Kitabı oku: «La parole empêchée», sayfa 16

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Le livre introduit un autre personnage important, Filomena dite Filomé, qui entre plus tard à leur service. Quand ils habiteront une maison dans un quartier plus riche de Naples, où il ne se sentira jamais bien d’ailleurs, ils auront une bonne. Celle-ci est sourde. Contrairement à Erri, elle n’entend pas, mais elle parle sans arrêt. Elle aussi est une handicapée du langage, mais d’une autre manière, et une vraie complicité va naître entre eux. Par son silence, il devient le préféré de la bonne. Il a aussi une petite sœur. Il n’en parle quasi pas, mais elle tient sûrement sa place.

Telle est la configuration dans laquelle éclot et se développe le bégaiementbégaiement d’Erri De LucaDe Luca (Erri) : la contrainte du silence, l’emprise d’une mère omniprésente et angoissée, la distance d’un père, la tension intérieure, la culpabilitéculpabilité, en font un être impénétrable à la parole rare, retenue, fragmentéefragmentation. Pour autant, la clef du bégaiement ne nous est jamais donnée, d’autant plus qu’il ne s’agit pas d’une thérapiethérapie mais d’une autobiographieautobiographie, forcément subjective.

À l’adolescence, le bégaiementbégaiement quitte peu à peu Erri, mais il est toujours aussi peu disert, quasi mutique. Il écrit qu’à ce moment-là de sa vie, il devient « absent », d’une absenceabsence impénétrable. Il sent le froid le gagner, il est habité par le gel, le gel du corps et le gel des mots. Ces « mots gelés », qui sont des objets aussi encombrants que des pierres, font penser à ceux du Quart Livre de RabelaisRabelais (François), à qui il les a peut-être empruntés. Nicole Fabre, psychanalystepsychanalyse et écrivain, a intitulé un livre sur le bégaiement Des cailloux plein la bouche en allusionallusion à Démosthène, pour parler des mots qui butent sur la paroi de cette bouche muselée par la révolte, la culpabilitéculpabilité, la peurpeur. Le bègue s’absente des mots.

L’adolescence c’est aussi la période des mots d’amour, ceux que l’on susurre à l’oreille de la bien-aimée. Erri ne peut en aucun cas partager le bonheur des camarades de son âge, aller à la rencontre de l’amour. Lui reste en attente devant la grille du jardin – le Jardin d’Éden ? Il s’est marié pourtant, mais sa femme va mourir très jeune, écrit-il17.

« Parler, c’est parcourir un fil »18… Dans ce rôle de funambule, d’équilibriste, il est devenu expert. Enfant, il excellait dans la recherche d’équilibres impossibles comme faire tenir une fourchette debout sur ses quatre dents… Plus tard, lui, le petit pêcheur de l’île d’Ischia, deviendra un alpiniste de haut niveau. Il sera un spécialiste du rocher où il jouera avec des équilibres vertigineuxvertige ; il fera, cinquantenaire, l’ascension des plus hauts sommets de l’Himalaya – comme il le raconte dans son livre Sur les traces de Nives – et des Dolomites, cadre d’un de ses récents livres, âpre et sensible : Le poids du papillon.

Cet amour du « rocher », auquel il s’agrippe farouchement, sans jamais agresser la montagne, dit-il, est comme un retour fusionnel à la terre-mère, à la mère.

C’est dans l’écriture qu’Erri de Luca se réalisera.

Il écrit comme un tailleur de pierres, avec précision, exigence, délicatesse. Il habite les mots, les parcourt comme une abeille parcourt son alvéole de cire. Comme un sculpteursculpture, il cherche le « grain de la pierre », le grain des mots :

La main fiévreuse palpe le grain de la pierre

S’accroche au creux d’une blessure

Suit l’arête d’un visage

S’émeut de la callosité d’une paume

Écriture d’un tailleur de pierres

Qui bâtit à ciel ouvert une épure

Respect des êtres et pudeur des mots

Le bâtisseur s’est fait jardinier de l’âme.19

Depuis longtemps, il ne bégaie plus. Mais la hantise des mots ne le quitte pas.

À la fin de son livre Pas ici, pas maintenant, il imagine sa propre mortmort et il écrit : « Tous les mots tombent à la renverse, moi je vais me poser sur le sable du fond »20. Allusionallusion à la mort de son camarade d’enfance, Massimo, mort noyé. Lui, il mourra sous une avalanche de mots !

