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L’album ovidien : de la traduction en image au livre de gravures

La forme de l’album illustré, dans lequel l’iconotexte est déséquilibré hiérarchiquement et typographiquement en faveur des images, remonte à la Métamorphose figurée de Jean de Tournes. Dans la production française du XVIIe siècle, on n’en a relevé pour l’instant qu’un petit nombre, dus à Jean Lepautre. Vers 1660, Lepautre grave quatre suites ovidiennes : la première, éditée chez Leblond, compte vingt gravures ; la seconde, parue chez Pierre II Mariette, en compte vingt-deux, auxquelles sont adjointes postérieurement quatre nouvelles planches ; s’y ajoutent deux suites de six gravures parues chez Langlois, ainsi que trois gravures burlesques1. Inspirées directement de J. W. Baur pour beaucoup d’entre elles2, ces images, complexes et profuses, comportent une dimension très théâtrale et font preuve d’un goût marqué pour l’architecture à l’antique et les grands volumes dans lesquels les personnages semblent jouer leur histoire.

Parfois dotés de légendes latines accompagnant les images, ces ouvrages forment « La Métamorphose de Lepautre3 ». Ils peuvent être perçus comme des avatars des albums, au format paysage et de dimensions restreintes, qui ont fleuri entre 1590 et 1610. En 1591, Plantin à Anvers éditait les P. Ovidii N. Metamorphoses argumentis brevioribus, ex Luctatio collectis expositae une cum vivis singularum Transforma­tionum iconibus illustrées par P. van den Borcht et dédiées aux enfants de la famille Perez de Baron : tandis que les fables ovidiennes défilaient à droite, les pages de gauche comportaient les résumés du pseudo-Lactance qui accompagnaient la plupart des éditions rhétoriques d’Ovide depuis le début du siècle. La brève préface désignait les images comme des « paradeigmata Metamorphoseon ». En 1602-1604, c’était au tour de Crispin de Passe de graver une suite complète4, probablement imitée de celle d’Antonio Tempestà, dessinée dans les années 1580 mais imprimée seulement à partir de 16025. Dans le cas de Tempestà, l’image n’est plus accompagnée que d’un titre qui explicite le sujet. Comme Salomon, ces trois graveurs traduisent les Métamorphoses en image : leur translation, voulue comme complète, suit l’ordre du poème. Il en va différemment pour la suite où Hendrick Goltzius livre, dès 1589-1590, une anthologie fabuleuse aux tendances franchement érotiques. Ordonnées suivant la fantaisie de l’artiste, les vingt planches n’offrent plus une traduction des Métamorphoses mais une libre interprétation du monde ovidien6.

Comme celui de Goltzius, les albums de Lepautre sont des livres par commodité, des livres dont les feuilles sont susceptibles de se détacher. Ovide fournit des sujets : de la translation « paradigmatique » d’un texte source, on est passé à la constitution d’une collection dans laquelle la personnalité du graveur et celle du commanditaire, le cas échéant, ou du possesseur, prennent la même importance que celle du poète antique, dont le nom n’est plus mentionné. Les Métamorphoses se prêtaient à cet effeuillage du fait de leur composition : reçues comme un trésor mythographique, elles ont été traitées suivant le principe de libre usage. Avant de se réaliser dans la matérialité du livre, l’imaginaire de la collection informait déjà la lecture de l’œuvre.

Ajoutons que la pratique de la collection se reporte plus tard dans certains exemplaires des Métamorphoses : une édition de 1732 reliée avec des gravures mythologiques s’est trouvée sur le marché du livre il y a quelques années7. La collection de gravures transforme dans ce cas le livre en un écrin. Ajoutons enfin que Michel de Marolles, lui-même détenteur d’une ample collection qu’il offrit au roi, a su exploiter ce qui est au départ une réalité pour en faire le modèle explicite d’un livre. Marolles renouvelle la littérature mythographique, dans sa forme sinon dans le fond, avec les Tableaux du Temple des Muses : les gravures de Nicolas Favereau, explique-t-il, lui ont donné occasion de développements savants dans un livre conçu comme une collection. Notons que la notion de poésie, incarnée dans la figure des Muses, remplace dans le titre le nom d’Ovide8.

