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[56][57]V Le déroulement de la procédure d’asile devant le SEM

Adriana Romer

1 Généralités

Ce chapitre présente les différentes phases de la procédure d’asile allant du dépôt de la demande d’asile jusqu’aux modalités des auditions conduites par le SEM.

Dès le dépôt de la demande d’asile commence ce qu’on appelle la phase préparatoire. Elle dure au plus trois semaines. Elle permet au SEM de recueillir les premières données et de procéder à des mesures d’instruction visant à vérifier l’identité et l’origine du requérant et à déterminer si un autre Etat Dublin est éventuellement compétent pour traiter la demande d’asile. L’idée est d’établir le contexte de cette demande et de préparer le dossier pour les étapes ultérieures de la procédure. En règle générale, une brève audition portant notamment sur les données personnelles du requérant a lieu pendant la phase préparatoire.

Par la suite, en fonction du résultat des premières mesures d’instruction, le SEM accorde au requérant le droit d’être entendu s’il envisage une non-entrée en matière ou, dans le cas contraire, procède à une audition sur les motifs d’asile au sens de l’art. 29 LAsi. C’est en règle générale pendant cette phase qu’intervient l’attribution du requérant à un canton. Si l’audition n’a pas eu lieu au Centre d’enregistrement et de procédure (CEP), la loi prévoit qu’elle se déroule auprès du SEM à Berne dans les 20 jours suivant l’attribution au canton. En pratique, ce délai n’est toutefois que rarement respecté, pour diverses raisons. On observe même parfois des retards considérables dans le déroulement de la procédure, pouvant être qualifiés de retards injustifiés lorsque la décision n’est pas rendue à temps (sur la notion de retard injustifié, voir chap. VI, pt 4.3).

2 La demande d’asile

La demande d’asile est l’acte d’une personne n’ayant pas la nationalité suisse qui demande à la Suisse de l’accueillir et de la protéger. Autrement dit et selon les[58] termes de la loi, est considérée comme telle toute manifestation de volonté par laquelle une personne demande à la Suisse de la protéger contre des persécutions (art. 18 LAsi). Le besoin de protection ne doit pas forcément être reconnaissable et l’utilisation du mot « asile » n’est pas exigée.1 L’ouverture de la procédure d’asile n’est soumise qu’à la seule condition que la volonté de déposer une demande d’asile soit exprimée.2 La demande peut intervenir oralement, par écrit ou même par signes ou par gestes.

3 Dépôt de la demande d’asile

3.1 Généralités

Selon l’art. 19 LAsi, la demande d’asile peut être déposée au poste-contrôle d’un aéroport suisse (voir pt 3.5) ou, lors de l’entrée en Suisse, à un poste-frontière ouvert (voir pt 3.4) ou encore dans un centre d’enregistrement et de procédure (CEP, voir pt 4).

Jusqu’en septembre 2012, une demande d’asile pouvait aussi être déposée auprès d’une représentation suisse à l’étranger.3 Désormais, elle ne peut l’être qu’à la frontière ou sur territoire suisse (art. 19 al. 1bis LAsi). La seule possibilité restante4 de demander protection contre des persécutions à la Suisse, depuis l’étranger, est de solliciter un visa humanitaire. Nous y reviendrons au pt 3.6.

Selon l’art. 8 al. 3 OA 1, les demandes d’asile émanant de personnes qui se trouvent en détention (toutes formes de détentions comprises) ou qui purgent une peine doivent être adressées aux autorités cantonales. Le canton compétent est celui qui a ordonné la détention.

Les enfants de moins de 14 ans dont les parents se trouvent déjà en Suisse peuvent présenter leur demande d’asile directement aux autorités du canton de séjour de leurs parents (art. 8 al. 4 OA 1). Les enfants de 14 à 18 ans sont également attribués au canton de séjour de leurs parents, mais doivent déposer leur demande d’asile dans un CEP.5

C’est le SEM qui est compétent pour traiter la demande d’asile. Il décide de l’octroi ou du refus de l’asile et se prononce sur la question du renvoi de Suisse (art. 6a [59]LAsi) et, le cas échéant, aussi sur l’octroi d’une admission provisoire. Si la demande d’asile est remise à une autre autorité – incompétente –, elle doit être transmise d’office au SEM.6

Lors du dépôt de la demande d’asile, les requérants doivent être informés de leurs droits et de leurs devoirs (art. 19 al. 3 LAsi). Nous y reviendrons au pt 7.4 et dans le chap. XII, pt 3.