J’ai eu l’occasion de rencontrer Erri De LucaDe Luca (Erri). Et je l’ai entendu récemment dans un spectacle sur scène. Je peux vous assurer qu’il parle sans difficultés, même en français, langue qu’il possède bien, pour avoir travaillé plusieurs années comme ouvrier en région parisienne. Son bégaiementbégaiement a donc eu une issue favorable. Mais je pense que je peux lui appliquer cette très belle phrase d’une jeune femme bègue, Josyane Rey-Lacoste, qui écrit dans Histoire d’un bégaiement : « J’ai appris, comme l’animal lèche ses plaies, à me soigner moi-même et non pas à croire qu’il est possible de guérir de soi ». Non pas guérir de soi, mais transformer son handicap en créativité originale.

Cet ouvrage Une fois, un jour est tout à fait important pour aider à comprendre le bégaiementbégaiement, la vie doulourdouleureuse d’un bègue, même s’il existe, non pas une, mais des formes de bégaiement. Certaines, sévères, proches de l’éclatement de la psychose, à laquelle nous fait penser Erri De LucaDe Luca (Erri) par son attachement archaïque à la figure maternelle ; d’autres, moins sévères, sont plus proches d’une angoisse névrotique ; d’autres encore revêtent plutôt un aspect moteur, une précipitation de la parole qui se bouscule. Mais le signe qui les rassemble est un état de tension corporelle très particulier qui affecte l’émission de la parole. Les mots butent sur un obstacle comme sur un barrage qui, tout à coup, cède et les mots sortent dans un débondement précipité.

Parler, c’est se risquer.

Je me souviens d’un petit garçon bègue de 6 ans, Florian, qui venait chez moi pour une thérapiethérapie du langage. Son jeu préféré était de préparer un long voyage dans le désert avec des playmobils, des petits animaux de plastique et des objets divers. Il passait un temps considérable à se prémunir contre tous les dangers possibles : les préparatifs duraient toute la séance et il ne partait jamais… La parole était pour lui aussi risquée qu’une traversée du désert : tout son corps se tendait dans cette préparation de la parole qui n’advenait que rarement, fragmentéefragmentation, haletante.

Les personnes bègues sont dans la souffrancesouffrance parce que leur troubletrouble crée un handicap social parfois considérable, si bien qu’ils mènent une vie repliée en marge de la sociétésociété et en marge d’eux-mêmes. Les bègues légers sont parfois aussi malheureux que les bègues sévères.

Comme Erri De LucaDe Luca (Erri), ils se sentent souvent en manquemanque d’amour. Souvent, dans un rêve de fusion avec la mère, ils supportent mal l’intervention du « tiers séparateur » et la rivalité fraternelle mais, se sentant coupablesculpabilité, ils font barrage à l’agressivité qui les envahit.

Je me souviens de Théo, âgé de 7–8 ans, que son frère terrorisait. Sa seule façon d’exister était de se rendre muetmuet, invisible, et de ne jamais gagner au jeu, car, me disait-il : « c’est celui qui perd qu’on aime le mieux ». Le jour où, alors qu’il était en thérapiethérapie, il put s’autoriser à gagner, il commença à oser exister, à oser libérer, dans le jeu de rôles, l’agressivité qui l’habitait, et à pouvoir parler sans bégayer !

La petite Emma, elle, avait été surnommée « Mitraillette » par le chauffeur du car scolaire. De ses grands yeux bleus, elle fusillait son petit frère, qui avait pris sa place de préférée et elle mitraillait l’entourage de son bégaiementbégaiement.

Le petit Ryan, à 4 ans, avait le souffle coupé dès que sa mère lui parlait, comme un échoécho au symptôme d’Erri21.

Souvent aussi, se sentant englués dans la culpabilitéculpabilité (« je ne l’ai pas fait exprès », disait Erri), ils se punissent par le bégaiementbégaiement ou le mutismemutisme, ce qui contribue à enraciner leur troubletrouble. Retourner contre soi l’agressivité dans une auto-flagellation est une forme de comportement dans laquelle on peut trouver un soulagement, une force.

Y a-t-il une issue possible à ce troubletrouble ?

L’exemple d’Erri De LucaDe Luca (Erri) le montre. Les éléments constitutifs du bégaiementbégaiement se mettent en place souvent très tôt dans la vie de l’enfant, c’est pourquoi il est nécessaire d’intervenir tôt, chez l’enfant jeune, non pas avec des exercices de contrôle, de surveillance, ou des traitements médicamenteux, mais avec une thérapiethérapie par le jeu, l’expression corporelle, une relation d’écouteécoute, avec un thérapeute formé à cette approche, où peuvent se résoudre bien des conflitconflits encore non figés.