Ainsi le geste du collectionneur prépare-t-il, ou du moins précède-t-il une approche explicitement et résolument esthétique du texte, de même qu’il renouvelle l’appréhension des savoirs humanistes.

La traduction illustrée (a) : du récit moralisant au récit à moralité

Les deux traductions commentées parues au XVIIe siècle recyclent les savoirs humanistes, jusque-là transmis en latin, à destination des gens du monde. La première est celle de Nicolas Renouard, illustrée à partir de l’édition de 16171. L'édition de 1619, qui nous intéresse ici, comporte des gravures de Jean Matheus, Isaac Briot et Firens, souvent copiées ou simplement inspirées d’Antonio Tempestà (1602). Le second jeu, qui illustre la traduction de Pierre Du Ryer2, copie, lui aussi, mais de plus près, la série de Tempestà ; ce jeu anonyme est composite : les gravures proviennent de deux artistes différents au moins. La mise en page des éditions de 1619 et de 1660 est sensiblement comparable : toutes deux relèvent du genre du livre d’apparat mis en évidence par Jean-Marc Chatelain3. Pour autant, leur approche des images diffère.

Renouard donne son Ovide au temps des belles infidèles : le souci de la pureté de la langue guide l’ensemble de l’entreprise, jusque dans l’énoncé du commentaire. Celui-ci, rejeté après le poème et doté d’une pagination propre, prend la forme d’un dialogue de bon ton entre deux devisants : le lecteur est invité à goûter le poème ovidien avant de se plonger dans une compréhension approfondie des Fables – même si un système de renvois permet de circuler aisément des Métamorphoses à leur commentaire. La beauté du livre, celle des images singulièrement, rehausse la gloire du traducteur et proclame l’excellence du règne qui accueille son entreprise. D’où le succès de cet Ovide, parfaitement adapté à la culture des salons. Trop parfaitement même, aux yeux d’un Perrot d’Ablancourt. Lorsque le traducteur de Lucien vante les mérites de l’Honneste femme de Du Boscq (1633), il souligne la familiarité des dames avec les thèmes mythologiques et leur engouement pour les fables amoureuses, au détriment de leur sens moral :

Mais comme il a veu que les dames prenoient tant de plaisir aux Metamorphoses, qu’il seroit comme impossible de les resoudre à les quitter, et par ce moyen qu’il estoit inutile de leur en defendre la lecture : d’ailleurs elles n’alloient point chercher à la fin du livre l’intelligence et le secret des fables, qu’elles ne se plaisoient qu’aux amours que le poëte a si bien dépeintes, et qu’elles pouvoient bien plustost y apprendre le vice que la vertu.4

« [E]lles n’alloient point chercher à la fin du livre l’intelligence et le secret des fables » : on décèle ici la trace du succès de l’édition Renouard, et l’image d’une lecture des Métamorphoses comprise comme féminine, la lecture faite à plaisir. Aux yeux d’Ablancourt, le texte d’Ovide, accompagné de ses illustrations et placé trop loin de son commentaire, laissait trop de liberté au lecteur non autorisé.

Marie-Claire Chatelain a montré que la traduction commentée donnée par Pierre Du Ryer constituait une réactivation textuelle de l’entreprise de Renouard5. Sur le plan du rapport aux images, elle est une réaction à la lecture sensible du poème permise par le dispositif établi chez L’Angelier. On observe un encadrement strict des figures, auxquelles sont adjoints des quatrains anonymes au contenu lourdement didactique. Les leçons enseignées sont théologiques autant que morales. Ainsi de la fable d’Andromède qui donne lieu aux vers suivants :

Le Ciel nous fait sentir les faveurs de son ayde

Quand toute autre faveur deffaut a nos besoins

Et Persée survient quand on l’attend le moins

Pour tirer du peril l’innocente Andromede.

