Et, en prononçant ces paroles, je lui jetai mon chapeau au visage.
Le lieutenant resta debout, pâle, stupéfait.
– Monsieur, repris-je en me dépouillant de mon habit, que je foulai aux pieds, je suis libre, vous n'êtes plus mon chef, et si je dois vous reconnaître une supériorité sur moi, il faut me la prouver avec votre épée.
Je fermai la porte en me plaçant entre la sortie et l'Écossais, et je lui dis insolemment:
– Allons, défendez-vous! M. de Ruyter et nos amis vont voir un beau jeu!
L'Écossais voulut tenter de franchir l'espace qui le séparait de la porte, en murmurant d'une voix plus effrayée que surprise:
– Que voulez-vous, Trelawnay? avez-vous bien toute votre raison?
Je bondis sur ce lâche, et, le saisissant par le collet, je le traînai au milieu de la salle.
– Vous ne vous échapperez pas, mauvais drôle, défendez-vous, ou je vous frappe sans merci!
– Monsieur de Ruyter, s'écria le lieutenant, je réclame votre protection; ce garçon est fou, car, en vérité, il est impossible de comprendre où il veut en venir.
– Cependant, répondit Ruyter sans quitter le bout d'ambre de sa longue pipe, cela me semble très-clair; arrangez-vous avec lui, vos querelles ne me regardent pas, et vous feriez mieux, au lieu d'hésiter, de tirer votre épée et de vous mettre en garde. Trelawnay est un enfant et vous êtes un homme, si j'en juge par votre moustache.
Le lieutenant, dont l'esprit était bouleversé par la crainte, s'humilia devant moi; il protesta d'une voix tremblante qu'il n'avait pas voulu m'offenser, mais que cependant, si je lui avais cru cette intention, il en était peiné et m'en demandait cordialement pardon.
– Remettez votre épée au fourreau, mon jeune ami, ajouta-t-il, et venez à bord avec moi; je vous jure que jamais je n'userai contre vous du droit de représailles; que ce qui s'est passé ici sera à jamais oublié.
Cette lâcheté ignoble, cette bassesse honteuse me firent rougir.
– Souviens-toi de Walter, brigand, souviens-toi de Walter, lâche assassin; quoi! aucune insulte, aucun mépris, aucune injure ne peut t'émouvoir. Eh bien! que la punition s'accomplisse, et malheur, malheur à toi!
Je tombai sur lui comme la foudre. Je le frappai au visage, et, lui arrachant ses épaulettes, je les déchirai en mille morceaux.
– Le noble drapeau anglais est déshonoré par un lâche, je dois en purger la terre!
Cris, protestations, prières, ce vil personnage employa tout pour tenter de m'attendrir, mais il ne faisait qu'exalter ma rage. J'avais honte en moi-même d'être resté, de m'être courbé si longtemps sous la domination d'une créature indigne du nom d'homme et du titre d'officier.
Quand je l'eus jeté presque sans connaissance à mes pieds, je lui dis:
– Pour les torts que tu as eus envers moi, j'ai pris une juste revanche; mais pour les souffrances dont tu as accablé Walter, il me faut ta vie!
Mon épée s'était brisée sur le dos du lieutenant, je lui arrachai la sienne.
Je l'eusse infailliblement tué, si une main plus forte que mon bras menaçant n'eût arrêté le coup mortel que j'allais porter.
– Ne le tuez pas, mon ami, dit derrière moi la voix grave de de Ruyter, prenez cette queue de billard, un bâton est une arme assez convenable pour châtier un lâche; ne souillez pas dans son ignoble sang l'acier de votre épée.
Je ne pus m'opposer à la volonté de de Ruyter, car il m'avait désarmé. Je saisis donc la queue de billard, et je frappai rudement le scélérat, qui poussait des hurlements épouvantables. Je ne m'arrêtai qu'après avoir vu que mes coups tombaient sur un homme mort ou sans connaissance.
Pendant le combat, de Ruyter avait placé des sentinelles à la porte afin de prévenir toute surprise; lorsqu'il vit mon ennemi vaincu, il leva la consigne. Alors un grand tumulte se fit entendre, et une foule compacte de noirs et de blancs se précipita dans la salle.