Chez les adultes atteints de bégaiementbégaiement, la problématique est plus enkystée ; l’empêchement à parler fait partie d’eux-mêmes si bien que, paradoxalement, ils ont du mal à s’en détacher. Le thérapeute cependant peut jouer un rôle important d’écouteécoute, d’accompagnement, d’appui technique, notamment : leur apprendre la détente corporelle, la respiration, la pose de la voix, leur apporter une aide réelle et libérer leur angoisse, leur permettant de prendre le risque de la parole. Il s’agira surtout d’apprivoiser les mots, de ne pas guerroyerguerre contre eux, de les accueillir, les habiter.

Comme le fait Erri De LucaDe Luca (Erri) dans son spectacle philosophico-poétique et musicalmusique, Quichotte et les invincibles, où les mots arrivent en paix, distillés, habités d’une plénitude rare. Ce Don Quichotte des temps modernes ne se bat plus contre les mots, mais contre les injustices du monde !

« Comment puis-je pleurer cette femme ? » : l’élégie empêchée de Paul de BrancionBrancion (Paul de)

Élodie Bouygues (Université de Franche-Comté, EA 4661 ELLIADD)

À la mort de sa mère en 2006, le poète Paul de BrancionBrancion (Paul de) se surprend à ressentir une forme de chagrin, dont l’origine est tout aussi insoluble que l’expression est problématique : « Maman massive est partie maintenant. Cela ne me console pas. Ma tâche est devant moi. Je suis extrêmement surpris par mon émotionémotion. […] Comment puis-je pleurer cette femme qui a si furieusement détruit tout autour d’elle ? »1. Le recueil Ma Mor est morte paru en 2011 porte l’empreinte de la double épreuve, existentielle et littéraire, à laquelle l’écrivain se trouve confronté : démêler l’écheveau de l’histoire familiale chaotique dont il est issu, et trouver une langue susceptible de porter et de supporter pareille violenceviolence. Comment puis-je pleurer cette femme ? Le comment pose en effet la question du scandale et du mystère que constitue l’émotion du fils blessé par une mère asphyxiante et manipulatrice, figurée en ogresse vorace et obscèneobscénité ; mais aussi celle de la forme que pourrait revêtir l’élégie qui sourd, à la fois irrépressible et comme à contre-cœur.

Nous tâcherons dans un premier temps de mettre au jour une sorte de typologie des causes de la parole empêchée, psychologiquespsychologie et linguistiques, dont on trouve la trace tant dans le texte que dans l’épitexte ; puis, dans un second temps, la solution – le détour – que la parole poétique invente pour parvenir à une re-naissance symboliquesymbole, avant d’aborder, pour finir, le difficile chemin vers la véritévérité que constitue la rédaction de ce recueil de deuildeuil. Car le défi ici n’est pas tant de « rémunérer le défaut des langues », selon l’expression mallarméenneMallarmé (Stéphane), que d’adapter à un objet apparemment indigne – la « cauchemère » (p. 97) – le genre de la plainte élégiaque issue de la traditiontradition avec laquelle ce texte du XXIe siècle partage certaines caractéristiques (la première personne, la dimension autobiographiqueautobiographie, l’évocation du passé, la lamentation). Le recueil publié, soixante proses poétiques numérotées, en trois langues et deux versions en miroir2, se transforme en « élégie de combat »3, c’est-à-dire un chantchant issu d’une lutte contre soi, contre la mère (qui a semé trop de pierres dans le jardin familial) et contre la langue.

1. Aux sources de l’empêchement

Au moment d’écrire, le principal frein psychologiquepsychologie à l’avènement de la parole est la peurpeur. La personnalité violenteviolence de la mère, dont l’emprise perdure de l’enfance à l’âge adulte, impose la terreurterreur :

Elle retournait sa langue entre ses dents quand tout n’était pas exactement comme elle le souhaitait. Si quelque chose clochait, elle attrapait les enfants par les oreilles, son regard devenait d’un bleu métallique, merveilleusement pathologiquepathologie, et elle cognait la tête du malheureux contre le mur en criant : « je te pilerai, je te pilerai ! » C’était assez terrifiant pour le petit garçon que j’étais. Le fils à sa maman chérie ! (p. 59)