Alors qu’Isaac Briot, en 1619, gravait un Persée volant, conformément au texte d’Ovide, la gravure de 1660, au plus près de celle de Tempestà qui imitait lui-même Salomon, montre le héros chevauchant Pégase6. Dans ce nouveau contexte l’image est moralisée, quasiment au sens médiéval : le souvenir de saint Georges est suggéré au lecteur par le quatrain.


Bernard Salomon, « Perseüs combattant pour Andromeda », La Métamorphose figurée [1557], Lyon, Jean de Tournes, 1564, fig. n°55 [BmL : Rés 357530]


Isaac Briot, figure illustrant la fable de Persée dans Les Métamorphoses d'Ovide, traduites en prose françoise… [1619], Paris, Pierre Billaine, 1637, p. 121 [BmL : Rés 23423]


Anonyme, figure illustrant la fable de Persée dans Les Metamorphoses d'Ovide, divisées en XV. Livres…, Paris, A. de Sommaville, 1660, p. 183 [BmL-Silo Ancien : 23425]

Les quatrains sont en général fortement articulés à l’image à laquelle ils sont apposés et avec laquelle ils ont été imprimés ; mais, à plusieurs reprises, ils forment aussi un enseignement suivi d’une image à l’autre, suggérant ainsi des cycles liés par le développement d’un thème moral et non par la geste d’un héros mythologique. Au livre III, les gravures numérotées 27 et 28 représentent Sémélé et Narcisse ; elles correspondent respectivement aux fables 3 et 5-6 de ce livre ; entre elles, s’intercale la fable de Jupiter et Junon consultant Tirésias (fable 4), illustrée par un autre graveur. Les quatrains rapprochent Sémélé et Narcisse en un cycle consacré aux vices. Pour Sémélé :

L’Ambition qui plus l’esprit humain bourrelle

Est celle de se voir tousjours aux premiers rangs

Et pouvoir parier avecques les plus grands

Voyla le feu du Ciel qui devora Semele.

Pour Narcisse :

Un autre vice encor nous travaille a l’exstreme

C’est que l’homme oubliant toute autre affection

De soy mesme conçoit si bonne opinion

Qu’il mesprise chascun pour n’aymer que soy mesme.7

Tandis que la disposition des éléments paratextuels (mais faut-il encore parler de paratexte ?) autour de chaque segment narratif tend à isoler fortement des moments du poème ovidien, les commentaires et les quatrains, chacun de leur côté, opèrent d’autres regroupements.

Aussi le statut du poème nous semble-t-il modifié. Sa segmentation et la multiplication de ses entours diffractent la matière ovidienne en une multitude de discours, répondant à des formes variées et portant des messages divers. Les images en sont un, de même que les quatrains anonymes qui les accompagnent, souvent directement adressés au lecteur ; s’y ajoutent les résumés en prose issus du pseudo-Lactance qui précèdent les fables, les commentaires de Du Ryer qui les suivent et prennent la forme d’une conversation à bâtons rompus avec le lecteur – et, finalement les fables elles-mêmes, comme le signale la préface.

Comme ses prédécesseurs, en effet, Du Ryer proclame l’utilité de la fable, mais le vocabulaire de la figure qui fondait l’argumentaire au XVIe siècle disparaît : l’idée d’une transcendance du signe fabuleux est perdue, remplacée par une nouvelle caractéristique, la généralité. C’est cette universalité qui approprie la fable à l’expression de la morale chrétienne. On ne trouve plus dans ce texte la notion de défiguration analysée par Trung Tran, l’idée que les fables seraient des figures de figures, des images dissimilaires employées pour représenter, indirectement, le divin. Le paradigme allégorique demeure mais dans un sens réduit qui hérite des débats renaissants sur l’allégorie comme procédé rhétorique, développés notamment dans le réseau melanchthonien. La fable embellit l’énoncé de la vérité :

[…] il me semble, que c’est la Sagesse mesme qui se depoüille pour quelque temps de ce qu’elle a d’austere et de serieux, pour se joüer avec les hommes, & les instruire en se jouant. (Préface, n.p.)