Dès que la procédure d’asile est ouverte, le requérant reçoit un livret N. Ce document légitime sa présence en Suisse pendant la procédure et reste valable jusqu’à ce que celle-ci prenne fin. Si nécessaire, le livret N est renouvelé de six mois en six mois.

Selon la jurisprudence constante des autorités de recours en matière d’asile (CRA jusqu’en 2007, puis TAF), le dépôt d’une demande d’asile relève d’un « droit strictement personnel relatif ».7 Les droits strictement personnels au sens de l’art. 19b al. 2 CC sont des droits qu’une personne capable de discernement peut exercer sans le consentement de son représentant légal même si elle n’est pas majeure. Ils sont absolus lorsqu’ils excluent toute représentation et relatifs lorsque leur titulaire, incapable de discernement – par exemple un jeune enfant –, peut se faire représenter.8 Si une personne capable de discernement ne dépose pas personnellement sa demande d’asile, il est possible de réparer le vice au cours de la procédure. « Une réparation peut par exemple intervenir lorsque le contenu d’une demande d’asile déposée par représentation est confirmé lors d’une audition orale ou, en cas d’absence d’audition, par le dépôt d’une prise de position, rédigée ou au moins signée personnellement, portant sur le catalogue de questions du SEM. Il serait ainsi choquant que des personnes gravement malades ou en danger de mort se voient refuser le dépôt d’une demande d’asile par représentation parce que l’on retiendrait abstraitement que le signataire n’agirait pas dans le cadre de sa sphère strictement personnelle. »9

En Allemagne, la pratique veut qu’on envoie généralement les mineurs non accompagnés d’abord dans un office d’assistance aux jeunes qui les prend en charge (mesures de protection à court terme). Un tuteur/assistant est immédiatement nommé et une procédure de clarification est introduite pour définir quelles mesures correspondraient le mieux à l’intérêt supérieur de l’enfant. Dès la fin du premier entretien avec le mineur non-accompagné (MNA), il est décidé si une [60]demande d’asile doit être déposée.10 Ces mesures semblent appropriées pour sauvegarder les intérêts de l’enfant ; compte tenu du caractère primordial de la prise en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant dans toutes les mesures étatiques qui le concernent, il semble même qu’il faille s’en inspirer (voir art. 3 CDE).11

3.2 Demandes multiples

Lorsqu’une nouvelle demande d’asile est déposée dans les cinq ans qui suivent l’entrée en force d’une décision d’asile et de renvoi, il s’agit d’une demande multiple au sens de l’art. 111c LAsi. Elle doit être présentée par écrit et être motivée.12 Le requérant n’est alors pas hébergé dans un CEP (pt 4). Si la demande est faite oralement dans un CEP, elle n’est ni prise en considération ni enregistrée. Le requérant reçoit uniquement un aide-mémoire lui indiquant que tant qu’il n’a pas déposé de demande d’asile écrite, il a le statut d’étranger sans autorisation de séjour et que les autorités du canton compétent lors de la précédente procédure d’asile peuvent éventuellement exécuter le renvoi dans son pays d’origine. Ce document lui signale aussi qu’il peut s’adresser au canton compétent13 parce qu’il n’a pas accès au CEP.14 L’art. 111c LAsi constitue une lex specialis par rapport à l’art. 18 LAsi, car la demande multiple est soumise à des exigences de forme spécifiques.15

Dès que la demande écrite parvient au SEM, elle est enregistrée dans le SYMIC16 et le canton compétent en est avisé. L’exécution du renvoi est alors suspendue d’office (art. 42 LAsi).17

Les obstacles d’ordre formel ne sauraient entraîner que des personnes persécutées ne puissent plus invoquer leurs motifs de fuite. Il est tout à fait concevable que des requérants qui reviennent en Suisse après un retour accompli dans leur pays d’origine – le pays persécuteur potentiel – aient de nouveaux motifs d’asile, mais qu’ils ne puissent pas les faire valoir de manière adéquate faute de connaissances linguistiques et juridiques. Comme le nouveau droit continue d’exiger que toutes les demandes soient examinées [61]avec diligence,18 le SEM est tenu, dans ces cas, de donner au requérant l’occasion de préciser et de compléter sa demande ou de l’entendre sur cette demande.19 A notre avis, tel devrait toujours être le cas lorsque les arguments du requérant sont, à première vue, de nature à fonder la qualité de réfugié.