Dans la perception de moi-même je reste très jeune encore. Je me souviens de mes parents comme d’une espèce de puissance éternelle, sorte d’abattoir sans fin qui me tient pour toujours entre ses mains. Ils demeurent cela. Côté obscurobscurité dans la terreurterreur duquel je suis resté et qui exerce encore sur moi sa puissance retenue. (p. 67)

Dans un texte glaçant, le poète va jusqu’à comparer la mère, « puissante femelle » (p. 7), à un animal privé de la conscience de ses actes :

Ce qu’elle a fait est effroyable, sans savoir, ce qui rend la chose encore plus insupportable à penser. Parce qu’à ses yeux elle n’a rien fait. Elle ne savait même pas ce qu’elle ne faisait pas, justement car elle était comme un animal, un animal sauvagesauvagerie. « Pourquoi ris-tu, les animaux ne rient pas » me disait mon frère mortmort. Mor, elle, riait comme un animal fauve de soi-même, sans concurrence. J’ai vu des animaux sourire en silence. Je ne sais pas si leurs criscri parfois vont jusqu’au rirerire. (p. 105)

La terreurterreur va de pair avec l’impuissance. L’horreurhorreur, elle, bloque le passage de la pensée, et place l’impensable en amont de l’ineffableineffable : ainsi aux causes psychologiques du mutismemutisme se chevillent immédiatement des causes littéraires.

Le texte liminaire désigne la mère comme indescriptibleindescriptible d’une part en raison de son altérité radicale. Comment faire quand la réalité n’a pas d’équivalent dans la langue ? « J’ai voulu écrire […] et les mots m’ont manquémanque car elle m’était étrangère1 dans sa monstruosité même. » (p. 7) ; ce que l’auteur corrige plus loin dans le recueil : « Elle n’était pas un monstre. Elle était monstrueuse et aussi infiniment humaine. Disgracieuse figure d’humanité, elle n’était même plus une Mor » (p. 103). En effet, elle est, d’autre part, un être paradoxal dont la personnalité est insaisissable et par conséquent indicibleindicible :

Il s’agit de ma Mor. Il m’est malaisé de parler d’elle car elle était tellement mélangée, comme mes sentiments à son propos. Mélangée, elle était en permanence contradictoirecontradiction. (p. 9)

Était-elle autre chose que cette incertitude qui la rendait si touchante, si émouvante ? Touchante et bordélique Mor. (p. 33)

La mère, « hénaurme », apparaît surtout comme une entité surnaturelle dont l’excèsexcès est la principale caractéristique, ce qui lui permet d’échapper à la rationalité du discours :

[…] ma Mor était plus qu’assez. Elle était trop, plus que cela, trop pas assez.2 (p. 33)

Profusion, c’est le mot en français. Excès. Mor avait quelque chose d’excessif que je craignais infiniment. Il était dangereux pour moi d’être en relation avec elle. (p. 83)

L’exorbitance de la mère impressionne d’abord par sa dimension physique. L’adjectif « massive » la désigne à plusieurs reprises (« massive Mor ») ; elle est un corps qui fait obstacle, elle bouche le passage, elle étouffe son fils, « enserré, encerclé » (p. 109) au sens concret du terme, par « des impressions physiques d’inquiétante proximité de volumes excessifs » (p. 75). Comme les monstresses des films de Fellini (on pense à Amarcord), Mor est « obscèneobscénité », écrasante : « Elle avait le décolleté vertigineusementvertige écœurant » (p. 111), « la masse obtuse » (p. 109). Et cette présence invasive, quasi sexuellesexualité, est vécue comme « dangereuse » (p. 75) :

Il y a des hommes, dans la peinturepeinture de Balthus ou dans les dessins de Pierre Klossowski, qui évoquent cette forme physique en sa violenceviolence. (p. 109)

J’ai de grandes difficultés avec la réalité physique de ma mère. Je refuse volontiers de la toucher, elle ne doit pas m’atteindre. Je dois m’éloigner de son corps […]. (p. 99)

La disparition physique ne libère pas l’enfant de son emprise, bien au contraire. Dans plusieurs entretiens, Paul de BrancionBrancion (Paul de) témoigne du fait qu’il est tombé malademaladie à la suite du décèsdécès de sa mère – deux ans d’hôpital public – sans savoir réellement en quoi les deux événements étaient liés. Il se dit, en crescendo, « atteint »3, « shaken » « dérangé » (p. 10–11), « dévasté » (p. 44), « Terrassé serait plus juste, terrassé comme saint Paul sur le chemin de Damas. / Ce fut une révélation d’obscuritéobscurité confuse, de charbonnage anthracite d’un monde qui s’est révélé à moi » (p. 123). Vivante comme morte, Mor poursuit la même entreprise de ravage : « Tout ce qui me rappelle Mor me brûle comme un champ dévasté par un désherbant chimique radical. » (p. 101)