Du Ryer emploie l’image habituelle du voile, mais il l’inverse : ici, c’est la sagesse qui se dépouille et se défait de ce qu’elle a de rebutant pour « se jouer avec les hommes ». La métaphore ne qualifie plus un être, mais un faire, elle ne renvoie plus à une essence mystérieuse mais à une activité temporaire.

Aussi tascherons-nous de les expliquer, & de faire au moins un essay si nous ne sommes pas capables de faire un Ouvrage achevé ; car je croirois ne les avoir traduites qu’à demy, si je ne m’efforçois d’en decouvrir & l’esprit & l’intention. (Ibid.)

Le commentaire doit donc révéler l’« intention », « l’esprit » du texte, qui se trouve défini comme un discours adressé par une instance énonciatrice à un récepteur. Du Ryer entend rétablir le fil de l’un à l’autre, « traduire » le texte et par là rendre ce discours intelligible.

On ne s’étonne pas, dès lors, que la lecture devienne un phénomène pluriel, le livre suggérant plusieurs entrées possibles dans le texte et comportant des rythmes et des architectures qui ne se recouvrent que partiellement : la page, le livre sont dans la traduction commentée et illustrée de 1660 un ensemble polyphonique, supports et structure d’une multiplicité de discours. Dans sa matérialité même, le livre répond à la préface de Du Ryer en reflétant une lecture des fables comme récits à moralité, et non plus comme récits moralisants8.

Cette tendance sous-tend également l’écriture des Métamorphoses en rondeaux d’Isaac de Benserade (1676), comme l’a montré Marie-Claire Chatelain9, mais aussi, ce qui est nouveau dans le siècle, la conception de leurs figures gravées par François Chauveau, Jean Lepautre et Sébastien Leclerc. Ces images, où se perçoit l’influence de la série de 1619, montrent une attention fine des graveurs au texte qu’ils illustrent : dans notre corpus, c'est l'un des rares cas (avec l’Ovide burlesque de d’Assoucy) d’une série gravée spécifiquement pour le texte et d’après lui.


Sébastien Leclerc, « Persée délivre Andromède », dans les Métamorphoses d'Ovide en rondeau, Paris, Imprimerie royale, 1676, p. 122. [BmL : Rés 106084]

Dans un article très complet consacré à l’ouvrage, Véronique Meyer souligne que les gravures illustrent les moralités des fables bien plus que les fables elles-mêmes, moralités qui constituent de fait le fond sur lequel travaille Benserade, et qui offrent souvent leur pointe à ses poèmes10.

Dernier avatar de cette série, la traduction de 1701 par Morvan de Bellegarde s’accompagne de copies de la série de 1676 par François Ertinger.


François Ertinger, Les metamorphoses d'Ovide, avec des explications à la fin de chaque fable. Traduction nouvelle par M. l'abbé de Bellegarde, Paris, Michel David, 1701, t. I, p. 258 [BmL : 400543]

Là encore, la suite gravée enregistre la lecture mondaine des fables, et l’ingéniosité est considérée comme leur qualité première : les mythes ovidiens s’avèrent très proches dans leur fonctionnement des fables ésopiques – l’ensemble des composantes du livre, texte et images, est sous-tendu par l’idée de bel esprit et par la forme de l’épigramme. La matière ovidienne, précédemment réputée mystérieuse parce que poétique, moralisable parce que fictive, est donnée à lire comme le livre de référence d’une mythologie assimilée par la galanterie.

C’est dans cet esprit aussi que sont gravées les images de l’Ovide en belle humeur11. Volontairement très différentes des séries précédentes, ces gravures traduisent visuellement l’entreprise burlesque et désacralisatrice de d’Assoucy. Ovide est sommé de se contempler dans le miroir déformant mais véritable du burlesque. De même les images, encadrées de rideaux qui en exhibent le caractère de comédies au second degré, jouent avec la tradition visuelle de l’emblème et avec les lieux communs de la représentation mythologique.