3.3 Relation avec la procédure relevant du droit des étrangers

Après le dépôt d’une demande d’asile au sens de l’art. 18 LAsi, le requérant ne peut plus engager une procédure visant à l’obtention d’une autorisation de séjour relevant du droit des étrangers sauf s’il y a droit (art. 14 al. 1 LAsi)20 ou si le canton lui accorde une autorisation pour cas de rigueur au sens de l’art. 14 al. 2 LAsi. Si une procédure visant à l’octroi d’une autorisation de séjour est en cours au moment du dépôt de la demande d’asile, elle devient sans objet (art. 14 al. 5 LAsi).21 A l’instar de l’art. 14 al. 1, cette règle ne s’applique pas si le requérant bénéficie d’un droit à l’octroi d’une autorisation. La séparation des procédures vient surtout du fait que c’est la Confédération qui est compétente pour la reconnaissance de la qualité de réfugié et pour l’octroi de l’asile (art. 6a al. 1 LAsi), alors que ce sont les cantons qui octroient les autorisations relevant du droit des étrangers (art. 40 al. 1 LEtr).22

En revanche, si le requérant d’asile est déjà au bénéfice d’une autorisation de séjour, celle-ci reste valable et peut même être prolongée selon les dispositions relevant du droit des étrangers (art. 14 al. 6 LAsi). Cette hypothèse peut se réaliser par exemple si des changements dans la situation politique du pays d’origine d’une personne séjournant en Suisse sont tels que cette personne pourrait être persécutée en cas de retour. La demande d’asile doit alors être déposée dans l’un des cinq centres d’enregistrement et de procédure, mais les requérants concernés pourront séjourner dans leur canton de domicile jusqu’à la fin de la procédure d’asile.23

3.4 Excursus : entrée illégale

Les personnes qui cherchent à obtenir l’asile et qui se trouvent à la frontière, à proximité ou à l’intérieur du pays, sont envoyées par l’autorité cantonale ou fédérale dans un CEP. Cette autorité relève l’identité complète du requérant, avise le [62]CEP le plus proche et établit un laissez-passer pour que le requérant puisse s’y rendre. Une fois sur place, celui-ci doit s’annoncer au plus tard le jour ouvrable suivant (art. 8 OA 1). En 2014, il y a eu au total 23’765 demandes d’asile dont 19’111 (soit 80 %) qui ont été déposées directement dans un CEP.24 En raison de son importance pratique, la procédure au CEP fait l’objet d’un point séparé (voir pt 4).

La majorité des requérants entre en Suisse en contournant les contrôles douaniers. L’entrée légale pour chercher protection en Suisse est rendue difficile notamment par le fait que les personnes persécutées ne disposent souvent pas de documents de voyage ni de visas. En outre, dans les pays touchés par la guerre ou la guerre civile, les structures étatiques ne sont souvent plus en mesure d’établir ou de délivrer les papiers en question.

En Suisse, le seul fait d’entrer illégalement dans le pays n’engendre pas d’inconvénients de procédure pour les requérants d’asile. Si ceux-ci sont reconnus comme réfugiés, ils bénéficient de l’art. 31 CR selon lequel aucune sanction pénale ne saurait être appliquée aux réfugiés en cas d’entrée ou de séjour irrégulier dans le pays d’accueil. Mais il faut que la personne vienne directement d’un territoire où sa vie ou sa liberté au sens de l’art. 1 CR était menacée, qu’elle s’annonce sans retard aux autorités et leur expose les motifs pouvant justifier son entrée et/ou son séjour irréguliers. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, une personne se rend « immédiatement » du pays persécuteur en Suisse également lorsqu’elle n’a fait que passer par d’autres pays dans le but de venir en Suisse le plus rapidement possible.25

De même, de l’avis du HCR, il y a aussi « arrivée directe » d’un pays persécuteur lorsque le requérant a traversé de manière ininterrompue des Etats tiers. Dans ses recommandations, le HCR a du reste répété à diverses reprises que la seule entrée illégale ne pouvait pas rendre la demande d’asile abusive ou infondée et a invité la communauté des Etats à ne pas prévoir de restrictions d’accès à la procédure pour les personnes en situation irrégulière.26