On pourrait évoquer rapidement d’autres freins psychologiquespsychologie à la parole, à commencer par le sentiment de hontehonte, propre aux victimevictimes : « Je suspends la sensibilité, l’affection, le monde devient désabusant, presque aseptique. Je ne suis pas là. Je ne m’aime pas. Je me rétracte, je me retranche pour ne pas vomir de honte. » (p. 81) Tous les mots fonctionnent à double sens : l’incapacité à vomir est une autre imageimage de la parole obstruée, qui signale l’incapacité d’expurger ce qui a été avalé (comme on parle d’« avaler des couleuvres »).

À cela s’ajoute la culpabilitéculpabilité de s’attaquer à une personne âgée, qu’on pourrait croire « assagie » par les ans (p. 7), et dont les « cheveux blancs » sont censés inspirer le « respect […] et toutes ces sortes de choses » (p. 89) – mais l’on sent bien que Mor échappe aux lois qui gouvernent les relations sociales habituelles.

Le poète souligne enfin la nécessité d’une relation dialogique dans l’affrontement, rendue impraticable par la mortmort4 : « Moi qui ai beaucoup dialogué post mortem avec feu ma grand-mère, je n’ai rien à dire à Mor depuis qu’elle n’est plus. C’est le silence radio » (p. 93).

De plus, les premiers mots que l’auteur jette sur le papier sont, d’après son témoignagetémoignage, trop proches du pathos (« J’ai commencé à écrire un truc très près de la douleurdouleur, très près de la difficulté d’exister, tellement près de la douleur que ce n’était pas de la littérature »5) : la gêne se situe donc dans la re-présentation.

L’obstacle fondamental est bien de l’ordre du langage. À sa mortmort, le corps maternel opère un déplacement symboliquesymbole et vient s’incarner dans la langue. L’obstacle change de nature. Le français, langue maternellelangue maternelle, est la langue de la mère : il est la mère. Le recueil regorge d’allusionallusions à la dimension organique de la langue, en jouant sur la double acception du terme : au langage, mais aussi à la bouche de la mère, à ses dents ou à ses caries. Sa logorrhée continue à noyer l’enfant, à étouffer sa parole :

Elle parlait très vite et beaucoup. Un déluge de mots étaient prononcés et je m’éloignais en marchant le plus loin possible du courant continu de ses phrases (p. 83).

La langue maternellelangue maternelle semble réinvestir une forme de corporalité « primitive » (p. 109), et impose sa « massivité », son opacité, sa capacité d’obstruction.

C’est pourquoi, au moment de prendre la parole pour « dire la mère », la langue française se trouve frappée d’inanité : le poète ne parvient pas à écrire en français, « constat d’impuissance au début, d’étonnement ensuite »6. Intimement liée à la mère, au plan familial et social, la langue française est dé-naturée, monstrueuse comme l’est la mère contre-nature, paradoxalement en deçà et au-delà de la violenceviolence subie :

[…] je réalise que […] ma langue est pauvre actuellement, pauvre de mon expérience de la vie et que celle-ci n’est pas satisfaite de la férocité et des jolis arrangements verbaux.

Au bout du compte, les mots se télescopent, il en ressort un sens subtil qui me laisse insatisfait, étrangement perdu, car les réalités écrites sont plus lourdes que cela. (p. 13, n. s.)

L’indigence de la langue se lit dans l’emploi récurrent de ce pronom démonstratif et indéfini « cela » (on pense au « ça » du lexique psychanalytiquepsychanalyse) : « j’en aurai bientôt fini avec tout cela », « ne plus avoir même affaire à cela », « maintenant cela doit cesser », « je regrette cela »… et du vocable fourre-tout « chose » : « la chose est impossible autrement », « ressentir les choses », « une atmosphère diablement entachée de ces choses-là », deux mots de la langue française dans lesquels vient se loger la trace visible de l’empêchement à dire7.

Pour Paul de BrancionBrancion (Paul de), écrire est malgré tout une affaire de survie, une façon d’affronter le corps de la mère au plan physique comme au plan symboliquesymbole. Pour se libérer d’un héritage encombrant (« Qui m’a donné la langue en quoi je me débats ? Mor », p. 65), il s’avère « nécessaire de reconstruire avec un nouveau langage, une nouvelle immotivation » (p. 41).

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