Anonyme, frontispice, dans d’Assoucy, L'Ovide en belle humeur, Paris, Charles de Sercy, 1650 [BmL : 317797]


Anonyme, Phébus et le serpent Python, dans d’Assoucy, L'Ovide en belle humeur, Paris, Charles de Sercy, 1650, p. 84. [BmL : 317797]

La traduction illustrée (b) : le livre-musée

Un deuxième modèle de traduction illustrée apparaît en 1677 avec Les Métamorphoses d’Ovide en latin et en françois, divisées en XV livres, avec de nouvelles explications Historiques Morales & Politiques, sur toutes les Fables, chacune selon son sujet, de la traduction de Mr Pierre Du Ryer parisien, de l’Académie françoise. Édition nouvelle, enrichie de tres-belles figures publiées à Bruxelles chez François Foppens. Si le texte est bien celui de 1660, accompagné de ses commentaires, l’édition signale une approche nouvelle des Métamorphoses. Nous avons eu l’occasion d’analyser l’importance qu’occupent les gravures dans cette édition, reprise à Amsterdam en 1702 chez Blaeu, Janssons a Waerberg, Boom et Goethals, et actualisée en 17321. La fragmentation du texte, la multiplication des gravures et une iconographie plus proche de la tradition picturale rapprochent ces livres d’une forme de musée mythologique : un rapport nouveau à l’Antiquité se laisse percevoir dans ces gravures, qui s’exhibent comme des artefacts, des rêveries parfois nostalgiques, souvent facétieuses, à partir d’une époque révolue. Cette mise en avant dans les images même de leur nature d’artefact est confirmée par la reproduction auprès du texte d’Ovide d’œuvres rares (les cartons de l’histoire de Méléagre peints par Le Brun) ou marquantes (la salle des Géants de Giulio Romano à Mantoue). Ces phénomènes additionnés tendent à transformer les fables d’Ovide en un ensemble de cartouches posés sous les figures du livre, objet de collectionneur et cabinet de curiosités mythologiques.

La traduction illustrée (c) : rêverie du lecteur solitaire

Un dernier modèle d’illustration, enfin, enregistre dans le livre l’existence de la lecture en liberté, faite à plaisir. Si celle-ci n’est certainement pas nouvelle – les récriminations de Perrot d’Ablancourt contre la lecture féminine l’attestent bien – elle se trouve ici légitimée et même programmée. La traduction, sans commentaire cette fois, donnée par Martignac en 1697 s’illustre de quinze planches disposées au début de chacun des quinze livres des Métamorphoses1. Il s’agit là d’un remploi de gravures dessinées par F. Klein et gravées par Salomon Savrii publiées en 1637 dans l’édition latine annotée par Thomas Farnaby2. Ces gravures avaient d’abord été employées pour la traduction anglaise de George Sandys parue à Oxford chez John Lichfield en 1632. Ces estampes sont elles-mêmes redevables des gravures de Giacomo Franco publiées en 1584 pour une réédition des Metamorfosi di Ovidio, ridotte da Giovanni Andrea dell’Anguillara in ottava rima3. Les gravures ordonnent dans la perspective les fables qui composent chacun des quinze livres, en retenant pour chacune un trait distinctif.