L’examen de l’existence d’un motif valable justifiant l’entrée illégale exige une prise en considération de toutes les circonstances de la fuite. Il arrive souvent qu’un tel motif découle déjà de la crainte fondée de persécution.27

[63]Selon la jurisprudence,28 cela ne vaut toutefois que pour les personnes reconnues comme réfugiés par le droit interne. Si la personne n’obtient pas la qualité de réfugié, le Tribunal fédéral estime que l’art. 31 par. 1 CR ne trouve pas application. Un état de nécessité au sens des art. 17 et 18 CP n’entre pas non plus en considération, les conditions requises pour admettre un tel état, licite ou excusable, étant plus restreintes que celles permettant de justifier l’entrée au sens de l’art. 31 par. 1 CR. Dans un tel cas, une poursuite pénale selon l’art. 115 al. 1 let. a LEtr serait donc possible. Si une expulsion intervient immédiatement, il peut cependant être renoncé à toute poursuite (art. 115 al. 4 LEtr). La pratique des cantons est très variable sur ce point.

Cette interprétation semble cependant trop restrictive au vu de l’objectif de protection de l’art. 31 CR. Compte tenu de l’issue imprévisible de la procédure d’asile, les personnes dont la demande ne semble pas dépourvue de toute chance de succès devraient pouvoir se prévaloir de motifs de justification lorsque les conditions de l’art. 31 par. 1 CR sont remplies. La quotité de la peine prévue par la loi, à savoir une peine privative de liberté jusqu’à un an ou une peine pécuniaire, méconnaît, à notre sens, la situation déjà difficile des requérants d’asile. Des personnes ayant fui leur pays d’origine pour un motif ou un autre ne disposent en général pas d’assez d’argent pour pouvoir s’acquitter d’une peine pécuniaire. Quant à elle, la privation de liberté semble être une sanction disproportionnée pour une entrée illégale. Lorsqu’une demande d’asile suit le « comportement délictueux » d’une entrée illégale, la personne part subjectivement de l’idée que son entrée en Suisse est justifiée par les motifs invoqués à l’appui de sa demande d’asile. La punissabilité dépend d’une décision administrative – c’est-à-dire de la décision sur la demande d’asile – dont le résultat ne peut toutefois en règle générale pas être prévu à l’avance par le requérant. C’est pourquoi, on peut se demander si une éventuelle faute peut être retenue sous l’angle du droit pénal. La question de l’existence d’une intention se pose du reste en des termes semblables. Selon le principe de culpabilité (nulla poena sine culpa, pas de peine sans culpabilité), il faut renoncer à une sanction pénale d’autant plus que, si elles existent, la faute et les « conséquences de l’acte » sont toujours peu importantes (art. 52 CP).

3.5 Demande d’asile présentée à l’aéroport (art. 22 s. LAsi)

La procédure à l’aéroport est régie par des dispositions spéciales. Celles-ci ne sont actuellement applicables qu’aux seuls aéroports de Zurich-Kloten et de Genève-Cointrin ; si une demande d’asile est présentée dans un autre aéroport suisse, il y a transfert du requérant dans le CEP le plus proche et la procédure « normale » est suivie. En cas de dépôt de la demande à Zurich-Kloten ou à Genève-Cointrin, la police de l’aéroport en informe immédiatement le SEM. La police de l’aéroport de Zurich (Flughafenpolizei) ou le SEM (à Genève) collecte ensuite les données personnelles du requérant, relève ses empreintes digitales et le [64]photographie ; d’autres données biométriques peuvent encore être saisies (art. 22 al. 1 LAsi).

La personne qui demande l’asile est interrogée sur son identité et sa nationalité. Ses relations avec la Suisse sont également clarifiées, tout comme l’itinéraire suivi et les circonstances du départ. L’autorité compétente peut faire appel à un interprète. L’audition fait l’objet d’un procès-verbal.

Le SEM examine s’il est compétent pour mener la procédure d’asile en tenant compte des accords d’association à Dublin (art. 22 al. 1bis LAsi). S’il arrive à la conclusion que la Suisse n’est pas compétente, il rend une décision de non-entrée en matière et ordonne le renvoi du requérant (art. 31a al. 1 let. b LAsi en relation avec les art. 44 ss LAsi). Cette décision doit être notifiée dans les 20 jours suivant le dépôt de la demande d’asile, faute de quoi il faut autoriser l’entrée en Suisse du requérant d’asile et l’attribuer à un canton (art. 23 al. 2 LAsi).29

3.5.1 Autorisation d’entrer en Suisse

L’entrée en Suisse est autorisée lorsque la Suisse est compétente en vertu du Règlement Dublin III et que le requérant semble être exposé à un danger relevant du droit des réfugiés ou être menacé de traitements inhumains dans le pays d’où il est directement arrivé. Il en va de même s’il rend vraisemblable que ce pays l’obligerait, en violation de l’interdiction du refoulement, à se rendre dans un pays où il risque d’être exposé à un tel danger (art. 22 al. 1ter LAsi).

Le SEM peut autoriser l’entrée en Suisse pour des motifs humanitaires même si la compétence de la Suisse n’est pas donnée en vertu du Règlement Dublin III (art. 11a al. 3 OA 1). Il peut aussi le faire si le requérant d’asile a des relations étroites avec des personnes vivant en Suisse (art. 11a al. 2 let. a OA 1) ou si la Suisse est compétente, sur la base du Règlement Dublin III, pour mener la procédure d’asile et que le requérant n’est pas arrivé directement de son pays d’origine ou de provenance à la frontière suisse, mais rend vraisemblable qu’il a quitté ce pays pour un [65]motif inscrit à l’art. 3 al. 1 LAsi et est arrivé sans retard à la frontière suisse (art. 11a al. 2 let. b OA 1). Cependant, l’art. 11a OA 1 est formulé de manière potestative (« peut »). Cela signifie que les personnes concernées n’ont pas un droit à l’octroi d’une autorisation d’entrée, mais que la décision relève du pouvoir d’appréciation du SEM. La légalité et l’adéquation de la décision peuvent être revues par le TAF (art. 108 al. 4 LAsi).

3.5.2 Refus (provisoire) de l’entrée en Suisse

Lorsque la compétence de la Suisse pour mener la procédure d’asile est donnée, mais que les autres conditions d’entrée ne sont pas remplies, le requérant se voit refuser provisoirement l’entrée. Le SEM lui assigne alors un lieu de séjour et lui fournit un logement adéquat. En règle générale, la personne est assignée à la zone de transit de l’aéroport. A Genève, sont prévues 30 places à cet effet et à Zurich 60. La durée de ce séjour est de 60 jours au plus. Le requérant y est soumis aux mêmes règles que celles qui régissent les CEP, à savoir celles de l’ordonnance du DFJP relative à l’exploitation des logements de la Confédération dans le domaine de l’asile (voir pt 4.1).

La décision d’assignation doit être notifiée au requérant dans les deux jours qui suivent le dépôt de la demande d’asile ; il faut préalablement accorder au requérant le droit d’être entendu et lui donner l’occasion de se faire représenter (art. 22 al. 2, 3 et 4 LAsi). L’assignation à l’aéroport comme lieu de séjour restreignant de fait la liberté de mouvement du requérant à la zone de transit, il faut que la personne ainsi concernée ait également la possibilité, en vertu des règles de la CEDH applicables en la matière, de faire contrôler cette privation de liberté par un juge.30 Tant que la demande d’asile n’a pas fait l’objet d’une décision (art. 23 LAsi), le refus de l’entrée en Suisse peut être attaqué devant le TAF (art. 108 al. 3 LAsi). Le TAF examine la privation de liberté en tant que « juge de la détention » souvent parallèlement à la question de l’admissibilité du refus de l’entrée en Suisse et tient compte notamment des circonstances, de la durée et du type d’hébergement, de la possibilité d’accès à des soins médicaux et des possibilités de contact avec le monde extérieur.31

Si l’entrée sur son territoire n’est pas autorisée malgré la compétence avérée de la Suisse, la procédure à l’aéroport suit son cours. L’art. 22 al. 6 LAsi renvoie aux art. 23, 29, 30, 36 et 37 LAsi pour la réglementation et les garanties de procédure, qui correspondent ainsi à celles de la procédure ordinaire.

[66]3.5.3 Durée du séjour

Si une décision d’asile ou de non-entrée en matière ne peut pas être rendue dans les 20 jours à l’aéroport, le requérant d’asile est attribué à un canton (art. 23 al. 2 LAsi).