L’édition latine de Thomas Farnaby propose le texte dans une typographie serrée, formant des blocs denses disposés en colonnes, afin visiblement d’économiser l’espace et de constituer sous les yeux de l’élève des unités signifiantes et mémorisables. Scandé par les quinze gravures qui distinguent clairement les grandes unités du poème, le livre isole nettement chaque fable, posant les segments narratifs les uns à côté des autres plus encore que les uns derrière les autres. Les images équilibrent cette fragmentation méthodique du poème pour en restituer le souffle et l’ampleur, et rendre ainsi justice à la poétique ovidienne. En cela, elles modifient le sens que prenait la répartition des fables dans l’espace dans la version renaissante : la galerie présentée par Giacomo Franco représentait les récits comme des situations types chargées d’une signification morale adéquatement figurées par les poses éloquentes des personnages – les amants lascifs sont toujours figurés de la même façon : nus, assis, les jambes entrelacées. La disposition dans l’espace constituait un parcours de mémoire dans lequel chaque fable marquait une étape instructive. La gravure de Klein et Savrij, elle, obéit à une approche moins rhétorique que pathétique des fables : les artistes, plus soucieux de formes et de détails qui évoquent l’Antiquité, dessinent un monde imaginaire habité par l’émotion. Dans la gravure du livre X, un temple en ruine décoré de guirlandes de fleurs signale la distance temporelle mais aussi ontologique qui sépare le lecteur de ce qu’il voit : les ruines renvoient l’Antiquité à un passé révolu et les fables au statut de pures fictions. De plus, à la rhétorique gestuelle de Giacomo Franco, qui découpe le discours des images en séquences éloquentes, répond ici le désir de saisir l’instant et de donner à voir la circulation merveilleuse des êtres et des récits. Les deux graveurs anglais s’attachent à lier les fables les unes avec les autres, très librement, en court-circuitant parfois la disposition ovidienne. Au livre X, par exemple, le corps de Myrrha semble faire écho à la statue de Pygmalion comme pour former un diptyque où s’opposent la pierre et le bois, tandis que les branches au-dessus de sa tête rapprochent la jeune femme d’Atys ; ces branches deviennent aussi une sorte de forêt où peut disparaître le sanglier qui vient de tuer Adonis. Le regard circule d’une scène à l’autre, établissant une suite de réseaux poétiques qui ne suivent plus l’ordre du poème. On voit par ailleurs Apollon, penché vers le corps de Hyacinthe, se retourner vers Cyparisse qui pleure son cerf favori. Le dieu, loin de sa majesté solaire, est pris entre deux deuils et ne sait plus où donner de la tête : cette vision de la Fable n’exclut pas une distance amusée.

Les planches de Klein et Savrii trouvent un statut différent, nous semble-t-il, dans l’édition scolaire de Farnaby et dans la traduction française de Martignac: placées face à un texte dépourvu de commentaire et donné dans sa linéarité, elles modélisent la lecture comme une déambulation curieuse, en une approche sensible si ce n’est sensuelle des fables, laissant moins de place à une communauté interprétative (encore visée par l’édition latine de 1637) et plus à la rêverie individuelle. Se profilent ainsi des modes de lecture qui se développeront au cours du XVIIIe siècle.

Pierre Du Ryer dans sa préface présentait la fable comme un être hybride, au corps « fantastique » et à « l’âme raisonnable ». Cette métaphore symbolise au fond les tiraillements entre plaisir de l’image et fidélité à l’esprit d’un texte encore réputé allégorique qui traverse les dispositifs éditoriaux des Ovide illustrés au XVIIe siècle. Au-delà des commentaires du texte, la fabrique du livre elle-même illustre le débat : le livre, dans les cas étudiés ici, fonctionne comme un dispositif qui assigne leur fonction aux gravures et tend à en orienter la lecture, sans pouvoir la circonvenir. D’un siècle à l’autre, les genres éditoriaux semblent se continuer, mais leurs variations signalent les transformations des attentes des lecteurs vis-à-vis des images. Si le XVIe siècle entend lire un plus haut sens à travers le texte et ses figures, les livres du XVIIe siècle jouent avec la matière ovidienne et constituent le poème en un Parnasse spirituel et plaisant à travers lequel les érudits entendent encore, parfois, livrer des leçons de comportement. Au crépuscule du siècle de Louis XIV, un nouveau tournant s’opère : les images, dans des livres-musées, en viennent à représenter la manière d’Ovide, son art, exhibé comme tel. Les séries gravées après les années 1580 semblent ainsi glisser d’une logique du parcours à une logique de la collection, en sorte que l’album ovidien, objet rare, est peut-être le modèle qui permet de comprendre les autres formes prises au XVIIe siècle par les Métamorphoses figurées.