La durée du séjour de 20 jours devrait, dans la plupart des cas Dublin, s’avérer insuffisante pour mener à bien la procédure de détermination de la compétence.

Au total, le requérant d’asile peut être retenu 60 jours au plus à l’aéroport ou dans un autre lieu de séjour attribué dans la zone de transit. Après une décision de renvoi entrée en force, il est cependant encore possible de le placer en détention en vue du refoulement (sur ce type de détention, voir chap. XVI, pt 3.2.4 ss).

Il faut relever que toutes les décisions rendues dans le cadre de la procédure à l’aéroport peuvent être notifiées directement au requérant d’asile lui-même (même s’il est représenté). Cette règle contenue à l’art. 13 al. 3 LAsi déroge à la règle générale de l’art. 11 al. 3 PA sur la représentation en justice.32

3.5.4 Requérants d’asile mineurs non accompagnés dans la procédure à l’aéroport

Selon la loi, si le requérant d’asile est un mineur non accompagné (MNA), l’autorité cantonale désigne une personne de confiance pour la durée de la procédure à l’aéroport (art. 17 al. 3 let. a LAsi), pour autant que des actes de procédure déterminants y soient accomplis. Davantage d’informations au sujet des particularités dans la procédure pour MNA se trouvent dans le chap. XVIIII, pt 3.

La désignation d’une personne de confiance33 devrait intervenir dès que possible, c’est-à-dire avant l’accomplissement de tout acte de procédure à l’aéroport. Le MNA doit être accompagné tout au long de la procédure, y compris lorsque celle-ci ne comprend pas d’audition approfondie. Une éventuelle décision de non-entrée en matière et de renvoi (p. ex. rendue sur la base de l’art. 31a al. 1 let. b LAsi en relation avec les art. 44 ss LAsi) doit pouvoir être vérifiée et éventuellement attaquée par le MNA avec l’aide de la personne de confiance. Cela vaut également pour la décision incidente d’assignation d’un lieu de séjour à l’aéroport. Le MNA ne subit pas de préjudice juridique du fait de la règle de l’art. 13 al. 3 LAsi qui prescrit la remise des décisions directement aux requérants d’asile, car cette règle est corrigée, [67] en ce qui le concerne, par le fait qu’un délai de recours ne court qu’après la notification de la décision attaquée au MNA et à la personne de confiance ; selon l’art. 53a OA 1, le délai ne commence à courir qu’à partir de la date de la notification qui intervient le plus tard.

Malgré cette amélioration pour les MNA, il n’empêche que les conditions de la procédure à l’aéroport (en particulier la détention34) ne correspondent aucunement à l’intérêt supérieur de l’enfant, de telle sorte que l’entrée devrait être toujours immédiatement autorisée et la procédure « normale » ordonnée pour les enfants, qu’ils soient accompagnés ou non.

3.6 Visa humanitaire

3.6.1 Abolition de la procédure à l’ambassade

Jusqu’à fin septembre 2012, existait la possibilité de déposer une demande d’asile auprès d’une ambassade suisse à l’étranger. Cette possibilité a été supprimée dans le cadre des modifications déclarées urgentes de la loi sur l’asile.35 Cette décision a été confirmée le 9 juin 2013 en votation populaire à une majorité de 78.4 %.

La seule voie légale, et surtout sûre, à disposition des requérants d’asile voulant demander protection en Suisse a ainsi été coupée. Les personnes persécutées sont désormais exposées à de nouveaux risques par les dangers du voyage. En particulier les femmes et les enfants courent le danger de subir des atteintes à leur intégrité.36

La procédure à l’ambassade contribuait beaucoup à l’entrée en Suisse dans la sécurité.37 Dans de nombreux cas, elle a permis des regroupements familiaux qui n’auraient pas été possibles par la seule application des principes de la LEtr.

Au cours des débats sur la suppression de la procédure à l’ambassade, il a souvent été question du maintien de la possibilité d’obtenir un visa humanitaire auprès d’une représentation suisse à l’étranger. Toutefois, le visa humanitaire ne remplace pas la procédure à l’ambassade de manière adéquate. Nous y reviendrons au pt 3.6.4.

[68]3.6.2 Base juridique du visa humanitaire

L’art. 5 par. 4 let. c du Code frontières Schengen en relation avec l’art. 25 du code des visas prévoit la possibilité d’un visa à validité territoriale limitée pouvant être accordé par l’Etat membre concerné notamment pour des motifs humanitaires.38

Selon la directive du SEM,39 un visa pour motifs humanitaires peut être accordé à une personne lorsqu’il y a manifestement lieu d’admettre que les circonstances concrètes dans lesquelles elle se trouve dans son pays d’origine ou de provenance l’exposent à une mise en danger à la fois directe, sérieuse et concrète de sa vie et de son intégrité corporelle. En outre, la personne doit se trouver dans une situation de détresse particulière nécessitant impérativement une intervention de l’autorité et justifiant l’octroi d’un visa d’entrée. A titre d’exemples, on peut citer le cas de guerre imminente ou déclarée ou d’une mise en danger individuelle directe en raison d’une situation concrète. Le cas d’espèce doit faire l’objet d’un examen attentif. En outre, la directive pose la présomption que les personnes se trouvant déjà dans un pays tiers ne courent plus de danger.

Les bases juridiques du droit suisse pour l’octroi d’un visa humanitaire se trouvent dans l’ordonnance sur l’entrée et l’octroi de visas (OEV). Selon l’art. 2 al. 4 OEV, le visa autorise une entrée en Suisse pour une durée de 90 jours. Il s’agit certes d’un visa Schengen, mais il n’est valable que pour la Suisse. Des difficultés pratiques particulières apparaissent quand il n’existe pas de vol direct et que l’entrée en Suisse doit se faire en passant par un autre Etat Schengen. Les Etats concernés refusent souvent d’établir un visa de transit, car ils craignent que les personnes ne se rendent finalement pas en Suisse comme prévu.

Après l’entrée en Suisse, la personne peut y déposer une demande d’asile et suivre la procédure ordinaire. Si elle ne le fait pas, elle doit quitter la Suisse avant l’échéance des 90 jours du visa.

[69]La demande de visa humanitaire en pratique

La demande de visa humanitaire doit être déposée dans une représentation suisse à l’étranger. Une liste de toutes les représentations se trouve sur le site du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) sous la rubrique « Représentations ».

Le formulaire (Schengen) peut être téléchargé sur Internet et rempli ; on peut l’obtenir en de nombreuses langues.40 Au chiffre 21 « Motifs », il faut indiquer « autres » et préciser qu’il s’agit d’une demande de visa pour des motifs humanitaires en ajoutant des indications détaillées sur la situation concrète dans l’espace réservé à cet effet, si possible déjà avec des moyens de preuve. En principe, aucun émolument n’est prélevé, sauf, selon la directive du SEM, si la demande de visa est manifestement infondée ou si elle est répétée avec les mêmes motifs. Le caractère manifestement infondé d’une demande relève du pouvoir d’appréciation qui ne fait guère l’objet d’un contrôle en pratique, car la plupart des requérants ne disposent pas des moyens de payer un émolument. Une procédure d’opposition auprès du SEM, qui seule peut aboutir à une décision susceptible de recours, nécessite en principe une avance de frais de 200.- chf.41

Il est possible que la personne soit convoquée pour un entretien à l’ambassade. La directive indique cependant qu’aucune mesure d’instruction poussée n’est nécessaire et qu’il ne s’agit en particulier pas de mener une audition telle que prévue en droit d’asile. Il suffit de se baser sur une première estimation de la représentation. Cela signifie que la mise en danger doit être très clairement mise en évidence déjà au moment du dépôt de la demande de visa, car aucune mesure d’instruction détaillée ne doit être accomplie par les autorités. Voir aussi le devoir de collaborer des requérants pour plus d’informations à ce sujet.

3.6.3 Examen de la demande

Lorsqu’il existe des motifs humanitaires justifiant l’octroi d’un visa, aucune autre condition d’entrée ne doit être remplie. En effet, l’absence de documents de voygage valables (art. 3 al. 4 OEV) et de moyens financiers suffisants ne sont pas des motifs de non-entrée en matière sur la demande de visa humanitaire. De même, la condition de la garantie d’un retour à l’échéance du visa42 ainsi que l’obligation de conclure une assurance maladie n’ont pas cours s’il existe des motifs humanitaires (art. 10 al. 3 let. b OEV). D’autres dispositions spéciales pour le visa humanitaire se [70]trouvent à l’art. 11b al. 2 OEV (recevabilité de la demande de visa) et à l’art. 12 al. 4 OEV (conditions pour l’octroi et le refus du visa).